Saison Un

: Obscure Prophétie

Enfer et damnation ! Le garde était une nouvelle fois perdu, comment avait-il réussi un tel exploit deux fois de suite ? Et avec les vêtements que le Maréchal Anty et Dame Félicia lui avaient trouvé, impossible pour lui de se faire remarquer parmi la foule de manants. Autrefois, on s'écartait sur son chemin et le monde était plus distingable sur une monture. Hors désormais il était voué à devoir garder pied à terre et porter des haillons qui le laissaient démunis face à de probables attaques. Certes la liberté de mouvements était là mais il ne pourrait point parer ni même riposter.

S'en était trop, la discrétion pouvait attendre car il fallait avant tout retrouver sa guide au plus vite. L'heure était grave et il avait perdu un temps précieux avec ce charmant contadin fort bedonnant à la recherche de son frère. Le voilà donc remettre les pièces de son armure par dessus le tissu de ses nouveaux vêtements. Ainsi il attirerait plus aisément l'attention et sûrement celle des personnes qui l'avaient perdu.

Concentré sur sa traque, il ne vit pas l'enfançon lui foncer dessus. Si lui ne bougea guère, ce ne fut pas le cas du pauvre petit. Par réflexe, il vérifia si sa bourse était toujours là et pleine. Cette technique étant utilisée par les jeunes roublards, il se devait de s'assurer que rien ne lui avait été dérobé. Mais loin de le fuir, l'enfant préféra se cacher derrière lui. De qui se protégeait-il ? Le regard sérieux, il tourna alors son regard ambré en direction du poursuivant, attendant des explications à toute cette mascarade.

La réponse lui parvint de derrière lui : l'enfant était un noble attaqué par un mécréant ! Ses pupilles se firent plus dures à l'intention du nouvel arrivant mais il utilisa l'un de ses bras en guise de barrage alors qu'il assistait, silencieux entre l'échange des deux personnages. Si le plus jeune avait de la réparti et une forte belle langue, le second se montrait aussi grossier au possible.

« - Pardon ?!? »

Il s'offusqua même d'apprendre que le malandrin osait vociférer des propos parjurieux envers l'altier infant. D'ailleurs avait-il compris que ses méfaits étaient en train de se retourner contre lui et qu'il s'était mis dans une situation où il n'avait plus en position de force. Et par dessus tout, il refusait de s'acquitter de la tâche imposer par sa Royale Majesté ! Son protégé avait raison : il n'était ni plus ni moins qu'un hérétique qu'il fallait faire payer au plus vite ! Le bûcher ? L'échafaud ? Une réprimande n'était plus assez punitive pour ce qu'il avait oser dire. Non seulement il osait parjurer le Roi, l’Église mais en plus il s'en prenait à sa propre personne en plus du chérubin. Justice devait être rendue.

« - Calomnies et fadaises ! De tels propos ne resterons impunis. Je vous en fait gage. »

Sa main libre passa derrière son dos et y attrapa sa fidèle guisarme et la pointa en direction de l'outrancier personnage qui avait eu l'outrecuidance de l'appeler papi, sans parler du fait qu'il avait insinuer qu'il était sot. Sa prise se raffermi et d'un coup d'un seul, abat la partie boisée de son arme sur le faquin qui, sous la force, ne put que finir tête au sol. En voyant son état, pour sûr que s'il avait usé de la tête en fer l'homme aurait fini en deux. Étourdit, voilà le vilain au sol pour un bon moment. Comme il aurait été aisé de l'occire mais il n'était pas homme déshonoré pour oser pareille vilenie. À la place, il l'attacherait en place publique afin que fruits pourris et excréments lui soient envoyés au visage afin qu'il apprenne là où était sa place.

Désormais assuré que l'être baignant dans sa salive et son sang ne serait plus une menace pour le pauvre angelot, il se devait de l'aider à retrouver sa famille. S'il pouvait retrouver ses grâce auprès des nobles, peut-être arriverait-il enfin à avoir une audience avec Sa Majesté. Il rangea de nouveau sa guisarme dans son dos et se retourna, se mettant à genou dans le processus, pour poser deux mains réconfortantes sur les épaules de l’épeurée victime.

« - Ne nous en fait plus jeune homme, ce malandrin ne vous causera plus aucun tort et sera puni comme il se doit. Par ailleurs, où se trouve votre famille ? Que je puisse vous escorter jusqu'à elle dans les plus brefs délais. Les rues sont infestées de vermine et de coupe-gorges alors laissez-moi vous aider après la bonne action que vous venez de faire. Cela n'est que justice et cela me permettrai de m'acquitter de ma dette envers vous. »

Ceci fait, il le libéra pour aller encorder le mécréant afin qu'il ne se soustrait pas à sa sentence grandement méritée. Les liens suffisamment serrés – voir un peu trop – il retourna son attention vers l'enfant.

À genou devant l'infant, le vieux garde fut quelque peu surpris de le voir entamer une prière mêlée à des remerciements. Mais que neni, bon Chérubin, ce n'était point à lui qu'il fallait offrir pareille gratitude. C'était cet enfant – soudainement devenu très adulte – qui avait réussi à guider la justice jusqu'à ce malandrin afin qu'elle soit impartialement exécutée. Lui, n'était que l'outil. Toutefois et par réflexe, il y répondit tant le solennel salut l'avait touché.

« - Dominus Helix tecum. »

Mais quel sot il faisait, pensa-t-il, tandis qu'il rendit son salut à son cadet : il était un noble, cela était donc tout à fait naturel que la culture du bien parler et des bonnes mœurs lui eurent été inculqués. Cela allait lui être plus que plaisant de pouvoir enfin discutailler sans devoir tenter de comprendre le sens de chaque mot employé par son interlocuteur. En deux cents années, le langage avait tant changé qu'il se perdait rapidement et le pire étaient les plus jeunes. Leur argot lui était pour le moins une arcane toute aussi étrangère que la broderie ou la science botanique.

Toutefois la posture altière de naguère disparue un court instant, en même temps que la lumière dans ses prunelles tandis qu'il répéta le mot « famille ». Avait-il été maladroit dans ses propos ? Trop vite dans sa conclusion ? En tout cas, quelle ne fut pas sa surprise lorsque le plus jeune l'enserra à son tour.

Un coup d’œil à gauche. Un à droite. Personne à l'horizon. Il se permit de nouveau à lui tapoter amicalement l'épaule, comme pour lui signifier qu'il serait là s'il avait besoin d'aide. Après tout, ne lui avait-il pas promis d'être son débiteur jusqu'à ce que sa dette soit payée ? Ses compétences en pouponnage s'arrêtaient malheureusement là, de simples tapes sur l'épaule, ayant vécu pour une grande partie dans l'Ordre de Saint Helix, il n'avait été pour les plus jeunes qu'un distributeur à pains pour les démunis ou alors un garde du corps loyal et silencieux pour les plus fortunés.

Être père et pouvoir un jour éduquer son propre enfant étaient devenus des rêves désormais inaccessibles. Vivre aux cotés de Dame De Mirre n'était plus qu'une amère utopie, à croire qu'Helix le Grand lui-même refusait qu'il ne quitte ses rangs pour suivre son cœur.  

« - Je vous en prie. »

Le père de ce jeune homme devait être aussi chaleureux que fut le sien jadis mais au moins il ne fut pas envoyé chez les Templiers pour ne pas être en travers de son chemin. Le seul moment où il put lire de la fierté dans son regard fut lorsqu'il fut reconnu par ses paires et élevé au rang de garde royal. L'amour était un luxe que seules les petites gens pouvaient se permettre et il découvrait que cela restait ainsi malgré les années passées.

« - Laissez-moi donc partager un bout de votre escapade en ce cas. Discutailler avec quelqu'un sans en avoir des maux de tête mais fait un grand bien fou. »

Et puis, il était curieux de découvrir quelles épopées avaient ainsi mener son cadet dans cette situation que d'être pourchassé par un manant hérétique. Serait-il heureux d'assister à sa sentence ? Y participera-t-il ou s'amusera-t-il à voir la populace le faire à sa place ? Après tout, ce butor lui avait causé du tort, il était normal qu'il rende justice, surtout étant un noble. D'ailleurs, il était grand temps de livrer ce maraud à la justice mistralienne maintenant qu'il avait été mis hors d'état de nuire.

Le jeune noble acceptait de faire une parti de son voyage à ses cotés, le voilà fort rassuré car il pourrait ainsi veiller sur lui en même que parler dans un langage plus familier de sa personne. Mais il ne fallait pas perdre de vue son objectif premier qui était de connaître toute l'épopée passée entre le jeune homme et le forban.

« - Je suis navré de vous faire vous remémorer de mauvais souvenirs mais j'ai besoin de savoir comment avez-vous fini poursuivi par ce scélérat ? Voudriez-vous participer à la sentence avec les petites gens pour tous les outrages dont vous avez été victime ? »

Toutefois, laisser un jeune noble sans la surveillance d'au moins un domestique ou un garde du corps, cela relevait d'une folie sans nom ! Qu'aurait-il pu advenir de lui s'il n'était pas intervenu à temps ? Il en soupira avant de se reprendre bien vite face aux questions du jeunot et il fin sourire apparu de sous sa barbe. Il était tout naturel qu'à son âge, les armes l’interpellent il devait être bien plus jeune de quelques années lorsque la première lui fut mise entre ses mains.

« - Je dois avouer que désormais, elle est un peu comme le prolongement de mon bras mais il m'a fallu moult années pour arriver ainsi à la manier à ma guise. »

Mais porter pareille relique était une lourde responsabilité et si les premières questions l'eurent amusé, les secondes le replongèrent dans les horreurs de la guerre. Quand il voyait le calme des jours présents, difficile à croire que les champs de bataille avaient pu rougir la terre de tant de sang et que ses mains en seraient à jamais tâchées. Pour le Saint Helix. Pour la famille royale mais par dessus tout : POUR MISTRAL !

« - J'ai levé en effet ma guisarme contre des adversaires hors des joutes. Ce n'est pas un haut fait dont je suis fier mais c'est pour cela que j'ai été formé. Protéger et défendre ma patrie contre toute menace. Quelle qu'elle soit ! »

Il avait aussi bien porté le coup de grâce à des brigands qu'à des soldats. Si pour les premiers cela ne le faisait nullement frémir, les seconds lui provoquaient des frissons rien que d'y songer. Guerroyer n'était pas aussi plaisant que ce que l'on racontait aux jeunes gens. Il n'y avait ni victoire ni plaisir à ôter la vie d'autrui. Ces victimes, il aurait pu être comptabiliser parmi elles. Agonisant sur des terres loin de sa patrie alors il ne tirait aucun honneur à occire les kalosiens même s'il les méprisaient en raison des nombreux conflits avec l'autre nation.

Et puis plus il ôtait de vies et moins il se sentait humain. Le tabard blanc rougissant du sang de ses ennemis effaçait peu à peu les bons souvenirs qu'il avait eut un jour. Rouge et noir. Il en était devenu fou à plusieurs reprises. Les douleurs de nouveau lui tiraillèrent sa tête tandis que des bruits néfastes lui vrillèrent les oreilles. Des images floues où il n'entendait plus que le râle d'agonie des ombres tombant autour de lui, l'éclaboussant de leur sang tandis que ses prunelles ambrées avaient presque elle-aussi prit la couleur pourpre de la mort. Les horreurs avaient fait de lui un monstre assoiffé de sang alors pour calmer ces ardeurs il se noyait dans l'alcool.

Après le carmin, l'ambre du houblon venait entacher le saint vêtement. Adalbert avait été violent même en dehors des guerres. Une bête féroce qui ne se contrôlait presque plus et qui ne vivait que pour plus d'actions afin d'oublier ses traumatismes. Et tout ceci n'aurait pu que mal finir si une pure damoiselle n'avait soigné ses tourments avec son pardon et sa douceur. Le baume de son cœur.

« - Je ne chéris point les tortures, je ne fais que ce que l'on m'ordonne tant que cela peu servir le royaume et malgré les bravades de ces quatre hérétiques. Je n'ai nullement eu connaissance que des gens aient pu se repaître de leurs chairs et s'il en avait été ainsi, j'aurais ôté moi-même la vie à ces nécrophages en même temps que les cavaliers brûlaient sur le bûcher. »

La conversation était en train de glisser vers une pente dangereuse et cela ne lui plaisait guère. Est-ce que le tourmenter était un plaisir du jeune noble ?

Il allait voir si le fanfaron était aussi éloquent avec l'arme entre ses mains. Un sourire amusé mais bienveillant étirant sa barbe, il utilisa sa main libre pour récupérer sa guisarme et la mettre sans ménagement entre les mains du damoiseau, curieux de voir comment messire s'en sortirait et si ses propres questions allaient pouvoir trouvé réponse par ses propres expériences.

Attentivement le vieux garde ouvrait grand ses esgourdes pour ne point rater les paroles du damoiseau. Ainsi donc le maraud tiré derrière eux avait eu l'outrecuidance de parjurer la Sainte Église et de vouloir s'en prendre à une âme pieuse. Il ne voyait donc point en quoi l'avoir décrié comme hérétique avait outrepassé les faits.

« - N'ayez crainte quand à vos actes damoiseau, les paroles de ce forban son bel et bien hérétiques et le lui avoir stipulé ne vous en est en aucun cas imputable. Vous n'avez fait que ce que votre honneur vous ordonnait de faire. »

La menace des cavaliers étant capitale, il comprenait le bien-fondé de la réaction de ce jeune homme. Même après avoir brûlé ces scélérats et en avoir pendu d'autres, ils avaient réussis à revenir des enfers desquels ils n'auraient jamais dû sortir. Alors si se faire bénir pouvait à la fois remplir le cœur des mistralois de ferveur et éloigner de nouveau ces dangers, c'était un acte noble de sa part. Tout aussi noble que sa mansuétude à l'égard du gredin. Pour toute rétribution, il demandait une humiliation publique. Ainsi la noble victime avait parlé.

Le garde traîna donc le scélérat jusqu'en place publique où il ligota à l'une de ces étranges lanternes sans feu, tête en bas. Et un pendu par les pieds, un ! Le sang lui montant à la tête, il espérait que cette punition lui permette de réfléchir sur ses actes et surtout aux conséquences que cela aurait pu créer. De nouveau des cavaliers galopant et détruisant la belle Mistral ? Trop peu pour lui ! Il se frotta les mains après sa besogne et s'en retourna auprès de son protégé.

« - En effet, je vous trouve d'une grande magnanimité compte tenu de l'outrage que vous avez subi. »

De son temps, si un roturier ou un paysans avait eu le culot d'offenser ainsi un noble, pour sûr qu'il en aurait perdu une main ou connu en emprisonnement dans une cage suspendue. Un soupir s'échappa de ses lèvres. Que pouvait bien donner comme sanction la justice des temps modernes ? Il fallait avoir rapidement la réponse à sa question avant de place sous les ordres du Maréchal Anty.


Le travail étant accompli, l'ancien garde pouvait rire aux dépends du jeune fougueux. Pauvre jeune damoiseau en délicate situation face à sa vieille alliée, un sourire amusé et bienveillant orna son visage tandis qu'un rire fit secouer ses épaules. Si jamais il aurait perdu l'équilibre, se fut avec plaisir qu'il l'aurait aidé à reprendre son équilibre. Nul besoin. Il le laissa détailler l'arme tout en voyant l'émerveillement qu'elle lui prodiguait. Il le comprenait, il y avait de quoi.

« - Cela demande des années d’entraînement pour la manier. Le travail peut-être ardu mais savoir que l'on fait tout cela pour une juste cause vaut bien toutes les peines au monde. Se serait donc le sourire aux lèvres que je tomberai un jour pour mon Seigneur. »

Son sérieux fut toutefois envolé alors que le plus jeune lui offrit un bien étrange sobriquet. Un silence puis de nouveau un rire tonitruant résonna dans la ruelle alors que le garde récupérait son arme.

« - Si cela peut vous faire plaisir. Appelez-moi donc ainsi ! »

Le damoiseau, bien plus rancunier qu'il ne l'était ? Quelles drôles de paroles que voilà mais le jeune homme devait avoir ses raisons pour les penser et les lui confier. Le chevalier ne chercha plus loin la raison à cela. Chacun avait son droit d'asile où ses secrets n'étaient partagés qu'entre lui et le Seigneur. Bien que pensif, il n'importuna pas le jeune noble sur cette énigme. Les bras le long de son corps, il l'écoutait sans mot dire.


Il croisa ses bras devant sa poitrine et regarda le plus jeune lutter face au poids de l'arme qu'il avait entre les mains. C'était amusant ? Presque malgré lui ses épaules commencèrent à bouger dans un rire nostalgique. Combien de fois avait-il vu des enfants essayer de brandir de telles armes et se vautrer au sol. Les guisarmes avaient beau être bien équilibrées, elles n'en restaient pas moins des armes longues et difficiles à manier. Entre tristesse et joie, le chevalier ne savait plus sur quel pied danser. Et puis quelle idée de lui donner pareil surnom. « Dabdab », s'il n'était point noble ayant fait une bonne action, il aurait décliner poliment une telle appellation.

Pourtant cela ne semblait pas suffire pour le jeune homme qui lui proposait en plus un salut rien que pour eux. Il accepta mais d'abord, il allait lui montrer ce que c'était que de tenir correctement une guisarme, cela sera en quelque sorte sa vengeance pour tous les caprices de son cadet. Quelques petits moulinets pour s'échauffer les poignets et il fit vibrer le bois à travers l'air et siffler l'acier au dessus de la tête de Charles avant de planter la base de son arme sur le sol et de la tenir en examinant le plus jeune exécuter une drôle de révérence.

Enfin, cela devait lui tenir à cœur de tels mouvements qu'il n'eut le cœur de refuser et ce malgré le ridicule de la posture. Il devait avouer que lorsqu'il faisait le salut du Saint Helix, beaucoup de ses compères s'amusaient à rire de lui en prétextant qu'il avait plus l'air de montrer ses biceps que de faire un réel honneur à leur divinité.

Le voilà donc fléchir l'un de ses genoux et mettre ses bras en parallèle devant son regard et au dessus de sa tête afin d'imiter le plus jeune tout en gardant la pose le plus longtemps possible. D'ailleurs, était-ce lui ou ses membres de son Escouade s'essayaient eux aussi à la pose ? Cela donnait une situation plus comique que la sienne avec leurs moignons cachés par leurs boucliers. Mais c'était le geste qui comptait et son sourire en fut d'autant plus attendrit.

« - Comme cela Messire ? »

Et le voilà garder la posture aussi longtemps que son dos ne le lui permettait.