Saison Un

: Obscure Prophétie

- ... Mouais...Bon, ça devrait aller... Je vous laisse le soin de continuer de faire un aussi bon travail alors. Ce sera tout.

Lizbeth n'était décidément pas une grande adepte des parlotes inutiles, et ses collaborateurs devaient bien s'y faire pendant son mandat. Sa visite du chantier de la gare des tramways de Vigneaux, au départ de simple formalité, s'était changée en entretien technique, et terminé aussi rapidement qu'efficacement. La jeune femme n'aurait de toute façon pas voulu qu'il en soit autrement. La pose des rails et du câblage se passait très bien, les infrastructures ne semblaient pas souffrir de malfaçons évidentes, qu'y avait-il à dire d'autre ?

Les fonctions de maire consistaient déjà en bien trop grande partie à faire bonne figure et enjoliver le réel à son goût, autant ne pas en rajouter inutilement. Elle se retrouvait régulièrement à s'étonner du manque terrible d'efficacité des processus du pouvoir public, qui plus est, raison de plus d'élaguer tout ce qui pouvait l'être. D'autant que sa visite à Vigneaux ne se limitait aucunement aux rails...

Pas de temps à perdre donc, et elle laissa vaquer à leurs occupations la floppée ennuyeuse des fonctionnaires. N'ayant aucune idée précise de sa popularité, pas plus qu'elle ne s'y intéressait, la maire n'aimait pas se déplacer accompagnée d'elle ne savait quelle protection à ses yeux inutile. Les forces de l'ordre avaient mieux à faire que lui coller aux basques.

En se dirigeant seule jusque sa prochaine destination, la scientifique ne put s'empêcher de se sentir soulagée de voir que, autour d'elle, la ville se reconstruisait bel et bien. Evidemment, les rues et les façades n'avaient pas encore retrouvée tout le modeste charme qui avait tant plu à Lizbeth dès la première fois. Certes, la bibliothèque avait souffert au delà de l'admissible, et il faudrait encore attendre pour que les vignelais puissent à nouveau se promener sans voir un bâtiment encore abimé... N'en restait pas moins que les progrès étaient évidents. Surtout lorsqu'on était à pieds.

- En espérant que ça continue comme ça hein...

À son coté, une petite secousse indiqua que Joeboy voulait prendre un peu l'air. Après une petite hésitation, la jeune femme prit sa pokéball, s'apprêta à l'ouvrir quand elle sentit son Motisma continuer son petit manège dans sa mallette. Son Poichigeon, quant à lui, n'aurait jamais tenté pareille manœuvre, et restait bien sagement dans sa petite capsule. Elle l'avait presque oublié, celui-là.

Cocasse d'ailleurs, le bougre avait été capturé à Vigneaux même, mais passé son chromatisme pour le moins singulier, le petit oiseau n'avait pas vraiment su intéresser la scientifique. Rangeant donc une ball pour sortir celle de son assistant, elle le laissa sortir. Et alors que Joeboy se mettait à virevolter joyeusement autour de la blonde, cette dernière se concentra à nouveau sur où elle se trouvait avant de rater sa destination.

- Alors, je viens de... Huh, oui, ça devrait être... Juste ici.

L'arène Normal, point de rendez-vous incontournable des dresseurs de Mistral et de ce fait édifice important de la ville. Lizbeth ne se passionnait guère pour les combats et les titres que pouvaient disputer la foule de jeunes et moins jeunes qui dédiaient leurs vies à cette périlleuse et souvent ingrate entreprise, mais son avis personnel importait peu ici. Ce n'était pas en tant que simple personne qu'elle venait, après tout. Une fois les portes passées, elle s'annonça d'emblée comme telle, très formelle.

- Excusez-moi, je suis Lizbeth Estem, votre maire. Je crois que Lise Sens, la championne, a eu mon message, j'aimerais m'entretenir avec elle. Cela ne devrait pas être trop long.

Toute maire qu'elle était, Lizbeth était habituée à ce qu'on la fasse un peu attendre, aussi ne se formalisa-t-elle pas du tout lorsque l'assistante de la championne, après un sourire très soigné, l'enjoignit à patienter un petit peu. Du moins, c'est ainsi que la jeune femme interpréta ses paroles, mais elle fut rapidement détrompée. La blonde se permit un petit commentaire qu'elle espérait cordial.

- En effet, ça n'a pas été long !

Et, alors qu'elle regardait attentivement cette habile collaboratrice se charger des petites tâches qui lui incombaient, la scientifique éprouva la distance profonde qui la séparait de ce monde pas si petit des dresseurs. Tant d'organisation mise en œuvre, et tout ça pour quoi, des combats dont la finalité se perdait dans les méandres d'une tradition floue aux relents belliqueux ? Non, vraiment, Lizbeth se sentait et se sentirai probablement toujours étrangère à ces pratiques. Son petit Joeboy était aussi espiègle et excité que précieux à ses yeux, jamais elle ne voudrait le blesser pour la gloriole d'un badge.

Une fois la petite discussion avec celle qui, apparemment, était sa fille, Lise Sens se tourna enfin vers la visiteuse. Il allait bien falloir discuter, fossé d'intérêt ou pas. Mieux valait donc poliment passer outre la légèreté dont Lise Sens fit preuve, en l'accueillant d'une manière aussi directe que pour le moins étonnante. Toute maire qu'elle était, elle ne semblait pas faire partie des premières préoccupations de la championne, soit.

- Bonjour à vous Lise Sens. J'espère que je ne vous ai pas fait écourter un moment important. Je... Joeboy, non.

Comme toujours un peu trop curieux, le petit Motisma se montrait très intéressé par les autres pokémons présents, un peu trop au goût de sa maîtresse, et le rappel d'une voix douce mais ferme reçut une réponse en demi-teinte, le petit spectre revenant près d'elle après un petit bourdonnement déçu. Un brin gênée par cette démonstration dispensable, Lizbeth chassa d'une main distraite une mèche de cheveux et reprit.

- Excusez moi. Je vois que vous vous rétablissez rapidement, c'est une bonne chose. Tous n'ont pas cette chance malheureusement... Ah mais, je m'égare. Je ne suis pas venue pour que nous nous perdions en formalités.

- Vous êtes je crois aux premières loges pour voir comment la reconstruction se déroule à Vigneaux. Avez-vous des retours à me faire ?

En bonne championne du type le plus neutre possible, Lise Sens répondit avec un prosaïsme impeccable. Ou était-ce un signe de mauvaise volonté ? Lizbeth n'aurait su le dire, mais elle écouta bien attentivement, gardant ses éventuelles interrogations pour plus tard. Le constat que l'on pouvait faire à Vigneaux, les travaux mis à part, était indéniablement triste, trop semble-t-il pour qu'il n'en soit pas fait mention autrement qu'en termes très généraux.

Mais, sans pour autant être d'un optimisme détonant, la maire aurait bien voulu espérer que les choses s'arrangent mieux que cela. Ce qu'on lui décrivait était à prendre avec des pincettes, mais restait l'écho sincère d'un certain ressenti bien amer, un ressenti qu'elle ne pouvait que comprendre. Un ressenti qu'elle avait tout de même bien du mal à digérer au vu de sa position. En tant que maire pour encore un peu de temps, la jeune femme se considérait responsable de tout cela.

- Quelle tragédie... Les rares personnes qui auraient pu prévenir cette catastrophe n'en ont rien fait, et dans ces histoires, ce sont toujours les innocents qui endurent les conséquences. Dans pareilles conditions, il est d'autant plus frustrant de ne pas pouvoir se retourner contre un coupable bien clair et désigné...

Lizbeth ne croyait pas si bien dire, même si ses mots contenaient un sens caché. Car à ses yeux, si les gamins faisaient figure de parfaits petits boucs émissaires, la culpabilité se tenait ailleurs, floue, ou peut-être pas tant que ça. Elle ne digérait pas ce que le Roi avait pu lui dire, et surtout ne pas lui dire. Toute cette affaire d'illégitimité se tassait petit à petit dans la population mistraloise, mais la scientifique n'arrivait tout simplement pas à se débarrasser de l'idée que, si coupable il devait y avoir, leur souverain était le candidat numéro un. Elle changea de sujet avant de commettre un impair devant Lise Sens.

- Je n'ai pas encore pu aller au chantier de la bibliothèque, je note, donc, merci. Vous faites comme beaucoup de concitoyens, certes, mais vous restez une figure importante, particulièrement à Vigneaux. Être championne semble parfois être bien plus qu'un simple titre réservé aux dresseurs. Mais je suis tout à fait d'accord, les personnes les plus compétentes ont la priorité sur leur domaine. Et à la fin des fins, je ne suis pas tant maire que scientifique, vous êtes pour moi d'une aide précieuse pour sonder le ressenti des vignelais.

La jeune femme avait failli dire "opinion", mais s'était retenu de ce qui aurait sans doute sonné comme terriblement politicard. D'autant qu'ici, elle était parfaitement sincère.

- Et, comme vous le dites, reconstruire les bâtiments, ajouter des infrastructures, cela ne suffit pas à tout régler. Enfin, si tant est qu'on le puisse... J'aimerais au moins prendre soin des liens qui peuvent nous unir, nous mistralois. Le prochain maire n'aura peut-être pas les mêmes idées, mais entretenir les relations entre les champions et la mairie me semble donc important.

- Oh oui, ces gamins n'auront pas droit à l'oubli, pour beaucoup des victimes des cavaliers, pas même droit au pardon. Peut-être que les pignousains et les plus pieux entendrons la parole des prêtres qui ont participé à l'exorcisme, mais guère plus, je le crains... Personne ne méritait de mourir dans cette affaire, le calvaire des vivants est cependant loin d'être terminé.

Lizbeth se rendit compte une fois ses paroles prononcées qu'elle se perdait en considérations peut-être un peu trop vagues, et revint bien vite à quelque chose de plus terre-à-terre. La question de ces enfants criminels semblait un peu trop asticoter Lise Sens pour ne pas mettre les choses au clair un minimum.

- Mais peut-être que nous devrions permettre à tout Mistral d'être au courant un peu plus directement, oui. En tout cas, plus pragmatiquement, mes "protégés", comme vous dites, ont interdiction de prendre le chemin facile de la rédemption en mourant. Jack reste un esprit vif et précieux qui peut nous aider à guérir tous les malades du Pokérus-B, son ami Gabriel est un puissant télékinésiste, ils sont plus utiles vivants. Ils ont une dette à rembourser, et en ont conscience. Les tuer me parait être une solution sous optimale.

Bien vite elles passèrent à un autre sujet, et la maire ne put s'empêcher d'acquiescer avec un brin de contrariété au fond du crâne. Oui, leur monarchie parlementaire un peu spéciale était terriblement déséquilibrée, au point que les représentants élus du peuple faisaient figure de passagers éphémères face à des figures de pouvoir qui ne disaient pas vraiment leur nom, ne rendaient de compte à personne et jouissaient de privilèges plus que notables : les champions. On avait tout à fait raison de lui faire remarquer cela, mais indéniablement, la blonde ne prenait pas la chose par le même bout que son interlocutrice.

Cette visite de courtoisie avait de plus en plus des airs d'une sourde opposition larvée, et Lizbeth n'aurait su dire si elle y répugnait. Une chose était sûre, elle n'avait aucune envie de laisser un potentiel conflit éclater inutilement. En l'occurrence, il semblait préférable de continuer sur la voie de la diplomatie, même si elle venait de se faire éconduire par Lise Sens. Enfin, diplomatie à sa manière...

- C'est vrai, malheureusement, les maires se succèdent comme des enfants sur un manège. Et j'admets que jouer la dictatrice en herbe en m'autoproclamant maire à vie ne me parait pas la meilleure des idées, même si cela résoudrait un certain nombre des problèmes cités. Un degré accru de collaboration me parait enviable. Vous n'êtes pas intéressée, je l'entends et le respecte, mais j'aimerais vous exposer mon point de vue brièvement, à défaut de vous faire changer brusquement d'avis.

Un brin osé, mais la jeune femme se sentait suffisamment justifiée dans ses volontés pour cela. Ce n'était pas comme si elle lui forçait la main, de toute façon. Brièvement, donc. Elle tenta de l'être, à défaut d'y réussir.

- Pour le moment les champions font un peu ce qui leur plait dans leur coin, et la mairie reste à coté. Mais de la même manière que vous avez un degré d'influence et d'implication directe que je ne pourrai probablement jamais avoir, c'est l'élu et ceux autour de lui qui régulent l'acquisition des licences, entre autre de dresseurs. La mairie a besoin de comprendre son peuple pour le gouverner et le représenter au mieux, les champions ont besoin de dresseurs. Nous faisons partie du même système. Si nous voulons le meilleur futur possible, autant y travailler ensemble, autant que faire se peut, bien sûr. Mais ah, je suis déjà trop longue, excusez moi... Je ne vais pas insister plus longtemps.

Une fois cela dit, il devenait assez évident que la présence de Lizbeth dans l'arène ne pouvait s'éterniser. Avant d'oublier la chose, elle plongea la main dans sa poche pour en sortir une pokéball, s'empressant d'expliquer ce qu'elle avait en tête en perdant son air officiel et son ton égal pour une mine un peu plus humble et une voix plus chaleureuse.

- Ah une dernière petite chose ! Je... J'ai trouvé cette petite oiselle à Vigneaux, mais je ne suis pas vraiment la meilleure dresseuse pour elle... Est-ce qu'elle vous intéresserait ? Elle s'appelle Phéos.

Et ce disant, elle laissa la Poichigeon sortir, qui s'ébroua vigoureusement avant de poser ses yeux d'un bleu saisissant sur Lise Sens, plus particulièrement son félin. Pour un petit piaf des rues, Phéos n'avait jamais eu les meilleurs réflexes de survie... Elle regardait le prédateur avec une confiance aveugle.

- Sauvage, ma foi... Cela fait quelques mois qu'elle est avec moi, mais auparavant elle vivait avec tant d'autres Poichigeons qui peuplent les toits et les rues de Vigneaux. Mais... enfin, elle n'a jamais été des plus prudentes. Autrement je ne l'aurais probablement pas capturée d'ailleurs, au vu de mes talents en la matière...

Pas très charitable, pour Phéos comme pour elle-même, mais Lizbeth se serait sentie particulièrement stupide de se prêter des qualités dans un domaine propre aux dresseurs, non seulement parce qu'elle parlait à une championne mais aussi parce que tout cela lui restait très lointain. Elle pouvait encore compter sur les doigts d'une main le nombre de fois où elle avait eu à lancer une pokéball, c'était dire !

L'avalanche de questions par ailleurs bien pratiques et pertinentes ne fit que souligner plus encore pour la jeune jeune à quel point elle ne s'était pas attachée à ce pokémon. Pourquoi, finalement ? Difficile à dire bien précisément, mais elle se sentait presque le devoir de mettre la chose à jour.

- C'est une oiselle assez curieuse mais très docile, je n'ai eu aucun problème avec elle, loin de là, je ne pense pas que ça serait différent avec vous. Simplement ça n'est pas l'oiselle la plus intelligente qui soit, j'ai l'impression. Et... Ah, ça n'est peut-être pas très malin, mais un pokémon aussi facile à vivre ne me convient pas, paradoxalement.

Démontrant la compréhension toute relative des choses dont elle faisait preuve, Phéos s'envola soudain pour se poser sur l'épaule de Lizbeth, qui vint lui gratouiller pensivement les plumes à l'arrière de son crâne.

- C'est un spécimen au chromatisme notable, facile à vivre, mais... Oh justement, son nom vient de là, le pigment responsable de la coloration anormale de ses plumes est la phéomélanine. Mais hum, bref. Joeboy par exemple, est terriblement turbulent et agité, mais il est aussi très malin et incroyablement utile pour moi. Un autre pokémon que j'ai trouvé tout récemment est encore pire, pourtant cela me convient. Alors que Phéos... Elle serait mieux à tenir compagnie à quelqu'un d'un peu moins bizarre que moi, qui apprécie la facilité de sa compagnie.

La tournure un peu trop personnelle de sa dernière tirade lui apparut un peu trop tard, et elle tenta de se rattraper en précipitant un peu la suite de ses paroles.

- Hum mais oui, si vous avez toute une ribambelle d'enfants, je doute qu'il y ai le moindre souci, plutôt l'inverse ! Tout de même, cinq... ? J'admets que, en l'état, ce n'est pas du tout une Poichigeon de combat, loin de là, mais je pense que ça n'est pas surprenant. Je change totalement de sujet, mais avez-vous des pokémons chromatiques ?