Saison Un

: Obscure Prophétie

Gauche, droite, gauche, droite. Je marche à un rythme robotique, les yeux exorbités et tous mes sens en alerte. J’essaye de le cacher, mais je sens mes mains qui tremblent comme jamais. Si mon fusil n’était pas inutilisable, je crois que je pourrais tirer par réflexe sur n’importe quelle silhouette qui nous approcherait.

Tout s’est passé si vite. Je me rappelle avoir aidé Krystal à attacher sa corde, puis avoir escaladé les gorges à l’aide de Monsieur Croa. Puis il est apparu, hurlant de colère. J’crois même qu’il nous a craché un jet d’eau, mais je regardais pas. J’ai juste entendu le vacarme de ses attaques contre la paroi tandis que nous étions déjà trop haut. Je me suis sentie mourir dix ou vingt fois. Si n’importe quelle partie du plan… N’IMPORTE laquelle avait échoué, nous servirions de casse-croûte au renard à l’heure qu’il est.

Pourtant, on est là, à errer aussi loin que possible du prédateur sans penser notre destination, en vie. Auriel est avec nous. Je lui ai à peine jeté un regard au retour de Krystal. Un de ces coups d’œil rapides, histoire de vérifier qu’elle était là et justifier ce cauchemar avant de reprendre la route. Un petit baume au cœur, en somme. Surement que d’ici quelques heures, je serais heureuse et fière de moi pour cette réussite. Pour l’instant, je suis sous le choc. Même Croa, à mes côtés, se montre plus conciliant qu’à l’habitude. Faut dire qu’il a flippé, lui aussi, en voyant le bestiau ! Avec ces cordes qui nous reliaient, si Krystal ou moi étions tombés, il aurait partagé notre sort. Pas étonnant qu’il ait tiré si fort pour nous aider à monter !

La fin de journée approche à grands pas. Bientôt, la nuit plongera les gorges dans un enfer plus dangereux encore que ceux que l’on vient d’affronter. Pourtant, une lueur d’espoir se dresse devant nous. Des lumières artificielles défient les ombres. De bonnes odeurs, également.

Le chalet. Nous y sommes. Nous avons réussi.

Ça y est, j’ai les larmes aux yeux. J’en laisse tomber la pokeball de l’Insolourdo qui s’étonne d’avoir été libéré sans forcer l’ouverture de sa ball pour la toute première fois.

— SPLIT, CROA !

Je tombe à genoux et enserre mes deux compagnons avec force. Si le premier (qui a droit au premier surnom me passant par la tête) est bien heureux de se faire ainsi cajoler, le second sursaute, complètement déstabilisé par un tel élan d’affection.

— Bouaaah ! J’ai cru qu’on allait tous mouriiiiiir ! Vous avez été géniauuuuuuuuux !

Je veux plus jamais les lâcher de toute ma vie ! Je pleure à chaudes larmes, l’énorme pression accumulée durant ces dernières heures enfin retombée. La super héroïne venue en aide à Krystal redevient cette enfant innocente, bien incapable d’encaisser une telle expérience. J’ai l’impression qu’on vient de retirer tout le poids du monde de mes épaules ! Mes muscles épuisés de cette journée s’expriment enfin, chaque petite douleur oubliée fait son entrée en scène pour me rappeler qu’on mériterait tous un bon repos.
L’oiseau croasse en jetant des coups d’yeux dans tous les sens. Il appelle Krystal à l’aide, ne sachant comment réagir devant une enfant en pleurs. Une de ses ailes me tapote le dos avec toute la maladresse d’un loubard jouant les samaritains.
Le gros insecte réagit à l’opposé : il me noie sous les léchouilles sans aucune hésitation, sa queue fouettant le sol de bonheur derrière lui. Quel miracle ! Il avait enfin trouvé quelqu’un qui appréciait ses efforts !

[Utilisation également du niv+ B/O pour Split]

N s’agite devant son camarade. La mise en garde a été donnée, qu’il en fasse ce qu’il veule. Le K constatera bien le problème en temps voulus s’il persiste à prendre des risques. Pour sa part, on ne l’y reprendra plus.

De mon côté, je sursaute en entendant Krystal s’adresser à moi. Les nerfs sont encore à vif, on risque d’avoir besoin de temps avant de retrouver une quelconque sérénité. Je réalise mon étreinte autour du cou de l’oiseau et la relâche aussitôt.

— Oh, pardon Croa ! Je, je, je…

Tout en parlant, je cherche à le reprendre dans mes bras, mais je ne vois pas comment l’attraper autrement sans l’écraser à nouveau. Finalement, avoir roulé des yeux comme il le fait si souvent, l’oiseau ouvre grand ses ailes et m’en couvre pour déposer ma tête contre son torse. Je l’écrase à nouveau. Mais au niveau du buste, Monsieur Croa est bien plus musclé, il encaisse le choc sans broncher si ce n’est un léger croassement agacé. Il finira par dénouer ses ailes et me forcer à le lâcher au bout de quelques minutes, las de rester ainsi immobile. Je garde Split dans mes bras – qui profite toujours de ce moment d’exception – et me tourne vers Krystal sans me relever, à bout de forces.

— C’était… c’était irréel.

L’oiseau me survole d’un battement d’ailes pour rejoindre Krystal, curieux de la petite boule entre ses bras. Il vient de comprendre l’objet du sauvetage. Son visage s’adoucit, laissant entrevoir un brin de peine, de bienveillance également. Il me regarde, semble surpris, comme s’il me redécouvrait à cet instant.
J’approche à mon tour, presque en rampant.

— Oui, tout le monde peut y aller au chalet, et en plus, tout est gratuit ! On va pouvoir tous bien manger et se reposer.

Pauvre Auriel ! Sa coquille est toute fissurée. Pourtant, une forme de terre à terre m’oblige à y voir le positif :

— C’est sa coquille qui est abimée, non ? Du coup elle, elle est pas blessée ! On… On est arrivé à temps.

Je dois le dire pour m’en convaincre. On a fait ce qu’il fallait, hein ? C’était bien, hein ? Je me demande ce que diraient mes parents.

— Je suis désolée, j’aurais dû te dire que c’était aussi dangereux. Je pensais pas que, de jour, c’était… Aussi…

Nous y voilà. J’en perds mes mots. Malgré le rattrapage du sauvetage, je ne peux m’empêcher de me sentir responsable. J’avais pourtant flairé la chose en questionnant Krystal sur sa pokeball, jamais je n’aurais dû ignorer mon instinct.
Split lèche une nouvelle larme qui coule le long de ma joue. Il est si gentil ! J’adore le serrer contre moi, c’est si rassurant. C’est la première fois qu’un de mes Pokémon se montre aussi bienveillant avec moi. Tous les autres sont si sauvages, si indépendants, voire carrément mauvais ! Qu’est-ce qui le rend différent ? Je l’ignore, mais j’adore ça.

Un croassement fort interrompt nos échanges. Plus sage et moins tourmenté que nous autres, Croa a décidé de nous pousser un par un du dos de ses serres pour nous relever. Ces quelques minutes sont déjà de trop : nous sommes tous épuisés et il ne reste qu’un pas pour entrer dans le chalet, ce serait stupide de camper là. En réalité, je crois qu’il fait surtout ça pour la Togepi. Il n’aime pas l’idée qu’un bébé blessé reste dans le froid de la nuit.

Nous nous dirigeons donc vers la porte en bois et l’ouvrons dans un grincement pour pénétrer dans la lumière de cette auberge si bienvenue au cœur des enfers.

— Y’a quelqu’un ? Il parait qu’on peut manger et faire dodo ici ?

J’entre sans attendre de réponse. Mes parents m’ont déjà parlé de cet endroit, ils y ont été plus d’une fois. Par contre, pas moyen de savoir ce qu’ils y ont fait : "ce qui arrive au chalet reste au chalet". C’est leur règle d’or ! Du coup, j’avance dans un parfait inconnu, avec pour seul guide les quelques informations échappées d’anecdotes retenues.

Je me suis laissée faire en sentant Krystal agripper mon bras. C’est bizarre de la voir si sévère, d’un coup ! Elle m’oblige à la regarder dans les yeux. Si sévère, et pourtant, si bienveillante. Elle réfute le moindre de mes doutes. Dans ses paroles, je passe de fautive à héroïne. Mes larmes redoublent d’intensité à l’entendre, celles des peines rejointes par leurs consœurs de joie.
J’étais même pas en mission. Pourtant, c’est la première fois que je ressens autant de fierté. On m’a déjà remerciée à maintes reprises, ou félicitée pour mon travail. Le monsieur du marais m’a même offert lui-même une récompense pour remercier mes efforts, en plus de ma paye habituelle. Malgré cela, jamais l’émotion ne fut aussi forte que celle de sentir mon amie me serrer contre elle en m’affirmant héroïque. C’est si réconfortant !

— Je suis si contente que tout le monde aille bien ! finis-je par dire en deux sanglots.

De temps à autre, certains m’entendent vanter les mérites de mes camarades en mission, ou mes propres réussites. Mais la seule chose qui compte à mes yeux, c’est ça, au final. D’autant plus lorsque l’histoire concerne ma meilleure amie.

Les larmes se poursuivirent jusqu’au chalet, bien que plus discrètes. En revanche, un petit sourire était apparu sur mon visage rougit par l’émotion. Grâce à Krystal, je commençais enfin à ressentir le positif de cette histoire. Non pas que ce soit une bonne chose que ce soit arrivée, loin de là, mais je pouvais y resonger et apprécier les qualités dont j’avais su faire preuve malgré moi dans l’urgence et la crainte.

Devant la porte, Croa a poussé un grognement en nous voyant entrer. Normalement, c’est à ce moment que je devrais le rappeler, et son regard las me confirme qu’il l’a compris. Mais pas aujourd’hui. Pas après ce qu’il nous a permis d’accomplir.

— Tu peux voler autant que tu veux, aujourd’hui, même toute la nuit. Je mettrais ton manger sur la fenêtre.

Nouveau croassement en guise de réponse, victorieux celui-ci. L’immense rapace n’en demande pas plus : il déploie ses ailes et s’envole aussitôt, ravi de cette liberté.
J’entends le bruit d’une pokeball derrière moi. Shebk ? Un autre Pokémon ? Je me retourne et regarde Krystal au moment où le Togepi réapparait. Mon amie m’explique. Je comprends. D’une main sur son épaule et d’un hochement de tête aux yeux clos, je lui fais comprendre qu’elle a fait le bon choix. La sécurité, c’est important, même quand les gens la refusent !

Après n’avoir croisé personne à l’accueil, nous nous sommes installés au milieu du réfectoire. À cette heure tardive, s’il y a d’autres clients aujourd’hui, ils ont déjà mangé. Nous aurons surement droit aux restes, et on s’en contentera avec gratitude tant nous sommes affamés ! Nous attendons qu’un employé arrive en discutant d’autres sujets. À nous voir, on pourrait croire qu’il n’est rien arrivé dans les gorges et que nous sommes de simples visiteurs.

— Mes parents, ils font comme moi mais en dix fois plus impressionnants ! C’est tous les deux des chasseurs ranger. Mon papa tout le monde le demande partout, pourtant, c’est ma maman la plus forte des deux !

D’ailleurs, leurs réputations transparaissaient à travers leurs Pokémon. D’un côté, le Bourrinos calme et sage de mon papa qui aura su se démarquer à des dizaines de reprises et se faire apprécier de tous, que ce soit en mission de sauvetage, en chasse, ou en combat face à de terribles adversaires. De l’autre, l’incroyable et terrifiante Voltali de ma maman, mort personnifiée de n’importe quelle proie qui oserait croiser son chemin que personne d’extérieur à la famille n’ose approcher.

— Y zont souvent des missions dans les gorges ou les montagnes enneigées, du coup ils vont au chalet quand ils reviennent, ça coupe la route en deux !

Quel genre de personne ne renvoie pas une question comme ça ? Moi, en tout cas, j’y résiste pas !

— Et toi, tes parents ils font quoi ?

Tout en parlant, j’ai fini par sortir la pokeball de Truc. Le pauvre y git blesser depuis sa noyade ! Je libère l’animal sur une chaise adjacente. Lorsqu’il réapparait, il est endormi, tout comme Auriel. Au premier coup d’œil, je trésaille, le croyant mort. Puis son ventre rebondit et un profond soupir de soulagement m’échappe. Je passe une main aussi délicate que possible sur son pelage, cherchant des traces de blessures. Mais à part la vieille blessure de son cimier et la trace encore rouge des mâchoires de Split qui l’a retenu dans l’eau, le daim semble aller bien. Ne le dérangeons pas, tant qu’il dort. Je le réveillerai pour manger, et le connaissant, il s’empressera de râler s’il a mal.
Voyant que j’ai posé mon sac au sol, Split se dit qu’il est l’heure d’y retourner et bondit de mes genoux pour s’y enfouir comme à son habitude. Après l’avoir vu disparaître dans un rayon rouge, je me sens prise d’un début de fou rire. Cela semble si naturel pour lui ! Et moi qui n’ait rien remarqué ! Je replonge une main dans le sac et en ressort sa pokeball pour le libérer avant de l’enserrer une énième fois.

— Mais depuis combien de temps tu squattes comme ça, toi ? Fallait me le dire ! T’as pas besoin de te cacher, t’es trop mignon choupi gentil comme tout, jamais je t’aurais empêché de me suivre !

L’insecte géant bat des ailes sous le coup de l’émotion, ravi de m’entendre le glorifier ainsi.
Je me souviens de lui, dans le désert. J’ai beau dire, j’ignore si je l’aurais gardé auprès de moi à l’époque. Surement qu’il aurait rejoint Coach et les autres, dans les dunes. Coach… ça fait si longtemps ! C’est incroyable que ce gros amour d’Insolourdo n’ait jamais osé se montrer à moi !

Présenter mes parents ? Mais bien sûr ! En plus, comme elle dit, on pourrait les croiser ici, mais ça serait un énorme coup de chance.

On est vraiment dans un sale état. Entre nous, nos Pokémon blessés et la fatigue, y’a de quoi vouloir se reposer. Heureusement, j’entends du bruit dans les cuisines : les gens du chalet vont pas tarder à arriver ! J’ai tout juste le temps de répondre à Krystal quand elle m’interroge sur Split avant que la salle ne soit envahie de gens aux petits soins pour nous :

— Split ? Dans les Dunes Dunaja ! J’arrive pas à croire qu’il se soit caché tout ce temps, ça fait des semaines que j’y suis allée ! C’est là-bas que je…

Je m’interromps. Ouf, juste à temps, la bouffe arrive. J’ai failli parler de Coach, et ça aurait rappelé plein de mauvais souvenirs. C’est déjà assez triste comme ça ! Bientôt, la discussion est oubliée, car bien d’autres choses viennent occuper nos esprits.