Saison Un

: Obscure Prophétie

Il y avait toujours eu des matins gagnants et des matins perdants.
Après une semaine de nuits partielles et agitées, Frann avait enfin pu trouver le repos. Et en ce début de week-end, se promener dans les rues de Vigneaux avait un goût de redécouverte. Pouvoir profiter du monde sans avoir l'impression d'être renfoncé dans ses orbites, c'était toujours quelques chose ! Il n'avait plus l'habitude.
Même Horace avait traîné dans le lit. Et d'ailleurs, lorsque son maître lui avait gentiment intimé de se lever pour l'accompagner à l'extérieur, le Chaglam lui avait offert le plus fainéant de tous les miaulements. Un non catégorique, donc, que Frann n'avait pas eu le choix d'accepter. Si ces deux s'entendaient relativement bien, ou du moins se toléraient et parvenaient même à dormir ensemble, le Pokémon avait toujours eu un sale caractère, et l'étudiant en lettres classiques savait bien qu'il était inutile d'aller à son encontre. D'ailleurs, lui-même propriétaire d'une personnalité coriace était assez bien placé pour le comprendre… Mais ce n'était certainement pas cet élément qui le poussait à accepter que son félin favori se vautre le reste de la journée dans ses draps, non, – la fainéantise ne faisait pas partie de son vocabulaire – mais plutôt son manque flagrant d'autorité. Frann l'admettait à contre-cœur : il n'était pas un bon dresseur, et d'ailleurs, il ne comptait pas forcément l'être. Mais chaque désobéissance semait tout de même un brin d'orgueil blessé dans sa poitrine : décidément, il n'y arriverait jamais.

Ce n'était pourtant pas dans son habitude de baisser les bras aussi facilement. Pour Horace, comme pour Ovide, d'ailleurs.
Quelques semaines plus tôt, il avait découvert cette énorme Mimigal sur sa couette, un matin de lourd sommeil. L'arachnide était sans doute entrée dans l'appartement par une fenêtre qu'il avait oublié de fermer – et d'ailleurs, il s'en était fortement voulu. Dès lors qu'il s'était trouvé face à cette créature cauchemardesque, cette dernière, contente de l'attention qu'il lui accordait, n'avait plus jamais voulu le quitter. Une véritable tête de mule, elle aussi ! Il lui tenait désormais compagnie en toute occasion, refusant bien souvent de rentrer dans sa pokéball (que Frann lui avait accordé à contre-cœur, voyant là le seul moyen de s'en débarrasser temporairement). Sa méthode était simple : sécréter une substance collante pour rendre l'objet inutilisable. Et la manœuvre dégoûtait tellement son dresseur que c'était une victoire éclatante à tous les coups.

Aussi, Frann s'était une fois de plus laissé faire, ce matin-là. Ovide avait sans souci retrouvé sa traditionnelle place sur son épaule, malgré l'horreur profonde de son propriétaire. Et de ce promontoire, elle observait gaiement le monde, et se collait contre le cou de son humain favori dès lors qu'une jeune fille croisée dans la rue la dévisageait le visage déconfit.
Il y avait là un véritable amour à sens unique, peut-être même digne d'un roman… Mais dans ces moments, Frann ne pensait pas littérature, mais plutôt self-contrôle. Ne pas se tordre dans tous les sens tant la sensation de ses pattes sur sa peau le dérangeait. Ne pas la chasser violemment, de peur de se confronter à de terribles représailles, et peut-être pire : en avoir pitié.
Il essayait tant bien que mal de garder son calme, et de s'habituer à cette présence parasite. De toute évidence, il n'avait pas vraiment le choix. Alors, il devait s'adapter : il n'y avait pas d'autre solution.

Cette sortie matinale avait plusieurs objectifs.
Le premier : prendre l'air et calmer son esprit en ébullition en cette période chargée en examens. Enfermé dans son appartement, avec ses livres et ses notes, Frann avait parfois l'impression de devenir fou – si ce n'était pas déjà le cas. La seconde et la plus évidente : fêter ce jour rare et inédit ! Il était reposé, et ça, ça lui changeait la vie. Enfin, et sans doute la plus logique : effectuer quelques courses et se rendre à la bibliothèque pour tenter de trouver dans le chaos semé par les derniers évènements un livre dont il avait terriblement besoin… Ce dernier demeurait à son esprit à bonus auquel il ne croyait guère.

Alors, il s'était engagé dans une rue commerçante, puis sur une place bondée où quelques stands chargés de fruits et de légumes avaient ouvert leurs portes. Comme les autres passants, il s'était massé devant les étals et avait acheté quelques provisions pour les trois jours à venir… Même si ce n'était pas toujours simple, il essayait de garder une alimentation saine.
La vendeuse avait un poil sursauté en découvrant la Mimigal sur son épaule. Mais cette dernière avait su jouer de ses mandibules pour l'amuser, et obtenir en cadeau une jolie baie fraive pour ses charmes pour le moins étonnants… 
Refusant catégoriquement que cette petite emmerdeuse salisse ses vêtements – notamment sa chemise blanche qu'il avait repassée avec une grande difficulté – Frann l'avait donc fait descendre et s'était éloigné avant même qu'elle n'eut fini son petit déjeuner.

Cruel, peut-être. Mais c'était tout lui.

Et, lorsque Mimigal s'en était aperçue, toute affolée, elle avait essayé de retrouver son dresseur parmi cette foule grouillante. Elle était donc montée sur un lampadaire pour observer la place d'un plus haut point et Frann, s'étant arrêté un peu plus loin soudain pris de remords, n'avait pas été difficile à apercevoir… Alors, agile et méthodique, Ovide s'était laissée retombée suspendue à un fil de sa création… Et avait rejoint son maître au pas de course…
C'était ainsi qu'ils avaient repris leur chemin, après que l'étudiant ait laissé remonter sa créature sur son épaule fine que les pattes effilées des arachnides effrayaient plus que tout autre chose…

De cette façon, un véritable fil d'Ariane, solide et étirable, s'était tissé sur leur route… Du lampadaire jusqu'à eux, on pouvait les suivre à la trace. Et prenant la direction de la bibliothèque, Frann ne s'était pas rendu compte de ce petit "détail" qui lui valut pourtant une bonne frayeur… 
Tout avait commencé par une étrange sensation… Celle d'être suivi. Plusieurs fois, il s'était retourné, et plusieurs fois il ne lui avait semblé voir personne.
Accusant son esprit de paranoïa et fabulation, il avait repris sa marche silencieuse comme si de rien n'était…
Mais, cédant à une pulsion incontrôlable, le jeune homme avait finalement fait une dernière fois volte-face pour se trouver nez-à-nez avec une drôle de jeune fille, qui semblait juger son épaule tout à fait passionnante !

Son regard dut à cet instant précis traduire un étonnement peu commun, et il eut un léger mouvement de recul, bientôt suivi d'un froncement de sourcil particulièrement convaincant. Sa langue se délia tout aussitôt, seul moyen de défense qu'il avait toujours su utiliser à bon escient – et parfois même un peu à outrance – :

━ E-Eh ! Dites, c'est quoi votre problème, au juste…? On ne vous a jamais appris que c'est très impoli et très étrange de suivre les gens comme ça ?

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Décidément, les gens manquaient réellement de savoir-vivre. C'était monnaie courante, aujourd'hui… Frann s'interrogeait sur un tel phénomène. Quelques années plus tôt, ou du moins dans la ville de Roc-Amandour, on se comportait beaucoup mieux… Mais c'était peut-être dans l'air du temps. Après tout, plus personne ne se préoccupait de la politesse : tous fonçaient tête baissée, décidés à vivre coûte que coûte. Les derniers évènements avaient fait évoluer les façons de penser et Frann lui-même s'était senti changer. S'était-il plus ouvert aux autres ? Peut-être un peu. Sans plus, après tout. Ou du moins, il n'en avait pas l'exacte impression. Pourtant, d'un point de vu tout à fait objectif et extérieur, cette transformation dans sa personnalité, et plus particulièrement dans son rapport à autrui était plus qu'effective.

Bien sûr, il y avait encore des ratés. Comme avec cette jeune fille qui s'était permise de le suivre et de le coller de la sorte. Une drôle de gamine, qui à première vue avait quelques années de moins que lui… Ses grands yeux étonnés, et par la suite quelque peu honteux, travaillèrent d'autant plus le garçon : s'était-il trompé…? Non… Elle le suivait à la trace, il n'y avait pas à douter… Alors pourquoi un visage aussi contrit ? Il y était peut-être allé trop fort…? Oh, après tout, elle n'avait qu'à s'excuser, et tout irait bien. Il reprendrait sa route normalement et ne se préoccuperait plus de cette histoire sans importance, surtout chargé de sacs de légumes comme il pouvait l'être, et avec la ferme intention de rejoindre la bibliothèque.

On disait très habituellement que l'erreur était humaine. À première vue, l'impolitesse aussi. Il pouvait arriver d'avoir un comportement déplacé : ce n'était certainement pas la fin du monde, et même lui, Frann Parlet, passerait facilement à autre chose – après avoir vérifié, bien sûr, que tous ses papiers étaient encore en place. D'ailleurs, à cette pensée fugace, il entreprit une rapide recherche dans ses poches, les frottant pour sentir son porte-feuille se dessiner sous l'épaisseur du tissu… Tout allait bien, visiblement. Alors, il était sincèrement rassuré.

Son visage se détendit un peu plus aux excuses de la demoiselle. Sa présentation rapide, quant à elle l'étonna. Premièrement, il ne lui avait rien demandé, et il ne comptait certainement pas passer le reste de sa précieuse après-midi à faire la causette avec la plus parfaite inconnue. Quelle drôle d'idée. Ensuite, bien sûr, quand les mots puis les phrases se reconstituèrent dans son esprit, et qu'il les associa à un sens concret, ses fins sourcils noirs s'arquèrent très légèrement : Adèle ? Éleveuse de type poison… Mimigal, araignées…?
Beaucoup d'informations d'un coup, dont une, plus particulièrement, qui lui donna des frissons rien qu'à sa mention.
Frann s'apprêta à rétorquer qu'il comptait bien oublier l'affaire et reprendre tranquillement le cours de son après-midi… Mais ce drôle d'aveu le souffla, et suspendit ses mots avortés dans le creux de sa gorge. Il referma donc la bouche et sentit son araignées favorite s'agiter sur son épaule, visiblement toute heureuse qu'on vienne à parler d'elle :

━ Ah… Mais… Euh… Oh. Et donc…?

Et donc… Il l'avait perdue. Tout simplement. Adèle, cette chère Adèle, était déjà à des années lumières, en tête à tête avec le seul être témoin de tout cet échange, Ovide elle-même, qui remuait ses petites mandibules en signe de contentement.
Le jeune homme ne put retenir un léger soupir, et grimaça aux dires de la demoiselle. Mignon…? Ça…? Décidément, les Hommes l'étonneraient toujours, surtout par leurs différences flagrantes… Lui jugeait Ovide particulièrement effrayante. Lorsqu'il la trouvait à ses côtés le matin, il lui arrivait encore d'avoir un mouvement de recul… Et rien que de voir bouger les petites pattes délicatement articulées de la créature, un long frisson de dégoût le prenait à n'en plus finir ! Avec cette Mimigal, et ses petits mouvements, gestes et attentions insupportables, de très mauvais souvenirs émergeaient à nouveau.

Aussi Frann se trouva-t-il bien en mal de dire quelque chose de sensé… Il réfléchit un court moment, cherchant toutes les phrases banales qui pourraient s'adapter à la situation, mais aucune ne lui sembla réellement appropriée.
Alors, aussi nature que possible, il décida d'exprimer son trouble avec une grande simplicité :

━ Vraiment…? Je n'ai rien fait pour, pourtant… Dans vos passionnantes recherches, vous pouvez sans doute trouver une explication à ce comportement ? Elle est venue à moi, et depuis, elle ne veut plus me lâcher. Un long soupir exaspéré franchit la barrière de ses lèvres tandis que la grosse arachnide n'hésitait plus à monter sur sa nouvelle ami, au grand soulagement dissimulé de son dresseur. Ce qui est très étrange, évidemment, car je n'aime pas du tout les araignées. J'en ai même une sainte horreur. Mais… Il faut reconnaître que c'est un gentil Pokémon.

Il observa un instant la Mimigal faire son petit bout de chemin jusque sur les épaules de la jeune fille, et ses lèvres se pincèrent en un rictus du plus parfait dégoût, mêlé, bien malgré lui, à un peu d'amusement. Puis, après un certain temps de silence, il se reprit, comme frappé par la foudre :

━ Mais nous n'allons certainement pas vous déranger plus longtemps. Après tout, vous devez avoir autre chose à faire de vos journées. Ou plutôt… J'ai moi-même un planning chargé, vous comprenez…? Il prit un ton quelque peu sardonique. C'est bien dommage… J'aurais presque été ravi de discuter arachnide avec vous…

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Frann fit signe à Ovide de remonter sur son épaule. Il lui tendit même le bras, chose qui était rare : habituellement, la pauvrette devait se débrouiller pour avoir accès à cette partie de son corps. Pour autant, la créature ne sembla pas décidée à obtempérer. Non, loin de là. Le jeune homme fronça un peu les sourcils, insista par un signe de tête un peu autoritaire… Et soupira en découvrant l'entêtement de la Mimigale et le regard peiné de la demoiselle. Sérieusement…? De toute évidence, oui.
Si l'étudiant en lettres s'offusqua d'abord intérieurement du toupet de la jeune femme, il prit un peu de distance et se rendit bien vite compte du ridicule de son propre comportement. Pourquoi fuir aussi vite cette inconnue alors qu'elle se montrait tout à fait aimable…? Certes, elle était arrivée comme un poil de Couaffarel sur la soupe… Mais elle s'était excusée et expliquée ; ces justifications auraient dû lui suffire. La mine sombre du garçon s'éclaircit un peu, et il parut soudain bien embarrassé. Embarras qui augmenta lorsque Adèle lui dit sans aucune retenue la déception que lui causait leur départ prématuré. Mimigal se logea d'ailleurs dans son cou, bien décidée à rester avec cette nouvelle amie qui elle, au moins, lui montrait de l'affection.

Ce fut en croisant la paire d'yeux de l'arachnide que Frann comprit finalement la pointe de colère qui serrait à cet instant précis sa gorge et l'empêchait de se montrer plus ouvert et clément. Il y avait là un peu de jalousie, mêlée à un sentiment d'échec. Pourquoi lui, Frann Parlet, pourtant issu d'une illustre famille, n'arrivait-il pas à tolérer une simple araignée ? Ce n'était pas le bout du monde, pourtant. Et bien sûr, il fallait que le seul pokémon qui l'apprécie réellement soit sa pire phobie…
Rien que de penser à ces petites pattes grouillant sur sa peau, il eut un frisson.
Quel dresseur il faisait…! Le pire d'entre tous. D'ailleurs, les garçons comme lui, on ne les appelait même pas des dresseurs. Un simple citoyen qui se croyait capable d'élever des pokémon – à tort –, oui, mais rien de plus.
Et c'était frustrant. Oui, terriblement frustrant pour quelqu'un qui appréciait réussir dans tout ce qu'il entreprenait. Mais il fallait bien l'avouer : personne n'était capable d'une telle prouesse. Et même si c'était difficile à avaler, l'étudiant ne pouvait rien y faire. Il y avait deux grands échecs dans sa vie : les sciences, et les Pokémon. Et les deux lui causaient une honte mordante. Parfois, il se disait même qu'il aurait préféré briller dans ces disciplines, et être pitoyable dans tout le reste. Il était certain que, si cela avait été le cas, il aurait obtenu plus de considération de la part de sa famille. Et il se serait senti fier.

Toujours était-il que son comportement actuel était irraisonné, et peut-être même un peu puéril. Et ça, à vingt ans et des poussières, ce n'était plus possible. Il devait se comporter en adulte, désormais. Aussi adoucit-il sa voix pour répondre à la demande d'Adèle, détendant par la même occasion les traits de son visage, et cessant également de réclamer un retour précoce de sa Mimigal sur son épaule :

━ Euh… Si vous voulez, oui…? Mais vous savez… Je ne suis pas sûr d'être un très bon interlocuteur sur ce sujet… Et… Que voulez-vous savoir au juste ? J'ai bien compris que ce n'est pas moi qui vous intéresse…

Frann, aussitôt ces mots dits, eut un instant de doute qui coupa le flot de ses paroles tout net. Ses joues se parèrent d'une teinte carmin en croisant le regard de la jeune femme, et il fit de ses mains quelques gestes précipités comme pour dissoudre un malentendu :

━ … Et d'ailleurs cela m'est très fortement égal ! Mais… Bref ! Je n'ai pas beaucoup d'informations à vous apporter, vous savez ? Si ce n'est que j'ai trouvé cette Mimigal dans mon lit un matin, et que depuis, elle refuse de me lâcher… Ah, l'heure tourne. Vous… Voulez m'accompagner à la bibliothèque, peut-être ? Et au fait… Je m'appelle Frann.

Proposition désespérée pour répondre à une vaine tentative de concilier discussion forcée et efficacité. Il ne se sentait plus l'aplomb d'abandonner Adèle à ce stade de la conversation, d'autant que s'il devait lui donner son numéro de Pokématos, ce ne serait que partie remise. Car, bien évidemment, il ne refuserait pas de lui partager son contact… Elle l'avait demandé si poliment, et avec un tel ton déçu, qu'il ne pouvait se résoudre à lui claquer la porte au nez.
Il fit donc mine de se remettre en route pour voir si elle le suivait, et continua sa petite tirade d'une voix plus calme, et assez monotone :

━ … Enfin… Voilà. Je ne sais vraiment rien de tout ça. Et en plus, j'ai une peur bleu des araignées, je ne plaisante même pas. Je ne suis pas sûr d'apprécier l'idée d'en voir d'autres, d'ailleurs. Il jeta un coup d'œil méfiant à son Pokémon qui semblait bien s’accommoder de cette nouvelle hôte, et haussa un sourcil, vraiment surpris. En tout cas… Ovide semble vous avoir adoptée… Et vous pensez vraiment ce vous avez dit…? Qu'elle m'apprécie…?

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De toute évidence, l'approbation de Frann faisait plaisir à la demoiselle. Il n'en fut pas plus content, mais s'accommoda de la situation. Après tout, il y avait du bon dans le fait d'être accompagné par une parfaite inconnue : le temps d'un petit quart d'heure, le jeune homme s'évitait la sensation désagréable des pattes poilues d'Ovide contre son cou ; en ça, il était plutôt reconnaissant envers Adèle, même si les bons sentiments, pour peu qu'ils étaient sincères, s'arrêtaient là.
Bien sûr, l'étudiant manifestait un certain intérêt pour des connaissances qu'il n'avait pas : c'était dans son caractère. D'un naturel plutôt curieux malgré ses grands airs d'indifférence, Frann aimait bien souvent avoir réponse à tout. Et comme cela n'était pas tout le temps possible, obtenir explication par la bouche d'autres personnes lui était bien évidemment d'une grande aide.

Le comportement d'Ovide, il ne se l'expliquait pas. Et d'ailleurs, il n'avait jamais vraiment cherché à se l'expliquer. Du dégoût, de la crainte, de l'incompréhension, c'était tout ce qu'il y avait entre eux. Pas d'enquêtes, pas d'interrogations approfondies, seulement des faits : la Mimigal, depuis leur rencontre surprise, n'avait jamais accepté de rentrer dans une pokéball. Pire encore : elle insistait toujours pour accompagner Frann partout où il se rendait, et voulait à tout prix se tenir bien fière sur sa frêle épaule.
Alors, qu'elle accepte de le quitter pour une inconnue… C'était tout bonnement incroyable. Et cet étonnement, le garçon le dissimulait à peine : oh, il n'était pas jaloux, non. Pas même un poil irrité. Seulement troublé par ce soudain revirement : pour obtenir un tel résultat, Adèle devait vraiment bien s'y connaître. Ou alors, dégager quelque chose, un petit je-ne-sais-quoi qui plaisait à l'arachnide.
Peu importait, au fond. C'était seulement très intrigant, et c'était avant tout pour cette raison – et surtout pour ne plus avoir à se confronter au visage déconfit de la demandeuse – que Frann acceptait sa présence, et même d'engager une légère conversation avec elle.

Il l'écouta donc très attentivement, acquiesçant lorsqu'il jugeait son analyse juste, et pinçant un peu les lèvres en entendant ses derniers mots. Lui donnerait-il une chance ? Allait-il pouvoir passer outre sa phobie ? Quelque part, s'il se plaignait beaucoup de l'arrivée d'Ovide, il ne s'imaginait pas la chasser avec virulence. Au début, il l'avait poussée à partir, mais il n'y avait rien eu à faire, alors qu'ils se connaissaient à peine. Alors, maintenant… Maintenant, ce serait comme arracher le cœur de la pauvrette ; la priver d'un foyer qu'elle avait certes fait sien sans autorisation, mais au sein duquel elle avait décidément pris ses marques.
Le brun était certes terriblement râleur, voire un peu comédien, appréciant toujours hyperboliser son quotidien et le rendre plus désagréable qu'il ne l'était, mais il n'était absolument pas cruel. Bien au contraire. La seule vue d'Ovide arrivait encore parfois à le terrifier, mais bien malgré lui, il avait fini par s'attacher à cette petites menaces à six pattes. Ce n'était certainement pas l'amour fou, mais tout n'était pas perdu.

Aussi se sentit-il obligé de clarifier ses intentions : non, Frann ne l'abandonnerait pas. Mais de la bonne volonté, il en déployait déjà bien assez :

━ Je sais tout ça, oui. Et je sais aussi que je ne supporte pas avoir la sensation que quelque chose m'échappe… Je vais essayer de persévérer, et surtout de dépasser cette peur pour pouvoir accepter Ovide sans trop de problème. Mais ce n'est pas facile du tout. Je suis d'ailleurs sincèrement soulagé qu'elle soit sur votre épaule plutôt que sur la mienne.

Il esquissa un léger sourire un peu tordu et ralentit sa démarche, prenant progressivement ses marques dans cette conversation. Son sac de légumes toujours à bout de bras, il bifurqua dans une grande avenue bondée, où de nombreux cafés accueillaient des clients en terrasse.
Pris d'une soif pressante, sans doute après avoir autant parlé, Frann tenta de capter le regard vert d'Adèle, et lui désigna finalement un petit bar d'un geste timide du menton :

━ Peut-être voudriez-vous boire quelque chose…? Pour me faire pardonner ma première impolitesse. Je suis un peu raide, parfois, mais il ne faut pas m'en tenir rigueur. Quant à votre proposition d'échanges de numéros…

Frann soupira et avisa sa Mimigal, qui semblait ravie de la tournure que prenaient les évènements. Il avait bien une petite idée, mais était-ce raisonnable ? Il repensa un instant à son projet de partir sur les routes pendant ses grandes vacances… Peut-être valait-il mieux apprendre à supporter l'araignée avant de se lancer dans un projet aussi ambitieux…? Après tout, ce voyage, c'était pour entraîner son équipe et vivre des moments forts. S'il avait peur de ses propres partenaires, il n'irait pas bien loin.

━ … Je n'ai absolument pas de Pokématos. Mais je vous écrirai mon adresse. Pour échanger quelques lettres si vous le désirez. Ovide vous intéresse, et vos connaissances m'intriguent aussi. Peut-être que… Je ne sais pas. Vous pourriez m'aider à mieux la comprendre ? Pour son bien-être avant tout. Et le mien, aussi.

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Ce n'était pas vraiment dans les habitudes de Frann de s'arrêter en terrasse. Il préférait l'intimité des petits cafés chics de Vigneaux : les banquettes ornées de coussin et de velours, les jolies tasses de thé, une décoration riche et élégante… Mais cette journée n'était visiblement pas comme les autres, alors, il ferait une exception.
Après tout, il avait faim, lui aussi. Cette matinée de course après sa nuit en demie-teinte l'avait fatigué et creusé. Il se laissa donc tomber avec une certaine lassitude sur une des chaises d'une petite terrasse déjà noire de monde. Adèle était déjà assise, visiblement ravie de l'invitation. L'étudiant, lui, n'était pas très à l'aise. Certes, il appréciait faire plaisir aux autres, mais ce n'était pas un évènement habituel : bien au contraire.
Ces temps-ci, il se montrait plus ouvert et généreux. Peut-être l'effet de ces dernières semaines : une envie de s'ouvrir un peu plus à la vie, de la croquer à pleines dents. Sa rencontre avec Sören, et surtout les moments passés ensemble, avaient aussi fait office de déclic. C'était agréable de se sentir utile, et parfois même apprécié. La douceur de ces moments, même s'il faisait semblant de ne pas la saisir, lui faisait le plus grand bien.

Le discours d'Adèle se tenait. Il y avait quelque chose de moralisateur dans ces phrases fluides et résolues, mais Frann ne se vexait pas pour si peu : bien au contraire. L'audace, la connaissance, le toupet, c'étaient des choses qui lui plaisaient. D'ailleurs, il ne lui semblait pas que la demoiselle parlait pour lui ; c'était plutôt une réflexion générale sur la relation dresseur - pokémon.
Le jeune homme s'était plus d'une fois plongé dans des livres de dressage, des encyclopédies renseignées sur certaines espèces – plus particulièrement spectres et fée – ; s'il en avait retiré des connaissances théoriques et basiques, les mettre en application était évidemment beaucoup plus compliqué. Avec Horace, il lui avait fallu des années pour l'amadouer. Et, encore aujourd'hui, leur relation n'était pas au beau fixe : il demeurait certaines animosités qui ne disparaîtraient peut-être jamais. On était bien loin du caractère bonne-patte de Sénèque, le vieux père du matou, qui finissait aujourd'hui ses jours dans le confort auguste du manoir familial.

En entendant parler d'elle, la Mimigal était descendue de l'épaule d'Adèle. Elle balançait son dard joyeusement, articulait ses petites pattes follement pour exprimer sa joie d'être sur cette table de café, entourée de deux dresseurs qu'elle appréciait. Frann, la voix de son invitée en fond, observait sans broncher la créature d'un air indifférent : il n'en était rien, bien sûr. La détailler de la sorte lui donnait toujours des frissons de dégoût. Il y avait même des réminiscences, là-dedans. Quelques retours à un passé moribond. Ces images, d'autant plus lorsqu'il sentait le contact insupportable de ses pattes poilues sur sa peau nue… C'était difficilement soutenable.
Pour autant, il lui semblait avoir évolué sur la question. La simple vue d'Ovide quelques semaines plus tôt mettait tous ses sens en éveil et l'animait d'un dégoût plutôt prononcé, presque hystérique. Désormais, la créature à quelques centimètres de lui, il ne cillait pas une seule seconde sur sa chaise. Le dos droit, avec le port de tête digne qu'on lui avait enseigné dans son enfance, il parvenait à garder la face.
Mais effectivement : que pouvait-il attendre de cette relation ? C'était Adèle qui l'interrogeait sur cette difficile question. Qu'allait-elle lui apporter ? Aussitôt, son âme littéraire s'éveillait pour y trouver une belle réponse : Ovide pourrait lui apprendre à tourner le dos au passé, se débarrasser définitivement de ses peurs et aller de l'avant.
Frann détacha son regard sombre de l'arachnique et coula ses prunelles grises dans les yeux verts de la demoiselle. Elle était intelligente, cette fille. Ses propos étaient sensés, et elle l'aidait en douceur à évoluer sur la question. Ou plutôt à s'y confronter, réellement, ne lui laissant aucune occasion de se défiler.
Il pinça un peu les lèvres, mais finit néanmoins par lui offrir un léger sourire, encore un peu figé, mais non moins sincère :

━ Vous avez raison, Adèle. Je ne devrais pas me fermer à l'éventualité de cette relation, même si elle ne me plaît pas beaucoup au premier abord. Après tout… Ovide pourrait m'aider à me défaire de mes peurs. Et ça, c'est déjà beaucoup…

Il s'interrompit quelques instants pour prendre conscience de la carte des boissons du café où ils avaient mis pied à terre. La liste était fournie, et tout semblait absolument délicieux. Des cafés à la crème, des chocolat chaud renforcés, des thés aux mille parfums, des glaces toutes plus attrayantes les unes que les autres,… Mais Frann était un homme peu amateur de sucres et fioritures. Il préférait aller droit au but. Aussi jeta-t-il simplement son dévolu sur une tasse de café serré, sans sucre.
Le serveur était déjà arrivé à leur table lorsque l'étudiant eut arrêté son choix. Il avisa l'employé d'un œil distant, et ne put retenir une réflexion intérieure sur sa bonne mise et sa stature tout à fait élégante. Le jeune homme était tout à fait élégant, peut-être même séduisant, et c'était plutôt agréable.

━ Bonjour mademoiselle, monsieur. Avez-vous fait votre choix ?
━ Bonjour. Un café serré pour moi, s'il-vous-plaît… Et pour madame, un chocolat chaud, je crois ? Merci beaucoup.

Simple, efficace. La commande était passée. Le serveur s'en retourna à l'intérieur, et le silence retomba entre eux.
Ce fut Ovide qui, en occupant tout l'espace de la table par ses petites enjambées, sauts, et autres manifestations de joie, décrocha un léger sourire au garçon. Désirant tout à coup faire preuve de courage, sans doute pour impressionner la demoiselle, il avança une main tremblante jusqu'à la créature, et caressa son dos du bout des doigts. Un léger frisson parcourut son corps ; son bras trembla, et ses joues se colorèrent d'un rouge pâle.
Il croisa le regard d'Adèle, et ne parvint pas à soutenir plus de quelques secondes ses prunelles menthe à l'eau :

━ Ce n'est peut-être pas gagné… Mais avec le temps, j'imagine que ça viendra. Votre analyse est en tout cas très intéressante. Je n'ai aucun doute quant à votre avenir…

On revint bientôt avec leurs commandes ; une jeune femme cette fois-ci, la trentaine, qui déposa lestement les tasses devant ses clients, non sans avoir adressé un regarde dégoût à la Mimigal qui remonta prestement sur l'épaule d'Adèle. Frann la remercia d'un signe de tête, et trempa ses lèvres dans le café amer et brûlant pour en boire une courte gorgée :

━ Et donc… Se lança-t-il, dans l'espoir de donner une nouvelle dynamique à leur échange qui s'essoufflait. Vous désirez faire éleveuse, c'est ça ? Pourquoi avoir choisi les araignées et le type poison ? Qu'est-ce qui vous plaît tant chez ces Pokémon ?

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