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Le vélo. Qui aurait cru qu’un jour, ce moyen de locomotion serait le seul restant à l’humanité ? J’étais pourtant condamné faire ainsi, comme tous les autres. Longer la rivière Sancoki pour me rendre à Pignouse en usant des jambes de l’enfant comme unique moyen de propulsion. Quelle décadence. Heureusement, malgré son état la gamine a toujours ses muscles.
Hélas, ce ne sera pas suffisant. À peine ai-je foulé la route de cette traversée que ma roue avant se bloqua net en percutant quelque chose. Une boule mole, bien rebondie, et brune, que nombre de
boul’Armure avaient certainement renforcé avant son mauvais coup.
Encore elle ?... La Fouinette de tout à l’heure. Je n’ai pas de temps pour toi, insecte. Pourquoi t’acharner après avoir constaté ton inutilité ?
Elle semble plus réfléchie, cette fois. Sa hargne s’est calmée, scellée d’un premier échec au profit d’une attitude plus adaptée. D’un bond, elle grimpe sur le guidon tandis que je la fixe d’un regard plissé, ennuyé par sa présence. Que vas-tu faire, à présent ? Me frapper ? Tu sais ce qu’il adviendra. Nous serons tous les deux condamnés sur place, moi par impossibilité de conduire ce vélo, toi par impossibilité de m’atteindre. Elle semble en avoir conscience, au point de devancer cette fatalité sans perdre son temps à la provoquer. Elle attend, un sourire aussi mauvais sur les lèvres que celui qu’elle doit percevoir sur les miennes.
— Pourquoi t’acharner ? Nombre d’autres vivants seraient plus adaptés à tes mécréances.Elle me pointe du doigt. C’est moi qu’elle veut. Ou plutôt, non. Kata ? Qu’est-ce qu’une Fouinette vient faire là… Oh.
Une Fouinette ? Fouifi ? Serait-ce possible ? Avec tout ce chaos, la prisonnière de la team rocket serait parvenue à s’enfuir ? Mais quelque chose ne colle pas : pourquoi s’attaquerait-elle a… oh, non, oubliez. Tous les pokémon sont devenus fous, cela n’a rien d’étonnant qu’elle le soit tout autant. Faisons un test…
Les yeux de l’enfant perdent subitement leur éclat orangé. Le vélo s’échoue avec sa propriétaire, tous deux s’étalant dans l’herbe comme si la vie venait subitement de quitter l’enfant.
— Pitrouille.
— Fais-toi plaisir. Tant qu’elle reste en vie, le reste m’importe peu.
Les mirettes de la fouine éclatent d’un sadisme évident, tandis qu’elle bondit aux côtés de l’enfant comateuse, toutes griffes sorties. Cela risque d’être moche à voir. Mais il semblerait que la sadique veuille faire durer le plaisir. Et surtout… comme je l’ai deviné, elle voudrait d’abord réveiller sa cible pour la voir souffrir.
Une, deux, trois. Les baffes s’enchainent avec
souplesse de sa boule touffue sur l’enfant, assez fort pour réveiller un mort, bien que loin de la brutalité dont elle semble capable. Aucune réaction, si ce n’est un cercle rouge sur le visage de l’enfant.
— Pi ? Pipipi !
— Déçu ? Hahaha !
Pour la première fois depuis que j’ai abandonné l’objet de ses désirs, la fouine reporte son attention sur moi, aussi haineuse que si je l’avais privée de son jouet à nouveau. À quoi bon taper un simple sac de frappe ? Elle ne pleure pas, ne hurle pas… Ne la satisfait pas. Je secoue mes ailettes, assurant n’y être pour rien. Je me contente de profiter de la situation. L’instant d’après, je pénètre à nouveau ce corps pour l’obliger à se relever et reprendre le vélo.
— J’ignore quelle vengeance te pousse à de tels désirs, mais il te faudra patienter. Maintenant, au risque de te paraître brusque, je suis attendu par une demoiselle bien plus agréable.Tu parles. On ne se débarrasse par de la vermine ainsi. À peine le vélo est-il rétabli que la Fouinette rejoint le porte bagage et s’y installe. Il faut croire que je n’irais jamais nulle part sans qu’elle m’y accompagne, jusqu’à ce qu’elle aussi ait obtenu l’objet de ses désirs.
Le trajet est long, jusqu’à Bayette. Suffisamment pour me permettre de raconter à cette fouine l’histoire de cette nuit. Mais ce n’est pas à l’évocation du culte de l’ordre noir que la fouine lèvera les oreilles pour montrer son intérêt, mais bien à celui du mystérieux jeune homme qui accompagnait cette dame aux yeux rouges. L’enfant au patch sur la joue et son jumeau Métamorph. Aucun doute sur ce qu’elle me répond.
— Tu sais où ils sont ?...On dirait que mes plans vont se faire chambouler une nouvelle fois.
*****
Lorsque j’arrive à Pignouse, la ville est encore endormie. Enfin, en partie : personne ne dort vraiment depuis les rumeurs récentes, le chaos provoqué par les Pokémon et l’absence d’électricité. Les villes sont une jungle dangereuse, au même titre que les campagnes. Pourtant, je parviens à le retrouver.
— C’est un plaisir de vous retrouver, très chère.Je dépose mon vélo et m’incline d’une révérence devant Théa Louest, ou plutôt Phila Louest.
— Veuillez pardonner ce retard de ma part, une rencontre fortuite a interrompu ma traversée du canal. Je pointe du doigt la fouine, laquelle détourne le regard immédiatement, peu intéressée par cette nouvelle humaine. À quoi bon s’arrêter ici ? Selon elle, nous ferions mieux de poursuivre notre avancer jusqu’à Vigneaux.