Saison Un

: Obscure Prophétie

Pokémon de Kata : Truc, Ciboulette, Fouifi, Croa, Couenne, Split

— Mais, mais, mais…

Non, non et non ! Rien à faire ! Non seulement la madame ne veut pas que je rentre dans son restaurant où j’allais pourtant manger à chacune de mes escales dans cette ville, mais en plus elle refuse ma livraison de viande ! Et j’en fais quoi, moi, de tout ça ? Je vais pas rerentrer à Kedal avec ma viande de chasse, ça serait bête ! En plus c’est idiot, on était les seuls fournisseurs de ce restaurant ! Comment ils vont faire sans viande ?!

Ils se débrouilleront, qu’ils me disent. Pire, la dame finit par me payer quand même pour que je la laisse tranquille alors qu’elle refuse ma cargaison ! Même moi, je sens qu’elle est mitigée. On s’entendait super bien ! Pourtant, aujourd’hui, elle me regarde avec dégoût comme si j’avais fusillé toute sa famille ! Et derrière ce dégout, je lis une espèce d’incompréhension, comme si à côté elle refusait d’y croire. Je comprends rien ! Est-ce que c’est encore la malédiction de Vigneaux qui frappe ?

Et du coup, j’en fais quoi, moi, de tout ça ? Je regarde la charrette que j’ai faite venir jusqu’ici avec lassitude. Dedans, plusieurs morceaux de viande de chasse bien emballés dans des sacs avec glaçon et sel, histoire que ça se conserve le temps du trajet. Si c’est pas mangé ou entreposé dans une chambre froide aujourd’hui, ça va être perdu ! Un véritable sacrilège…

— Oh, madame, madame ! Attendez !

Je sens une grimace de la part de la cuisinière tandis qu’elle se retient de me claquer la porte au nez, probablement par respect pour notre collaboration passée.

— Elle habite où Lise Sens ?

Sa surprise dépasse la mienne d’y avoir pensé. C’est si bizarre que je demande à voir la championne de la ville ? C’est quelqu’un d’important pourtant, non ? En tout cas, on m’indique l’arène en ce jour de semaine, suspectant qu’elle s’y trouvait certainement pour affronter l’un ou l’autre des challengers du jour.

C’est ainsi que je me dirige vers l’arène de Vigneaux, une Fouinette boudeuse sur l’épaule (parce que définitivement, ce que je tente est inutile à ses yeux), une charrette remplie de sacs de viandes, et un air las sur le visage.

Oui, las. Très très très las. C’est pas pour rien que je comptais plus revenir à Vigneaux : tout se passe toujours mal ici. Limite, je vais être contente de plus jamais avoir à revenir pour fournir ce restaurant, c’était la seule raison qu’il me restait de venir. C’est bien plus agréable d’aller à Bayette, même si c’est plus loin. Hélas, Vigneaux étant la ville la plus proche après Bivouac, c’était aussi une de nos destinations les plus évidentes pour la vente avant qu’ils deviennent tous fous.

Et aujourd’hui, comment ça se passe ? Eh bah, comment dire… Déjà absolument tout le monde me regarde de travers. Certain vont même jusqu’à me bousculer en passant ! Et le pire, c’est un type qui m’a carrément craché dessus sans aucune raison ! Je le regardais même pas ! Et en plus, il a fallut que je rattrape Fouifi sans quoi elle allait lui défoncer la gueule ! Je sais pas ce qui se passe, mais je préfère pas faire de bêtise, ils en font déjà assez.
D’ailleurs, non ! C’était pas le pire. Le pire c’est celui qui a voulu bruler ma charrette avec son Pokémon, mais là du coup j’ai couru alors il a pas pu. Je le dis et le redis : ils sont devenus fous les gens ! Ils attaquent n’importe qui sans raison ! Déjà la dernière fois, on s’est fait poursuivre par des fourches et des gens nous ont tiré dessus… Et aujourd’hui, ça ! Je le redis : faut vraiment que j’arrête de mettre les pieds dans cette ville de Kabuto.

J’ai absolument pas conscience d’être connue dans cette ville à la con, et encore moins que c’est pour de mauvaises raisons. Déjà qu’on m’appréciait pas trop depuis l’histoire de viennoiserie avec Alphonse, ensuite ça n’a fait que se détériorer petit à petit, et maintenant qu’on m’a aperçue sur le dada de Jack… Pfff, tout le monde a sa petite histoire sur mon cas, on dirait ! Hélas, j’en sais rien, moi. Je sais juste qu’on me crache dessus sans raison. Ah, et le temps que je pense à tout ça, y'en a un qui a fini par me balancer le fameux seau d'eau. On l'attendait tous. Même Fouifi se fout de ma gueule ! À défaut de pouvoir tabasser le type, elle se venge ainsi de mon inaction.

C’est donc lasse et dans un état déplorable que j’arrive en bordure de ville, devant la porte de l’arène.
J’observe la dame qui m’accueille, sans vraiment réaliser si elle est souriante et chaleureuse comme à son habitude ou si elle me tire la tronche elle aussi. Franchement, j’ai plus envie d’y réfléchir.

— Excusez-moi, madame, est-ce que la championne... Atchou !... Lise Sens est là ? On m’a conseillé de venir lui parler.

J’espère au moins que ça valait le coup d’essuyer ce chaos pour arriver jusqu’ici…

La madame est toute gentille avec moi. Tellement que j’ose pas m’en réjouir, comme si je m’attendais à ce qu’une autre catastrophe me tombe dessus sans prévenir.

— Merci, répondis-je d’une petite voix gênée lorsqu’elle m’apporte une serviette.

Je peux au moins m’essuyer le visage et les cheveux ! Ça m’évitera d’attraper un rhume. On sort tout juste du bordel de pokérus, faudrait pas enchainer avec autre chose.
Par chance, j’ai pas eu à attendre longtemps. Je hoche la tête aux paroles de la dame, suivant tout ce qu’elle me demande sans aucune hésitation malgré mon air timide et gêné, et ce, jusqu’à pénétrer dans l’immense arène.

C’est la première fois que je rentre dans une arène ! C’est grand ! Aussi ignare qu’on pourrait le deviner à mon origine kedalienne, je sais rien de plus que le fait que les gens se battent ici. D’ailleurs, tout à l’heure y’a un monsieur qui est passé avec un Pokémon KO, comme Croa quand il s’était pris l’attaque de Poésie. Quelle idée ! Mais bon, je suis pas là pour comprendre l’intérêt d’être dresseur.

Et puis, va y’avoir un autre problème que mon incompréhension. Si Turgé a blêmi en me voyant débarquer, ça a été réciproque ! N’ayant pas fait le lien entre Lise Sens la championne d’arène et Lise tout court, la madame de l’accident, je m’attendais pas à les revoir ici. J’ai beaucoup ralenti, hésitant presque à faire demi-tour immédiatement pour pas les embêter une seconde fois. Surtout que Fouifi, à l’opposé, fait déjà un grand sourire au Persian en le saluant d’un mouvement très douteux du bout des griffes.

Hélas, je peux plus reculer maintenant. Et puis, je dois le faire de toute façon ! Au pire, la madame me dira non et je repartirais en m’excusant de l’avoir dérangé en lui rappelant de mauvais souvenirs.

— Bon… Bonjour… finis-je par murmurer une fois à proximité sans oser regarder le garçon caché derrière sa maman.

Tout ça rend la situation encore plus compliquée que prévu… Le bon côté des choses, c’est que je m’attendais à ce que ça empire, après l’accueil chaleureux de la gentille dame. Dame qui s’en va d’ailleurs, sur ordre de l’autre adulte, pour me trouver des vêtements. Je déglutis à l’idée de me retrouver seule avec elle et son fiston que j’ai failli tabasser.

Sans rien oser dire de plus, je la regarde et j’attends.
Et sans surprise, la première phrase m’étant réellement adressée est un reproche. Je baisse les yeux en hochant la tête. Pas besoin de la contredire, je m’en veux autant qu’elle pour avoir fait ça. J’oserais pas demander à être pardonnée.
Toutefois, elle accepte de m’aider. Je relève la tête, la surprise se lisant à travers mes yeux dans lesquels la lueur de Ciboulette est toujours visible. Bien plus que la dernière fois d’ailleurs !
Pour tout vous dire, après un tel départ, je m’attendais simplement à être reconduite à l’entrée. Par contre, je comprends pas ce qu’elle dit quand elle parle de réputation… ça doit se voir à mon haussement de sourcils.

Mais passons ! D’abord, je dois expliquer la charrette derrière-moi.

— Ah, euh, ça ? C’est ma livraison de chasse pour "La chope du Grimalin", c’est nous qu’on fournit leur viande. Mais apparemment, ils veulent plus maintenant. La madame voulait même pas que je rentre dans leur restaurant pour manger…

Je soupire et dépose la serviette sur mes épaules. Inutile de préciser que le reste du trajet jusqu’ici a été horrible, ça se voit. Et de toute façon, je comprends pas la raison de tout ça, alors je ferais surement que dire des bêtises. D’autant que si c’est vraiment une histoire de malédiction, la madame de l’arène est tout aussi atteinte que les autres, alors ce serait peine perdue.
Revenons-en plutôt à la viande :

— Du coup je sais plus quoi en faire. Ça va se perdre si personne le mange ou le met dans une chambre froide.

Évidemment, je compte pas sur une championne d’arène pour me débarrasser de tout ça ! Je trouverai une solution plus tard. Ici, on doit s’occuper de Fouifi :

— J’ai une amie qui m’a dit que c’était vous la mieux pour conseiller des Pokémon de type normal. Et euh…

Mon regard se tourne lentement vers Fouifi, laquelle détaille du regard l’immense arène avec l’air de celle qui cherche son prochain méfait à accomplir.

– Comme Fouifi… Elle est type normal… Bah…

Je me gratte la tête. J’ai beau le dire à haute voix, le fait d’avoir déjà croisé la madame et les souvenirs qu’il m’en reste m’amènent de plus en plus à croire que je fais une bêtise. Alors aussitôt, je tends une échappatoire à la dame, ne souhaitant pas lui forcer la main :

— Mais… mais si ça vous embête on peut repartir ! Je savais pas que vous étiez championne, je voulais pas vous embêter encore…

Je détourne le regard, bien trop gênée pour faire autrement.

Je n’ose pas suivre du regard le garçon lorsqu’il s’éloigne, trop honteuse de voir la crainte que je lui inspire. D’ailleurs, l’adulte en rajoute une couche. Je déglutis et détourne le regard en l’entendant.

— P… Pardon…

Que dire de plus ? Que c’était pas ma faute ? Peu importe. L’unique vérité, c’est que sans Ciboulette, j’aurais fait une grosse bêtise ce jour-là. Comme l’adulte le dis elle-même, je suis dépassée par tout ça. Et à mes yeux, c’est un miracle qu’elle accepte de m’aider, même à contrecœur.
Néanmoins, lorsqu’elle propose de m’acheter le chariot, je réplique aussitôt en secouant les mains :

— Oh non, non, pas besoin de l’acheter, je vous le donne ! Moi je suis contente si c’est pas perdu.

De toute façon, la madame a payé pour être sûr que je m’en aille et l’embête pas plus, alors j’ai pas besoin d’argent. J’aime juste pas chasser pour rien, c’est pas juste pour les Pokémon chassés.

On se dirige donc vers les gradins. Lise, son gros chat, moi, et Fouifi en queue de cortège qui ne cesse de dévisager l’adulte d’un regard moqueur mêlé de défi et d’intimidation. Elle n’aime pas du tout l’idée qu’on me conseille. Déjà qu’elle devait surveiller Krystal… Elle ne voulait pas que tout Mistral entière s’y mette. Cette femme était bien plus amusante quand elle jouait les victimes parce qu’on a osé s’en prendre à son marmot.

Mais soit. La thérapie de couple commence par une simple question, suffisamment vague pour que la réponse s’éternise. Un doigt posé sur mon menton, je remonte mes souvenirs au jour de notre rencontre, puis commence à délier mes souvenirs de notre vie ensemble.

— C’est Truc qu’il a capturé Fouifi l’année passée, au printemps. Fouifi, elle était déjà bizarre : les Fouinette, d’habitude, elles partent en courant quand on approche. C’est pour ça qu’elles sont sur leur queue dans les airs ! Elles surveillent, et dès que t’approche, pouf, elles disparaissent dans les arbres ou dans leur terrier ! Mais elle, elle est restée complètement sur place et m’a regardée pas contente, puis quand je suis passée près d’elle, elle m’a attaquée. Alors je l’ai endormie avec une fléchette, pasque mon travail c’est aussi de faire que y’a pas des Pokémon dangereux là où les gens ils passent tous les jours. Sauf que quand j’ai voulu la tuer après qu’elle fasse dodo, Truc il a volé une pokeball dans mon sac et il l’a lâchée sur elle, et ça a marché. Du coup, c’est devenu mon premier Pokémon. Pasque Truc, c’était pas vraiment mon Pokémon avant, c’était juste un Vivaldaim qui me suivait partout mais je savais pas pourquoi, je l’avais pas encore capturé lui.

Voilà pour sa capture. J’ai déjà l’impression d’en avoir trop dit et de m’être étalée sur les détails ! En tout cas, c’est ce que je ressens des émotions de Ciboulette. Mais puisqu’il dit rien, ça doit aller ! Du coup je continue :

— Comme c’est devenu ma Pokémon, j’ai essayé de faire des choses avec elle, je voulais que plus tard, on chasse ensemble, comme une vraie équipe de chasseurs ! Mais bon, elle obéissait pas du tout, et elle cherchait toujours à se bagarrer avec moi. Du coup, j’avais toujours plein de griffures ! Mais bon, c’était pas trop grave, puis c’était amusant un peu. En plus, une fois, on a quand même réussi à arrêter un vilain voleur de Pokémon au parc naturel ensemble ! Même que c’est ce jour-là que je lui ai donné son nom. C’était trop bien !

La Fouinette ricane et se détourne de la discussion. Elle en a assez entendu. La voilà qui gambade de siège en siège dans les gradins, cherchant s’il n’y aurait pas quelque chose d’intéressant à y faire. Je la suis du regard avec un petit rictus amusé, tout en continuant son histoire :

— Malheureusement, juste après ça, je me suis cassée la jambe en tombant de la Dune, et je l’ai perdue de vue pendant plusieurs jours dans le parc ! Pasque quand les soigneurs ils sont venus me porter, ils ont bien emmené Truc et Coach, mais pas Fouifi, pasque je l’avais laissée se baigner un peu au bassin pour la féliciter de la mission. Quand je l’ai retrouvée, je crois qu’elle était super en colère ! En tout cas, il a fallu qu’on l’attrape à 2 rangers, et elle tapait nos Pokémon ! En plus, elle était devenue beaucoup plus forte. Mais bon, on a réussi. Et c’est redevenu comme au début, sauf que ses griffes elles faisaient un peu plus mal…

Je m’en fichais. J’étais si contente de retrouver ma Fouifi ! D’ailleurs, ça se voit que même le mauvais de toute cette histoire reste un bon souvenir, tant mon optimisme refuse de s’effacer. Ce n’est qu’à cet instant précis, au jour le plus sombre de notre histoire, que le malheur sembla s’abattre sur mon récit :

— Puis au retour de la mine excavarenne, on a croisé la team rocket. Et ils m’ont volé Fouifi. Et après, tout a toujours été pire. Y’a même un soir où ils l’ont envoyée m’attaquer quand j’étais à l’hôpital, et je crois qu’elle était contente de le faire.

Je reporte mon regard sur Lise au milieu de toutes ces explications, un triste sourire marquant mon visage malheureux :

— Je sais pas pourquoi, mais elle m’a jamais aimé Fouifi. Et je crois que chaque fois que j’essayais de faire qu’elle m’aime un peu, c’était pire. Je disais que c’était pas vrai quand on me l’expliquait, mais en fait c’est vrai : Fouifi elle a essayé de me tuer.

C’est acté, à présent. J’en suis certaine, et rien dans son comportement n’affirmerai le contraire, comme si elle ne souhaitait pas démentir.

— Ensuite, il m’est arrivé plein de chose… Avec euh… Avec Ciboulette, mon copain Pitrouille. Enfin, c’est compliqué.

Je pointe mes yeux de mes deux index pour expliciter la chose en essayant de ne pas rentrer dans les détails. On en a déjà parlé, vaguement, mais on est là pour Fouifi aujourd’hui.

— Je crois qu’il s’est passé des choses pendant que Ciboulette était tout seul et que moi je faisais dodo… mais euh, ce que je sais, c’est que Fouifi elle a réussi à s’enfuir et revenir, et depuis, elle est comme ça.

Je la pointe du doigt tandis qu’elle s’énerve de ne rien trouver d’intéressant et commence à forcer le mouvement d’un siège du bout de sa queue, avec dans l’espoir d’en renverser une rangée entière. Faut bien s’occuper !

— Elle m’attaque plus. Elle vient même souvent sur mon épaule, et elle s’accroche euh… beaucoup. (J’étire une part de mon t-shirt, révélant un nombre assez inquiétant de griffures plus ou moins profondes à hauteur d’épaule.) Par contre elle veut jamais rester près de moi longtemps ou que je la câline. Et elle se bat avec tous mes Pokémon, ils ont tous peur d’elle. Et avec mes amis aussi. Et elle attaque d’autres Pokémon et des gens aussi. Parfois, elle fait des bêtises vraiment horribles ! Mais l’autre jour, elle a tué un Pokémon obscur qui m’attaquait… Alors je suis toute perdue et je sais plus si c’est bien ou pas…

Je soupire, désespérée par ses agissements contradictoires. Ciboulette, de son côté, suppose qu’elle me laisse tranquille à cause du pokerus, parce qu’elle ne souhaite pas aggraver mon état. Mais ça n’aurait aucun sens ! Ça voudrait dire qu’elle va m’attaquer à nouveau quand j’irais bien ? Ça serait bizarre.

— En plus, je sais que c’est devenu une bonne chasseuse pasqu’elle se nourrit toujours toute seule, alors j’aimerais bien qu’on chasse ensemble… mais elle veut jamais.

Ben là, on reprend Fouifi ? En réponse, elle s’en prend aussitôt à une autre rangée de sièges en ricanant. Qu’elle vienne, la championne !

— Fouifi !

Elle m’exaspère ! Je crois qu’elle veut pas que la dame parle avec moi. Elle veut pas que j’entende ce genre de conseil. Vous savez ? Ceux-là. Ceux qui consisteraient à m’éloigner d’elle. Ou à lui faire perdre son emprise sur moi. La seule chose qui semble l’amuser, c’est lorsque Lise sous-entend une euthanasie. Est-ce qu’elle aurait peur ? Non, loin de là. Qu’ils essayent d’approcher une piqure d’elle…
En revanche, moi ? J’ai tressailli à cette idée, terrible en comparaison de la précédente. Lise m’a laissé une lueur d’espoir avec l’histoire de son gros chat devenu gentil ! Même si je vois pas du tout comment faire pareil avec Fouifi. En revanche, sitôt qu’elle sous-entend qu’on pourrait me l’enlever à nouveau, je blêmis. Genre beaucoup. Et si Ciboulette avait pas été là, j’aurais probablement encore mal réagi. Je l’entends murmurer dans ma tête que tout va bien, que ça n’arrivera pas, que Fouifi est assez grande pour connaître les limites à ne pas franchir. J’arrive pas à m’en persuader. J’ai peur qu’on me l’enlève encore. Pire, sans jamais pouvoir me la rendre, pasqu’ils vont la tuer !

Je me mue dans un silence complet pour la suite des conseils de Lise, la tête basse et perdue dans mes pensées. Fouifi s’est calmée finalement. Les chaises, ça couine pas et ça répond encore moins, alors c’est ennuyeux. Elle vadrouille de nouveau à la recherche d’autre chose à faire.

Je sais que je suis pas la bonne dresseuse pour elle. Je suis la bonne dresseuse pour personne. C’est pareil avec Croa, puis même Split c’est Volti qui l’a entrainé, et moi je l’ai juste rendu triste. Puis ne parlons même pas de Truc, ce serait tirer sur l’ambulance.

En vrai, Lise m’a dit des vérités que j’avais besoin d’entendre, même si j’en savais déjà la majorité au fond de moi. Je sais que Fouifi m’attire plein de problèmes et qu’un jour elle risque de me tuer sans que je le voie venir. Peut-être parce qu’elle se sera lassée, peut-être parce que j’aurais fait quelque chose qui lui aura déplu… Mais ça arrivera surement.
Le problème, c’est qu’aucune des solutions ne me paraissent accessibles. Enfin, si, y’en a une. Mais…

— Elle s’est échappée toute seule de la team rocket pour revenir vers moi. Je comprends pas pourquoi, mais… c’est comme ça. Alors je crois que même si j’arrivais à la donner à quelqu’un, ça serait une encore plus grosse bêtise que tout le reste.

Si elle est capable de fuir une agence de criminels, comment une seule personne arriverait à la retenir ? De toute façon, pour ça, il faudrait l’enchainer ou quelque chose dans le genre. Et je n’ai même plus sa pokeball. Qui sait ce qu’elle ferait si je l’abandonnais un jour ainsi ? Rien que là, alors qu’elle me tourne le dos et trifouille je sais pas quoi, je vois bien ses oreilles dressées à l’écoute de nos conclusions, prête à y réagir. Mais vous savez quoi ? C’est même pas pour ça que je choisis de dire la suite. C’est juste pasque je le pense vraiment :

— Et… je veux plus qu’on soit séparées.

Je n’ai aucun argument à donner sur le pourquoi de mon choix. Pour autant, c’est un choix définitif.

— C’est pas vrai qu’elle profite de moi, pasque, y’a rien à profiter. Même que c’est moi qui lui cause des problèmes souvent, et à chaque fois elle a l’air désespérée.

Je n’oublie pas ce que mes Pokémon font pour moi. Certes, elle a essayé de me tuer à l’époque. En revanche, sans elle, j’aurais péri à plusieurs reprises plus récemment. Le Pokémon obscur. Le volcan. Le champ de lavandes. Le manoir. Ses méthodes laissent à désirer et ses raisons sont obscures, mais elle m’aide, je le sais.

— Je veux essayer les autres comme tu as dit, mais… je sais pas quoi faire. Ni pour quand elle fait bien, ni pour quand elle fait mal. J’ai essayé tout plein de choses, mais elle réagit jamais à rien.

Je laisse échapper un soupire de déception juste avant la longue énumération de mes vaines tentatives :

— Truc et Split, ils sont contents quand je les caresse, ou que je leur fais un câlin, ou que je leur donne à manger… Elle, elle me griffe si je la touche, et elle refuse de manger quelque chose qu’elle a pas chassé. Pis elle veut jamais qu’on chasse ensemble. Quand je la félicite, elle lève les yeux au ciel, quand je la dispute elle rigole… En fait quand je parle, elle finit par se tirer en général, comme tout à l'heure.

Il reste… la manière forte.

— Avant, j’essayais de faire le physiquement comme vous avez dit. Avant qu’elle essaye de me tuer. Mais depuis que je suis malade, je peux plus. Et… Et en fait, elle se bat plus non plus avec moi, alors j’ai cru que c’était mieux comme ça.

Je relève la tête vers Lise, perdue par mes propres réflexions, et porte mes yeux brillants dans les siens. Je ne sais plus où me diriger à travers ses conseils.

J’ouvre de grands yeux d’incompréhension à la remarque de Lise sur le jeu des formes. C’est quoi le rapport ? J’essaye de suivre son raisonnement, mais je vois pas le rapport entre ça et la conclusion.

Alors au final, pourquoi j’insiste pour rester avec Fouifi ? D’abord pasque j’ai pas le choix, mais y’a pas que ça. Je le veux aussi.

— Fouifi elle est incroyable.

Des étoiles dans les yeux ? Oui, un peu. Je la regarde différemment, d’un coup. Toujours avec ce soupçon de fatigue et de lassitude vis-à-vis de son horrible tempérament, mais aussi emplie de tous ces souvenirs durant lesquels elle a fait des choses qu’aucun autre de mes Pokémon n’aurait pu faire. Je la revois encore bondir dans les airs, jusqu’à ne plus devenir qu’un point noir dans les cieux entre les maisons de Bayette pour terrasser l’énorme Pokémon obscur.
Fouifi, de son côté, ne réagi pas à mes paroles. Est-ce qu'elle a cessé d'écouté, ou est-ce qu'elle m'ignore ? Aucune idée. En tout cas, cela ne semble pas l'atteindre.

— C’est vrai qu’elle est méchante, dangereuse, elle obéit pas, elle me déteste et m’attire tout plein d’ennuis, mais… elle est complètement différente des autres Fouinette. Elle est pas trouillarde, elle est forte, et même trop intelligente. Et quand elle décide de faire quelque chose de bien, bah… elle arrive à faire des trucs que personne d’autres ils font.

Je me souviens de mes échanges avec le vilain voleur de la team rocket, qui voulait que j’essaye vainement de l’arrêter pour sauver Fouifi. Pas besoin. Je le lui ai toujours dit. Fouifi, elle a jamais eu besoin de mon aide, c’est moi qui aie eu besoin de la sienne durant l’apocalypse.

— Depuis le tout début je le sais. J’ai toujours cru en elle, et alors que tout le monde il me déçoit toujours, bah… pas elle. Elle est toujours aussi incroyable à chaque fois qu’il faut qu’elle le soit.

J’ai un triste sourire, bien consciente de ce qui doit se passer dans la tête de Lise. M’en fiche. Je suis là pour Fouifi, si on se moque de moi c’est pas grave.

— Je sais que je suis nulle pour dresser des Pokémon, et que Fouifi j’y arriverai jamais. Elle aussi elle le sait. J’aurais pas du la capturer. Je sais que tout est de ma faute. Mais… si je pouvais juste être moins nulle pour elle, et faire qu’on devienne une vraie équipe… je sais que ça vaudrait toutes ses bêtises jusqu’à aujourd’hui.

L’adulte me demande alors sa pokeball. Je soupire. C’est surement le truc le plus dérangeant dans toute cette histoire. La pokeball, c’est l’outil qui donne sa supériorité à l’humain et permet d’assurer sa dominance. Je m’en suis beaucoup servie, au début. Dès qu’elle était méchante… HOP, pokeball ! Et pareil avec Croa ! On peut dire que c’était un échec critique pour les deux, ça n'a fait qu'empirer les choses. Bref, la question ne se pose plus aujourd’hui :

— Ben, sa pokeball elle est toujours chez la team rocket. Elle est revenue toute seule, Fouifi.