Saison Un

: Obscure Prophétie

Pignouze, ville où il avait trouvé gîte en attendant que ses bienfaiteurs lui apprennent tout des us et coutumes de cette société, elle était devenue son point de départ. Un lieu qu'il retrouvait après chaque journée de durs labeurs à aider les petites gens du mieux qu'il pouvait. Au moins son corps qui avait été épargné par les affres du temps lui permettait de toujours être au service du peuple qu'il s'était promit de protéger.

Bien entendu, il pouvait toujours compter sur l'aide et la fidélité indéfectible de son Escouade et de Duchesse pour lui porter assistance ; enfin même si la chienne servait plus de supportrice qu'autre chose. Suivre l'ancien soldat, pourquoi pas mais hors de question de se casser une griffe à courir après les Rattatas et autres nuisibles ! Elle laissait volontiers cette tâche ingrate à la chenille métallique qu'était l'escadron d'Adalbert. Et puis, elle ne voulait pas abîmer la coiffure que le soldait avait eu tant de mal à lui faire. En même temps, il fallait avouer que jouer au coiffeur n'était clairement pas dans les compétences du quadragénaire et il était plus habile à manier une guisarme qu'une paire de ciseaux. Au moins il avait fait cet effort et c'est pourquoi elle affichait la tête haute ce chignon qu'il lui avait improvisé.

Pendant que madame se pavanait à coté de son maître, ce dernier portait de lourds paquetages destiné à l'un des Pignousains. Concentré dans sa tâche, il ne vit pas arriver le vélo qui lui rentra littéralement dedans. Sous l'impact, l'ancien garde n'eut pour unique réflexe que de protéger la gente dame portée par cet engin du dôme qui lui avait apporté tant d'ennuis. Le souffle coupé par l'impact, il accusait tant bien que mal le choc tout en s'enquérant de la bonne santé de la jeune femme qu'il avait protégé de ses bras, au moins son armure avait fait son office. C'était un point réconfortant.

Encore une pauvre victime de satané vélo. Pourquoi avait-il fallu que les mistralois abandonnent leurs bonnes vieilles montures pour ces chariotes diaboliques ? Comment pensaient-ils les faire tenir alors qu'il n'y avait que deux roues et qu'elles vacillaient à la moindre occasion ? S'il avait rencontré l'infâme créateur de cet objet de torture, pour sûr qu'il lui aurait fait passer le goût d'inventer pareilles folies. Encore un peu troublé par le choc, ou sa vision étant brouillée par la poussière soulevée lors de l'accident, il ne put percevoir le minois de sa protégée.

« - Comment vous sentez-vous gente dame ? N'êtes-vous pas... »

Il s'arrêta net dans sa phrase alors que l'écran de fumée se dissipait pour laisser apparaître un visage qu'il n'aurait jamais cru pouvoir revoir. On lui avait pourtant dit qu'elle était morte depuis plusieurs décennies. Alors pourquoi ? Pourquoi voyait-il dame Adeline en face de lui ? Était-ce un maléfice lancé par Kabuto pour le détourner du droit chemin ? Le faire faillir dans sa dévotion ? Il ne savait que trop penser de tout cela. Était-ce un rêve ou la réalité ? Machinalement, il porta sa main tremblante vers la visage de son aimée pour y déposer ses doigts sur cette joue qu'il avait tant caressée dans ses souvenirs. Le souffle court, il ne put terminer le nom qui hantait ses jours comme ses nuits.

« - Dame Adel... »

Des aboiements suivi de quelques gémissements résonnèrent au loin. Il semblerait que Duchesse l'appelait et était inquiète. Était-il souffrant d'un pareil choc ? Peu importe, tant que la sainte en face de lui n'avait rien alors rien ne l'inquiéterait.

Le soldat était certes en piètre position mais au moins la gente dame était saine et sauve. Pourtant il n'en demeurait pas moins fort troublé : avait-il la berlue ou avait-il réellement devant lui dame Adeline ? Pourtant on lui avait affirmé que l'amour de sa vie n'était plus depuis bien longtemps. Alors pourquoi la voyait-il devant lui ? Était-ce un miracle du Saint Helix ? Loué soit son nom. Non impossible car s'il avait été éveillé de nouveau, s'était dans le but de sauver Mistral, pas d'enfin avoir son épilogue d’égoïste.

Pourtant, cette muse avait confirmer ses paroles lorsqu'il l'avait appelée par son nom et la ressemblance était troublante. Tristement la main qui caressait cette peau adulée s'en alla. Il ne fallait point être transporté par des chimères : ce n'était sûrement pas sa sainte Dame Adeline qui se trouvai devant lui, peut-être une descendante. Le vieux guerrier avait tant de péchés à se faire pardonner qu'aucun miracle de ce genre ne pourrait lui être alloué.

« - Non, vous ne l'êtes point... »

Du moins pas celle qu'il avait aimé. Les apparences étaient trompeuses mais un cœur pieu jamais ne pourrait se tromper. Ses prunelles dévotes affichèrent un profond chagrin tandis qu'il essayait d'instaurer une une distance convenable entre les deux êtres. Au moins cette gente dame avait été sauvée, peut-être était-ce là pourquoi la providence avait guidé ses pas.

« - Je suis navré de vous avoir confondue avec une autre. Veuillez pardonner mes écarts à ce sujet. »

Un tel geste intime, auprès d'une inconnue, était répréhensible et il comprendrait si la damoiselle en serait courroucée. Déjà qu'il voyait affiché un tel émoi sur son minois, elle devait déjà le prendre pour un rustre ou une personne inconvenante. Il s'en gourmanda intérieurement en se passant une main le long de sa chevelure poivre et sel avant de la placer le long de son visage pensif et gêné. Sa barbe cachait sa mâchoire serrée tandis qu'il réfléchissait. Comment se faisait-il que cette jeune femme puisse porter le même visage que sa chère et tendre.

Finalement il se releva, tendant une main pour aider l'inconnue à se relever. C'était le moins qu'il pouvait faire après l'affront qu'il lui avait fait. Par ailleurs, en ayant une vision un peu plus lointaine de la jeune femme, il remarqua qu'elle ne portait les mêmes toilettes que celle qui hantait ses pensées.

« - Connaissez-vous une certaine Adeline de Mirre ? »

Oui ou non ? Quelle étrange réponse pour une si simple question. Le vieux garde se trouvait quelque peu dubitatif face aux propos pour le moins incohérents de la damoiselle. Lui avait-il cogné la tête alors qu'il avait tenté de la protéger ? En ce cas sa tentative de sauvetage se serait soldée par un échec cuisant. Peut-être devrait-il l'emmener auprès des sœurs pour qu'elles puissent y panser ses plaies, pourtant elle ne semblait nullement blessée. Ni sang ni contusions. Quel miracle pouvait-elle la mettre dans un tel émoi ? Les femmes de ce temps lui étaient décidément bien trop complexes à comprendre. Tout semblait si simple à son époque qu'il en devint quelques instants nostalgiques.

Il lui laissa quelques instants, le temps de reprendre ses esprits et d'être plus claire dans ses propos et la situation s'éclaircit quelque peu. La jouvencelle s'appelait Adèle, un geste en l'honneur de sa chère et tendre. Ainsi donc son cœur avait raison et malgré l'illusion que lui laissaient voir ses yeux, il ne s'était point fourvoyé. Mais comme elle avait répondu à sa question, il se devait d'en faire autant. Du moins ce que le maréchal Anty et dame Félicia lui avaient conseillé de dévoiler.  

« - Ma famille avait des liens avec celle d'Adeline de Mirre. Je dois toutefois vous avouer que sa droiture et sa gentillesse font qu'elle était ma muse. Une guide à travers les ténèbres qui avaient fini par ronger ma vie. »

Hors de question de lui avouer qu'il était un chevalier vieux de plus de deux cent années et revenu après avoir été enfermé dans la glace par il ne savait encore quelle magie. Après le tour de la damoiselle, s'était à lui de ne trop savoir que dire. Il ne voulait en aucun cas lui mentir mais il avait un lourd secret à garder pour le moment. Moins Mistral en saurait sur son identité et plus il serait en sécurité, du moins c'était ce que lui avaient dit ses guides. La jeune femme avait certes un visage d'ange, il ne pouvait en aucun cas tout lui dévoiler sur le tas.

« - Votre famille aussi tient en haute estime cette sainte ? »

En se rendant compte de son erreur, le garde déchu se rassura sur le fait qu'il n'avait échangé d'une simple caresse sur la peau de la jeune femme. Non seulement aurait-il rompu sa promesse auprès de celle qu'il aimait mais en plus il aurait bafoué les serments faits à l'encontre de l’Église. Mais si sa Dame avait réussi à marquer les esprits, cela devait avouer qu'elle avait réussi de hauts faits. Revoir un visage aimé était à la fois une douleur mais aussi une source d'espoir. Un fol espoir qui pourrait l'aider à tenir un peu plus dans ce monde étrange.  

Plus la conversation s'étalait sur sa chère et tendre muse, plus il se laissait transporter par la nostalgie et l'allégresse, à tel point que sa langue se délia plus que de raison. Ô Dame Adeline, cette Sainte femme qui l'avait sorti de la fange et de la honte qu'était devenu son train de vie. Devenu l'alcoolique notoire pour oublier les horreurs des champs de bataille et la mort de ses frères d'arme, le combattant avait noyé ses traumatismes dans l'alcool.

Il buvait pour oublier et oubliait d'arrêter ! Mais plus que cela, il dilapidait le peu d'honneur qui lui restait dans des combat d'ivrognes pour un regard de travers ou un mot plus haut qu'un autre. Il était devenu un bâtard aussi féroce que craint. Pour beaucoup, il s'était détaché de la vie humble qu'ordonnait son ordre mais sa force et sa hargne faisait que bien peu osaient le braver et ceux qui s'y risquaient finissaient le chef en sang dans le caniveau.

Au fond de la décadente, qui eu cru qu'un jour il fasse la rencontre d'une jouvencelle au sourire aussi plaisant que bienveillant. On avait fait appel à Dame Adeline pour tenter de rendre raison au molosse perdu et tandis qu'il gisait sur le sol, un ombre vint cacher le soleil de la tête du combattant, d'abord grognant, il fini par ouvrir les yeux sur cette divine apparition entourée d'un halo. Sourire bienveillant et empli d'amour pour son prochain, elle lui tendit une main qu'il prit, il ne savait alors trop pourquoi, sans réfléchir et sans hésitation aucune. Ainsi le Saint Helix avait fait se croiser leurs destinées et aidé le chevalier à retrouver son honneur bafoué.

Plus que de l'admiration pour cette sainte femme, vint fleurir en son cœur un autre sentiment, bien plus ardent : l'amour. Ainsi celle qui l'avait sorti de ce ravin avait certes ravivé la flamme de sa piété mais tiraillait le saint guerrier entre ses obligations et ce que lui dictait son cœur. Alors vint sa quête pour sortir des ordres et demander la main de celle qu'il aimait et qui l'aimait en retour. Une quête qui malheureusement écarta leurs deux destins à jamais. Mais comment raconter tout ceci à cette jouvencelle sans trahir la promesse qu'il avait faite au maréchal ?

« - Alors que j'eus touché les bas fonds du déshonneur, son nom fut la voie qui me guida vers un repentir et une vie plus droite. Cette sainte a marqué notre histoire de par sa vertu et sa fidélité. Elle voyait le bien là où personne ne pensait le trouver et a même donner une seconde chance à un vieux garde en perdition. »

Parler d'elle ainsi le rendait tantôt mélancolique tantôt nostalgique mais si le nom de sa bien aimée avait réussi à marquer des familles à travers les âges, ses hauts faits avaient été plus importants que ce qu'il avait découvert lors de sa visite dans cet étrange édifice appelé « musée ».

Il y avait aussi appris que sa main avait été offerte à un autre après son décès présumé et sa suspicion de trahison, qu'elle avait enfanté mais que pourtant il était dit que tous les jours elle s'asseyait dans sa nouvelle demeure, le regard désespérément tourné en direction de la montagne enneigée, comme si elle y attendait un signe. Si tous ne comprenaient ce geste, lui avait le cœur gros de savoir que durant toute son existence elle n'avait cessé de l'attendre. Fidèle et loyale jusqu'au bout, malgré ce que sa famille et le monde avait décidé pour elle.

« - Seraient-ce pour ces mêmes raisons que l'on vous à octroyé cet honneur, Dame Adèle ? »

Les paroles de la damoiselle firent vaciller un sourcil du colosse guerrier : pour lui, peut probable avait été la coïncidence qu'il y ait eu deux Adeline de Mirre durant la même période. Sa mémoire pouvait se faire défaillante sur certains points, il en aurait mis sa main à couper, qu'il ne s'agissait nullement d'un quiproquo. Cette histoire commençait très sérieusement à l’interpeller : est-ce que leur séparation par le destin avait changé à ce point le cœur noble de son aimée ? Peu probable et il s'en flagella mentalement d'avoir osé remettre en doute la droiture de sa muse. Surtout que, et il l'avait appris à ses dépends, l'histoire avait tendance à ne raconter que ce qui lui donnait un avantage certain.

« - Je connais les famille de cette époque et pourtant aucun fait de ce genre ne m'est connu. J'en suis formel. »

Mais son interlocutrice, bien qu'ayant fini par plier son enfin à deux roues de Kabuto, était de plus en plus méfiante de lui. La voilà même qui insistait pour connaître son identité. Si les épées étaient l'apanage des hommes, les femmes quand à elles connaissaient une arme toute aussi aiguisée : leur langue. Peut-être était-ce pour cela que de son époque, on les faisait si souvent taire si l'on ne recevait rien d'elles même sous la torture.

« - Je me nomme Adalbert, vieux garde sillonnant les routes mistraloises en quête d'aider son prochain. »

Au moins une partie de la curiosité de la damoiselle était assouvie et peut-être cela l'extirperait d'une vague de questions. Si la famille de dame Adèle ne lui avait nullement fait entièrement mention de toute l'histoire d'Adeline, il eut été fort peu probable qu'elle lui parlé de lui. De plus, il avait été déclaré officiellement traître et même si une audience auprès du roi lui était toujours en vue, il ne pouvait pour le moment plus en dévoiler sur sa personne.

Toutefois il voulait savoir pourquoi avait-on traîné celle qu'il aimait dans la fange. Était-ce parce qu'elle avait jusqu'à son dernier souffle pris sa défense ou était-ce parce que son cœur courroucé avait fini par s'obscurcir ? Pensant avoir accompli la partie de son contrat, il se permit de questionner d'avantage son interlocutrice.

- Votre famille ne vous a-t-elle point donné les raisons quand à l'image qu'elle vous peignait de votre aïeule ? Pourquoi vous avoir octroyer son nom si elle n'était point digne d'éloges ? »