Comme tu as grandi |
Otto Daphé Lun 14 Déc 2020 - 14:29 Pokédollars : 2730 Comme tu as grandi « On peut grandir, et même vieillir, mais pour sa mère-grand on est toujours un petit enfant. » Le portail mi-ouvert de l'exploitation Hay. La cours boueuse qui menait à l'habitation et servait de passerelle vers la grange ou les hangars. Tout cela, il l'avait vu tant de fois. C'était pourtant une première que ce spectacle lui arrache une larme. Il se sentait, si chez lui, ici. Il n'avait pas remis les pieds dans ce patelin depuis l'incident. Rien, pas une lettre, pas une visite. La déprime ou la dépression, seul un professionnel aurait pu le dire, s'était emparé d'Otto et l'avait fait, lentement mais sûrement, se détacher de ses racines. Hors, on ne peut savoir où l'on va si l'on ignore d'où l'on vient. Si une portion de lui vient de Pignouse, c'est une belle part de lui qui vient de là. De cette terre, de ces champs, de ces boxes. Il essuya d'un revers de manche maladroit cette perle qui naissait au coin de son œil. Le temps de l'enfance était bel et bien fini, celui de l'insouciance, et même du déni, aussi. Il était de retour pour voir Meemaw Pérenne. Rien ne pourrait l'en empêcher. Alors qu'il se dirigeait vers la courte volée de marche qui mène à la porte d'entrée de la maison, celle-ci s'ouvrit en fraca. Elle était là, fidèle à elle-même. Pressée, un grand sourire, aussi chaleureux qu'un jour d'été illuminant son visage. Elle avait ce don de vous montrer qu'elle n'aurait le temps de rien, mais qu'elle vous en consacrerait quand même. Après tout, il y a toujours quelque chose à faire à la ferme. On ne décide pas de remettre à plus tard à la légère. Tout à des conséquences, qu'on le voit ou non. Aucun revers de manche ne pourrait dissimuler la présence des nombreuses petites sœurs de la perle de tout à l'heure. Entre gratitude, joie et culpabilité, dégoût, Otto se tenait-là. Dans des vêtements trop amples pour lui, une tige bien mal fagoté face au tablier de sa grand-mère. Toujours aussi impeccable, sa coiffure, soignée. La maison était un véritable sanctuaire, un musée. Tout y avait une place et le ménage y tenait une grande place. ▬ Comme tu as grandi... Je viens à sa rencontre, laissant les trois marches qui me séparait d'elle pour qu'elle puisse, à autre, m'enlacer. ▬ C'est ça où j'ai encore rapetassée ! Elle m'embrasse, éclatant d'un rire convenu, mais si malicieux. Rien au monde ne me faisait si plaisir que d'entendre Meemaw rire. Cela faisait décidément trop longtemps que je ne l'avais pas vu. ▬ Une lettre, ça ne coûte rien une lettre. Ne me réponds pas le prix du timbre et de l'enveloppe ou tu vas m'entendre ! D'un geste sec, elle frappe mon dos d'un coup de torchon qu'elle devait avoir d'accrocher quelque part à son tablier. ▬ Rentre. Tu vas attraper la mort. Elle n'aura donc fait aucun commentaire sur mes stigmates, mes brûlures, ou les quelques points qui avaient très mal cicatrisés. Rien, absolument rien. En quelques phrases, elle avait levé sur mon cœur le poids qui y pesait depuis trop longtemps. Celui d'avoir été un échec, un raté, un incapable. J'étais simplement son petit-fils et c'est tout ce qu'elle ne cessait de me renvoyer. Toujours aussi fidèle à elle-même, toujours aussi pudique. Si elle croit que je ne l'ai pas vu retenir ses larmes en voyant, elle se foutre le doigt dans l'œil et jusqu'au coude. Mais cette fois, je ne relèverai pas. ▬ J'aurais dû. Désolé Meemaw. Je le ferais. N'hésite pas à m'en envoyer toi - ▬ Oui, oui. Très bien. Tu viens pour une raison, non ? Assez surpris, je hausse un sourcil. Si elle est toujours brute de décoffrage, elle n'insiste jamais pour rentrer dans le vif du sujet, elle s'intéresse aux sujets superficiellement, jamais trop y plonger. Imaginer être émotionnellement investie dans quelque chose doit être pour elle choisie et non-subit, alors on ne parle pas de profondeur à la légère. Pour qu'elle prenne le risque, donc, de vouloir parler très directement, c'est qu'elle a déjà pensé la chose. Elle y a réfléchi et elle y prête. ▬ Eh bien, Meemaw, je voulais avoir ton avis... J'ai le Ponyta, avec moi. Je ne sais pas quoi faire... ▬ Eh beh, comment ça, quoi faire ? Si tu l'as, il est à toi. ▬ Quoi ? Mais, pas du tout. Je n'ai aucune envie de posséder un autre être vivant ! ▬ AH! Si tu ne veux pas le faire, un autre s'en chargera pour toi. ▬ Hein? ▬ Eh beh, ne te fais pas plus bête que tu ne l'es. Si tu ne gardes pas ce Ponyta, un autre le capturera. ▬ P-Pas forcément ! ▬ Non. Mais toi, qu'est-ce que tu veux ? ▬ Je sais pas... M'excuser, qu'il soit heureux. ▬ T'excuser ? Tu es tombé sur le crâne ? Pour quoi faire ? Si tu veux qu'il soit heureux, prends cette responsabilité en main et rends-le heureux. Point. Le silence recouvrit la scène de son voile. De là, ils mangèrent ensemble, Otto fit le tour des bêtes, voir qu'aucun nouveau Pokémon n'était blessées ou malades, puis il examina la patte d'un Chevroum mal en point, y appliqua l'onguent adéquat. Finalement, Otto y alla à la recherche de Pokémon dans la nuit (En avant Guingamp & Here I go again). Au matin, le brûlé alla trouver Meemaw pour lui dire qu'il partait, l'embrassant avant d'ajouter. ▬ Bon. On a reçu une plainte, c'est pour Roger. ▬ Encore un étranger. Pator ? Ca ne va pas te plaire. ▬ Eh beh... Tant pis ! C'est le boulot. ▬ Mh. Prends-toi donc un jour de congé avant. Histoire que tu sois d'attaque. ▬ C'est bien ce que je comptais faire ! Aussi étonnant que cela puisse paraître, il y avait dans ces échanges, ces regards, tant de complicité, tant de tendresses que cela étouffait l'atmosphère. D'aucuns pourraient dire qu'il s'agissait-là d'un échange, sur le papier, d'une grande banalité entre une grand-mère et son petit-fils, un échange même, plutôt froid, sans doute. Ceux qui vous diront ça n'auraient alors rien compris et à la pudeur de ces deux-là et ce qu'ils pouvaient bien ressentir l'un pour l'autre. |
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