Saison Un

: Obscure Prophétie

Je suis attentive à tout ce que ma professeure m’apprend sans me soucier du bon ou du mauvais et sans jamais me braquer, même lorsqu’elle en vient à dénigrer les leçons de mes parents. Écouter, c’est facile. C’est comprendre et retenir qui compliquent la tâche, et je préfère m’y concentrer plutôt que d’envisager la moindre remise en question. Après-tout, contrairement à beaucoup d’adultes adeptes de remontrances, la dame a déjà prouvé sa valeur à mes yeux.
Mes hochements de tête s’accumulent, bien que perturbés par la nécessité de regarder devant soit afin de suivre la route tracée par la fée guérisseuse. Grâce à l’aide de l’oiseau, je trouve assez d’énergie pour caresser Truc de ma main libre tout en avançant. Le daim ne bouge plus, mais je sens sa respiration stable contre ma paume. Cela me rassure.

Cependant, mes sourires demeurent inaccessibles, même lorsque j’entends la dame rire de bon cœur. Moi ? La corriger ? L’idée me parait folle, elle parait si parfaite comparée à moi ! Cela me fait plaisir de la voir si joyeuse, j’ai l’impression d’avoir été une bonne élève, mais l’écho dans ma tête du brâme douloureux de Truc me perturbe encore. Cela réveille en moi d’autres souvenirs, tous plus malheureux les uns que les autres, tous reliés à Vigneaux et ses environs. Je repense aux liens qui semblent se nouer entre Truc et moi, à ceux qui se sont déjà brisés.

Finalement, je fais ce qui me parait le plus naturel dans la situation. Alors que nous marchions côte à côte, je me retourne vers l’adulte et commence à la serrer dans mes bras sans prendre le temps de la prévenir. Je fais souvent des câlins, j’aime bien ça. Avec mes copains, mes copines, et même avec des plus grands parfois, quand ils sont gentils. Mais en général, ils ne sont pas comme ça. Mes accolades amicales n’ont rien à voir avec l’énergie de celui-ci, empli de toute ma volonté de remercier cette dame autrement qu’avec ces mercis qu’elle juge monotone.

Je suis contente de l’avoir rencontrée. Mon visage ne le montrera pas, épleuré par un surplus d’épreuves, mais c’est ce que je ressens. J’ai le sentiment de pouvoir lui parler et qu’elle saura me répondre. Pas comme ces gens qui se contentent de dire ce que vous voulez entendre, ni comme ces idiots qui minimise tout, mais comme une personne responsable.

— Je crois qu’un de mes Pokémon a essayé de me tuer.

Je relève la tête, les yeux de nouveaux enlarmés à la révélation de ce poids qui me brise le cœur. Je n’arrive même pas à l’affirmer tant l’idée m’est insupportable et me sens obligée de le supposer. Pourtant, avec elle… j’arrive à repousser ce déni bien au-delà de mes habitudes. Elle m’a parlé du lien entre humain et Pokémon, d’une belle relation… c’était ce que j’imaginais autrefois, ce que j’espérais le jour où j’ai acheté mes pokeball. Hélas, telle fut la réalité.

— Qu’est-ce que vous auriez fait à ma place ?

J’écoute. La bonne élève boit les paroles de son professeur, prête au meilleur et au pire. Ce n’est pas une réponse qui est offerte, ni une solution, ni encore une histoire. C’est une pensée. Une pensée qui s’immisce en moi, me baigne de suppositions.

Je me suis déjà remise en cause. Plus encore, j’ai conscience d’être en tort. Je n’en comprends pas les fondements, mais Fouifi me déteste : c’est un fait. Coach non plus n’avait aucun attrait pour ma personne, tout comme ses enfants, et même Truc préférait me fuir. Je suis mauvaise pour m’occuper des Pokémon. Peut-être pas au point de justifier qu’un d’entre eux désire ma mort, mais je le suis.

Voilà pourquoi je dois m’améliorer. J’aimerais devenir meilleure, pallier ces défauts de ma personne un à un jusqu’à ce jour, sans doute lointain, où je pourrais dire à cette femme en face : je suis fière de moi.

Mon câlin s’achève après sa réponse. Je rougis d’entendre ses dernières paroles. Moi, intéressante ? La petite chasseuse que je suis est bien loin de ça ! Mais je prends le compliment avec plaisir. Venant d’elle, je compte même le chérir et faire en sorte qu’il devienne aussi juste que possible !

— Je ferais tout pour que vous soyez fière d’avoir cru en moi !

Je balaie mes larmes d’un revers de manche. La marche a repris. Je repense à tout cela, à tout ce que j’ai appris aujourd’hui qui fourmille dans mon crâne, à Truc qui se repose dans mon sac, à Fouifi et Coach loin de moi. Dès demain je prendrais un nouveau départ différent du premier. Si ma joie s’est enterrée au fil de ces dernières semaines, ma volonté, quant à elle, vient d’être rapatriée par l’adulte au meilleur de sa forme.
Ma main caresse le daim à hauteur de son buste, pistant les marques d’une respiration stable. Tout va bien. En me voyant faire, N tente une percée pour retourner s’installer dans le sac… Mais en retrouvant le daim couvert de sang, il juge préférable de venir s’installer sur ma tête. Je le regarde faire en levant les yeux, un peu étonnée sans pour autant m’en formaliser.

La forêt défile autour de nous, bien plus agréable qu’à l’accoutumée grâce au Pokémon de l’adulte. Je reporte alors sur cette dame le plus franc de mes regards en promettant :

— C’est sûr qu’il m’arrivera encore un tas de choses auquel je m’attendais pas, mais… J’oublierai jamais tout ce que vous m’avez appris aujourd’hui.

J’aurais surement encore tant à apprendre auprès d’elle ! Pourquoi aucune autre question ne me venait ? Étais-je rassasiée ? Ou était-ce mon désir de ne pas la noyer sous une avalanche d’inutilité ? J’ai le sentiment d’avoir posé la plus importante, celle à laquelle personne d’autre n’aurait si bien répondu. Tout le reste n’a plus d’importance en comparaison de ce qu’elle m’a déjà apporté.

Maman ? Où es-tu, maman ? J’arrive pour toi !

*****

L’aflamanoir tourne, tourne, tourne. L’image de son corps démembré s’imprime sur mes prunelles. Chacun y rajoute sa marque de ses mains, couteaux et fourchettes, déchiquetant l’animal jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un feu de joie surmonté des quelques restes oubliés.
Leurs voix criardes d’humains résonnent en écho dans ma tête. Kata est rentrée grâce à la dame au chapeau. Après l’inquiétude du premier regard au vu de son plâtre, sa famille l’a accueillie d’une joie sans pareille. Toute sa famille, exceptée la Voltali qui chassait si souvent en sa compagnie. J’ai senti ses griffes transpercer le sac pour m’atteindre avant que Kata ne l’en empêche. Si la petite s’éloignait ne serait-ce qu’un instant, elle me foudroierait, je le sais.
Ce que je ne sais pas, c’est pourquoi elle est la seule à agir ainsi. Pourquoi suis-je là quand l’autre victime n’est que nourriture à leurs yeux ? Pourquoi m’épargnent-ils quand leurs yeux se troublent autant en voyant l’adolescente m’enlacer ?


Mon sacrifice fut vain. Je voulais te revoir. Je pensais suivre ta route, me laisser blesser, capturer, emmener… Je t’ai offert mes jambes, prêt à donner bien plus encore si cela me permettait de revoir la splendeur de tes bois ne serait-ce qu’une minute. J’ignorais ce qu’ils faisaient de nous là-bas. J’ignorais qu’il ne resterait rien de toi. J’ignorais devoir vivre seul le restant de mon existence.
D’une certaine façon, nous sommes différents à présent. J’hume les odeurs du bocal servi à Kata, en lèche le morceau qu’elle me tend.
La douleur me reprend. Je gémis tandis que ma vision se trouble.
Te revoilà devant moi. Tu tournes, tournes, tournes. Tes yeux sont vides, tes bois arrachés. Je te vois disparaître, membre après membre, jusqu’à ne laisser qu’un feu de joie oublié.
J’observe l’humaine te dévorer sans fierté, sans remord, de gestes naturels.
Mes dents plates se referment sur la viande et la mastiquent d’un air absent. À travers le sang qui s’épand, le goût d’une nouvelle vie imprègne ma gorge.