Saison Un

: Obscure Prophétie

Cet endroit… La vision des arbres calcinés me rappelle de mauvais souvenirs. Truc aussi est perturbé. Il a rentré sa tête dans le sac. Je ne l’en empêche pas : je ne comprends que trop bien son malaise. Ce qui nous est arrivé à tous les deux, il y a plus d’un mois à présent. Nous étions seuls, à l’époque. N nous suivait déjà, certes, mais la lettre n’a jamais été des plus présentes. Je laisse le daim à sa solitude, ne souhaitant pas le forcer à revivre cette scène douloureuse. Quant à moi… j’avance, fusil en main. Aujourd’hui, je redoublerai d’attention. D’autant que je ne suis pas là en tant que chasseuse, mais en tant que ranger.

Aujourd’hui, j’explore la forêt calcinée pour aider les miens à prouver que l’incendie est bien causé par les éruptions de ce foutu volcan. Tout ce qu’il me faut, c’est une preuve. J’aimerais le voir en vrai. Comprendre. N’importe quoi qui nous permettrait d’enfin attirer les yeux du monde sur ce problème qui réduit notre territoire de chasse de jour en jour en carbonisant à chaque fois de nouveaux mètres carrés de terre habitable. Ma profession est parmi les plus touchées, mais même certains élevages en bordure de Kedal commencent à réellement s’inquiéter à l’idée que les flammes atteignent un jour leur modeste demeure.

Tout cela n’a rien d’une mission officielle. Mais je m’en fiche : c’est mon devoir de venir en aide à ma famille ! Aujourd’hui, je me sens enfin prête à accomplir un tel objectif, puisque personne d’autre ne semble vouloir s’en charger.

— Croaaaaa ! ai-je hurlé en direction des cieux.

Pas de réponse. L’oiseau est loin de m’obéir au doigt et à l’œil. Heureusement, je sais que je ne suis pas seule. Plus maintenant. Doucement, je m’accroupis et caresse la tête de l’énorme insecte qui m’accompagne aujourd’hui.

— C’est notre première vraie mission ensemble, Split ! T’es prêt à sauver le monde ?

L’animal me répond d’un sifflement joyeux, dressé sur sa queue pour me chatouiller la joue de sa langue fourchue. Je ricane en le sentant faire avant de me redresser.
Battement d’aile en approche. Dans un croassement agacé, l’énorme rapace atterrit auprès de moi et nous dévisage de son air hautain. Il a finalement daigné répondre à mon appel ! C’est déjà un bon début.

— Toi aussi, tu es prêt, Croa ?

L’oiseau déploie ses ailes et hurle sa fureur en guise de confirmation. Ah ça, il a pas peur, lui ! Pourtant, il s’est déjà mangé une belle raclée l’autre fois. Mais il se relève, comme la madame au chapeau le dit ! C’est bien. Pas grave s’il m’obéit pas vraiment, j’ai l’impression qu’il est courageux, et c’est le principal.

— On doit trouver d’où viennent les incendies de la forêt. Croa, t’es nos yeux ! Je compte sur toi pour surveiller des cieux ! Dés que tu vois une éruption venir du volcan ou n’importe où, tu regardes bien où elle tombe, puis tu viens me chercher pour qu’on y aille ensemble !

L’oiseau tourne la tête avec dédain, refusant clairement de recevoir un ordre de ma part. Pourtant, après un temps, il finit par hocher la tête. Il refuse de me considérer supérieure à lui, par contre, l’idée d’accomplir cette mission semble l’intéresser. Disons qu’il va faire quelques concessions pour ce jour ! D’autant que, comme promis, je l’ai laissé voler librement depuis notre arrivée à Kedal, à condition qu’il ne mange pas de Pokémon d’élevage. Je tiens parole, c’est déjà bien à ses yeux. Je ne suis pas aussi buttée qu’il l’aurait imaginé à notre première rencontre.

L’oiseau décolle tandis que je me tourne vers mes deux autres compagnons :

— N, t’es notre arrosoir ! Tu pourras éteindre le feu sur le machin qu’on devra ramasser !

Le Zarbi s’agite vivement. Persuadée qu’il est aussi enthousiaste qu’à son habitude, je lui fais un large sourire et me tourne enfin vers Split :

— Quant à toi, Split, t’es le plus important aujourd’hui ! T’es comme… mon second ! Tous les deux, on va suivre les traces des incendies au sol en protégeant toute l’équipe.

L’animal rougit à l’idée d’un tel rôle. Sa queue remue de joie, balayant quelque feuilles mortes derrière-lui tandis qu’il rebondit sur place de ses petites ailettes.

— Truc ? (aucune réponse, l’animal fait le mort dans mon sac.) Tu sais, il reste une place pour toi, si tu veux. T’es un super surveillant, tu pourras protéger nos arrières pendant qu’on avance, comme si j’avais des yeux dans le dos !

L’animal grommelle, peu intéressé par la proposition. Je n’insiste pas et me contente de passer une main dans le sac pour lui caresser le dos en douceur.  T’en fais pas mon copain, on te protégera aujourd’hui, il t’arrivera rien. Mais je te laisserai pas t’exclure pour autant, tu fais partie de l’équipe ! Ma super équipe de chasseuse-ranger !

— En route ! fis-je sur un ton victorieux tandis que Split, N et moi pénétrons enfin dans la forêt, à la recherche des marques des derniers incendies.

Je ne sais pas encore ce que je cherche. J’ignore même si je trouverai quelque chose. Mais je peux plus rester sans rien faire, pas maintenant que j’ai assez d’expérience pour protéger des gens vraiment ! Vous en faites pas, tout Kedal, on va vous protéger !

Eh bah, tu parles d’un début ! Alors qu’on avançait tranquillement, sur nos gardes et mon fusil prêt à servir, voilà qu’on tombe sur des galeries d’insectes rampants ! Je m’en approche, un peu curieuse. Depuis que la forêt est en feu, y’a plein de Pokémon feu qui s’y sont installés. Mais eux, c’est des Pokémon acier, que mon papa a dit ! Du coup je comprends pas ce qu’ils font là. Est-ce qu’ils étaient là avant ?

Y’en a quand même beaucoup. Sur un gros endroit. Hum…

AH !

Voilà qu’un Fermite s’est senti agressé en me voyant aussi proche et a décidé de contre-attaquer ! Je recule, aveuglée par le sable et assourdie par l’horrible grincement métallique de la bestiole. C’est insupportable, ce machin !
Me voyant sous le feu de l’ennemi, Split engage le combat sans aucune hésitation. Puisque la bestiole n’est pas très grosse, il s’imagine qu’un Plaquage la réduira en bouillie ! C’est à présent chose faite.

Sauf que non, l’animal s’agite sous le ventre de l’énorme insecte, nullement blessé, et commence à le lacérer de ses Griffe Acier. Split sursaute alors que je le rappelle avec colère :

— Split ! Pas bien ! Reviens ici !

Bien qu’hésitant, l’Insolourdo volette de ses petites ailes pour s’éloigner de son dangereux adversaire et rester à mes pieds. La fourmis fait claquer ses mandibules, folle de colère tandis qu'elle expulse ses phéromones d'alerte à l'intention de ses camarades guerrières. Je m’accroupis à hauteur de mon compagnon tout en sortant une autre pokéball. Un doigt en l’air en signe de réprimander, je lui explique :

— Faut pas attaquer n’importe quand ! Ni n’importe comment ! Pour chaque animal sauvage, y’a des façons d’agir. Il m’a juste balancé du sable, c’est pas grave, il défend son territoire ! Bon, maintenant que tu l’as attaqué, il va continuer jusqu’à la mort pour sa fermitière, même que d’autres vont venir pasque les Fermite ils marchent par Fermitière, mais normalement on aurait pu passer à côté et le laisser tranquille !

L’insolourdo baisse la tête, tout triste de son erreur. Je lui caresse le crâne pour le rassurer : c’est pas bien grave, faut apprendre ! Moi aussi j’ai fait plein de bêtises au début ! Et puis il veut me protéger, alors c’est tout chou !

Tout en parlant, j’ai sorti Petit Dada, que je n’aurais jamais cru utile aujourd’hui. L’animal hennit, bien content de se dégourdir les pattes.
Comment ? Vous pensez que je vais ordonner à Petit Dada de combattre ? Ce serait bien mal me connaître. Je ramasse une branche d’arbre non loin et la tend vers la crinière du poney. La branche s’enflamme, et je la tends en direction de la fermitière d’où d’autres Fermite sortent déjà pour assister leur camarade acier.

— Zou, partez ! Zou !

DU FEU ! DU FEU ! C'est la panique chez les Fermite qui battent immédiatement en retraite, terrifiés par cet élément capable de les réduire en bouillie si aisément. Toutes sonnent la retraitent et s'élancent dans leurs petits trous pour en boucher l'entrée et protéger les leurs au cas où j'essayerais d'y envoyer l'élément destructeur. Ah bah oui, Insecte Plante, ça pardonne pas ! Heureusement qu’on est chez moi, je connais plein de petits trucs comme ça pour m’en sortir dans la forêt calcinée.

Et voilà, plus de Fermite, et sans personne de blessé ! J’examine le ventre de Split : il a quelques éraflures, mais rien de grave, puisqu’il n’a pas insisté. Tout va bien !

— Tu vois, c’était tout simple en fait ! Merci Petit Dada !

Je rappelle le cheval qui hennit de bon cœur bien qu’il n’ait rien compris à tout ce bordel. Split m’imite en remerciant son camarade et gazouille à l’idée de reprendre la route à mes côtés. On est repartis !

Mais d’abord, réflexions. Déjà, aucune nouvelle de Croa : donc dans les airs, tout va bien, pas de nouvelle éruption en vue. Ça me rassure de savoir qu’on manquera pas la prochaine : on l’aura notre preuve ! En attendant, je pense pas qu’on aura la moindre piste ici. Les Fermites, ça aime pas le feu. S’ils sont aussi nombreux ici, au point d’avoir plein de petits trous partout pour leur fermitière, c’est que y’a moins d’incendie par ici ! Donc le volcan ne tire pas ici. C’est bizarre… Comment le volcan peut ne pas tirer ici et tirer quand même sur des maisons à Kedal ? Comme si le volcan, il était vivant et savait viser ! En tout cas, je pense qu’on est à l’opposé de ce qu’on cherche ! C’est une bonne piste, les Fermite ! Si on voit des Fermite, c’est qu’on est pas au bon endroit pour notre preuve !

Allez, on y retourne ! Fusil en main et Split à mes côtés, je m’engage dans une toute autre direction, en espérant m’enfoncer vers la solution cette fois-ci.

— Ça sent le brûlé ! C’est sûr, on est sur la bonne voie !

Je lâche un petit cri de victoire avant de presser le pas – tout en restant sur mes gardes – et suis l’odeur âcre jusqu’à tomber sur un second Pokémon en pleine chasse.

Cette fois, Split ne bondit pas. De un, il a retenu la leçon ; et de deux, le Grillepattes ne m’attaque pas, il se contente de me menacer en sifflant dans ma direction.

— T’en fais pas, on est pas venu t’embêter ! Fais comme si on était pas là !

Joignant le geste à la parole, je reprends Split entre mes bras et m’éloigne d’un pas lent, à reculons, jusqu’à pouvoir me camoufler derrière un tronc loin du Pokémon feu avec mon camarade. Celui-ci me regarde sans comprendre, très intrigué par ma réaction. Il faut que je lui explique :

— C’est un Pokémon feu ! Beaucoup plus intéressant que les Fermite. À coup sûr, si on le suit, on va tomber sur des endroits beaucoup plus touchés par les incendies.

Hochement de tête de mon gros insecte. Cette fois, c’est clair : le plan est en route. Je laisse le Grillepattes finir son repas en toute sérénité (que la nature fasse son œuvre), puis jette un œil dans sa direction : il s’en va au loin sans se préoccuper de nous. En plus, ce machin est tellement long et plat qu’il laisse une grosse trainée de brûlé sur son chemin, ça sera super simple de le suivre à la trace ! L’aventure avance bien.

Je me redresse après plusieurs minutes et libère Split afin qu’il marche près de moi. Petit coup d’œil en l’air : toujours pas de nouvelle de Croa, donc j’imagine que le volcan est encore calme. Allez, en route !
Au début, la route est toute tracée par notre piste carbonisée. Ainsi, j’arrive à progresser dans la forêt jusqu’à une fissure dans une structure rocheuse. Avec sa forme plate, l’insecte a pu s’y faufiler, je suppose qu’il s’agit de son terrier. Fin de la piste, tout le monde descend ! J’observe les alentours, mon fusil toujours en main.

— Prêt pour une nouvelle exploration ?

À ces mots, j’offre un clin d’œil à Split puis reprend ma route. Il fait déjà bien plus chaud, ici. Pas étonnant que le Grillepattes y ait installé son terrier. Je suis sûre qu’on va bientôt trouver d’autres pistes.

Stop ! Je m’arrête. Un autre Grillepattes passe devant nous, cette fois sans s’intéresser aux visiteurs que nous sommes. Tiens ? C’est bizarre ça. L’autre, il était vachement territorial ! Lui, on dirait qu’il part pas content, comme un Caninos privé de baballe.
Comme toujours, ces machins laissent une sacrée piste sur leur passage. C’est aisé de la remonter, et tout aussi aisé de retourner le suivre si ça ne mène à rien. Mais cette fois, je sens qu’on tient un début de quelque chose. Des Fermite loin du feu, c’est normal. Un Grillepatte qui bouffe un Fermite, encore plus normal. Un Grillepatte qui s’en va comme ça sans demander son reste ? Nan. Pis c’est pas n’importe quelle bestiole qui peut rentrer dans des fissures pareilles ! Soit y’a guerre de clan entre semblables, soit y’a Lampéroie sous roche ! Peut-être même au sens propre, qui sait ?

Split sera le premier à grimacer. Sitôt que nous arrivons à proximité de l’ancien terrier du Grillepattes, l’odeur me prend aux narines. C’est quoi, ça ? On dirait pas une simple odeur de cramé. Peut-être le doux fumet des réserves du fameux Grillepatte tandis qu’il repart en chasse ? Ça, ou un autre Pokémon qui se serait approprié les lieux. Vu la tronche de Split, je parierais sur le second. Hélas, je connais pas grand-chose sur l’odorat de mon compagnon, difficile de dire ce qui le dérange autant.

Je sors un couteau de ma sacoche et commence à l’introduire dans la fente. Il en ressort gluant, sans pour autant que je puisse déterminer ce que c’est, ni même si un Pokémon se cache là-dedans. La fissure est trop fine pour que je puisse y voir quoi que ce soit, et je préfère éviter d’y coller mes yeux : manquerait plus qu’un Fermite en sorte pile à ce moment-là !

— Bon bah, quand faut y aller…

Cette fois, je sors la machette ! Malheureusement, j’ai rien de mieux pour creuser. Les chasseurs ne se trimballent pas avec des pelles et des pioches. Mais avec ça, je peux au moins gratter les bords et agrandir petit à petit l’entrée, et peut-être qu’avec beaucoup d’efforts, on finira par voir ce qui se cache là-dessous.

À peine ai-je entamé cette longue entreprise que Split bondit à la verticale devant moi, sa queue plantée dans le sol à l’endroit où ma machette inutile tentait sa démarche pitoyable. L’instant d’après, c’est la toupie ! Split part dans un tunnelier, explosant le terrier d’une énorme crevasse assez grande pour révéler tout ce qui s’y cachait et, je l’espère, l’origine de cette drôle d’odeur capable de faire fuir un Grillepatte de son territoire.

Ça y’est. Maintenant que je la vois mieux à travers le trou formé par Split, je reconnais cette substance. C’est le machin dégueulasse que lâchent les afflamanoirs ! C’est donc lui qui aurait fait fuir le Grillepattes ? J’avance, sur mes gardes. Y’aurait-il quelque chose d’intéressant dans le coin, qui rendrait ce territoire intéressant ? Comme par exemple… Des pierres tombées du volcan ? Surement ! Faut que j’explore la zone plus en profondeur. Split me suit, et bientôt, nous trouvons le fameux Pokémon.

PAN.

Aucune hésitation. Dès son premier pas dans ma direction, j’ai senti la dangerosité de la bestiole. Du genre à vouloir défendre son territoire à tout prix, quitte à massacrer chaque bestiole qui s’y immiscerait. Pas question de fuir jusqu’à Kedal après avoir autant progressé !

La balle de fusil a atteint le Pokémon en plein torse. Mais bien plus robuste que la moyenne, le Pokémon parvient à s’en remettre et se redresse pour me faire face, hors de lui. J’ai à peine le temps de me jeter au sol en le voyant prendre une longue respiration : son lance-flammes m’aura bien noirci les fringues ! Mais tout va bien, je parviens à rejoindre la protection fébrile d’un arbre calciné le temps d’épousseter les maigres flammes échappées de son attaque et recharger.

Une patte sur sa blessure, l’Afflamanoir accoure dans ma direction pour me régler mon compte. Sa langue de feu sectionne ma protection juste au-dessus de ma tête. J’en perds quelques mèches de cheveux ! Heureusement, Split vient à ma rescousse d’un tunnelier, frappant la faiblesse du Pokémon feu sur sa blessure déjà ouverte. L’animal réplique, repousse mon camarade sur quelques mètres. Grave erreur !

PAN.

J’en ai profité, dès que mon Pokémon a été hors de portée. Cette fois, entre les deux yeux. Le Pokémon s’effondre. Je me redresse, un sourire aux lèvres. J’ai l’impression… d’avoir réparé quelque chose, aujourd’hui. Après un bond victorieux, Split atterrit auprès de moi le temps de guérir ses maigres blessures. Quant à moi, je sens du mouvement dans mon dos.

Truc a sortit la tête après le premier tir. Il a tout vu du second. Il observe le Pokémon à terre, ses pensées navigant surement les mêmes eaux que les miennes. Je lui caresse la tête, murmurant quelques paroles réconfortantes en avançant jusqu’au cadavre pour m’assurer de sa mort. On a déjà eu de mauvaises surprises !

— Tu vois Truc. On fait plus d’erreur, maintenant. On a beaucoup souffert, mais c’est fini.

Je reprends l’exploration la tête haute. Il est temps de fouiller ce territoire si ardemment défendu par son propriétaire. À coup sûr, on va y trouver quelque chose d’important !