Mon petit couinement de désespoir n’aura pas retenu l’adulte. Kata n’aura qu’eu le temps de bredouiller quelques incompréhensions en écarquillant ses yeux de stupeur avant de s’envoler vers d’autres cieux.
Je gronde, colérique devant ce geste dénué de la moindre empathie. Mon corps tremble un peu, se contracte de frustration. Je donne tout ce que j’ai pour me retenir de bondir. Kata a besoin de moi. Tenter de laver son honneur en m’écrasant sur cette montagne de muscles serait aussi stupide que d’avoir tant insisté pour qu’elle l’entraine. Finalement, j’arrive à me contenter d’un sifflement de frustration, jugeant du regard l’action déplacée de l’adulte. Franchement… Qui fait ça à une enfant ? Surtout à une enfant qui vous idéalise.
Je me retourne. Kata vient d’atterrir dans un énorme "plouf". Mon corps se mue dans les ténèbres, lancé à la
poursuite de l’enfant s’éloignant parmi les flots. Je la percute de plein fouet, m’agrippe à son bras et tente de la pousser en direction de la berge la plus proche. La pauvre est encore trop sonnée par le choc pour se débrouiller seule. Elle aurait pu se noyer ! Ordure ! Elle mériterait que je… je… Raaaah ! Volti… Je compte sur toi pour m’apprendre tout ce qu’il me reste à apprendre dès notre retour à Kedal. Hors de question que ce genre de choses se reproduisent à nouveau. Pas après tout ce qu’elle a vécu… Kata a assez souffert.
Je coule. Ma queue vrille le vide derrière-moi pour tenter un effet moteur et me propulser, en vain. C’est pas pour rien que j’ai hésité à la noyade de Truc ! Je peux me mouvoir un peu dans l’eau, mais de là à porter une humaine… C’est un peu trop pour moi.
Mes bras se referment sur le serpent dont les forces faiblissent. Je viens de rouvrir les yeux. Et la situation est… étrange. M’a fallu un petit moment pour revenir au présent : Técla, ma énième bêtise, le vol plané… j’ai même pas pris la peine de hurler tant je l’ai pas vu venir. Heureusement, Split m’a ramené jusque là où j’ai pied. Je peux faire le reste seule, même si je tremble encore de tous mes membres après une telle expérience. Le pauvre Split crache la dizaine de tasses qu’il vient d’avaler dans mes bras.
Enfin, nous arrivons sur la berge. Je me laisse choir au sol, toussant à mon tour pour expulser toute cette eau avalée par mégarde. Je m’assure ensuite que la ball de Truc est toujours en place, puis m’enquiert auprès de Split sur son état. Ça a l’air d’aller. Il tremble d’inquiétude, pas de douleur. Je le prends dans mes bras, murmurant quelques excuses à son intention.
Le problème, c’est qu’on en revient à la même chose. J’ai pas compris. J’ai pourtant dit plein de choses gentilles, allant jusqu’à dire qu’elle avait toujours raison et que j’étais prête à tout accepter ! Mais ça, ça ressemblait pas à un exercice. C’était dangereux. Sans Split, j’aurais vraiment pu y rester !
Je reste allongée un moment. Plus que reprendre mes forces, c’est mon esprit qu’a besoin de s’en remettre. J’ai besoin d’y réfléchir un moment. Me repasser tout ça en boucle une ou deux fois. Réfléchir. Essayer de comprendre ce que j’ai dit, où j’ai eu tort. Ce que je devrais faire à présent.
Partir ? Oui, partir. Faudrait que je parte, pour pas risquer plus. Ça c’est ce que dit ma conscience. La même qui m’a faite rouler en boule devant le magicien. Conscience à la con.
Là. Maintenant, je peux me relever. J’fais pas la fière, clairement, mais j’avance, Split dans mes bras. D’ailleurs, sitôt qu’il voit où je me dirige, ce dernier s’agite et gronde à mon intention.
— Je dois le faire, Split. Ce serait pas juste de partir.Je reviens auprès des Pokémon de Técla, à l’endroit d’où elle m’a lancé jusqu’au lac. J’ignore combien de tours elle a déjà fait, surement plus que j’en aurais fait en une soirée, mais je me doute qu’elle repassera par là.
Surement qu’elle s’arrêtera pas, d’ailleurs, comme quand elle faisait ses exercices. Pas grave. J’attendrai. Je m’assois dans l’herbe, trempée, avec un Split terrifié entre les bras. Il n’aura pas la force de me ramener sur la berge une seconde fois, encore moins s’il s’y fait envoyer en même temps que moi.
Je suis l’adulte du regard comme je peux, la nuit n’aidant pas. Le temps qu’il faudra. Un tour, dix ou cent ? peu importe : je patiente, pasque je peux pas partir sur ça. Lorsqu’enfin l’occasion semble se présenter de lui accorder quelques mots, je m’exclame aussitôt :
— Désolée ! Je plonge la tête presque dans l’herbe devant elle, le pauvre Split coincé entre mon ventre et le sol.
— Je fais que des bêtises depuis tout à l’heure, pardon, pardon, pardon… Je ne relève la tête qu’après maintes excuses pour un retour de larmes se mêlant à mes vêtements trempés :
— T’es si incroyable ! Et moi, je suis… juste normale. Voir ratée. Beaucoup te le diront. Idiote aussi, ça c’est surement ce que Split s’imagine en cet instant, coincé entre mes bras. Ça me rend dingue d'imaginer que j'ai raté l'occasion d'apprendre ne serait-ce qu'un millième de ce qui la rend si extraordinaire ! Elle m'a amenée jusqu'ici. On a fait un exercice. Clairement... j'aurais pu, si j'avais pas été aussi stupide. Je m'en veux, beaucoup. D'abord pour moi, pour avoir raté ça, mais en plus pour elle pasqu'on dirait que dans mon enthousiasme, j'ai dit des choses méchantes que je voulais pas.