Alphonse Danlemur Lun 21 Déc 2020 - 5:32
Alphonse, à défaut de s'y attendre, ne fut guère étonné par l'indifférence des criminels. Pour être honnête, il anticipait un peu plus de mordant. Comme prévu en revanche, Persona avait bien compris qu'il n'était pas soudainement devenu raisonnable. Encore heureux que cette Rocket miraculeusement dotée d'un cerveau ne se fasse pas berner par quelque attitude qui n'aurait dupé personne ! Il n'avait pas convaincu au sujet du Choc Mental. Le jeune homme ne voyait sincèrement pas comment un homme qui n'était temporairement pas en mesure de faire le geste de trop pouvait justement le faire.
Malgré cela, Persona se doutait assurément qu'Alphonse se jetait dans la gueule du loup. Il ne surestimait pas réellement ses limites, mais plutôt le tempérament de Lior qui avait déteint sur lui. Tel son mentor, il craignait de moins en moins les imprudences. Il se devait de briser des limites d'une faiblesse qu'il n'estimait pas acceptable en l'état actuel de ses besoins. Derrière le masque, l'atmosphère tendue et l'état d'esprit émané révélaient déjà des jugements fort péjoratifs, bien qu'Alphonse ne les perçût pas avec précision. Il avait de toute façon l'habitude d'être aussi méprisé, et comptait cette fois s'en servir.
Si Alphonse avait correctement appliqué les enseignements de Lior, il s'en sortirait tant bien que mal après s'être jeté dans une situation délibérément critique et désespérée. Si Alphonse n'avait pas de si misérables limites, il n'aurait justement pas eu tant de mal à se donner. Comment ne pas en rester conscient ? Encore une fois, et il ne s'en doutait toujours pas, Alphonse avait oublié de questionner l'idéologie de Lior. Il pressentait que le dénouement de cette nuit, quel qu'il soit, serait violent et éprouvant pour lui... Physiquement comme mentalement. La tension lui pesait tant qu'il ruminait en réalité beaucoup ses multiples mauvais choix dont il commençait à prendre réellement conscience.
Le pire, selon lui, serait toujours la mise en danger des scientifiques. Il n'aurait pas eu à les mettre à l'abri s'il était intervenu. Comment supporter la culpabilité d'avoir menacé trois vies humaines par pur égoïsme ? Il n'y avait aucun altruisme à suivre les préceptes de Lior ou à chercher la protection de sa ville face au crime. En effet, s'il était véritablement altruiste, Alphonse aurait sacrifié son lien avec Lior pour garantir la vie des trois innocents. Lior, elle, n'était pas seule : elle se serait donc bien portée à terme grâce à sa cavalière qui semblait très proche d'elle. Alphonse ne représentait donc aucune nécessité pour les autres comme pour Mistral. Était-ce vraiment étonnant venant d'un étranger qui ne représentait déjà rien de souhaitable là d'où il venait ?
Plus tard, la langue de Persona se délia. Elle révéla une parole trop habile pour Alphonse. Même le vague domaine qualifiable de prédilection d'Alphonse lui demeurait terre inconnue en de nombreux aspects. Durant les deux premières phrases, il crut entendre une comparaison dédaigneuse implicite, outre l'explication rationnelle des faits. Par la suite, elle souligna la distinction avec eux sur un ton qu'Alphonse ne put définir. Était-ce une pointe d'ironie, pour accentuer la différence ? Elle semblait avoir compris la distinction, n'ayant pas l'intention de le blesser, ce qui aurait été vain. Il la voyait pourtant mal sous-entendre que cela n'était que son propre point de vue, puisqu'il n'avait véritablement rien fait d'héroïque et qu'elle-même le jugeait péjorativement derrière son masque. Il présuma néanmoins qu'il serait futile de chercher plus loin verbalement. Il se contenta de commenter avec un petit ricanement une fois la réplique terminée.
« J'aurais même dit trois ou quatre, parce que jouer les vétérans à mon âge, sans parler de ma modeste puissance, serait encore pire que cette limitation effectivement stupide. »
En réalité, il vivait mal son inutilité, son impuissance, son initiative des plus vaines, ses réactions méprisables et même son incapacité à rebondir comme il se doit. Il ressentait que le moindre pas, la moindre parole, la moindre respiration ne faisait que l'embourber. Il se sentait presque noyé dans un embarras masqué, une culpabilité au poids croissant, une lourde honte dont il devait s'acquitter malgré un ego pourtant faible. Quelle insupportable sensation !
Il demeurait toutefois peu commun d'en savoir autant sur Red et Gold. Si Red était peut-être relativement connu à Mistral, Alphonse n'y avait encore jamais entendu parler de Gold.
« Je constate en tout cas que l'Histoire est mieux enseignée chez les Rocket que parmi nos concitoyens... »
Quant aux réponses aux piques plus ciblées vers Persona, Alphonse ne risquait pas d'en attendre puisqu'il ne visait pas réellement sa personne. Il cherchait plutôt à questionner son raisonnement. En tant qu'humain, il lui souhaitait en un sens d'avoir tout de même une solution. Même s'il obtenait un jour le pouvoir d'être véritablement utile, il ne voudrait pas tuer ses adversaires même par inimité.
C'est alors que Persona proféra ce qu'il reçut comme une profonde insulte, bien que son intention fût probablement toute autre. Sous quel angle cherchait-elle à le remettre en question ? Alphonse concevait qu'il diabolisait probablement la Team Rocket, puisque sa perception quant à leurs actes lui venaient de ce qu'il avait appris plus jeune. Néanmoins, il n'avait jusqu'à présent rien entendu d'acceptable concernant leurs motifs, en ce que la simple liberté absolue et hédoniste ne constituaient rien de légitime à ses yeux. Comme la majorité des personnes, Alphonse considérait que la liberté prétendument absolue se nuisait finalement à elle-même. Outre cela, vouloir dominer le monde, ou ne serait-ce que Mistral, ne relevait pas d'une ambition particulièrement mûre.
« Qu'est-ce que ça signifie !? Moi, chez les Rocket !? C'est absurde. Quitte à être un raté, autant que je ne m'encombre pas en plus de méfaits. Je dois dire que cette énormité m'étonne de ta part, or bien peu de choses m'étonnent... »
Beaucoup plus sérieux et méfiant, il n'obtint aucune réponse. Il envisageait mal, venant de Persona, une analogie entre sa vision de la Team Rocket et ce qui pourrait lui être reproché, puisqu'elle les voyait d'un œil mélioratif. Alphonse était désormais vaincu sur le plan verbal, parfaitement incapable de déceler la cohérence de son propos.
S'ensuivit alors l'opération de duplication. Techniquement, Alphonse n'allait pas agir honorablement. Mais comment manquer de ce que l'on ne s'est jamais vraiment vu attribuer, même chez soi ? Dans le meilleur des cas, ce n'était pas pour lui-même mais pour son sang. Quant à ses amis, il considérait que leur estime a posteriori serait sacrifiable si elle permettait d'entraver la Team Rocket. En effet, il n'importait pas de façon critique à ces personnes mais celles-ci comptaient sérieusement pour lui. Un Mistral à l'abri de la Team Rocket s'avérait a priori plus souhaitable et favorable pour lesdites personnes.
Alphonse n'aurait pourtant pas été capable d'argumenter en face si quelqu'un l'avait questionné sur les raisons d'agir aussi mal du début à la fin. Il n'avait aucune excuse valable. Son incompétence, son inexpérience, son immaturité, son ignorance, sa nullité, toutes affligeantes qu'elles fussent, l'expliquaient mais ne le justifiaient guère.
Comprenant peu à peu ses chances de défaite, il préféra garder Méline en sécurité. Il comprit que les probabilités jouaient trop drastiquement en sa défaveur pour que cela en vaille la peine. Alors qu'il asséna un coup à Persona, il constata que celle-ci avait lu ses intentions, confirmant non seulement ses doutes mais surtout sa lucidité. Le deuxième essai lui confirma une différence de niveau si grande qu'elle en serait devenue déprimante et embarrassante à décrire, même pour le plus fervent des sbires Rocket. Une première réponse lui coupa le souffle, suivie d'une deuxième dans sa mâchoire. Alphonse réalisa trop peu ce qui lui arrivait pour recueillir toutes les informations dans l'immédiat. Avant que sa vue ne se trouble et noircisse, il prononça deux derniers mots adressés dans vent mais surtout dans le vide.
« Quel... Gâchis... »
Ces deux mots, qui ne se voulurent certes pas profonds, portèrent cependant de multiples compréhensions. Alphonse avait gâché ce qu'il percevait comme un nouveau départ et une nouvelle vie à Mistral. Alphonse avait gâché son instruction au regard du mauvais usage qu'il en avait fait, laissant même de côté toute forme d'honneur que lui imposait sa naissance. Alphonse avait gâché les liens qu'il mettait en jeu de son point de vue à travers le futur changement d'estime à son égard. Alphonse avait gâché son début d'entraînement avec Lior. Alphonse gâchait le quotidien des Pokémon qui vivaient avec lui, en ce qu'ils vivaient justement avec lui. Alphonse gâchait ses connaissances, son prétendu potentiel, ses prétendues capacités. Persona gâchait son talent et ses compétences avérés en les utilisant pour le compte de la Team Rocket. Elle avait la chance d'avoir de véritables capacités qu'elle employait à des fins criminelles. Il avait la chance d'avoir une éducation et un début de formation qu'il employait à mauvais escient parce qu'il était et serait visiblement toujours un raté. Sa conscience sombra peu avant qu'il atteigne le sol, inerte.
Tritox se délecta de ce dénouement en contemplant Alphonse s'effondrer, le visage déchiré par le désespoir et le regret. Au moins, Alphonse ne pourrait s'en prendre qu'à lui-même et il préférait largement cela que de devoir blâmer quelque chose qui ne dépendait de personne. Il trouvait plus facile d'accepter la nullité lorsqu'on ne la devait qu'à ses propres échecs. Ruiner des efforts quoi que l'on fasse demeurait toujours moins frustrant que de pâtir de des erreurs des autres. Néanmoins, pâtir des erreurs des autres demeurait préférable à l'idée de faire pâtir les autres de ses erreurs. Cet échec était donc finalement pire en ce qu'il aurait impliqué un grand danger si Persona n'avait pas été clémente.
Quelques heures plus tard, le jeune homme fut réveillé par la lueur du jour. Il se contenta simplement de se retourner afin d'être allongé sur le dos. Le Tritox vivait sa vie, profitant tranquillement du réveil. Alphonse rumina à toute vitesse et en boucle les évènements de la nuit précédente. Une larme, empreinte à la fois de regret et de remord, coula de son œil.
Il se releva en position assise lorsqu'il remarqua un sac laissé à côté de lui. Il l'ouvrit et y reconnut les pièces originelles de la machine. Persona avait respecté sa part du marché, conservant ce qui pouvait être qualifié d'honneur. Cela, par exemple, n'étonna aucunement le jeune homme. Malgré tout, ce détail scella son contraste, quasiment absolu s'il ne l'était pas littéralement, avec Alphonse. Il trouva alors le fameux papier plié, ainsi qu'un message dont il se souviendrait fort longtemps.
À charge de revanche.
« Finalement... C'est peut-être pas plus mal, que je sois en train de crever du Pokérus. »
Arrivèrent plus tard deux agents de la maréchaussée accompagné des trois chercheurs qui faisaient office d'otage. Alphonse leur résuma la situation, mentionnant que la Team Rocket avait de facto réussi sa mission, puis il put rentrer chez lui. Quoi qu'il pût dire de façon péjorative à son propre sujet, le jeune homme suscita probablement la reconnaissance du personnel malgré tout.
Alphonse Danlemur avait commis d'innombrables erreurs. La seule récompense de son initiative serait l'économie d'un peu de temps au musée qui n'aurait pas à reconstruire les pièces dupliquées pendant des mois. Voilà un gain lugubrement faible pour de tels dangers envers les autres !
Le feu qui l'animait brûlait encore d'une faible flamme en lui, mais ses yeux ne la reflétaient certainement plus.