Saison Un

: Obscure Prophétie

La mer, la plage, le sable chaud… Nom d’un Coxyclaque, mais c’est génial par ici ! Plein de gens qui s’amusent partout, profitant des premières chaleurs d’un été rayonnant. Y’en a qui font des châteaux de sable, d’autres qui plongent au creux des maigres vagues de Kalank. Et moi ? Bah pour une fois, je suis dans une tenue détente que je me suis achetée en ville. Petit maillot une pièce tout vert, du genre confortable. Et pas de fusil ! Je l’ai laissé à l’abri dans ma chambre d’hôtel. Pas de sac non plus. Juste Truc perché sur mon dos qui s’accroche de ses pattes avant tel un enfant sur sa maman, et N qui virevolte au-dessus de nous. J’ai aussi une corde nouée autour de la taille, au cas où. Je crois que même pour aller me détendre, je suis trop prévoyante.

Bref, on se sent légère sans tout l’attirail habituel ! Il faut dire que ça n’arrive pas souvent. À quand remonte ma dernière baignade ? Oula… Des mois ! Et c’était dans l’étang de Bivouac, certainement pas à la mer. Je meurs d’envie d’aller piquer une tête, ne serait-ce que par curiosité ! Mais avec mon plâtre, mieux vaut rester sage. Déjà que je suis assez stupide pour emmener une béquille dans le sable (qui manque de me faire tomber à chaque fois qu’elle s’enfonce bien trop profondément pour me soutenir), n’allons pas trop loin… pour l’instant. On verra d’ici dix minutes si la motivation surpasse mon bon sens.

Pas mal de personnes se retournent sur mon chemin. Non pas que ce soit la première fois que ça m’arrive : à force de me trimballer avec un fusil n’importe où, je commence à avoir l’habitude. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est différent… comme si tout le monde me connaissait alors que je ne les ai jamais vu ! Loin d’imaginer que l’élection des maires, encore très récente, pouvait avoir eu un tel impact, j’ai renvoyé un regard interrogateur à la majorité d’entre eux, jusqu’à finir par ne plus y prêter attention. Aujourd’hui, c’est une journée de repos pour Truc, N et moi ! Et qui dit repos dit… une bonne marche sur le sable le long de la mer !

Petit bramement sur mon épaule. Truc aussi, c’est la première fois qu’il voit la mer ! Le pauvre l’a bien mérité, après ce qu’il a traversé. La cicatrice de la balle ayant traversé son cimier est bien visible, et ses jambes arrière pendent sans retenue, comme inanimées. Tout cela sans compter la fleur absente de son front. Son pelage a beau avoir viré au rose de l’été, le Vivaldaim n’est toujours que la moitié du mignon petit Pokémon d’autrefois.

La plage étant bondée, je n’ai pas eu à vadrouiller bien longtemps avant de me faire arrêter. Un grand monsieur, genre baraqué et aux cheveux longs. Je m’arrête pour l’écouter, les yeux ronds. Pourquoi se montre-t-il aussi prévenant ? Encore une histoire de béquilles, ça ! M’enfin, à quoi bon s’en formaliser ? Ce n’est pas souvent qu’on m’invite à partager une serviette. Et puis je…

— OOOH, PUTIN MAIS C’EST TROP CLASSE !

Cela m’a échappé au milieu de mes pensées – et de sa dernière question – sitôt que ses doigts ont attiré mes yeux en pointant la serviette. Enfin, ses doigts… nan, au-delà ! Bien au-delà ! J’en ai lâché ma béquille pour essayer d’attraper son bras musclé sans aucune gêne en vue d’observer les tatouages du monsieur de plus près. Sur mes épaules, Truc perd l’équilibre durant mon intérêt soudain envers un autre et se retrouve contraint de raffermir la prise de ses pattes avant.

— Où tu les as faits ? Hein, dis, où tu les as faits ? C’est super beau ! Et plein de couleurs ! Ça représente quoi ?

C’est tellement magnifique ! J’ai envie de le harceler d’un millier de questions ! Oh et d’ailleurs, pourquoi je m’en prive ? Allez, continuons :

— Aaah, j’adore tellement ! T’en a d’autres partout ? (Je regarde son visage qui, malgré ses airs de beau gosse me parait des plus inintéressant en cet instant.) Pas sur ta tête… (je continue à le détailler du regard dans tous les sens, jambe, torse, bras…) Oh, t’en a un sur le dos ? Dis, dis, j’suis sûr que t’en a aussi ! Je peux voir ?

Partout ! Y’en a partout ! Bien que n’ayant rien d’une artiste, je suis émerveillée de voir une telle œuvre d’art sur sa personne. Rien que son ventre, regardez-moi ça ! En plus, sa carrure met tout en valeur… on a envie de le kidnapper et l’installer dans son salon pour le regarder tous les jours, comme on fait avec les trophées de chasse ! Toute cette excitation me donne envie de bondir sur place ! Ce que je fais. Mon plâtre me rappelle bien vite à l’ordre d’une grimace sur mon visage.

— Ouh, ouh, ouh… Oups…

Et voilà comment on se retrouve à faire de petits bonds à cloche-pied sur son unique jambe valable dans l’espoir de faire passer une douleur soudaine. D’accord, ça commence à faire un moment maintenant que je suis immobilisée et ma jambe est presqu’en état de fonctionner… mais pas au point de faire des efforts. Bon sang, que j’ai hâte d’enlever ce maudit plâtre ! Et en attendant… Je crois que j’accepterai bien la proposition du monsieur de rejoindre sa serviette.

Hein ? Permettez quoi ? Oula ! Un bref cri de surprise m'échappe alors que le monsieur me soulève sans aucune difficulté. Le pauvre Truc est en panique. Il est porté par une portée devenue encore plus instable qu’avant. Le voilà qui m’escalade à moitié de ses pattes valides. Les mains enfin libres, je viens à son secours et le récupère sur mon ventre avant qu’il ne m’écrase les yeux de ses sabots. Enfin plus confortable, le daim souffle, soulagé.
Quant à moi, j’ai profité en silence, un peu gênée par la situation. Je ne suis pas de celles qui aiment jouer les demoiselles en détresse. Ça me fait me sentir fragile, et ça, c’est pas moi, même avec un plâtre !

Le monsieur me ramène ma béquille. Je le remercie d’un hochement de tête, puis la resecoue pour signifier que son initiative ne m’a pas tant dérangé. Du moins, pas autant que l’image qu’il a utilisée : ça se dit "cavalier" quand on est porté par quelqu’un ? C’est vrai que c’est pas loin d’un humain sur un Ponyta.
L’homme se tourne, offre son dos à mes yeux. J’entrouvre la bouche, ébahie par la beauté de son tatouage dorsale. C’est tellement classe, bien plus qu’un vêtement !

— Woaaaaw !

Je meurs d’envie d’en savoir plus ! Hélas, il a déjà oublié ma question. Mes questions ? Mon acharnement questionnel ! Mais il a raison : j’ai pas dit bonjour en plus ! Je me reprends en m’ébrouant tel un animal et lui réponds avec enthousiasme :

— Ah, pardon ! Bonjour, moi c’est Kata ! Et lui c’est Truc ! (j’appuie une caresse sur le daim qui grommelle d’agacement.) Oh, et doit y’avoir N quelque part, mais je sais pas trop où ? Ah, si, là !

Je pointe du doigt le feuillage du pin : la lettre s’est planquée en hauteur, derrière le tronc, pour se protéger d’un soleil un peu trop insistant. J’en profite aussi pour saluer le mignon petit Babimanta de mon plus beau sourire : il est tout choupi ! Tout rond, tout petit, et ça flottille ! J’adore !

Hélas, mon sourire n’aura pas droit à une longue sortie. Déjà, une question sur le plâtre ? Je baisse la tête, encore marquée par ce qui m’est arrivée et dont je n’ai pas du tout envie de reparler.

— J’ai essayé d’aider un idiot à Vigneaux, et on s’est fait tabasser pour des conneries. Ils sont tous fous là-bas ! Du coup non, j’suis pas en vacances, mais j’ai demandé que ma prochaine mission soit le plus loin possible ! Et... on a fini dans les marais.

Je regarde Truc, une moue sur le visage :

— C’était pas beaucoup mieux. Pas vrai, Truc ?

Le daim hoche la tête puis la repose contre mon torse pour essayer de trouver le sommeil.

— Mais bon, on a réussi à aider le monsieur grâce à N qu’a été comme un super héros, et ça c’est le plus important ! Et toi, t’es en vacances du coup ?

Le Zarbi s’excite de haut en bas à mes paroles : il a vraiment l’air d’avoir adoré l’expérience ! J’ai hâte de le voir à l’œuvre durant nos prochaines missions !

Je confirme les suppositions de Marcus d’un hochement de tête lorsqu’il théorise sur Vigneaux. Bon, dans mon cas, c’était pas les gangs de la route graffitis… mais c’est pareil. Quant au marais… Bah en fait, ça me fait ricaner de l’y voir réagir. J’en garde un bon souvenir, au final, même si j’y retournerai pas de moi-même (nan mais qui va se perdre dans un marais ? Faut être débile, y’a rien là-bas en plus !). Le principal, c’est d’avoir réussi à sauver le monsieur, et ça, ça rend tout positif !

Je penche la tête en voyant le monsieur surveiller les alentours. Ses yeux semblent attirés par ceux des autres, tournés vers nous. Ça le préoccupe ! Moi, j’ai l’habitude, du coup je m’en fiche. Même si, il faut l’avouer, ça me le fait de plus en plus ces derniers jours, comme si j’étais subitement devenue rose fluo au milieu du décor !
De son côté, Truc remarque la petite raie volante qui s’approche. Après un mouvement de recul méfiant, il hume le parfum de l’animal et le suit du regard avec curiosité. Avec sa paralysie, le pauvre daim est incapable de reprendre ces jeux d’enfants qui l’auraient amusé autrefois. Sans doute aurait-il couru après l’animal en bramant, amusé de ses rebonds dans les airs. Mais de sa position figée sur mes genoux, il se contente d’essayer d’attraper la bestiole de sa gueule d’herbivore sitôt qu’elle se rapproche un peu trop de lui.

Je lui caresse le dos en le voyant faire, amusée par ce comportement plus enfantin qu’à l’accoutumé.
Le monsieur rigole. Je sais pas trop pourquoi ! J’imagine qu’il s’amuse beaucoup durant ses vacances. C’est bien, c’est fait pour ça, les vacances ! Mais ça doit être long, quand même, des années, non ? Surtout s’il vient du coin et qu’il reste dans le coin. Enfin, je crois… je m’embrouille un peu à l’écouter, il dit des choses et son contraire, j’ai un peu de mal à suivre ! Tout ce qui est sûr, c’est que j’y connais rien au style, alors Kalank ou Vigneaux, pour moi, c’est du pareil au même…

Vient ensuite la question sur ma célébrité. Je hausse les épaules, restant sérieuse même lorsqu’il me complimente sur ma beauté. Qu’est-ce qu’elle a ma beauté ? Elle est bizarre ? Et d’abord, ça veut dire quoi, sub-jus-gai ?  Je donne envie aux gens de boire des boissons qui rendent joyeuse sous l’eau ? Nan, il doit se tromper le monsieur. Sourcils froncés, je réfléchis à ses théorie afin d’y trouver la plus crédible. La mairie me sort complètement de la tête, puisqu’il s’agit d’un évènement mineur à mes yeux. La chose la plus importante me concernant, c’est :

— Ben, je suis ranger, donc peut-être que les gens ici aiment beaucoup les ranger ? Mais c’est bizarre, j’ai aidé qu’un monsieur, je suis pas une grande grande ranger comme mon papa.

Là encore, ça n’a aucun sens. Le type n’a pas eu le temps de faire le tour de la ville pour clamer mon nom et peindre mon portrait à toute la ville ! À mon avis, c’est beaucoup plus simple. Je dirais même plus, c’est comme d’habitude ! Mon visage s’illumine tandis que je secoue la tête, dépitée par l’évidence.

— Nan, mais ça doit être mon fusil, les gens font toujours cette tête quand…

Je me fige au milieu de ma phrase. Alors que je m’apprétai à saisir mon arme de la façon la plus naturelle qui soit, ma main passe à travers l’objet comme s’il avait disparu. Mais, mais, mais… OUI, MON FUSIL A DISPARU ! Complètement paniquée, je tourne la tête de gauche à droite, puis plonge une main en direction de mon sac et… PAS DE SAC NON PLUS ! PANIQUE !
Mon cœur râte un battement, la tension est palpable sur mon visage. Je rougis d’inquiétude ! Et ce, jusqu’à ce que… mes yeux ne plonge à nouveau sur mon maillot de bain.

Oh, c’est vrai. On est à la plage. Mes affaires sont à l’abri à l’hotel.

— Ah, euh, ouf, non, j’ai rien dit.

Du coup, le mystère reste entier. Enfin, je crois. Je souffle un profond soupire de soulagement, quelle panique ! J’aime pas laisser mes affaires… je me sens toute nue sans mon fusil !

Hein ? Hey, ho ! Monsieur, mais revenez ! Bah alors, c’est quoi, ça ? Dès que j’ai prononcé le mot fusil, le visage du monsieur s’est subitement transformé, puis il a retiré sa serviette avant de repartir avec son Pokémon sans ajouter un mot. Faudrait savoir, il agit comme un prince charmant, ou c’est un vilain rustre ? Pfff.

— Monsieur ?

Même quand je l’appelle, aucune réponse. Je le regarde partir, médusée. Tant pis… c’était… bizarre.
Eh bah, retournons-y comme si de rien était : Truc de nouveau juché sur mes épaules, je reprends ma béquille et poursuit ma marche sur la plage en espérant ne plus me faire arrêter par des messieurs bizarres.

Finalement, après un temps, je m’accroupis auprès de l’eau. Sentir le liquide sur ma jambe valide est agréable. J’irais bien faire un petit plongeons. De toute façon, un plâtre, c’est solide, non ? C’est pas un peu d’eau qui va l’abimer ! Allez, zou ! déposant mes affaires au bord de l’eau, je m’y jette à cloche-pied. Truc brame d’inquiétude en me voyant plonger tête la première.
Plouf ! Trempette pour le daim aussi ! Il s’ébroue en ressortant la tête de l’eau, les yeux exorbités par la surprise tandis que je ris aux éclats. Ça fait du bien ! J’ai même plus l’impression d’être handicapée maintenant, je peux nager comme un poisson !

— Tu veux essayer, Truc ?

J’attrape le daim et le laisse me rejoindre. Avec un peu d’aide de ma part et beaucoup de moulinés de ses pattes avant, il parvient à garder sa tête hors de l’eau. Je lui souris, ravie de voir son courage. L’eau n’a pas l’air de l’inquiéter. Au contraire, il semble curieux de découvrir que cet élément, au-delà de sa nécessité culinaire, peut le porter ainsi et lui faire oublier un peu son handicap.

Rien ne vaut une bonne trempette pour oublier un peu ses problèmes. Bon, je vous laisse imaginer la tronche de mon plâtre à ma sortie de l’eau… mais au moins, on s’est bien amusé avec Truc. Et ça, on en avait drôlement besoin !