Lizbeth Estem Dim 25 Oct 2020 - 10:49
- M'dame la maire, pouvez v'nir voir là ?
D'ordinaire pâle, le teint de Lizbeth s'était fait crayeux, et si la fatigue y était aussi pour quelque chose, ce n'était pas le seul facteur. Les mois d'abandon avaient laissé leurs traces, et les pokémons qui s'étaient installé ici avec, manifestement, et cela faisait déjà des heures que tous dans la centrale s'affairaient de toute part. Pour autant, elle écouta attentivement ce que le technicien lui expliquait de son parlé bref, au rythme rapide, et identifia rapidement ce qu'on lui montrait.
- Oui je vois, il faudra remplacer l'isolant de ces lignes, je m'en souviendrai. Tout ce qui n'est pas tout à fait urgent doit être remis à un peu plus tard.
- Ouaip', ouaip'... Oh ça c'est pigé, m'dame la maire.
Et sans plus de cérémonie l'homme retourna à son travail, ce que la scientifique n'aurait su lui reprocher, et tourna les talons après quelques secondes. Sous ses pieds, une affreuse sensation se fit à nouveau sentir, sensation qu'elle tenta de juguler autant que possible jusqu'à ce qu'elle passe. Dans le même temps, elle cherchait désespérément à ne pas laisser son regard trop traîner sur certains détails autour d'elle, son nez ne pas trop se concentrer sur une odeur qui semblait s'insinuer partout. Malgré les relents gras et acres de l'huile des machines, malgré le remugle soufré de la géothermie que la centrale exploitait, malgré même tous les ouvriers qui s'activaient, suaient, soufflaient... La fade et écœurante odeur du sang lui collait aux narines.
Reprendre la centrale avait été difficile, très difficile. Les nouveaux occupants y étaient non seulement très peu enclins à laisser les humains reprendre l'activité, mais même féroce dans la défense de ce qu'ils considéraient comme leur territoire. La situation eut-elle était autre, faire comprendre aux pokémons qu'ils devaient quitter les lieux aurait pu être possible sans recours à la violence, ou à peine. Mais ici... Après quelques tentatives infructueuses, les gardes royaux avaient respecté les ordres : reprendre la centrale au plus vite.
Protégés par les combinaisons isolantes que Lizbeth avait conçu, ils avaient menés une véritable guérilla sanglante. La jeune femme pouvait ordonner autant qu'elle le voulait "pas de morts inutiles", cela ne pourrait pas sauver tous les monstres agressifs. Derrière eux, les volontaires citoyens et les ouvriers de la centrale laissaient à tous le reste des pokémons la possibilité de fuir, l'encourageaient même activement. L'assaut, brutal, n'e s'était heureusement pas éternisé, mais... Le poids de cette victoire pesait sur la maire comme autant de cadavres entassés sur ses épaules. Un tas de corps, elle en avait vu un ce matin, avant que les gardes royaux n'y mettent le feu, moyen le plus rapide d'assainir le tout. La blonde était partie avant d'en sentir l'odeur, se réfugiant dans la centrale, ici c'était le sang qui la poursuivait.
Et à travers la puanteur des blessures et de la mort, un flot d'émotions affreuses se déversaient en elle, un flot difficile à bien contenir. Même s'ils avaient fait leur possible pour éviter le pire, cette opération, succès ou pas, était un terrible massacre, une horreur qui n'aurait jamais dû advenir. Avec l’électricité, sauver la vie des mistralois devenait d'autant moins difficile, mais si peser le pour et le contre était aisé, lorsqu'on posait les choses sur une table, entre personnes intelligentes et responsables, se prendre en pleine figure ce que les conséquences impliquaient faisait mal, terriblement mal.
Mais ce qui la rongeait sans doute le plus, c'est que, alors que tout cela lui assaillait les sens, Lizbeth ne pouvait qu'admettre que, malgré tout, ils ne pouvaient faire autrement. Trouver un moyen de briser la malédiction risquait de prendre du temps, beaucoup de temps, bien trop de temps quand la situation pressait à ce point. La jeune femme était sûre d'avoir pris la moins mauvaise décision, mais elle lui était déjà à la limite de l'insupportable. Mieux valait s'activer plutôt que se morfondre.
- Allez Betliz, un peu de nerf !
Une chose était certaine, ce n'était pas en s’apitoyant encore et encore qu'elle pourrait éviter de plus de sang ne soit versé. La lourdeur du tribut payé pour cette minuscule victoire ne devait pas l'arrêter, mais au contraire lui insuffler le courage de faire en sorte qu'une chose pareille ne se produise plus. En tant que Maire et en tant que mistraloise, elle avait déjà remercié tous ceux qui avaient permis ce succès, son travail à la centrale était déjà terminé, et elle avait bien trop traîné, laissant sa curiosité prendre le dessus dans un moment de faiblesse. Lizbeth était loin, très loin d'en avoir fini, et pour continuer elle allait devoir rejoindre le siège administratif d'Arnac-le-Peuple.