Saison Un

: Obscure Prophétie

Arrivé il y a à quelques jours à Kalank, Roger se trouvait désormais sur un transat, profitant de l’air marin avant de reprendre la route. Toujours égal à lui-même, le jeune homme avait oublié son short de bain– ou plutôt, il ne s’imaginait pas faire une halte à la plage- et du s’en acheter un en vitesse. C’était plus agréable de profiter du soleil que de rester enfermé dans une chambre d’hôtel miteuse. Cependant, le botaniste ne restait pas sans rien faire. La mine sérieuse, il écrivait consciencieusement des notes dans un cahier nouvellement acquis. Devant lui se trouvaient un paquet de photos de plantes qu’il avait pu développer la veille.

- Mes compétences en photographie sont incroyables.

Ce qui était totalement ironique. Roger ne comptait plus le nombre de photos floues ou qui affichaient un doigt au premier plan. Il aurait été plus judicieux de cueillir les plantes puis de les faire sécher mais cela aurait été compliqué. Le botaniste devrait donc se contenter de photos de mauvaise qualité.

Pour Ambroise, ses soucis se trouvaient ailleurs. Le classieux Skitty ne semblait pas au bout de ses peines. Après avoir affronté la boue, voilà qu’il subissait le sable. Chaque grain qui se glissait entre ses griffes était un véritable calvaire. Il ne comprenait pas comment son dresseur puisse apprécier un tel endroit. Les marais, passe encore. On y trouvait des tas d’espèces végétales qui comblaient, à n’en point douter, la passion de son botaniste de dresseur. Par contre, la plage restait un mystère. Aucune plante en vue… Juste du sable, de l’eau salée et des gens. Des tas de gens. Il y avait, certes, cette alléchante odeur de poiscaille qui provenait du port mais les pêcheurs ne seraient certainement pas contents de tomber sur un chat-pardeur.

- Tu devrais peut-être aller près des autres pokémons, Ambroise. Tu t’ennuierais moins.

Le Skitty n’était jamais contre de nouvelles rencontres. En fait, il aimait bien ça. Néanmoins, les circonstances ne lui étaient pas vraiment favorables. Sur le moment, il se retenait surtout ne pas écharper furieusement la serviette de plage de son maître avec ses griffes.

Comme si Lord Hélix avait entendu les paroles de Roger -en supposant qu’une telle entité puisse exister-, un pokémon s’était diriger vers le transat. Avec son pelage noir et ses cercles distinctifs, le scientifique reconnaissait là un Noctali. Le renard ne semblait pas agressif, que du contraire. Il se montrait espiègle, invitant Ambroise à jouer avec lui.

Une jeune femme interpella le Noctali, sans aucun doute sa dresseuse. Elle se trouvait à quelques mètres et paraissait prête à faire un saut dans l’eau salée. Comme pour la rassurer, Roger fit un signe amical de la main.

- Oh ne vous inquiétez pas, il en faut plus à Ambroise. Puis ça lui fera du bien de se dégourdir les pattes.

Sans demander l’avis du Skitty, Roger le prit puis le déposa au sol près du Noctali. Ambroise fixa intensément son dresseur pour lui faire comprendre qu’il n’acceptait pas sa décision. Du point de vue du scientifique, c’était de bonne guerre, pour toutes les fois où le Skitty lui faisait la misère.

La dresseuse du Noctali ne semblait pas non plus s’inquiéter pour son pokémon. Tant mieux. Cela donnerait la possibilité à Ambroise de faire autre chose que de piétiner ses notes du scientifique avec ses petites pattes, pensa Roger. Néanmoins, le Skitty n’était pas aussi excité que la dénommée Ama. Si la Noctali était pleine d’entrain, le Skitty était tout l’opposé. Bien sûr, il arrivait au chaton de subitement se mettre à courir partout -quel chat ne le fais pas ?- mais pour cette journée à la plage, il avait décidé de mettre sa bonne humeur de côté.

- (Je m’appelle Ambroise… Enchanté, je suppose), soupira-t-il.

Voir le Noctali bondir dans tous les sens lui fit légèrement tourner la tête… Le chat lança un regard plein de reproches vers son dresseur avant de lui tourner le dos.

- (Bah… s’il le faut vraiment. Puisque que tu m’as touché premier, je fais le Lucario.)

Ainsi, le Skitty prendrait le temps qu’il fallait pour tenter d’attraper le Noctali, en faisant semblant de courir.

Tandis qu’Ambroise s’était trouvé un nouveau compagnon de jeu, certes contre son gré, Roger continuait le tri de ses photographies. Aux nombres de clichés flous, il pensa ironiquement à se reconvertir en photographe. Comme si le tri du botaniste n’était pas assez pénible, un coup de vent balaya la plage, emportant avec lui une des photographies. Le scientifique bondit de son transat, tentant de rattraper ce bout de papier volant. La dresseuse au Noctali semblait bien plus vive que Roger et agrippa la photo du bout de ses doigts la photo. Dans sa pirouette, la jeune femme échappa de peu d’écraser un enfant et, à la place, atterrit sur le château de sable de ce dernier. Le scientifique s’empressa de rejoindre la dresseuse.

- Ça va, rien de cassé ?

La question était surtout rhétorique car, en réalité, la jeune femme semblait surtout amusée par cette situation. Ambroise avait également assisté à la scène, joignit ses rires à ceux d’Ama. Ces deux-là semblaient avoir pour point commun de se moquer de leurs dresseurs respectifs.

- Oh euh… merci, fit Roger en reprenant sa photo.

Celle-ci était désormais complétée froissée. Le botaniste la regarda et, heureusement pour lui, il s’agissait d’une photographie ratée, sur laquelle on voyait son doigt. Roger se sentit presque gêné que ce misérable cliché ait été sauvé. Pour faire bonne figure, il aida néanmoins la jeune femme à se relever et sentit une poigne surprenante.

Néanmoins, Roger n’eut pas le loisir de rester longtemps ébahis par la force de l’inconnue. Un cri strident retentit derrière lui. Il s’agissait de l’enfant dont le château de sable avait été détruit. Visiblement, ce léger incident était une épreuve difficile pour lui, tous ses efforts réduits à un simple pâté informe. Le botaniste n’était pas particulièrement doué avec les enfants, préférant largement la compagnie de ses plantes. Même les miaulements plaintifs d’Ambroise sonnaient comme une douce mélodie, comparés aux pleurs du petit garçon. Roger s’agenouilla à sa hauteur, essayant de ne pas paraitre trop intimidant.

- On est désolés, dit-il. C’est pas très grave, tu peux toujours le reconstruire. De toute façon, il aurait été emporté par la marée, tôt au tard.

Même si le scientifique s’était forcé de prendre la voix la plus calme et douce possible, son honnêteté et sa maladresse gâcha son effort. Il ne fallut que quelques secondes pour que le père de l’enfant rapplique, une armoire à glace sur pattes. Il pointa son gros doigt sous le menton de Roger, se montrant menaçant.

- Hé, vous ! Vous n’avez rien de mieux à foutre que faire pleurer les gamins ?!
- Oh non, non… ce n’est qu’un malentendu.
- Ça vaut mieux oui. Vous avez plutôt intérêt à aider mon fils à refaire un château digne du Roi, c’est clair ?!

Roger n’était pas particulièrement enjoué à l’idée de laisser de côté son travail pour jouer dans le sable. Cependant, il était évident que ce monsieur n’était pas enclin à la discussion et qu’il n’hésiterait pas utiliser ses poings pour faire payer les deux jeunes personnes leur gaucherie.

Entre la jeune femme qui faisait preuve de la même maladresse que Roger et la brute épaisse qui servait de père à cet enfant, le ton s’échauffa rapidement. Sans hésitation, la dresseuse au Noctali agrippa le doigt de l’homme pour le lui tordre. Roger ne savait désormais plus où se mettre, lui qui n’était pas un fervent partisan de la violence. Il aurait préféré ce problème de construction sableuse d’une autre manière, surtout qu’il n’agissait que d’une broutille.

Bien sûr, ce type baraqué en rajouta une couche, essayant probablement d’asservir son faux statut de mâle dominant de la plage. Désormais, un attroupement de se forma autours des deux colosses, avec entre eux, un Roger qui ne comprenait plus rien à la situation. Le botaniste fut choqué quand le poing de l’inconnu vint percuter le visage de cette jeune femme et il fut encore plus choqué quand il vit qu’elle ne sourcilla pas d’un millimètre. Pire, ce fut l’attaquant qui hurla comme si c’était lui qui avait reçu le coup.

Aussitôt, la jeune femme se mit en position de riposte, prête à frapper d’un instant à l’autre. La scène commençait à faire pas mal de remue-ménage sur la plage, l’attroupement s’agrandissant un peu plus. Touristes et Kalankais semblaient désormais avoir trouvé un spectacle amusant, comblant ainsi leur après-midi de farniente. Même le Noctali de la jeune femme paraissait friand de ce genre de scène, bondissant frénétiquement de droite à gauche. A l’inverse, Ambroise était affligé par ce qu’il voyait. Les humains se montraient parfois bien plus sauvages que les pokémons… Le chat s’étira mollement avant de se toiletter de manière désintéressée.

- (Pourquoi faut-il toujours que les humains se comportent de manière aussi dramatique ? On se croirait au théâtre.), soupira le félin, plus pour lui-même qu’autre chose.

En réalité, la boule de poils n’était pas la mieux placée pour critiquer. En matière de comédie, Ambroise possédait un talent inné qui ferait pâlir le plus talentueux des acteurs. Quant à Roger, il se décida enfin à réagir et s’interposa entre les deux colosses avant que les coups ne se perdent. Il ne le faisait non pas par galanterie -il avait bien remarqué que cette demoiselle se défendait mieux que lui- mais pour éviter que cela ne dégénère et complique la situation.

- Eh bien, ça ne sert à rien d’aller plus loin -puis il se tourna vers le colosse- Monsieur, nous sommes navrés que vous en veniez aux mains pour un château sable… Je ne sais pas si c’est vraiment à votre avantage de vous battre avec cette demoiselle.

L’inconnu fixa Roger d’un air mauvais, avec comme seule réponse un grognement. Le scientifique n’était pas un expert linguistique mais il suppose qu’il avait réussi à capter l’attention de ce charmant monsieur.

- Soit vous gagnez, dans ce cas je suis certain que votre enfant se fera une joie de raconter à sa mère l’écrasante victoire de son père face à une inconnue… soit vous perdez et, hum…

Le botaniste laissa volontairement sa phrase en suspend, espérant qu’il restait encore quelques neurones enfouis sous les muscles de cette épaisse brute. Finalement, l’homme se relâcha, non sans continuer à fixer alternativement Roger et la jeune femme. Il les jugea pendant un long moment -probablement qu’il fallait un certain temps à son cerveau pour traiter l’information- avant de prendre par le bras son enfant.

- Allez, fiston. On dégage d’ici… grogna-t-il. T’façon, ça m’aurait rien apporté de me fritter avec un Champion.

Roger tiqua sur la dernière phrase, regardant l’homme et son fils repartir bredouille. Puis en se reprenant :

- Désolé Messieurs-dames, il n’y a plus rien à voir par ici. Vous pouvez reprendre votre séance de bronzage comme il se doit.

Non sans quelques protestations, la foule qui s’était formée autours des jeunes gens se dissipa peu à peu. Roger se tourna ensuite vers l’inconnue, qui en était faussement une si cet homme disait vrai. Le botaniste devait bien avouer qu’il n’était pas très au fait des Champions actuels, la quête des badges ne l’intéressant absolument pas. Néanmoins, il n’était pas non plus naïf et connaissaient tous les privilèges qui découlaient de ce statut.

- Maintenant qu’on à ce souci en moins, on peut passer aux présentations. Je m’appelle Roger et vous êtes… ?

Ainsi Roger avait en face de lui la Championne Ténèbres. Selon elle, c’était la diplomatie du botaniste qui avait sauvé la situation… En y réfléchissant, le scientifique pensait qu’il n’y était pas pour grande chose. En revanche, le physique musculeux de Lior couplé à son statut était de meilleurs arguments pour éviter de lui chercher des noises. Oui, les paroles pleines de bon sens avaient leurs limites face à certains individus au sang chaud.

La jeune femme enchaîna rapidement sur la qualité discutable des photographies de Roger. Il ne pouvait que lui donner raison… même lui n’arrivait pas à reconnaître la plante qui était censée figurer sur le cliché. Les compétences photographiques du scientifique étaient aussi élevées que le champ lexical de la championne. Voilà qui ne l’avançait pas vraiment dans son travail…

- C’est une plante, normalement. Mais hum-

Roger reprit la photo, la retournant lui aussi sous tous les angles. Non, elle était beaucoup trop floue pour qu’il puisse en tirer quoi que ce soit d’intéressant. Le botaniste n’arrivait pas à distinguer les contours de son sujet végétal.

- Non, je ne suis pas photographe et encore heureux. Qui voudrait acheter ce genre de clichés ? ajouta-t-il en riant. Je suis botaniste et ces photos devaient m’aider à recenser la flore des marais… mais je suis bon pour tout recommencer, soupira-t-il.

Rien que l’idée de reprendre à zéro le dépitait. Pourtant, Roger aimait beaucoup son métier. Il n’y avait pas de doute, il s’y dévouait corps et âme. Néanmoins, il avait ses limites. Les marais attendraient. Pour l’instant, il préférait profiter du soleil, n’en déplaise à son teint blanchâtre.

- En tout cas, c’est la première fois que je rencontre un champion d’arène… et pour être honnête si vous ne vous m’aviez pas dit que vous en étiez une, je ne le saurais même pas, puis il se tourna vers l’équipe de la jeune femme qui semblait profiter de la plage, ceci dit, j’aurais dû m’en douter plus tôt. Vous avez de sacrés pokémons. Ils ont tous un nom?

Ainsi c’était à ça que ressemblait une équipe de champions. Le blond était réellement impressionné. Il ne s’agissait pas seulement de pokémons évolués, c’était carrément des bêtes de compétition. Littéralement. Tous ces individus dégageaient une espèce d’aura palpable. Le scientifique ne doutait pas qu’il fallait un caractère bien trempé pour se faire obéir par de telles créatures.

Pendant ce temps, Ambroise goûtait aux joies de la socialisation. Bien sûr, cela l’embêtait de marcher sur cette substance granuleuse… pourtant, il n’osait tenir tête au Noctali. Pas qu’il le craignait, non. Mais le Skitty connaissait son dresseur. Il essayerait de convaincre le chat de se montrer distant.

- (Bien, d’accord. Si tu insistes -puis il jeta un coup d’œil inquiet au Baggaïd, après tout il ne s’agissait pas de n’importe quel pokémon lambda. Mais tu es sûre qu’il ne me fera rien ?)

Il ne fallut pas beaucoup d’arguments pour convaincre Ambroise. Il suivit sa nouvelle connaissance jusqu’au lézard qui profitait paisiblement du sable chauffé par les rayons du soleil. Ensuite, le chat imita la renarde en grattant le sol pour commencer à recouvrir petit à petit le Baggaïd somnolent.

- Non, la quête des badges ne fait pas partie de mon programme… répondit-il en se secouant la tête. Du moins, pas dans l’immédiat, ajouta-t-il avec un sourire.

Qui sait ? Ne disait-on pas que seuls les imbéciles ne changeaient pas d’avis ? Roger n’était en rien réfractaire aux combats pokémons mais le temps lui manquait pour s’adonner à ce hobby. Il menait seulement des combats quand il se trouvait face à un pokémon sauvage… Pas de quoi en être fier.
Ensuite, la championne présenta avec enthousiasme chacun de ses compagnons de route. Du moins une partie, à ses dires tous ses pokémons n’avaient pas un tempérament aussi amical que sa Noctali. Voir Ambroise entouré de colosses amusa Roger… en espérant que le chaton ne se les mette pas à dos.

De son côté, le Skitty suivait, à contre-cœur, la Noctali dans sa bêtise. Ambroise n’était pas persuadé qu’il s’agissait là d’un bon plan. Si la farce ne plaisait pas au Baggaïd, il ne donnait pas cher de sa belle fourrure rose. A pas feutré, le petit félin contourna le prénommé Jirocho puis se mit à gratter le sable d’une patte mal-assurée. Comprenant que le lézard se trouvait dans une profonde torpeur, Ambroise commença à prendre goût à sa bêtise. Bientôt, il envoya avec plus d’entrain le sable sur le corps du Baggaïd.

Le Skitty creusa et creusa… puis croisa un regard sombre. Bien qu’agile, Ama fut plus rapide et le poussa en avant pour l’aider à s’échapper du lézard courroucé.

- (AAAH ! AU SECOURS !), hurla Ambroise, comprenant que la farce venait de se retourner contre lui.

Quant à Roger, il entendait surtout un miaulement suraigu. Heureusement, Lior s’interposa entre le Baggaïd furieux et les deux fauteurs de troubles. Sans broncher, la jeune femme contra le coup de son puissant pokémon avant d’agripper sa queue et de l’envoyer valdinguer. Une chose était sûre, elle n’avait pas volé son titre de Championne.

Peu fier de s’être montré ainsi en spectacle, Ambroise se cacha derrière les jambes de son humain. A l’inverse, sa comparse semblait avoir apprécié cette course-poursuite.

- (C’est ça rigole… j’ai bien failli MOURIR !).

D’un air désolé, le botaniste se secoua la tête. Une chance que Lior savait maîtriser avec brio ses pokémons, sinon il n’osait imaginer l’état dans lequel le Skitty se serait retrouvé. Sûrement en boîte de conserve…

- Parfois même pire, répondit Roger à la réflexion de la jeune femme. Et ne t’inquiète pas, Ambroise devrait s’en remettre.

N’en déplaise au chat qui s’était caché derrière les jambes de son humain. Au moins, cela lui servira de bonne leçon. Après tout, Ambroise n’était plus à une bêtise près.

- Pas de soucis, vous ne nous avez pas dérangé. Et puis, Ambroise se sera fait une nouvelle amie visiblement, fit le scientifique avec un sourire destiné au Noctali. A une prochaine, peut-être.

Sans plus tarder, Roger fila vers son transat. Au final, le botaniste n’avait pas avancé d’un iota sur son herbier. Quelle idée de travailler à la plage aussi…