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Le manoir de Vigneaux.
Depuis quand rêvais-je d’y venir ? Depuis ma mort. Depuis que ces pupilles orangées brillent à travers ma vue et éclairent ma non-vie d’une nouvelle existence.
Quelle ironie que j’y vienne finalement pour quelqu’un d’autre. Mais après-tout, n’est-ce pas là ce qu’une âme de metteur en scène se doit d’accomplir ? Tracer le destin d’autrui sans se soucier du sien, sans se mettre en avant ni espérer la moindre reconnaissance ?
C’est l’anarchie à Vigneaux. Je veux dire… plus qu’ailleurs. Les gens hurlent, crient, on entend le vacarme des affrontements au loin. Tout cela, nous l’avons ignoré. Cette haine qu’expriment humains et Pokémon en s’entredéchirant, que ce soit pour leurs convictions ou leur survie… Nous deux sommes bien au-delà de ça. Nos vies sont derrière-nous. La pitié, l’empathie et ces nombreuses faiblesses humaines nous effleurent à peine, tandis que notre ambition prédomine. L’ambition de sauver son enfant. L’ambition d’en savoir davantage. Ces ambitions nous éloignent du chaos de la ville et nous forcent à suivre une simple fouine, elle aussi déterminée.
Fouifi. Ses oreilles vibrent au rythme des combats lointains. Mais pas une fois elle n’a tourné la tête en direction de ces humains. Qu’ils meurent, tous. Qu’ils disparaissent un à un, tant qu’on lui rend ce qui lui appartient. Gabriel s’était moqué d’elle, avait tourné sa haine en dérision, persuadé d’y entrevoir autre chose de plus fusionnel. Quelle erreur. Il aurait mieux fait de ne jamais s’immiscer dans cette histoire. À présent, c’est au tour de la fouine d’apporter des troubles au garçon. Qu’elle a hâte d’assister à cette rencontre !
Car c’est bien une rencontre que nous prévoyons aujourd’hui, puisqu’il nous est impossible d’entrevoir les fils moqueurs du destin se riant de nous. La rencontre entre Ciboulette, Phila et Gabriel, dans l’espoir qu’elle aboutisse à d’autres plus ambitieuses.
Nous voilà devant les portes du manoir. J’y dépose les mains de Kata, constate leur immobilité, puis souris. Cela ne m’étonne point. Ce lieu est un lieu de deuil, de mort. Aucun vivant n’y pénètrera.
— Très chère, permettez-moi de vous ouvrir la voie une nouvelle fois…Mes yeux plongent tour à tour dans ceux de la magnifique Théa, puis dans ceux de Fouifi, illuminant leur existant du cauchemar d’
halloween. C’est ainsi que, tous trois en forme spectrale, nous pénétrons les lieux. Fouifi avance d’une démarche fière, la tête haute, plus que satisfaite d’avoir passée cette barrière qui lui fut destinée sitôt que Gabriel l’a mis dehors. Personne ne lui interdit d’aller où que ce soit ! Certainement pas un gamin prétentieux.
Pour ma part, je me montre respectueux, comme à mon habitude. Je sais où nous entrons. Je sais ceux qui nous y attendent, autre que ceux que nous souhaitons y trouver. Il est de notre devoir de spectre d’être respectueux envers nos ainés…
Je prends la parole, haut et fort :
— Habitants du manoir, pardonnez cette irruption soudaine. Je me nomme Ciboulette, metteur en scène de cette comédie qu’est la vie.Je m’incline, puis laisse Phila se présenter comme elle le désire avant de reprendre.
— Notre… "amie" commun nous a guidé jusqu’ici. Il semblerait qu’un certain Gabriel et potentiellement d’autres de ses camarades aient pour coutume de vivre en ces lieux, en votre compagnie. Loin de nous l’idée de troubler votre tranquillité, nous espérions simplement pouvoir nous entretenir avec l’un d’entre eux.J'observe les murs de la pièce, attendant une réaction. Je suis presque sûr qu'ils nous écoutent... reste à espérer qu'ils acceptent de nous recevoir.