Saison Un

: Obscure Prophétie

C'était une question somme toute anodine. Manière de parler. Les gens appréciaient toujours qu'on s'intéresse un minimum à eux, non ? Il n'y avait donc aucune raison pour qu'Adèle ne se contente pas de cette trajectoire.
En attendant, Frann buvait son café ; le breuvage lui brûlait la langue et déposait un voile d'amertume sur son palais… Mais il apprécia la force de ses saveurs ; avec ça dans le ventre, il l'espérait, la fatigue le quitterait bientôt. De temps à autres, il jetait quelques coups d'œil méfiants à ses sacs de courses, posés à ses pieds : sans Horace pour garder un œil dessus, il craignait qu'on ne vienne les lui voler… Bien heureusement, personne ne semblait avoir de telles idées en tête ce jour-là, et c'était tant mieux.

Il écouta avec beaucoup d'attention la réponse de la jeune fille, détaillant alors son visage avec plus d'attention. Il l'avait pensée de son âge, mais de toute évidence, elle semblait plus jeune. Une drôle de demoiselle, la peau très pâle, de grands yeux ingénus qui brillaient pourtant d'une malice toute singulière, et à cet instant précis, d'une passion éclatante. Sa voix claire trahissait le désir de parvenir à ses fins, d'accomplir ses plus grands objectifs. Et lorsqu'elle parlait de ses pokémon favoris, il y avait quelque chose de vindicatif, ou peut-être, pour être plus exact, un élan convaincu : celui qui oserait critiquer ses petits protégés devant elle n'en ressortirait certainement pas indemne.
Sa verve passionnée soutira même à l'étudiant un petit sourire, et Ovide, sur son épaule, joua de ses pattes pour lui faire comprendre son contentement. Elle décida d'ailleurs de prendre un peu de hauteur, et se hissa sans trop de mal sur la tête d'Adèle, ce qui eut le chic de donner un véritable frisson de dégoût à son dresseur : la jeune fille, pour autant, n'eut aucune réaction et parut tout à fait indifférente. Décidément, ils n'étaient pas faits du même bois :

━ Ceci explique cela… fit-il entre ses dents, ne quittant pas sa Mimigal des yeux, le regard sombre. Vous avez raison : c'est original. Je connais bien peu de femmes qui prendraient la peine de s'intéresser à ce genre de Pokémon. Et d'ailleurs, en tant qu'homme, je peux vous dire que cela ne me serait jamais venu à l'idée.

Était-il nécessaire de le préciser ? Peut-être pas. Son aversion se lisait dans ses yeux : c'était suffisant. Il eut d'ailleurs le plus grand mal à détacher son regard de la créature, et lorsqu'il croisa finalement celui de son invitée, son visage manifesta un étonnement tout discret. Lui ? Ce qu'il faisait ?
Oh. Rien à voir. Tout d'un coup, il éprouvait une petite honte inavouable : Frann avait toujours jalousé les dresseurs de sa place d'étudiant passif et mangeur de livres. La voie du dressage, elle était plus que glorieuse, quand on était doué. Et il en était de même pour l'élevage. Il mordilla un instant sa lèvre inférieure et décida pourtant de répondre sur un ton faussement confiant :

━ Oh. Moi, ça n'a rien à voir. J'étudie les lettres classiques. Pour être plus précis, je fais des études de littérature mistraloise, et je m'intéresse surtout aux écrits du passé : le moyen-âge, mais également l'antiquité. Je ne sais pas si vous avez entendu parler du zarbi, ou du braille, qui recouvrent parfois les parois des temples et des grottes… Eh bien, les archéologues ont aussi retrouvé des manuscrits. J'apprends à les traduire, à les comprendre. Il s'interrompit pour finir sa tasse de café, et reprit dans un éclair d'enthousiasme. Mais moi, ce que j'aime surtout, c'est la littérature médiévale. Le Haut Moyen Âge, vous voyez. Je lis très bien le vieux mistralois, et il y a beaucoup de choses à en apprendre…

Il n'était pas certain que ces détails intéressent sincèrement la jeune fille. Il scruta son visage pour y trouver une réponse, mais il ne parvint pas à savoir si son discours l'avait un tant soit peu intéressé ou, au contraire, complètement perdue.
S'éclaircissant la gorge sous l'embarras, il se redressa sur sa chaise, le dos bien droit, et ajouta rapidement pour clore sa présentation :

━ Mais… Je comprends que ce ne soit pas la tasse de thé de tout le monde, bien sûr. Je pense que si nous nous ressemblons sur un point, c'est bien par notre curiosité commune. Voilà ce qu'il faut retenir. Il fit mine de regarder la montre à son poignet, et leva de nouveau son regard vers elle. Il commence à se faire tard… Vraiment, il faut que je passe à la bibliothèque. Vous désirez mon adresse, en guise de numéro ? Ne vous sentez pas obligée de répondre "oui". Je n'en serais pas offensé.

@feat Adèle

Frann était habitué à voir ses services se limiter à ses cours. Il n'était pas rare qu'on vienne lui demander son aide, ses notes, quelques conseils pour les examens à venir. Mais pour le reste… 
Il était un temps où ses amis n'étaient qu'un ramassis d'hypocrites, lui tenant compagnie seulement par crainte de sa famille, dont la réputation n'était plus à faire. Le garçon préférait largement être seul que mal accompagné. Avec les années, il avait pris du plomb dans la cervelle ; il n'était plus cet enfant orgueilleux et manipulateur, imbuvable qu'il avait pu être à l'école primaire et au collège. Son comportement était désormais celui d'un étudiant renfermé sur lui-même, qui préférait passer du temps avec ses livres plutôt que de le perdre dans des soirées trop arrosées. S'il fumait de temps à autre pour se détendre ou calmer ses fureurs soudaines, il ne buvait que très peu et n'appréciait guère les bains de foule. Rien de plus agréable que la quiétude de son chez-soir : c'était devenu son mot d'ordre.
Alors, si Adèle refusait sa proposition, il ne s'en montrerait certainement pas surpris. Déçu, peut-être ? Oui, c'était bien possible. Mais plus par orgueil que par réel sentiment de perte : il connaissait à peine la jeune fille ; ne pas faire partie de ses contacts lui importait bien peu.
Il y avait seulement ce sentiment de solitude qui lui était assez désagréable ; être seul commençait à lui peser avec les mois qui défilaient. Il avait nourri l'espoir de se faire quelques amis fiables, ou du moins des connaissances sympathiques, sur lesquelles il pourrait parfois compter. La fin de l'année n'était plus très loin, et rien de tout cela ne se profilait à l'horizon. C'était assez triste, au fond. Il s'en rendait bien compte. Mais que pouvait-il y faire ? Il se consolait en se disant que Jade resterait bien heureusement toujours présente pour lui, même si leurs rapports se résumaient pour l'instant à des échanges de lettres.

En attendant, il était temps de payer. Le garçon tira son sac sur ses genoux et en sortit son porte-feuille pour en tirer quelques pièces qu'il déposa dans une coupelle prévue à cet effet. Il réglait bien évidemment l'addition pour deux : c'était la moindre des choses, puisque c'était lui qui avait invité.
L'amertume du "non" tant redouté s'envola lorsque Adèle lui répondit avec un certain enthousiasme. Son visage s'éclaira : vraiment ? Elle était intéressée ? À la mention des temples, le regard du garçon brilla d'attention : il rêvait d'obtenir son permis pour aller les visiter lui aussi. D'ailleurs, il avait déjà fait la demande. Ce n'était donc plus qu'une question de temps.
Un sourire cette fois-ci très franc étira ses lèvres ; rangeant son porte-feuille, il le remplaça par un petit carnet qu'il transportait toujours avec lui, où était accroché un petit stylo plume. Il enleva précipitamment le capuchon de l'objet et ouvrit son carnet sur une page blanche, y écrivant de son écriture soignée son nom et prénom, avant de noter très proprement son adresse en-dessous, de manière à ce qu'il n'y ait aucun doute :

━ Parfait ! Dit-il enfin, ne se départant pas de sa bonne humeur. J'ai demandé un permis, moi aussi. Une licence pour pouvoir visiter les temples et autres lieux de fouille. J'espère recevoir une réponse positive. En tout cas, tout ce que vous aurez à traduire m'intéressera de toute évidence beaucoup, alors n'hésitez pas. Ma boîte aux lettres et ma porte sont ouvertes.

Sa voix s'était parée d'une certaine excitation : ce genre de collaboration était généralement très fructueuse. Il n'attendait que ça, et était toute ouïe. Il espérait donc qu'Adèle se souviendrait de lui au moment venu… Et certainement ferait-il tout ce qui était en son pouvoir pour que ce soit le cas : Frann était avant tout un opportuniste ; il ne démordait pas facilement de ce qu'on lui avait promis, et/ou de ce qui l'intéressait.
Il laissa le temps à la jeune fille de finir son chocolat chaud, la Mimigal fermement accrochée à son crâne, et se leva enfin lorsque ce fut chose faite. Adèle lui tendit une main amicale pour le saluer, qu'il serra sans attendre, avec tout juste assez de force pour ne pas lui donner une poignée de main trop molle.
Ovide profita de ce pont improvisé pour faire son petit chemin jusqu'à l'épaule de son dresseur, qui l'y accueillit sans grand plaisir, mais en réprimant toute grimace qui aurait pu lui apporter un regard désapprobateur d'Adèle :

━ Un plaisir partagé, conclut-il de sa voix de nouveau très neutre et seulement modulée par un ton poli et soutenu. J'espère donc vous revoir ou vous écrire un de ces jours. Le monde est petit, nous pourrions nous recroiser. Et vous avez mon adresse ; n'hésitez pas. Il se peut également que je fasse appel à votre aider pour Ovide ; je suis de toute façon certain qu'elle sera ravie de vous revoir.

Il rangea toutes ses affaires dans son sac, le cala sur son épaule libre, et se pencha doucement pour récupérer ses différentes courses. En un dernier sourire courtois, il salua finalement Adèle, secondé par Ovide qui agita ses mandibules :

━ À la prochaine, Adèle.

Frann marqua une dernière insistance sur son prénom, gravant par la même occasion son visage de petite ingénue dans un coin de son esprit, et finit par s'éloigner.

Cette rencontre avait été, somme toute, très intéressante. Peut-être partageraient-ils quelques projets communs à l'avenir ?

@feat Adèle Merci beaucoup pour ce rp ! Il était très sympa