Saison Un

: Obscure Prophétie

Remonter vers Kedal rappelle à ma mémoire une vieille comptine, déformée, mais bien révélatrice de mon état d'esprit. J'aimerais ne pas tomber sur un Scolocendre. Fort heureusement, il pleut des cordes, la route est d'ailleurs quasi impraticable. Je croise sur ma route quelques Grillepattes abrités sous de larges feuilles. Je revois certaines scènes de ma vie, s'amuser sous la pluie, jouer dans les flaques. Un large sourire s'empare de mon visage, je suis dans mon élément. C'est la première fois que je traverse seul la Forêt Calcinée, en tant qu'adulte de surcroît. D'une main légère, je la laisse balayer les herbes hautes, caresser ma paume, picoter mes doigts. Les yeux clos, un instant, j'inspire un nouvel air, chargé d'une odeur de pétrichor mêlé au feu que l'eau étouffe.

Je me décide à ramasser les quelques espèces de plantes qui bordent mon chemin, sans forcer. Elles doivent être suffisamment rares ici pour ne pas retourner l'endroit, me dis-je. Retrouver mon état méditatif de randonnée-cueillette, c'est exactement ce dont j'avais besoin après les événements de Bivouac. Sans même parler de ce qui s'était passé après le passage des Cavaliers ou même la prolifération du Pokévirus. Je jette un œil à la Pokéball de Gympie. Décidément, ce nom lui va très bien. Je doute qu'il pointe de nouveau son nez dehors aujourd'hui.


Cela m'évitera bien des problèmes, ce n'est pas plus mal. Après quelques dizaines de minutes à arpenter la forêt, ramassant, respirant, serein, je m'arrête sous le cadavre calciné d'un vénérable pour y déguster mon repas. Quelques baies, un sandwich végétalien. J'ai vraiment fini par prendre très au sérieux ces histoires de biopoke. Repus, bercé par les mélodies qu'improvise la pluie sur les sols, les bois ou les feuilles, je poursuis mon chemin. Rapidement, je me rends compte que si la pluie ne s'est pas intensifiée, le terrain est de plus en plus casse-gueule. La terre peine à absorber plus d'eau, il faudrait couper les vannes. Je jette un coup d'œil circonspect au ciel qui me rend une poignée de gouttelettes.


Je glisse. En cherchant à me raccrocher à un tronc à portée de bras, je l'entraîne dans ma chute. Une maladresse qui me conduit plat dos dans le creux de mes propres pas, couvert d'un arbre moitié brûlé que je ne saurais soulever.


Hurlais-je face à ma propre imbécilité. C'est pas possible d'être aussi cloche !

Bloqué sous un tronc d'arbre, sauvé de la chute par la tombe de mes propres pas, mais condamné à mourir de faim ou de soif. Grandiose. Tout à fait grandiose. Plus rapidement que je ne l'aurais cru, le court du temps repris tout autour de moi. Quelques Grillepates se précipitaient vers ma carcasse. Béa que je fus alors de contempler leurs petites bouilles. Ne sont-ils pas adorables !? Décidément, j'aime beaucoup trop les Pokémons. Je tends une main amicale vers eux, mais vite, je me rends compte qu'ils se rapprochent. Il se rapprochent dangereusement de moi. Un Pokémon intrigué n'a pas ce genre de comportement. Ils m'envisagent clairement comme leur prochain repas !


Les raclures, moi qui aurait tout donner pour eux. Je leur aurais tricoté des petits pulls en laine pour passer la saison des pluies. Les traîtres ! Ils peuvent bien pourrir en enfer, j'en ai plus rien à faire. De petits claquements de mandibules me font retourner ma veste tout aussi vite. Mais les pauvres ! Ne sont-ils pas affamés ? Personne ne leur a jamais appris la politesse, ce doit être pour ça. Il me faut leur montrer ce qu'est l'amour pour qu'ils puissent enfin comprendre qu'on ne mange pas quelqu'un sans sa permission. C'est comme ça, ça ne se fait pas. Décidément beaucoup trop gage pour aligner deux neurones, mon salut se présenta en la personne d'une Ramboum. Comment je sais qu'il s'agit d'une femelle ? J'ai lu le post d'au-dessus, il faut croire.


Le tout est qu'elle fit un travail formidable en repoussant mes potentiels agresseurs, tout aussi mignons qu'ils soient, jusque dans leurs tanières où ils vivraient bien au chaud jusqu'à la fin de leur vie, fin. Je m'égare. Le rugissement qu'avait poussé ce Pokémon méritait tout mon respect, d'une part parce qu'il me sauvait d'une sacrée panade, d'autre part parce qu'il en aurait secoué des Pokémon. Je n'suis pas sûr que beaucoup de Pokémon, même évolué, oserais se frotter à un machin qui beugle si fort. Non, vraiment. Très pratique. La propriétaire, sans doute, sortie finalement à son tour de l'ombre dont elle avait fait sa cachette et s'avança vers moi. Voulait-elle en finir avec moi, m'occire froidement de son bâton ? Ou plus simplement pour s'en servir de levier pour soulever l'arbre ?


Elle opta apparemment pour la deuxième option. À ma grande surprise, à moi aussi. Je sais que j'ai l'air depuis le début de ce récit de pas mal supposer qu'absolument tout veut ma mort. Ce n'est pas de la paranoïa, enfin pas seulement, c'est qu'il y a vraiment trop de choses en ce monde qui me préféreraient mort, plutôt que vivant. C'est un constat. Le tout est que la demoiselle, plutôt jolie au demeurant, s'enquérit de me sortir de mon propre pétrin. C'est une erreur de la nature, finalement. Je sais bien que je suis Ranger et que c'est littéralement mon job d'aider des gens "gratuitement", m'enfin. Ce doit être l'air hivernal, l'approche des fêtes de fin d'année. Je ne vois que ça. Je me revois, enfant, batifolant joyeusement dans la neige, ah... Ca commence à faire un bon moment qu'elle s'affaire, c'est une histoire de seconde, mais si je réponds pas bientôt, elle va finir par me croire mort.


Répondis-je, assez patétiquement. Je tentais donc de rattraper mon ton hésitant avec un franc sourire. Je devrais le savoir, pourtant, depuis l'temps. Mon sourire, même le plus honnête possible. On dirait plus celui qu'un psychopathe prêt à découper des enfants au berceau plus que celui d'un angélique enfant d'cœur. Stupide Otto joufflu, ça les abîme ! J'ai bien l'air fin, moi, maintenant. Ah ! Une pression se lève sur mon torse. Ni une, ni deux, d'une impulsion franche du pied, je me dégage de sous mon piège mortel en glissant sur l'arrière-train dans une pose, somme toute, fantasque. Du grand Daphé. On pourrait presque dire tel père, tel fils. C'est donc tout à fait ahurit, totalement gêné que je tente de feindre un gloussement obscur, frottant mon crâne de consternation pour ma propre personne. Pourvu qu'elle ne me prenne pas pour un plouc, pourvu qu'elle ne me prenne pas pour un plouc !!..

Elle me prend pour un plouc. Je peux presque lire une certaine déception dans son regard, comme si elle regrettait de m'avoir sorti de mon bourbier. Agréable. Très agréable. Certes, je n'ai l'air de rien. Mais tout de même ! Elle pourrait faire un semblant d'effort pour tenter de le dissimuler. Un peu de civisme, merde ! M'adresserait-elle à nouveau la parole, ou partirait-elle sans un mot de plus, comme elle était venue ? Il me fallait au moins me présenter, dissiper certains doutes. Ne pas en dire plus que nécessaire. Surtout, ne retenir que ce qui est impérieusement pertinent. Je ne veux pas m'infliger aux autres plus que nécessaire. Qu'est-ce que je pourrais bien lui dire ? Que si je me suis fait une belle frayeur, il n'y a eus plus de peur que de mal ? Très bateau, très plat comme discours, je dois pouvoir mieux faire.


C'est vrai que j'étais resté là, sans rien ajouter. Je dissipais mon sourire, feint, de toute manière et donc facile à faire disparaître. Elle me scrutait méticuleusement, elle semblait indifférente à mon égard. Je lui rendis son regard circonspect, faute de mieux. Me faudrait-il lui répondre rapidement ? Je n'avais pas la moindre idée de ce que je pouvais bien ajouter à ça. Bien que mes pensées m'avaient déjà guidé sur des pistes de réponses, l'entendre, l'observer m'avait coupé toute envie de communiquer. Je n'ai pas envie de traîner, ici. J'aimerais mieux la connaître, mais j'ai comme l'impression que cela est compromis. Que faire alors ? Disparaître ? Tandis que je me redressais, une douleur vint m'assaillir. Une foulure à la cheville. Vraiment !? Corps de lâche. Une légère crispation me trahit au niveau des yeux, mais je n'en fis rien, faisant taire la douleur pour me redresser le plus naturellement possible. Mes guenilles étaient dans un bien bel état, de même pour l'étoffe qui me servait de pantalon.


Des Pokémons ? Attirés par ce cri ? Je ne souhaite clairement pas les rencontrer. Il me faut me hâter, mais j'ai mal à la cheville. Je ne vais quand même pas lui demander de l'aide, non pas que cela puisse m'être désagréable dans d'autres circonstances, mais là, il est clair qu'elle préférerait récupérer un Grillepattes et se le coller dans l'oreille plutôt que de m'aider à rentrer chez Meemaw. Je soupire, las. Sans même prendre garde à l'attitude que cela pouvait renvoyer à la dénommer Adèle. Attendez. Elle a bien dit Ranger, non !? Mon regard, qui suite à notre échange silencieux s'était perdu dans le lointain, vint immédiatement se poser sur le visage de la jeune femme. Certes, l'information aura mis du temps à monter au cerveau, mais les connexions finissent par se faire. C'est mieux que rien.


Des phrases courtes, moins de risques. Peut-être que je sous-estime un peu trop l'impact que peut avoir un discours aussi décousu que le mien, mais je me dis qu'il vaut toujours mieux ça que je parte dans de grandes envolées lyriques. Les gens ne peuvent pas comprendre ce qu'est la vraie poésie. Dévisageant un peu trop longtemps mon interlocutrice,  je décidais de tourner mon regard plus bas, vers la Ramboum de tout à l'heure. Je m'accroupis, sans m'en approcher, pour me mettre à sa hauteur et lui souris, beaucoup plus humainement cette fois, on pourrait presque dire que mes stigmates pourraient s'oublier. C'est un des bons côtés de ma personne, j'aime beaucoup trop sincèrement pour pouvoir le cacher et on peut le dire, j'adore les Pokémons. Sans mot, j'avance, délicatement une main vers elle, sans dégager la moindre forme de menace, si elle rechigne, je récupérerais ma main et me mettrais en route en lui souhaitant bon courage. Si elle acceptait, je lui caresserrait la tête, elle à l'air vraiment adorable, bien qu'un peu peureuse.

Je compris rapidement que ma main pourrait rester comme ça, errante, un bon moment encore. Il ne se passerait rien comme ça. Est-ce simplement un trait de caractère ou la pauvre, avait-elle subi certains sévices par le passé ? Cette pensée fit poindre une pique d'amertume dans mon cœur. Cela ne semblait en tout cas venir de sa partenaire, elle semblait faire confiance à Adèle. Elle fit d'ailleurs très naturellement appel à elle pour recevoir de l'aide. La complicité que cette simple interaction témoignait fit s'envoler le poids qui saisissait ma poitrine un peu plus tôt. Elle est si mignonne... De qui tu parles ? Quoi ?? Comment ça !? Non. Je n'vois pas de quoi vous voulez parler, veuillez sortir de ma tête. Le rouge me monta au nez, une réaction bien étrange, mais bien l'une des dernières zones de mon visage à pouvoir trahir ma gêne.


Je réalisais alors que non seulement, mes paroles ne semblaient pas l'avoir troublée. Du moins, pas d'une mauvaise manière. Mon regard se reporta sur Adèle. C'est là que je constatais qu'elle avait rabattu sur la moitié inférieure de son visage un pan de tissu et où je réalisais que j'avais traversé la forêt sans prendre garde à ce détail. Tout aussi sec, un peu honteux, je sentis une chaleur réchauffer mes pommettes, décidément... Fort heureusement, rien de bien visible sur ma peau cramoisie. D'un geste maladroit, je fis glisser le col de mon pull jusqu'à barré mon nez, en faisant remonter le tissu méticuleusement du bout des doigts, comme si de rien.


Je me rendis compte une fois qu'elle me tendis la main qu'il me fallait peut-être me redresser. Ma posture me rappellais celle d'un adolescent aux tendances émo, gothique. Une caricature de moi-même. Un fin sourire décria mes chairs, faible, mais sincère. Je repris alors toute ma hauteur pour proprement faire se rencontrer nos mains dans une poignée de main ferme, mais amicale. Je me sentais un peu comme l'enfant solitaire un peu bizarre que l'intello de la classe, populaire et jolie venait aborder sans complexe. Extrêmement agréable, mais si déstabilisant ! Sans détour, je pense pouvoir dire que d'une certaine manière, je suis intimidé par ce brin de jeune femme !


Mes yeux se closent. Je ne pouvais pas affronter un contact visuel en souriant de façon si vacillante. Elle me touchait réellement, la con. Il ne faut pas renvoyer autant de bonté à un mort-vivant et espérer qu'il sache comment réagir normalement à ça. Pour moi, le monde est mort et morne, les humains sont des salauds. Venir tabasser mes insécurités par le simple fait d'exister, c'est vache. Lorsque je me décide finalement à affronter son regard, j'ai pris le temps de tempérer mes ressentis. Oui, elle est tout à fait mignonne, Sourdine, aussi... Mais, clairement, rien de plus. Comme je viens de le constater, ça n'est jamais que le contraste entre ce que je pense à l'intérieur et ce qu'elle renvoi de l'extérieur qui donne cette impression vertigineuse. Il n'y a rien de plus.

Je le constate très simplement par l'absence totale d'hésitation quant à initier un contact physique. Une fois encore, l'information me parviens en décalé. Elle avait remarqué ? C'est vrai que mes mains doivent être maculées de chlorophylle, mais je n'aurais jamais pensé qu'elle puisse remarquer cela si facilement, surtout en considérant la situation dans laquelle j'étais à l'origine. Je ne vois pas d'autre explication. Moi-même, j'ai beaucoup de mal à sentir quoi que ce soit par ici... Moi qui voulais déjà bien la croire volontiers quant au fait qu'elle était Ranger, me voilà définitivement convaincu. Je voulais en savoir plus sur cette collègue ! Elle était décidément pleine de surprise et parfaitement capable !


Sans mentir, je ne donne pas toute la vérité.

J'ignore moi-même pourquoi j'omis de dire à une collègue que j'allais vers Kedal pour une Mission. Peut-être parce que j'envisageais réellement de passer chez Meemaw Pérenne avant d'y aller. L'affaire semblait épineuse et j'étais toujours aussi incertain quant au futur de Gympie. Je l'avais baptisé par dépit, me disant qu'il lui fallait tout de même un nom, ne pas devoir le désigner par son espèce. La question d'avoir propriété d'un autre être vivant étant, quant à elle, toujours aussi épineuse pour moi. Je ne me sentais vraiment pas le cœur à ce genre de pratique, d'autant plus avec ce Pokémon en particulier. Est-ce que je recherchais l'ancien propriétaire ? Pour quoi faire, lui faire payer ce que je considérais comme un crime ? Non pas le lui rendre, cela, c'était pour sûr. Alors pourquoi aller chez Meemaw ? Y chercher un conseil, des réponses, n'importe quoi, pourvu que j'y trouve une raison de poursuivre mon chemin, de vivre.


Elle avait su entendre le compliment que je lui faisais. Certes, j'avais toujours autant d'appréhension à l'idée de communiquer avec d'autres humains, mais je peux dire que la tension que je ressentais d'ordinaire connaissait une imperceptible accalmie. On n'efface pas les conséquences d'années de comportement en une après-midi, mais c'est vrai que la chose se ressentais, un peu. Le fait de savoir qu'elle était Ranger, qu'elle était compétente, douée, certainement plus que moi. Tout cela participait à adoucir mes pensées. Puis, je ne déteste pas foncièrement les Hommes, du moins, je crois. Sans même que je ne m'en aperçoive, un faible sourire illuminait mon visage. Les choses iraient bien, du moins je me rends enfin acteur du fait qu'elles aillent dans cette direction.


Je demandais cela, alors que ma douleur à la cheville se fit ressentir de plus belle. Qu'elle idée de se blesser dans un moment pareil. Je suis peut-être en train d'avoir l'une de mes plus longues conversations depuis l'accident et d'en ressentir l'envie sincère. C'est loin d'être le moment d'être arrêté par une bête foulure. Je peste, inaudible avant de m'asseoir sur un rocher bordant notre route. Je sors de mon sac des bandages, deux branches au sol feront l'affaire. La première tombe en morceaux lorsque je la ramasse, la seconde tiens. Je compte expliquer à ma collègue ce que je trame, mais d'abord, je m'affaire. Je fais un ourlé à ma jambe gauche, descends ma chaussette de sorte à exposer les conséquences de la torsion de ma cheville, une traînée rougeoyante indiquant une belle foulure, certes, mais rien de trop grave.