Saison Un

: Obscure Prophétie

Je dois avoir l'air bien malin, moi, maintenant. Avec ma cheville en vrac et mes yeux de Ponchiot battu. À ma précédente question, elle avait répondu, mais autre chose semblait la préoccuper. Elle avait marqué un temps de pause, plus de l'ordre de la réflexion que du doute, à mon avis. Si j'ignorais les raisons qui la poussait à être autant sur la défensive, je sentais bien que l'atmosphère n'était pas toute aussi sereine que notre conversation. Un danger peut survenir à n'importe quel moment, surtout quand on l'attend le moins. De là, à ronger son frein au passage dans une forêt, il y avait anguille sous roche. Une mauvaise expérience ? Un traumatisme ? On ne lit pas sur les visages aussi facilement que sur le mien, si les gens ont ou n'ont pas vécu des événements difficiles.


Les lèvres pincées, je souris, comme en cachette. Je me demande si Sourdine serait du style se gonfler de fierté d'entendre sa partenaire parler d'elle en des termes si élogieux. D'un coin de l'œil, je la regarde, amusé. Je ne saurais de moi-même répondre à la question, je connais bien trop peu cette Ramboum. Je note qu'elles sont parties ensemble de Kalank. C'est loin d'être la porte à côté et bien que j'ai eus la chance de visiter quelques coins de Mistral, plutôt atypiques. Je n'ai jamais mis un pied à Kalank. Je me demande comment on y vit, ce que cela sent d'être en bord de mer. Les embruns, la marée, les algues. Ma curiosité est piquée !

Lorsque je me suis affairé pour ma cheville, Adèle sembla tout à faire comprendre de quoi il s'agissait. Elle remarqua comme moi que je n'avais rien sous la main pour me placer une attelle. De son sac, elle sortit deux bâtons, bien étranges, comme un puzzle, une énigme. Ils semblaient pouvoir s'emboîter parfaitement. Même si, le cas présent, je les utiliserais séparément.


Je n'ose pas demander de quoi, il s'agit. Si je comprends une chose, c'est que ce doit être précieux pour elle. Je ne souhaite surtout pas être indiscret au point de le lui demander quoi que ce soit, quand, d'évidence, elle ne souhaite pas s'étendre plus que cela sur le sujet. J'arbore toutefois un regard intrigué, interrogateur. Malgré l'état de mon visage, je n'en perds pas une certaine expressivité, propre aux enfants, diraient certaines mauvaises langues. Je tâche donc de tourner mon esprit vers d'autres considérations, vers la Ramboum, à en oublier Kalank.


À nouveau, un fin sourire se dévoile. Mes zygomatiques vont finir par me faire mal ! Si je suis plutôt expressif, je suis toujours aussi pudique du rire ou du sourire, du moment que je me sais seul ! Tout va bien ! Mais dès que je suis avec quelqu'un, j'ai comme une limite. Impossible de sourire plus que "de raison". J'ignore moi-même à quel impératif, je m'efforce de répondre, aussi bien que de qui il émane. Une chose est sûre. Je m'exécute. Ce sourire-là, je le nuancerai d'une pointe d'amertume. Ce n'est pas complètement de l'envie ou de la jalousie, mais clairement... Adèle semble posséder quelque chose que je n'ai pas et que je désespère d'obtenir. J'aimerais comprendre comment faire pour exercer aux côtés d'un Pokémon captif. Après tout, je ne suis pas "dresseur" depuis bien longtemps. Je n'ai jamais rien cherché à comprendre là-dessus, le lien que je sais initier auprès des Pokémons sauvages m'a toujours suffit, jusqu'à maintenant. C'est quelque chose que je ne connais pas, je suis étranger à la captivité.


Je peste. Je rumine intérieurement. Comment pourrait-elle répondre à une question si bête, si large, dépourvue de tout contexte ! Il me faut lui préciser ma pensée. Mais... Cela signifie ajouter des mots dans ma phrase. Prendre le risque d'être bête, d'être moqué, de voir son honneur bafoué, d'exprimer une certaine vulnérabilité. Lorsque je préfère me taire, je suis un couard. Prendre la parole, c'est toujours du courage ou de la témérité pour certains. Aujourd'hui, je vais faire le choix d'être courageux. Certes, ce n'est pas celui des chevaliers des livres de contes qui, face au dragon, dégaine une mine tige de fer, convaincu par avance de sortir victorieux d'un combat pourtant déséquilibré. Ce n'est rien que mon petit courage à moi, espérons ne pas le voir disparaître pour de bon.


Mon débit de parole était bien trop rapide. Le stress presse mon rythme cardiaque dans le rouge. Une lourdeur grandit dans ma poitrine. Mon visage, plombé lui aussi, se tourne vers le sol. Je n'y vois que de la boue mêlée de cendres.

Je me surprends, pourtant sans avoir spécialement eu de préjugé sur Adèle, que je trouve sa réponse bien plus développé et pertinente que tout ce que j'aurais pu imaginer. Est-ce qu'il ne s'agit que d'elle ? Ou est-ce que parler sincèrement aux gens peut apporter systématiquement autant de lumière sur les choses ? Impossible. Ca m'est bien arrivé par le passé de parler à cœur ouvert et c'est bien l'une des premières fois que ça m'est profitable. Cette conversation, si ce n'est cette personne, dois tenir de l'exception plus que de la règle. Elle pique à nouveau ma curiosité et met en marche mes petits neurones après avoir pris une pause. Je ne m'attendais pas à être relancé une fois de plus. C'est troublant, c'est agréable, c'est palpitant. J'ignorai qu'une discussion pouvait générer autant d'émotions, d'envies, de passion. Je saisis un peu mieux ce qui peut motiver la plèbe à tenter de recréer cette sensation en jacassant toute la journée durant, sans y parvenir, toutefois. Pour revenir à nos considérations présentes, quelles seraient mes conditions pour attraper un Pokémon, si jamais je me trouvais dans une situation où c'est cela que je souhaiterai. Peu probable, mais intéressant. Elle me propose une idée qui, ma foi, est loin d'être inintéressante.


Je déglutis. Je prends le temps d'humecter mes lèvres, la suite va être un peu plus dure à exprimer pour moi.


La sentence est tombée. Oui, je viens d'exprimer à haute voix que j'ai des idées progressistes, si ce n'est révolutionnaires et surtout, l'ambition de les réaliser un jour. C'est assez prétentieux, un brin rêveur, idéaliste, peut-être même utopiste. Mais bon, si on ne rêve pas, si on ne cherche pas à concrétiser ses rêves, à quoi bon vivre ? Boire, manger, dormir et recommencer ? Dans un cercle à l'infini. Très peu pour moi, c'est comme être mort et à ce compte-là, autant mourir et apporter des nutriments à une terre, qui, elle nourrira à son tour des êtres qui eux, peut-être, réaliseront leurs rêves.

Tandis que nous reprenions notre chemin, à un rythme correct malgré ma foulure, je notais, une fois de plus, qu'Adèle semblait très soucieuse. Elle était préoccupée depuis que je l'avais rencontrée dans ces mêmes bois. Est-ce un moment compliqué pour elle ? Cela était-il lié au lieu que nous traversions ? De quels maux souffrait-elle ? De quels dangers s'inquiétait-elle ? Ces questions fourmillaient sur mes lèvres, mais aucune ne trouva le courage de s'en extirper. Nous discutions de toutes autres considération et si ma curiosité était piquée au vif, je ne m'abaisserais pas à changer de sujet. Surtout que je me découvre une passion bien étrange pour la parlote avec cette demoiselle, autant explorer cette piste-là. Je serais toujours à temps de les poser lorsque j'aurais besoin de brusquement changer de sujet après l'une de mes maladresses. Sous mon col, je rayonnais d'une expression de benêt. Presque fier de savoir avec certitude, qu'à un moment ou à un autre, je finirais par avoir l'air d'un abruti fini. C'est un peu la sérénité du cancre, le calme de l'imbécile, aucune raison d'avoir peur du résultat lorsqu'on le connait par avance.

Au-delà de mes diverses pensées, j'écoutais méticuleusement les propos d'Adèle qui faisait de plus en plus de sens à mes oreilles. Je pouvais bien simplement être honnête avec les Pokémons que je rencontrerai, leur expliquer mon point de vu, les convaincre, non pas les arracher à leur nature et par la suite les forcer à des travaux dont ils ne veulent pas, mais bien plutôt à déjà expérimenter ce que je souhaiterais pour la suite.  À savoir une relation quasi-contractuelle entre le Dresseur, moi le cas présent et le Pokémon, que je rencontrerais en temps voulu. N'avais-je pas déjà rencontré un Pokémon dont le sort me questionnait ? Que voulait-il ? Pourquoi ne présentait-il pas la moindre forme de mépris à mon égard, tout du moins, pas de haine. Gympie, nommé après mon cuisant échec (c'est peu de le dire), ne me faudrait-il pas m'assurer du consentement de cette bestiole-là ? Avec une mine de dégoût, je cherchais sous mon sac la pokéball du diablotin.

Après quelques secondes à chercher dans mon dos d'une main plutôt hasardeuse, je finis par saisir l'objet. Le décrochant de son attache, je fis grossir la pokéball, non sans beaucoup d'appréhensions. Me faut-il vraiment en discuter avec lui ? Ne devrais-je pas simplement le relâcher ? Il est certes interdit d'abandonner ses Pokémons dorénavant, mais je pourrais bien faire une exception. Personne ne le remarquerait... Non ? Non. Bien sûr que l'idée serait toute trouvée, mais c'est bien là une tentative d'esquiver tout le but de l'exercice. Je dois lui demander, selon mes convictions, la marge de manœuvre dont je dispose, les lois, s'il veut ou non faire parti de mon aventure, selon quel terme et dans quel but. Je jette un coup d'œil, presque apeuré à Adèle. La dernière fois que j'ai eu à faire à ce Ponyta, j'ai très littéralement posé un pâté au sol, en larme, le cœur et l'estomac retourné. Cela me ferait-il cet effet à chaque fois ou n'était-ce dû qu'au choc des retrouvailles ?


Je marquais une pause dans ma marche. La main qui serait entre ses doigts la pokéball vit ses jointures blanchir pour ne pas trembler. Je pris une profonde inspiration avant de me concentrer à nouveau sur les dires d'Adèle.


J'ignore si ma réponse est claire. J'espère ne pas avoir perdu mon interlocutrice. Les idées vont loin, peut-être un peu trop, mais je n'affirme pas non plus que demain tout sera fait. Je me demande bien quelle réaction elle aura à de pareils propos. Je lui jette un petit coup d'œil, intrigué. À défaut de regarder la pokéball de Gympie, comme obnubilé par elle.

À l'aise. En confiance. J'avais fini par vraiment croire que je pouvais exprimer tout haut ce que personne n'avais réellement chercher à savoir de mes convictions. Encore le feu au cœur, j'observe le visage d'Adèle se déconfire. Je ne dirais pas qu'elle me prend pour un fou, mais pas loin. Je n'ai vraiment pas dû y aller avec le dos de la cuillère. Je ne sais pas comment il faut faire, je l'ignore, sincèrement. J'ignore lorsqu'il vaut mieux taire certaines choses, en développer d'autres, à quels moments et surtout pourquoi !? J'imagine que c'est un moment comme ça, un moment où je l'ai perdu. Est-ce que je l'ai déçue ? Est-ce qu'elle ne voudra plus me parler ? Va-t-elle seulement me répondre ? Je n'en sais rien, mais je dois avouer que j'ai fixé mon regard sur elle, les lèvres entrouvertes. Je ne suis pas tout à fait bouche bée, mais on peut dire que j'attends beaucoup de la réponse qui va venir.


J'en attendais trop. Définitivement, j'en attendais trop. J'ignore si je dois être profondément attristé ou bien déçu, à moins que je puisse être simplement content ? Un fin sourire, de ceux qui n'en mènent pas large étire mes traits, sous mon col relevé. Je n'ai plus le cœur à la fête, du tout. Mais qu'est-ce que je ressens exactement ? Comme une douce chaleur, légère, à peine tiède en réalité. C'est aigre-doux. On n'y est pas mal, pourrait-on dire que cela fait du bien ? Non. J'aurais réellement souhaité pouvoir ressentir une réelle connexion avec Adèle, être compris, entendu, soutenu même, pourquoi pas ! Rien de tout cela n'arriverait. En même temps, à quoi je m'attendais. Il vaut bien mieux rester seul, seul avec ses idées et avoir la force de les réaliser. C'est tout ce qu'il doit être fait. Le reste n'a pas la moindre importance. C'est ce que j'aimerais me dire, mais rien n'y fait.


Je suis simplement triste d'avoir l'impression désagréable d'avoir manqué ma chance, de n'être plus qu'un drôle d'énergumène qui n'a plus aucune chance d'être ami, avec elle. C'est ça, en réalité que je souhaitais ? Peut-être bien, mais qu'elle importance maintenant... Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire, je ne comprends pas, mais je te comprends, toi ? Est-ce que je suis trop défaitiste ? N'y aurait-il vraiment aucune chance ?.. Je préfère ne pas y penser, ne pas menacer mes sentiments une nouvelle fois en m'exposant, vulnérable, une fois encore. Je ramène la pokéball de Gympie à sa taille originale. Toi, je ne te montrerais donc pas. Je n'en ai clairement pas la force, maintenant. Je préfère encore l'affronter seul, tant pis. La mine et les yeux abattus, je clopine vers la sortie de la forêt, dont je crois deviner l'orée, au loin.

Tout ce que je vois, c'est du courage. Je pense très sincèrement que j'admire Adèle. Elle n'est pas la meilleure en tout, bien qu'elle soit très certainement meilleure que moi dans beaucoup de domaines, mais elle en a conscience. Elle ne s'en vante pas, du moins pas devant moi. Elle a dû ressentir mon trouble, mon mutisme soudain, le silence sourd dans lequel je nous ai plongés suite à ses paroles. Avaient-elles été si terribles que ça ? Je dois bien avouer que j'en doute, maintenant. J'ignore à quoi je m'attendais vraiment, je pense que j'aurais voulu qu'elle comprenne mes idées, là où je voulais en venir, qu'elle adhère à l'idéologie que je défends. Elle a fait tout autre chose, mais est-ce que je pourrais vraiment la quitter en me disant que j'en ai été déçu ? Comme elle l'a dit un peu plus tôt, elle ne comprend pas, mais elle me comprends moi. N'est-ce pas tout aussi beau, si ce n'est plus beau encore ?

Du courage, c'est ce qu'il me fallait et c'est précisément ce qu'elle m'a donné. Je reprends en main, fermement, la pokéball de Gympie et augmente son volume à nouveau. Cette fois-ci, je ne me dérogerais pas à ce que j'estime être mon devoir. Je crois en cette piste qu'elle m'a offerte. Il doit y avoir de quoi expérimenter par-là. Demander l'avis au Pokémon, chercher à comprendre ce qu'il souhaite faire, lui. Me déteste-t-il vraiment à moi ? Je rêverais que cela ne soit pas le cas, mais je suis bien incapable de m'autoriser à y croire vraiment. Comment cela se pourrait-il ? Que ressentirais-je à sa place ?.. N'est-ce pas là tout le cœur du problème ? Tout comme avec Adèle à l'instant, je suis bien précipitamment parti du principe, qu'à sa place, si je m'avançais à dire que je ne comprenais pas, cela signifiait que je rejetais en bloc. Cela ne témoigne sans doute que de ma manière de fonctionner à moi, non pas de sa manière à elle d'aborder les choses.

Peut-être que là se situe mon erreur, supposer des intentions des personnes, des gens, en fonction de la manière, une fois encore supposée, que moi, j'aurais de réagir à la situation. Si je peux trouver belle la déclaration d'Adèle a posteriori, peut-être que Gympie saurait me surprendre lui aussi. Convaincu, mordicus, cette fois que je ne fuirais cette impasse, je compte bien m'y engouffrer et en faire une nouvelle voie pour mon futur et mon.. Partenaire potentiel ? Ou quelque chose comme ça.




Je tends une main chaleureuse, amicale vers Adèle. J'ai beau avoir l'esprit d'un Ramoloss moitié mort, je suis heureux d'avoir la vivacité d'esprit nécessaire à ce revirement. D'aucuns pourraient aussi bien appeler cela de la bipolarité, d'être excessivement lunatique. Il n'en est rien. Pour une fois, je ne serais pas parti fâché pour rien, fier d'être pique planté dans mes certitudes et a priori.