Saison Un

: Obscure Prophétie

La fatigue commençait à peser sur les épaules d'Anty qui n'avait quasiment pas dormi depuis les derniers jours. S'il en avait l'habitude, les émotions traversées tout du long en rajoutaient énormément et le lieutenant se concentrait pour garder une bonne allure. Surtout, il ne devait pas flancher devant la jeune fille alors il tâchait de garder la tête haute et de ne rien montrer de sa fatigue en dépit de ses cernes apparentes. La nuit arrivait, apportant avec elle la fraîcheur nocturne de l'automne. Des frissons glissèrent le long des bras du jeune homme qui observait les habitations de Pignouse, silencieuses. Comme à son premier passage, il n'y avait pas âme qui vive. Les gens semblaient cloîtrés et ce, à raison. Anty tourna légèrement la tête vers Adèle en voyant qu'elle se rapprochait, alors il ralentit légèrement afin qu'ils restent à la même hauteur, comprenant qu'elle souhaitait lui parler.

La lieutenant l'observait de ses prunelles céruléennes, attentif. Ce qu'elle disait là, ce n'était qu'un moyen de l'emmener plus loin dans une réflexion. La regardant du coin de l'oeil maintenant, il ne pipa mot, attendant qu'elle poursuive sur sa lancée, sur sa confidence nocturne. Ce qu'elle disait là, il comprenait. Après tout il était agent de la maréchaussée depuis quelques années maintenant et il avait déjà vécu une telle situation. Sauver un être qui, dans le futur, se retourne même contre toi. Anty détourna son regard de la jeune femme pour regarder la route, laissant sa voix grave et posée se glisser jusqu'à la demoiselle.

« Non, je ne pense pas. Ce qui compte, c'est ton acte sur le moment, tu ne pouvais pas savoir à cet instant que tu sauvais une personne qui allait s'avérer aussi cruelle. Quand tu l'as sauvé, c'était une bonne chose, tu as fais un acte de bienveillance.  » Fit-il simplement, effectuant une courte pause avant de reprendre. « C'est au contraire très bien que tu ne culpabilises pas car tu n'y es pour rien. Moi aussi j'ai déjà sauvé des personnes que deux semaines après, j'arrêtais pour diverses raisons. Les humains sont malheureusement irrécupérables. »

Déclara le lieutenant avec, peut-être, une once de fatalité. Lui non plus n'avait jamais culpabilisé puisqu'il partait d'une intention bonne, ils n'étaient pas responsables des actes des autres après tout. Ce n'était pas de leurs fautes si l'Humanité était si douée pour se montrer aussi destructrices pour les uns et pour les autres.

Son regard se posa sur un tableau d'affichage se trouvant à quelques mètres d'eux alors il fit signe à Adèle de ralentir. Avec la malédiction les informations se faisaient exclusivement par les tableaux d'affichages et les rumeurs, est-ce que de nouvelles choses avaient été placardées ? Anty arrêta son vélo et le posa sur le sol, s'avançant vers le tableau éclairé par une lanterne.

« Hm, la maire forme donc la milice citoyenne, ça y est. Tu comptes en faire partie ? Si oui, nous allons rapidement te trouver de bonnes armes. »

Fit-il en se détournant vers Adèle, bras croisés. Peut-être pourraient-ils même finir de se reposer ici, récupérer des armes demain et retourner à Carcacrok. Il avait besoin de repos pour être plus efficace. Il y avait aussi le musée... Est-ce que le trio avait pu récupérer de bonnes informations ? Il aurait aimé y aller mais le temps avait été trop court pour lui. Son regard se dirigea vers le bâtiment qui se trouvait non loin. De nuit, ceux qui y travaillaient y étaient-ils toujours ?

La demoiselle n'avait pas tort, en particulier quand on considérait le court laps de temps qu'ils disposaient pour apprendre à manier des armes à feux. Anty l'écouta avec attention et un très léger sourire se dessina sur ses lèvres tandis qu'il hochait la tête d'un air entendu. Si elle savait manier cette arme, c'était le principal, le bâton n'avait pas l'air aussi redoutable qu'une hache ou un pistolet mais sous les doigts d'une personne expérimentée, il pouvait tout aussi bien être puissant. Le lieutenant retint un bâillement, le poing devant la bouche et pendant ce temps, Adèle poursuit. Oh, elle souhaitait devenir Ranger ? Voilà un noble devoir. La petite semblait de très bonne volonté et c'était plaisant. Peut-être que d'une certaine manière, elle lui rappelait Vivia. Comme quoi, la jeunesse n'était pas perdue avec des jeunes comme elles. Ah, il pensait encore comme s'il était dans la quarantaine alors que lui-même n'était pourtant pas vieux... Peut-être était-ce parce qu'il avait déjà vu et vécu trop de choses à son goût ?

« Très bien, je verrais pour nous inscrire à la milice du coin, je verrais pour prendre son mon aile d'autres personnes intéressées. En attendant, ta proposition me plaît. L'adrénaline est redescendue et le manque de sommeil se fait sentir. »

Avoua Anty dans un léger soupire. Ils rejoindraient Carcacrok demain puis de toute façon, il doutait que Técla et Lior soient déjà à Frîme. Peut-être aussi que les sages les avaient dirigé vers un autre lieu, qui sait ? Dans tous les cas il était presque impatient de mettre la main sur elles pour savoir ce qu'elles avaient découvert. Il fallait aussi se préparer pour infiltrer le Lac du Souverain, si jamais la mairesse n'avait pas pu obtenir d'autorisation du Roi. Tant pis s'il brisait la loi pour une bonne cause. Il y avait quelque chose là-bas et il devait en avoir le coeur net. Dès demain s'il le pouvait. Son regard bleu se leva vers les cieux qu'il observa quelques instants, pensif. D'une voix un peu lointaine, il parla à nouveau.

« Demain nous irons parler à madame Estem, la nouvelle maire. Mieux vaux que nous ayons tous nos esprits pour cela. Je te suis. »

Anty redressa son vélo et remonta dessus, prêt à suivre Adèle, démarrant dès qu'elle le fit. Il se hissa presque à sa hauteur, du côté gauche.

« J'aimerais faire un détour par le musée, ça te vas ? Je voulais y aller avant d'aller à Vigneaux mais je n'ai pas pu. Peut-être qu'on aura d'autres informations intéressantes à donner aux autres. »

Après tout, la nuit n'était pas encore complètement là, pas vrai ?