Saison Un

: Obscure Prophétie

Vous n’avez jamais eu l’impression que votre vie jouait sans vous ? David, oui. Souvent même. En fait, c’est certainement pour ça qu’il s’évertue à toujours en reprendre le contrôle. Le succès n’est pas toujours au rendez-vous. Un « natif » – comme il aime les appeler – l’avait aidé à porter ses valises et indiqué le chemin jusqu’à Fricke. Toujours son petit flyer dans les mains, véritable trésors qui lui rappelle sans cesse de toute ce qu’il n’a pas le droit de faire, il le scrute périodiquement comme s’il s’agissait d’une liste de course. Fricke c’est tout de suite devenu le joyau de Mistral aux yeux du jeune Langlois, bon, certes, il n’avait vu que deux villes, disons simplement qu’il préférait se rapprocher de ce qu’il connaissait avant de sauter pieds-joints dans le grand bain. David sait-il nager ? La suite dans le prochain épisode.

Aujourd’hui, il fait beau. C’est la journée idéale pour porter son magnifique – et ostentatoire – chapeau de plage Vouis Litton, un nom probablement inconnu du public mistraloi—mistralie—Merde. Il visse le chapeau sur sa tête et pose une paire de lunettes noires sur son nez – avec un peu de chance leur reflet aussi puissant qu’un miroir renverrait à ses interlocuteurs leur manque de goût et les pousserait à repenser leurs choix vestimentaire –, pas question de laisser le soleil lui voler les meilleures années de sa vie.
Je sais ce que vous pensez, David va profiter de la plage, oui, mais ce serait faire preuve de logique. David part en randonnée. Oui, il a un foulard, un short en lin et des baskets taille basse sans chaussettes. Y a pas de tiques à Illumis.

N’ayant le droit de virtuellement rien faire, ce qui, bien que cela ne bouscule pas réellement ses habitudes de jeune blanc privilégié issue d’une famille aux revenus confortables, le dérange profondément. Car si David en horreur de se faire dire quoi faire, se faire interdire quelque chose était encore pire. Il n’allait pas passer ses vacances dans un hôtel--- quoi que. Il s’arrête, réfléchit un instant, et se rappelle les escaliers de l’hôtel et leur état lamentable et se dit qu’une forêt à côté de ça c’est une partie de plaisir.
C’est donc armé d’une gourde d’eau citronnée, d’un sac à dos en toile d’un logo brodé d’une énième marque – notez qu’à ce stade David n’est ni plus ni moins qu’un panneau publicitaire – et d’un sifflet anti-agression dont il se servirait contre les potentiels Ursaring, ou plus probablement sur tout ce qui bouge,
qu'il s’avance vers la forêt du mont Bazoucan. Apparemment les cartes sont en option à Mistral, alors il demande avec réticence son chemin, il finit enfin par arriver à ce qui semble être un sentier de randonnée. Un simple chemin de terre un peu creusé, comme si les gens passaient fréquemment à cet endroit. N'allez pas vous imaginer que David a des bases en survie, il est juste intellectuellement dans la moyenne. Secrètement, il espère qu’à l’arrivée se tient une chaumière 4 étoiles, comme à la station de ski à laquelle il allait en colonie de vacance plus jeune.

David c’est le prince de la ville, et il est bien loin d’être le roi de la jungle. Il se perd, ne le remarque pas tout de suite, se retourne, voit un chemin, le suit, et il le suit sans doute dans le mauvais sens, alors il fait demi-tour. David c’est le mec qui s’est perdu, alors qu’il est encore sur un sentier fréquenté. Ouaip. Alors il enlève ses lunettes de soleil, pousse son chapeau du dos de la main et essuie la sueur de son front. La grandeur ridicule de celui-ci le force à tourner la tête pour voir sur les côtés, c’est pas idéal mais maintenant que ses cheveux ont perdu tout leur volume et on très certainement un pourtour comme s’il s’était coiffé avec un bol, hors de question de le retirer.
Il décide d’attendre, y a bien quelqu’un qui va passer. Après tout, les Mistralois ils doivent aimer ça la poussière, l’humidité forestière, le danger inutile et les trucs qui font suer en général.

Il fait chaud, malgré l’ombre portée au sol par les arbres, David suffoque presque. David, il met tellement d’énergie à se sentir au-dessus de tout le monde qu’il n’a pas vu qu’un pitrouille lui tenait compagnie. Il entend comme des détonations. La nature, c’est un truc de campeur, c’est pas son truc. Alors il se dit que c’est sans doute une partie de pétanque… ou un arbre qui tombe… ou des chasseurs… ça alors… un pitrouille !
David le regarde se morfondre, un air de dégoût pince ses traits fins et délicats dans une moue contrie. Les pokémon spectre ça l’angoisse, c’est capricieux, imprévisible, malicieux et souvent invisible. D’ailleurs, comme pour lui donner raison, le pitrouille se rue sur lui dans des cris et mimiques incompréhensibles. Saleté ! David hurle a plein poumon, le coup de feu ayant retenti au même moment, il lui était difficile de retenir ses émotions, les surprises il les préférait bien emballées et au pied d’un sapin décoré… et de préférence avec son nom dessus.

Il n’y réfléchit pas à deux fois. Un coup de feu, les oiseaux qui volent dans le sens opposé, le pitrouille paniqué qui lui intime, semble-t-il, de le suivre… Entre prendre le risque de se faire avoir par une blague d’un pokemon spectre ou une balle dans la tête, il a vite choisi son camp. David s’élance derrière le pitrouille qui paraît soudainement retrouver toute sa mobilité et sa capacité de voler, tant et si bien qu’il peine à le rattraper. Il s’enfonce ainsi dans la forêt, de plus en plus profondément.
Les pokémons se taisent… bientôt seuls les bruits de ses pas dans la végétation et sa respiration saccadée accompagnent sa course à travers bois. Il finit par s’arrêter, « Aoutch ! » se dit-il à lui-même alors que ses jambes sont griffées par quelques ronces, laissant pour seule trace de leur passage un collier de perles ensanglantées le long de son mollet.
Il lève le nez en l’air, la forêt est dense et le plonge dans une obscurité ambiante à la fois pesante et calme. Une branche craque, c’est ce stupide pitrouille qui joue dans un buisson. C’est comme si le monde s’était donné le mot pour le mettre dans des situations embarrassantes. Il déteste cet endroit autant qu’il le fascine. En un sens, c’est la première fois qu’il se retrouve dans une étendue naturelle autre qu’un parc entretenu à la presque perfection.

Il se retourne pour tenter de trouver son chemin et tombe nez-à-nez avec le pitrouille…
Attendez une seconde, si le pitrouille est ici… alors qu’est-ce qui joue dans les buissons ?!

David sort timidement la pokéball de Venti… le ramoloss qu’on lui a envoyé pour son voyage. Un compagnon qu’il n’avait que depuis quelques jours et qui ne lui obéissait pas vraiment. Il regarde la pokéball… puis le pitrouille… puis la pokéball… Et puis il repense à ces lois qu’on lui a dit de suivre… est-ce qu’il avait seulement le droit d’affronter la faune sauvage ? Il ne voulait pas braconner malgré lui…

Son chapeau bouge, il y sent un poids. Son regard devient vide. Quelque chose. Est. Sur. Son. Chapeau. Il n’ose plus bouger. Il regarde le pitrouille avec effroi mais ce dernier semble tout aussi apeuré que lui. David ignore encore quelle espèce a atterri sur sa tête. C’est quelque chose de léger, pourtant il sent son poids tirer son chapeau gigantesque et peine à rester droit sans bouger un pied de temps à autres pour se stabiliser.
Et puis le pitrouille l’aide, enfin, pas trop tôt, s’il avait su comment réellement commander un pokémon il l’aurait sans doute fait, ou alors il lui aurait balancé une pokéball s’il n’avait pas tout laissé à l’hôtel. Maudite région sauvage. L’attaque du pitrouille semble avoir touché le pokémon car un cri plaintif et une soudaine reprise des activités sur le haut de sa tête a lieu. Il faut agir et vite.
David retire son chapeau d’un geste, bloquant la pokéball dans sa main, et se met à tournoyer avec tel un lanceur de poids olympique. L’aspicot panique, s’accroche de toutes ses forces, fait virevolter son dard autant que la force centrifuge le lui permet. Mais ça ne suffit pas. Il tient, ses petites pattes gluantes ridicules l’empêchent de s’envoler. Il se rappelle Judas, le valet l’ayant aidé à son arrivée ici et qui laissait cette chose ramper sur lui comme si son aiguillon n’était rien. David n’a pas peur des insectes, mais l’idée de tripler de volume après un choc anaphylactique ou de devoir être confronté aux « hôpitaux » ou remèdes de grand-mère mistralois ne l’enchantent guère. A vrai dire, il préfèrerait encore suivre un tutoriel DIY d'amputation plutôt que de mettre sa vie entre les mains de ces bidoufs.

Il finit par faire l’ultime sacrifice et envoie son chapeau comme un frisbee dans une direction aussi loin de lui que possible. L’aspicot percute un arbre, son chapeau s’accroche dans l’aiguillon et le ponctue d’un trou singulier. David se décompose. Son chapeau de designer ? VRAIMENT ?! Il va pleurer, non, il retient, il est fort, brave, des chapeaux y en a plein d’autres. Pourtant son petit menton se met à trembler et il sent un souffle chaud lui monter dans les joues. Non, ce n’est pas de la tristesse mais un trop-plein. Il en a marre de Mistral, ça ne fait pas un mois qu’il est arrivé et c’est déjà la merde. Ce voyage était la pire idée qu’il ait eu, mais ça il ne pourrait jamais l’avouer, ce serait donner raison à ses parents.
Alors que l'aspicot secoue son chapeau accroché à son aiguillon comme un drapeau, un second souffle s’empare de David et il jette la Pokéball de Venti d’un geste digne d’un joueur de baseball :

Venti ! Regarde le VILAIN pokémon de PAYSAN ! Ça te rappelle personne ?! Utilise, heu… heu… Il faut qu’il fasse un truc cool, un truc qu’il a vu à la télé. G-GO ! hurle-t-il en pointant du doigt l’horrible pokémon au chapeau troué.

S’il avait connaissance des niveaux, des rapports de force et de toutes les bases du dressage de pokémon ? Pas vraiment. Il s’imagine que Venti s’en sortira tout seul. Après tout, il semble avoir plus de jujotte que la plupart des ramoloss qu’il a vus.
Et par chance c’est ce qu’il se passe. Venti semble se remémorer l’odieux paysan de Kalank, il se met à le charger, ses yeux deviennent blancs et l’aspicot se tort de douleur, David comprend que son ramoloss fait des sortes de tours psychiques... Et l'aspicotcomplètement hébété par l’attaque du pitrouille et encombré du chapeau ne parvient pas à faire grand-chose en retour. David a aucune idée de ce qui est en train de se passer, il regarde le combat se faire, tendu et tout aussi confus que le pokémon adverse. Il ne sait pas quand arrêter le combat, Venti va bien finir par l’envoyer valser, non ? Vu comment ses valises avaient volées avec une charge, il espérait que l’aspicot s’envolerait vers d’autres cieux de la même façon.
Le silence de la forêt est brisé, entre l’aspicot et le ramoloss qui se crient dessus et qui percutent ma foi pas mal tous les arbres à proximités et roulent dans les buissons, s’il y avait encore eu des roucoul dans le feuillage on l'aurait vu partir ailes battantes. David quant à lui, essaie de tourner autour du combat pour éventuellement récupérer son chapeau et se morfondre sur son "état irrécupérable". Faut dire qu'après avoir roulé ainsi dans les feuilles, la terre, les branches et avoir subit les assauts de Venti... C'est pour le principe OK ? C'est SON chapeau.

Pitrouille ! Petit ange ! Il a récupéré son chapeau ! Le regard de David s’illumine d’une tendresse nouvelle pour le petit pokémon spectre. Il n’est pas certain de tout ce qu’il a fait, et en fait il n’a pas vraiment le temps de comprendre ce qu’il se passe qu’un aspicot volant et traversant les arbres se rue sur son ramoloss. Il crie à nouveau, plus de peur qu’il ne l’attaque lui plutôt que son pokémon qu’autre chose, mais ça a au moins le mérite de prévenir Venti qui tente de donner un coup de tête mais se prend une session d’acuponcture à la place.
Le pitrouille s’agite encore. C’est que… hein, non, il va pas laisser Venti ici. Et puis en fait, pourquoi pas ? Après tout c’est pas son pokémon, et il sort tout le temps de sa pokéball, il aura qu’à dire qu’il l’a perdu… Une once de morale restante lui intime de ne rien en faire. Il ne peut pas laisser Venti se battre seul, mais ce n’est pas pour autant qu’il souhaite se battre avec lui. David est une pompom girl, pas un quarterback ou un arbitre. Vous l’auriez vu avec son spectacle sur le thème « universitaire » et son costume de majorette, splendide.

Seulement voilà, Venti n’est pas le plus brillant, il est vif, certes, et loin d’être un imbécile heureux, mais il reste un pokémon. Sans l’aide de David son efficacité est modérée, et tout ça très certainement car le Venti n’a jamais été sauvage. Alors voir cet aspicot virevolter dans les airs et piquer son ramoloss lui fend le cœur tout en étant complètement désœuvré.
David s’empare du chapeau que lui temps le pitrouille, le visse sur sa tête malgré son état puis se jette sur son ramoloss, le porte de ses deux mains. Il pèse une tonne ce gros lourdo. Le jeune Langlois se met à courir tant bien que mal pour fuir le ver démoniaque.
L’aspicot, bien peu habile de sa nouvelle capacité de vol, gagne quand même du terrain puisqu’il n’a pas à esquiver les obstacles. Après une dernière tentative d’accélération, l’idée traverse enfin l’esprit de David : il avait une pokéball pour Venti. Si ses deux mains n’avaient pas été prises il se serait mis une grosse claque. Perdu entre essayé d’attraper sa pokéball et  de maintenir Venti dans les airs, il ne remarque pas qu’il passe devant Kata, une ranger, qui verrait sans doute une scène digne de Benny Hill avec l’aspicot qui les suit à la trace et David qui zigzague dans la forêt avec son gros pokémon rose dans les bras et son chapeau troué.

Une voix. Une voix humaine. La cacophonie de « ASPICOT ! RAMOLOSS ! » a cessé. Et pourtant, accroupi dans un buisson en tenant son chapeau contre ses oreilles pour se protéger d’une éventuelle piqûre, David ne bouge pas. Trop occupé à se morfondre sur la gravité de sa situation.
Il est fort surpris d’entendre une petite voix se rapprocher de lui, un fort accent que Venti détesterait s’il… Oh non ! Venti grogne comme une tondeuse à gazon, David redresse le regard sur un petit bout de femme aux allures garçonnes. Son visage est enduit d’une sorte de rouge, pourtant – et David s’y connaît – cela ne paraissait pas être du maquillage. Quelle idée de se tatouer le visage, elle avait l’air si jeune… Les yeux de David deviennent aussi ronds que des Obalies. Et si tout ça n’était qu’un piège d’une tribu de rustres mangeurs de touristes ?! Il la regarde, sceptique, interrogateur, méfiant. Avant de se relever d’un bond et de s’épousseter vivement. Laissant tomber le Ramoloss de tout son poids qui peine à se remettre sur ses pattes après un choc avec le sol aussi inattendu. Gentil, il doit être gentil, après tout elle ne va pas le… Un fusil ?! David s’arrête net, c’est un véritable cauchemar cette forêt. Donner une arme à une enfant ce serait comme permettre à Venti de dynamaxer : un massacre. Il espère qu’une chose c’est qu’elle ne soit pas aussi perdue que lui :

Bonjour. Des, heu, grosses bêtes ?... il regarde vivement autour de lui, convaincu qu’il cache son anxiété à la perfection, ce qui n’est pas du tout le cas. Venti, tais-toi, pour l’amour d’Arc-- , d’Helix. se corrige-t-il avant de forcer le Venti dans sa pokéball de frustration. Même si tu as été très… valeureux. Il ignore si les pokémons entendent ou pas dans les pokéballs et s’en fiche. Tu veux dire que… il susurre tu connais cette forêt..  

Une teinte soulagée habille son regard, un soulagement qui se mêle à de l'incompréhension quand David tombe sur les jambes toutes abimées de Kata. L’idée de se retrouver dans cet état le terrifie. Pauvre petite, si elle n’avait pas été vêtue de vêtements normaux il l’aurait sans doute prise pour une enfant sauvage élevée par des Ferosinges. Mistral est si étrange. Au moins elle parlait, même si son accent à couper au couteau ne lui permet pas de tout comprendre, il met les bouts ensemble et en tire un contexte.
D'une assurance tout à fait feinte, il regarde autour de lui et revêt un manteau d'autorité factice comme pour reprendre le contrôle de sa propre vie, en prenant bien gare de ne jamais prendre lui-même le volant. David tient la carte et vous engueule si vous tournez pas au bon moment malgré ses énièmes "là là là là !" à 2 mètres de la sortie.