Saison Un

: Obscure Prophétie

Ce congrès était agréablement bien rempli, aux yeux de la jeune femme, peut-être un peu trop pour son propre bien, au vu de la présentation chargée et pêle-mêle qu'elle comptait faire. Son tour venait d'arriver, dans tous les cas. Une fois arrivé sur l'estrade, Joeboy prêt à répondre aux indications de sa maîtresse, et le silence fait, Lizbeth se lança d'une voix claire.

- En suite directe à la présentation très pertinente de Roger Ranium, je vais donc tenter de rejoindre son point d'arrivée en prenant la question par l'autre bout, ou presque. J'entends par là les limitations des pratiques agronomiques à Mistral, et les solutions que nous pourrions apporter.


- Je suppose que vous êtes pour beaucoup au courant des serres expérimentales à Cochignon. Certaines personnes ici présentes d'ailleurs se souviendront encore des critiques m'ayant été adressés à ce sujet, puisque ces recherches combinent des idées de moi en tant que scientifique et l'organisation publique, menée donc par moi, en tant que maire. J'ose espérer que les résultats puissent parler d'eux-mêmes.

Reprenons les bases. En deçà même de l'agencement judicieux des cultures, d'une utilisation prudente et opportuniste de la biodiversité et d'une attention portée à l'équilibre des sols, faire pousser des plantes, c'est avant tout une question d'énergie. Ici, celle du soleil et de la biochimie végétale, principalement. Tout ce que nous faisons lorsque nous cultivons, c'est faire en sorte que les bonnes réactions se produisent.

Une solution de nos jours assez désuète et rare était d'utiliser la présence de certains pokémons, non pas pour enrichir le sol de leurs amendements, mais parce que leur proximité même permettait aux végétaux environnants de s'épanouir bien plus qu'ils n'auraient autrement pu, toutes choses égales par ailleurs. Certains penseront sans doute aux Florges dans les jardins de fleurs, et... c'est précisément grâce à un vieil échantillon cutané de ce pokémon qu'une idée m'est venue.

Sont en effet présentes des structures tout à fait fascinantes, cellules hautement spécialisées formant un véritable circuit microscopique, en une succession de cercles concentriques imbriqués, chacun ouvert à l'opposé de ses voisins par des silicates. On attribuait à ces étrangetés un rôle dans l'expression des caractères phytophiles des Florges, sans que personne jusqu'à présent ne se soit penché plus allant sur la chose. Je l'ai donc fait, et rapidement m'est apparu que quoi qu'il se produise précisément, le potentiel était impossible à laisser passer.

L'antenne que vous pouvez observer maintenant est le fruit de quelques mois d'essais et d'erreurs pour adapter le phénomène à une utilisation humaine, entendez par là technologiquement viable. Si l'activité nerveuse du pokémon semblent suffire chez le modèle pour produire ses effets, ici j'ai rapidement dû abandonner la piste des bas voltages faute de résultats concluants. Les conséquences en sont multiples : l'appareil nécessite une alimentation bien spécifique, et n'est pas adapté à une installation en dehors d'un milieu fermé et contrôlé, mais sa portée est de quelques mètres. Ces dernières semaines, les expériences sur la variation du voltage, de la durée des cycles d'expositions pour les plantes et d'éventuels problèmes inconnus sont dans la suite des résultats encourageants.

Car les serres ont déjà remboursé leur coût d'installation, et la deuxième récolte de l'année arrive déjà. La première n'ayant montré aucune perte qualitative ou quantitative comparé à un maraichage classique, à mon grand soulagement d'ailleurs. L'Electulture se révèle non seulement être un outil notable pour garantir un apport soutenu et soutenable en produits agricoles, mais sans avoir les inconvénients des solutions étrangères à notre région, comme les engrais chimiques.

Dans la situation qui est celle de Mistral, la révolution agronomique devrait donc se faire sur tous les fronts, et à ce titre, les propositions de technologie nouvelles mais effectives comme celle-ci font figure de précieuses armes dans ce combat. Ou du moins, c'est ce dont j'espère, vous serez aussi convaincu à présent. Hrmm, excusez-moi...

La gorge un peu sèche après avoir tant parlé, Lizbeth chercha quelques instants sa petite bouteille avant de se tourner pour en boire quelques gorgées salvatrices. C'est qu'elle était loin d'en avoir fini.

- Hum, le prochain sujet dont je voulais vous parler est adjacent, car a partagé le champ expérimental avec le précédent. Car même si je viens de vous abreuver des explorations j'espère pertinente mais sans doute insolites d'une bidouilleuse, mon optique première est toujours la conjugaison du sujet technologique avec lui des pokémons. Que ce soit pour des tentatives réussies - ou non - d'émulation, ou par des couplages divers, passant donc par le concept riche d'interface.


- Jusqu'encore récemment, après les déboires d'un certain maire et l'inaction d'une autre, notre seule et unique centrale électrique était à l'arrêt, et la production devait donc être assurée par une cohorte volontaire, fluctuante et parfois turbulentes de pokémons. Les serres expérimentales précédemment citées ont d'ailleurs profité de la reprise d'activité de la centrale, tant pour éviter de créer une instabilité du réseau que pour faire d'une pierre deux coups.

Nous n'avions en effet semble-t-il jamais fait trop attention à ce qui pouvait être amélioré ou changé dans les installations utilisées pour capter le voltage d'un Pikachu ou d'un Elektek. Souvent rudimentaires, parfois pénibles pour les pokémons, toujours peccables et peu fiables... Tant de points que je voulais corriger autant que faire se peut en travaillant directement dessus.

Car le concept seul est tout à fait prometteur, et ne devrait pas nous faire craindre a priori une maltraitance ou un approvisionnement électrique incertain, comme nous pouvions pourtant le constater dans le passé. Il m'était donc impératif de ne pas reproduire ces erreurs. Et pour cela, il me fallait faire une installation de mon crû. Les résultats étaient pour le moins surprenants.

Les problèmes indésirables que je viens de citer ce sont révélés liés l'un à l'autre. Un pokémon est un être d'émotions, on ne saurait le traiter comme une simple ressource exploitable, du moins pas sans s'exposer à des résistances importantes... Une contrainte qui se doit d'être prise en compte. Certains seraient tenté de la contrer par une contrainte plus forte encore, je préfère trouver une parade moins brutale. En l'occurrence, des ajustements assez simples ont permis beaucoup.

Le premier était assez trivial : rendre l'appareillage aussi peu inconfortable que possible pour les pokémons. Les électrodes lourdes, encombrantes et peu adaptables, que j'ai remplacé par un système porté par un harnais ajustable. Le second a demandé un peu plus de tâtonnements de ma part, et a donné lieu à un constat indéniable : une bonne organisation du travail porte ses fruits, même si les travailleurs ne sont pas humains. En divisant les pokémons en équipes équilibrés, en prenant compte les affinités de chacun, en leur donnant la possibilité de transformer ces corvées en une épreuve de groupe, ludique. La production en a été non seulement augmentée, mais grandement homogénéisée, rendant le travail de régulation du réseau en aval d'autant plus facilitée.

De cette expérience, je tire une déclaration de principe et une justification renouvelée dans ce concept d'interface, qui selon moi est bien à prendre comme un sujet propre, même si une vision réductrice saurait aisément le caractériser comme la simple croisée de quelques autres champs d'étude. N'oublions pas qu'un concept n'est jamais totalement juste, il n'est que plus ou moins utile. Et puisque j'évoque l'utilité...


- ... en espérant bien sûr que cette transition éhontée ne vous distraira pas trop, j'aimerais maintenant vous parler aussi brièvement que possible des transports à Mistral. Ou plutôt, de leur relative absence, et des tentatives pour y remédier. Dans cette optique, vous avez sûrement pu constater la construction de plusieurs lignes de chemin de fer, un projet plus que conséquent. Mais la région qui est la nôtre n'est pas sans ses contraintes, et sans vous faire tout un exposé sur la question de la topographie ardue et des divers obstacles... j'aimerais parler de développements originaux de moyens de propulsion.

En effet nous travaillons tous en système particulièrement contraint, à Mistral. Une seule centrale électrique, par exemple. De quoi alimenter tous les foyers et infrastructures existantes, mais pas beaucoup plus. En d'autres termes, un tramway totalement alimenté à l'électricité pourrait rendre la tâche déjà compliquée impossible. Je vais donc vous parler avant tout de mes explorations les plus fructueuses, deux solutions proches et à la fois distantes, j'ai nommé : l'air comprimé et le vide d'air.

Nouvelle très courte pause de Lizbeth, le temps de reprendre son souffle et un peu d'eau. Elle ne s'en rendait plus vraiment compte, mais sa présentation commençait à être bien longue, du moins aux yeux de Joeboy, qui en avait un peu marre de poireauter dans son projecteur.

- L'un comme l'autre, sur le papier, semblaient en effet d'excellents candidats au mode de propulsion. Le vide d'air apporte le plus grand défi d'optimisation, et le principe le plus simple. Un monorail creux fait office de chambre sous vide, le tram coulisse dedans alors que le contrôle se fait à la station. En faisant varier le vide d'un coté ou de l'autre, le tram avance dans un sens ou dans l'autre. Simple et efficace, mais maintenir l'étanchéité tout le long d'une ligne parait extrêmement difficile. La solution semble donc à privilégier pour un système plus court, comme nous pouvons le faire pour les réseaux pneumatiques dans certains bâtiments administratifs.

Pour ce qui est de l'air comprimé en revanche, les problèmes commencent à la mise en place même. Détendre un gaz sous pression rapidement induit nécessairement un refroidissement conséquent, l'on risquerait alors de geler tout simplement le piston et... Oh, peut-être devrais-je vous montrer un peu plus les schémas de l'un et de l'autre. Vous voyez en effet que...


- Les... Joeboy ?

Depuis son poste, son Motisma sortit brièvement de son projecteur, coupant le fouillis d'images mélangées, et lui fit une grimace bien explicite. Dans la salle, quelques uns de ses confrères eurent un petit rire. Son assistant lui signifiait qu'un exposé in extenso des subtilités techniques, avec la dizaine de schémas préparés, était pour lui hors de question, et qu'il était plus que temps d'abréger. Une démonstration d'insubordination qui n'en était pas vraiment une, Lizbeth s'était sans doute un peu trop laissé emporter pour se justifier de dévier autant de ses sujets habituels. Un brin gênée, elle s'ébroua et continua.

- Huhrmm... Sans trop entrer dans les détails donc, l'état actuel de mes essais et recherches me font grandement privilégier la solution de l'air comprimé, adjoint à un simple radiateur aérien et une double chambre de décompression pour contrer l'effet réfrigérant de la détente de l'air lors de la propulsion. Tous les tramways actuels ont été équipé de ce système à présent, et j'espère pouvoir continuer la mise au point autant que faire se peut pour un Mistral bien équipé et aussi propre et calme que possible. Ceci étant dit... Je crois que je suis déjà bien longue, mais j'aimerais finir par une "petite" machine que j'ai eu la chance de concevoir avec notre confrère que vous connaissez tous, Jack O'Lope.


- Vous n'êtes pas sans savoir que le Parc du Laboratoire est, en l'absence du Professeur Snappy, terriblement bondé et en manque d'une personne avec l'énergie folle que lui seul semblait pouvoir déployer pour s'occuper correctement de sa population croissante de pokémons. Combinant l'expertise de soigneur de Jack et mes explorations techniques, nous sommes donc arrivés à une conception hybride de mangeoire. La distribution de la nourriture se fait ergonomiquement, et une pile rechargeable se charge d'alimenter les fonctions très basiques du robuste appareil.

Une prise d'image à heure fixe est effectué par un capteur, qui enregistre ces données couplée à la quantité de nourriture mangée. Le tout peut être récupéré par ondes radio, ou sur place en relevant la carte mémoire embarquée. En cas de panne, un signal est automatiquement envoyé au laboratoire grâce à une pile de secours, et un circuit secondaire, lui entièrement mécanique, prend de relais de la mangeoire jusque 72 heures complètes. Le tout bien sûr étanche, résistant aux chocs, et dans des matériaux peu susceptibles d'attirer les comportement destructeurs des pokémons pensionnaires.

Une solution durable à un problème que nous espérons temporaires, en quelque sorte. Sur ce... Oh, Jack, peut-être voudrais-tu parler toi aussi du sujet ? Joeboy, reste là. Pour ma part, je crois avoir bien assez parlé, je vous remercie tous de votre attention.