Saison Un

: Obscure Prophétie

La chasse. C’est compliqué. Surtout quand… y’a pas de zone de chasse. J’ai appris la terrible nouvelle : de l’hôtel luxe ball aux gorges du Vermillon, y’a pas un point d’intérêt pour mon métier ! Le mieux serait de retourner en arrière, à Fricke. Et comment je mange, moi ? Depuis quelques jours, l’estomac de Truc a triplé de volume, je crois, puisqu’il vide mes réserve chaque nuit et m’oblige à rechasser dès le lendemain.

Du coup, pas le choix : faut improviser. J’ai finalement fait une pause sur la promenade des Galarois, sur le long sentir qui relie Fricke à Cochignon, puis me suis un peu éloignée de la route pour me perdre en pleine nature. Là, j’ai posé un collet contre un arbre, puis l’y ait laissé quelques heures pour aller me balader. Mais en revenant… pas de prise.

Mwé, faut dire que c’est pas fait pour ça. Normalement, je devrais attendre une nuit entière, blinder le piège de nourriture pour attirer les proies, et même là, rien n’est sûr en termes de prise. Tant pis, passons au second plan.

— Truc, t’as confiance en moi ?

J’ai droit à un bâillement en guise de réponse. Allez, on tente ! Dans le pire des cas, j’ai sa pokeball dans la main. Je dépose Truc contre l’arbre et grimpe dans les branches afin de m’y dissimuler. Le piège est installé : Truc parait inoffensif, sauf que juste devant lui, le collet est prêt à attraper le premier Pokémon venu. Je fixe la scène, prête à réagir en rappelant mon compagnon au cas où un véritable prédateur apparaitrait.
L’animal, de son côté, ne semble pas s’en formaliser. Il a bien vu le piège s’installer, il sait ce qui arrivera. Et surtout, il sait qu’il ne doit pas bouger ! Encore que, ça, c’est plutôt facile quand on est handicapé.

Déjà, le plan semble fonctionner ! Un Balignon s’approche. Y’a des Balignon ici ? Bizarre. Qu’est-ce qu’on peut faire avec un Balignon ? une soupe de champignons. Berk, vraiment pas mon délire, tout ça. Mais en même temps… vu comment j’ai la dalle, je m’en contenterai s’il se fait prendre.
Truc joue le jeu à merveille. J’ignore s’il simule ou non, mais il semble s’être endormi. Plus qu’à attendre que le piège fasse effet…

Un chant, encore lointain, mais qui se rapproche. Oh, non… pas ça !
J’essaye de lui faire signe du haut de ma branche, mais cette idiote n’a d’yeux que pour Truc. Je finis d’une main plaquée sur mon front en la voyant prendre le piège avant que le Balignon n’ait pu marcher dedans.
Truc a relevé la tête en l’entendant crier. Il s’est plaqué contre l’arbre comme il a pu en voyant l’humaine manquer de lui atterrir dessus, et à présent, il gronde en direction de celle-là d’un air désapprobateur. Lui aussi, il se demande bien ce qu’elle fou là, celle-là !

Je bondis de la branche, me rattrape d’un agile accroupi puis avance vers ma "proie". En voyant sa chevelure aux airs de ketchup-mayo, l’idée de la cuisiner me passe par l’esprit. Mais bon : les humains, ça se mange pas.
Bon, au moins, elle est pas blessée la madame. La voilà qui cherche à comprendre ce qu’on fabrique ici.

— Ben là, mon boulot ! Qu’est-ce que tu voudrais que ce soit d’autre ? M’enfin, c’est loupé. Va falloir trouver autre chose à bouffer.

Tout en disant cela, j’avance jusqu’à la demoiselle prisonnière du collet et croise les bras d’un air agacé en soupirant mes paroles :

— Franchement, faut vraiment pas être attentif pour se prendre un piège à Laporeille. Même les plus idiots de mes voisins, ça leur arrive pas !

Et pourtant, y’en a, c’est des génies de l’idioties. Bref, je dépasse la dame et marche en direction de ma précédente proie, qui a évité le pire grâce à cette idiote sans cervelle. Comment ? Libérer l’humaine du collet ? Mais voyons, tout le monde sait se libérer d’un collet, y’a rien de plus simple !  Et au pire, elle doit bien avoir un couteau quelque part. Allez, passons sur l’inutilité et regardons plutôt le Balignon.

Au début, j’ai bien cru que ma prise serait un échec en l’absence de collet. Mais ce Balignon est si… pitoyable ? Est-ce qu’il vient de se rétamer tout seul comme un grand ? Allez : j’ai qu’à moitié envie de bouffer du Balignon, mais je peux bien tenter un truc…

— Allez, bouge pas, ça va être rapide...

Je récupère le canif dans ma poche, en sors la lame et commence à le lever au-dessus de ma tête, un œil fermé et l’autre visant avec précision pour un tir au couteau bien placé… ça devrait le faire, non ? Il a pas l’air de beaucoup bouger… Comme ça, je peux garder mes distances sans pour autant gâcher une balle.

Oulà ! C’est pas exactement comme ça qu’on est censé faire pour enlever le collet… J’ai failli me la prendre, cette branche ! Et du coup, mon couteau a manqué sa cible. La poisse ! Tant pis, j’en ai un autre dans ma sacoche. Pas question de faire ça à la main, c’est bien trop dangereux ! C’est pas ce que je chasse, mais les Pokémon de ce genre, je les connais : à peine tu les touches que tu finis empoisonné ou dans les vapes. C’est des trucs de chasseurs, tout ça : on connait bien la nature. Ceux-là, faut savoir les gérer, les vider, et les cuisiner. Bref, je…

Attendez, pourquoi elle me parle encore, elle ? Surtout pour dire des conneries pareilles ! Et… et est-ce qu’elle vient vraiment de se jeter sur le Balignon pour lui faire un énorme câlin en roulé-boulé ? C’est son Pokémon, ou quoi ? J’espère pour elle, parce que dans le cas contraire… je la plains d’avance.

Mes yeux la fixent, dépités, tandis qu’elle s’emporte et me défie en duel. J’hésite un temps, lève un doigt et entrouvre la bouche, puis secoue la tête dans un soupir de lassitude.

— Alors, euh… d’abord on a le droit de chasser hors des zones protégées.

Il n’y a que les parcs naturels et quelques exceptions qui échappent à cette règle. Y’en a même qui chassent en ville, parfois, et on leur dit rien. Moi j’évite, parce que tirer au fusil en ville, par contre, c’est une très mauvaise idée.
Je lève un second doigt avant d’ajouter :

— Ensuite le machin sur lequel tu t’es jetée pour un câlin peut exploser avec plein de poudres qui envoient vite à l’hôpital.

Tout en disant cela, je me baisse sans montrer la moindre agressivité. Je me contente de ramasser un truc au sol pour… ACTIVER L’EFFET DE MON PIEGE : COLLET !

— Et sinon, t’as oublié ça.

Troisième doigt levé de ma main qui compte.
J’attrape l’extrémité du fil qui traine au sol derrière-elle, puisqu’elle a préféré casser la branche plutôt qu’en défaire le nœud, et le tire d’un coup en espérant lui faire perdre l’équilibre pour la calmer un peu. Tout cela avec l’attitude la plus zen qui soit !

Oh, et pendant ce temps, Truc pionce. Parce que voilà, Truc, il joue bien son rôle.

Mince, ça n’a pas marché ! Je reste comme une idiote avec le fil dans la main et l’autre debout, la déception visible sur mon visage. J’aurais cru que… Ah… ah ?... Bah si, ça a marché, mais avec du retard. En vrai, j’ai pas trop l’impression qu’elle se soit cassée la tronche à cause de moi, mais je prends cette petite victoire. Et je…

… GRENADE !

Dans un réflexe, j’attrape le Balignon de mes deux mains façon ballon de volley, juste à hauteur de mes yeux. Ouf, c’était juste ! Euh, attendez…
Devant mes yeux, deux points noirs surplombés d’un monosourcil déprimant.

— HIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !

Et tout en hurlant, j’active ma carte magique : Trou noir ! C’est à peu près l’équivalent de ce qui arrive au Balignon, tandis que je le balance au hasard en arrière, aussi fort que possible, d’une panique digne de ma réception du colis piégé.

— T’es qu’une idiote, idiote, idiote, idiote, idiote ! dis-je à l’autre idiote.

Je secoue mes bras en courant dans tous les sens, espérant que les poudres n’auront pas le temps de s’y attacher avant de réaliser que… ce Balignon ne m’a laissé aucune spore. Ah. C’est peut-être pas automatique ? Dans le doute, je crache quand même dans mes mains pour les nettoyer. En me voyant faire, N saisit l’occasion de me faire plaisir en balançant sa puissance cachée de bubules aquatiques. Sauf que… D’habitude, il vise mieux que ça, là je suis littéralement trempée ! Mais bon, ça me permet d’être sûre qu’il ne reste rien de ces spores qui ne se sont potentiellement jamais déposée ! D’ailleurs…

— Elle aussi elle doit en être couverte ! dis-je en pointant du doigt l’idiote qui essaye de défaire le nœud à sa jambe.

Alors là ! C’est si gentiment demandé… il ne va pas s’en priver. Et plouf, nouvelle puissance cachée eau sur Ketchup-mayo. C’est pour son bien, évidemment !

— C’est bon, t’es calmée ? ai-je finalement fulminé en croisant les bras face à ma némésis du jour.

Quand même, elle a failli nous tuer la vilaine ! OUI, AU MOINS ÇA ! J’attends ses excuses en tapant du pied, vraiment énervée par cette terrible mise en danger de la vie d’autrui.

L’arrosage est d’autant plus satisfaisant après qu’elle m’ait insultée. Non pas que j’en sois vexée, il en faut beaucoup plus, mais le retour de bâton est toujours un véritable plaisir.

Elle me renvoie ma question. Je rép… non, je ne réponds pas tout de suite. D’où il sort, lui ? Le Balignon vient de réapparaître en projectile. Soit il vise très mal, soit il est en encore plus en rogne envers l’autre après qu’elle ait osé le balancer ainsi. Je me gratte la tête sans comprendre. C’est… bizarre, ce qui arrive ici. Parfois, j’envie Truc et son sommeil de plomb.

Allez, reprenons. Cette fois, la colère de Madame est palpable ! Ça m’amuse. J’ai envie de rétorquer que c’est elle qui me l’a envoyé dans la face, mais ce serait inutile. Il y a bien plus drôle à faire ! Sans un mot et toujours aussi zen – si l’on omet la courte panique suite au Balignon en pleine poire –, je détache ma sacoche et la dépose près de Truc, ainsi que mon fusil. Je réveille le daim d’une caresse sur son crâne, ignore ses grommellements et lui murmure :

— Si y’a quoi que ce soit, tu hurles, d’accord ?

Tu parles ! Il hoche la tête et se rendort, aussi chien de garde qu’un Chenipan.
Ceci étant fait, j’étends mes bras devant Ketchup-Mayo et fait craquer mes doigts couverts de bandes.

— Allez, dis-je d’une voix détendue. C’est toi qui veux, après-tout.

Petit clin d’œil, et je lui intime d’approcher d’une provocation de la main droite des plus agaçantes.

— La gagnante récupère le Balignon, ça te va ?

Mon sourire en coin exprime le faible enjeu que je ressens dans ce duel que je propose. Je m’en fiche bien, de ce Balignon, moi ! C’est même pas bon à manger. Mais c’est toujours amusant de se bagarrer. Moins que la chasse, mais quand même ! En plus, ça fait longtemps que j’avais pas vu quelqu’un en rogne comme ça, ça me donne encore plus envie de la voir en action ! J’attends qu’elle initie le premier coup – si elle accepte ce duel –, ou qu’elle se débine.