Saison Un

: Obscure Prophétie

La discussion que venait d'avoir Otto avec Pérenne venait de lui ouvrir les yeux sur sa condition actuelle. D'une part, il était un humain. D'autre part, un fervent ami des Pokémons. Il les respectaient comme des égaux et souhaitait travailler avec eux à la libération progressive des Pokémons de Mistral (dans un premier temps), mais aussi à un changement des modes de pensées, notamment humains. Cependant, il vivait dans un monde de Dresseurs, de Chasseurs, d'êtres disposants de Pokéballs, plus généralement. Il ne pouvait tout simplement pas réussir à renverser ce système bien huilé de l'intérieur, en respectant les règles et les codes, s'il ne capturait pas ses compagnons au fur et à mesure. Il suffisait au moindre abruti venu de capturer l'un de ses collaborateur pour le voir réduit en esclavage, sans rien pouvoir y faire (du moins, légalement). Une conduite pareille le laisserai, lui et son groupe, bien trop vulnérable. De plus, ce n'est pas avec des idées pareilles qu'on se fait beaucoup d'amis en Mistral. Il lui fallait réunir une équipe résolue, acquise à la cause qu'Otto tentait de défendre, c'est-à-dire, la leur, s'il se résolvait à l'entendre.


Ainsi, chargé d'une détermination nouvelle, le brûlé décida de se rendre à nouveau à la Forêt Calcinée, théâtre de sa rencontre avec une mystérieuse jeune femme. Il y pleuvait toujours. Les Pokémons y seraient peut-être plus durs à dénicher. À son dernier passage, la pluie commençait seulement. Cela faisait maintenant quelques jours qu'elle sévissait. Otto chercherait-là un spécimen semblant apte à la négociation. Le plan était clair. Il présenterait une baie au Pokémon concerné, lui expliquerait ses motivations, puis une Pokéball. Si le cœur le lui en disait, il serait le bienvenu dans l'équipe d'un Daphé. Rien ne l'y forcerait, le discours d'Otto irait dans ce sens. Une aventure, une amitié, une forme de contrat finalement. Les idées fusaient, ne faudrait-il pas rédiger un Code du Travail des Pokémons, donner un salaire à ces êtres, s'ils le souhaitaient, sous une forme purement pécuniaire ou bien plutôt par d'autres biais, logés, nourris, blanchis. Ces idées-là méritaient leur temps de réflexion. Le moment n'était pas à la songerie, mais à l'action.


Animé d'une grande conviction, Otto fouinait maintenant la forêt, aux aguets, prêt à se présenter au premier venu.

Le ciel est bien souvent capricieux. Il ne laisse apercevoir que très rarement quelques rayons de clémence. Une pluie torrentielle ravageait actuellement la Forêt Calcinée. Elle avait surpris un Grillepattes un peu trop insouciant ou affamé. Il avait lutté longtemps contre les éléments avant d'être emporté dans un véritable torrent, l'un de ceux qui lacéraient le sol de la forêt. Il se crut perdu un nombre incalculable de fois, tout espoir semblait l'abandonner. La catastrophe qui s'étendait sur plusieurs jours maintenant l'avait privé de son dernier frère. Il était maintenant seul. Avait-il seulement encore la moindre raison de résister aux assauts des vagues ? Alors qu'il s'abîmait dans les flots, un miracle se produisit. La mer se sépara en deux, il s'échoua sur le rivage avant que ces mâchoires glaciales ne se referment derrière lui.

Sauvé. Le Grillepattes était sauvé. À bout de force, fébrile, il rampe en consommant jusqu'à ses dernières forces pour s'assurer de n'être pas remporté dans les flots et s'effondre. Il ne s'effondra pas par n'importe où non. C'était juste sous les yeux d'Otto. Prit d'une affection immédiate pour ce brave gaillard, ce petit bout de rien qui avait l'air d'avoir tant souffert, d'avoir tant donné pour sa survie, il entreprit aussitôt de l'aider. Le soulevant délicatement du sol, Otto balayait la zone du regard. N'y avait-il pas dans le coin un vénérable sous lequel s'abriter ? Rien. Ce n'était pas vers le domaine du vivant qu'il trouverait son salut, mais bien de la mort. Un énorme tronc, étalé de tout son long, en dessous duquel une large cavité s'était naturellement creusée.

Une fois à l'abri des intempéries, Otto examina précautionneusement le Pokémon. Il ne semblait souffrir d'aucune blessure particulière, il était simplement à bout de force. Il essaya de se remémorer tout ce qu'il savait sur le malheureux, quelque chose d'utile. Il devait manger pour recouvrer des forces, pour sûr. Les Grillepattes consomment leur nourriture cuite. Du feu ! Avec une atmosphère aussi humide ? Otto lui-même était trempé jusqu'à l'os, impossible de trouver un coin suffisamment sec pour y faire un feu. L'évidence le saisit, de même qu'un certain effroi. Il faudrait faire appel à lui. C'est avec une grande appréhension que le brûlé se muni de sa Pokéball, la seule qui contenait un habitant. Gympie pourrait bien être la seule solution à ce problème insoluble.

Une nœud de stress lui plombait l'estomac lorsqu'Otto libéra Gympie de sa geôle. À son habitude, il était impassible, indifférent. Cette fois, notre Ranger ne rendit pas son précédent repas. C'est une amélioration notable.


La voix d'Otto était si respectueuse, si frêle. Il s'inclinait devant le Ponyta en lui présentant le Grillepattes mal en point, au creux de ses mains. Le sang de Gympie ne fit qu'un tour, il fit feu de tout bois et produisit autant de flamme que ce temps le lui permettait. En laissant reposer le brin de Pokémon sur l'encolure du monstre, Otto fit l'expérience de son premier contact physique avec la bête depuis... Un bon moment. Un sourire amer naquit sur ses lèvres. Peu importe le passé, ensemble, ils pourraient le sauver. Avec la permission de son Pokémon, Otto se permis d'utiliser ses flammes pour cuire l'unique baie qu'il avait sûr lui. L'odeur sembla rendre consistance au Grillepattes, après un moment d'hésitation, il mangea goulûment.

Rassuré, un peu plus au sec, Otto lui proposa de le rejoindre, de l'aider dans sa mission, sauver d'autres Pokémons ou Humains, comme il venait de le faire avec lui. Il lui précisa bien qu'il ne lui devait rien, mais que si le cœur lui en disait, il pouvait maintenant le rejoindre. Mortifié à l'idée de ne pas rentrer, même si cela était pour trouver un terrier vide de toute trace de vie, il le devait. Il détourna la proposition une première fois, insistant pour qu'on le ramène chez-lui une fois la pluie calmée.

Fallait-il que la pluie passe. Le Grillepattes récupérait doucement quelques forces, Gympie semblait beaucoup plus docile aux yeux d'Otto maintenant. Si lors de cette aventure, il n'était pas rejoint d'un nouveau compagnon, il pourrait au moins faire appel à celui qui l'accompagnait déjà. Les sentiments contradictoires que le brûlé nourrissait pour le Ponyta ou pour lui-même étaient toujours-là, simplement, il ne l'empêcherait plus de s'appuyer sur son cauchemar pour avancer. C'est bien là ce qu'il lui fallait faire, aller de l'avant, d'une part pour aider les autres, mais bien aussi pour s'aider lui-même. Cela, l'avait-il seulement compris ? Sans doute pas.

Le débit de pluie pouvait varier, elle ralentissait parfois, mais aucune accalmie ne semblait durer bien longtemps, comme sortir avec un Pokémon si faible dans de telles conditions ? Le Grillepattes semblait rechercher quelque chose de bien particulier, il semblait s'agiter un peu plus. Otto était loin de pouvoir comprendre qu'il s'inquiétait pour les siens et que maintenant qu'il avait repris du poil de la bête, à la chaleur des flammes de Gympie, il était prêt à y retourner.

Otto remercia silencieusement Gympie pour ses services avant qu'il ne disparaisse à nouveau dans sa Pokéball. Le Ranger déposa ensuite le Grillepattes dans sa capuche pour qu'il lui indique le chemin à suivre s'il le reconnaissait. Il y parvint, non sans mal. Une fois sur place, on pouvait déjà voir l'entrée du terrier chahuté sous les eaux. Rien ne pouvait avoir survécu à l'intérieur. Toutefois, sur le côté du terrier, un corps de Grillepatte, plus petit encore que celui qui se baladait sur le cou d'Otto. Pris d'une profonde tristesse, Otto renouvela sa proposition qui fut de nouveau rejetée. Le Grillepattes y croyait encore, ça n'était pas fini !

Otto qui n'y croyait plus fut pris d'un grand tressaillement de joie lorsqu'il constata que le petit respirait encore ! Grillepattes avait bien fait d'y croire, il en restait un à sauver. La nièce du fier, petit bout de rien, pour être précis. Une fois ramenée vers notre abri de fortune, la petite fut déposée à nouveau sur la croupe de Gympie, suivant le même traitement que son oncle avant elle, à la différence que celui-ci o se joignait à nos efforts cette fois-ci. Dès lors, Otto le comprit. Il lui faudrait rester ici, élever cette enfant dans cet environnement qui à vu naître et périr ses parents.

Aussi dur que cela pouvait paraître, avec la menace d'une fort évitable et prématuré qui pèse en permanence sur ces êtres, il en va de même pour tout le monde. Cachant ses pensées derrière ses cheveux bruns, Otto laissa s'échapper une larme alors qu'il réalisait que bien, il ne reverrait sans doute jamais ce brave Grillepattes et sa nièce. En si peu de temps, en quelques événements, on peut s'attacher si fort à quelqu'un, mais il faut savoir laisser partir les gens. Cela fait partie de la vie aussi, même si l'on s'apprécie, il y a parfois des choses qui ne peuvent pas se faire, dû aux circonstances, au contexte, à la vie, en somme.