Saison Un

: Obscure Prophétie

Voilà le temps des fêtes terminés. Roger avait grandement apprécié retrouver son frère, sa grand-mère ainsi que le reste de sa famille. Passer du temps avec ses proches lui avait fait grandement plaisir, plus qu’il ne l’aurait imaginé. Entre les bêtises de ses petits cousins et des pokémons (depuis quand Ambroise appréciait-il les enfants ?), les remarques fâcheuses de tonton et les plats oubliés sur la taque de cuisson, Roger n’avait pas vu le temps.

Si le scientifique avait passé un bon moment, il fut cependant heureux de souffler un coup quand tout ce petit monde reparti aux quatre coins de Mistral. Quelques jours de repos avaient été les bienvenus, juste assez pour se ressourcer.

Au final, Roger n’avait pas beaucoup avancé dans les objectifs qu’il s’était fixé mais sans grand regret. Ne disait-on pas qu’il fallait reculer pour mieux avancer ?

De fait, le botaniste avait été contacté par des collègues scientifiques pour avoir son expertise. Une collaboration intéressante qui consistait à étudier les vertus de la poudre de Rafflésia. Si cette substance était principalement connue des junkies pour ses effets euphoriques, il semblerait pourtant qu’elle puisse soulager la douleur… ou plus précisément une des molécules qui constituait cette poudre. Le but final était donc d’extraire cette substance afin de créer un nouveau médicament aux effets antalgiques. Encore fallait-il trouver cette sacro-sainte poudre car aucun élevage de Rafflésia n’existait… du moins, pas de manière légale.

Voilà donc la mission de Roger, le spécialiste des plantes : recueillir suffisamment de poudre afin de l’analyser de manière plus approfondie. Si sur le papier cela paraissait simple, il n’en était rien. Les Rafflésia avaient la capacité de produire plusieurs types de poudres, avec chacune une propriété distincte. Roger devait donc tenter de récupérer un maximum de ces différentes substances.

Pendant plusieurs jours, le botaniste faisait des allers-retours entre sa chambre d’hôtel à Fricke et la prairie des lavandes. Il devait patiemment attendre la venue d’un Rafflésia, pokémon rare et dangereux à la fois. Si par chance Roger croisait la route d’un de ces spécimens, il devait encore patienter jusqu’à ce que la fleur veuille bien produire cette poudre tant convoitée. Faute de moyens et de matériel, le scientifique la récoltait avec… un filet à papillon.

L’opération fut éreintante mais grâce à sa persévérance, le jeune homme put récolter un petit sachet de poudre. Des heures et des heures de travail pour seulement quelques milligrammes. Pourtant, cette expérience en valait la chandelle, Roger en était persuadé. Si la théorie de ses collègues scientifiques s’avérait juste, ils pourraient offrir une vie meilleure à de nombreux malades. Ce n’était pas tout, car le botaniste avait également profité de l’occasion pour consigner quelques observations au sujet des Rafflésia et de leur sous-évolution. Une pierre deux coups pour ce féru des plantes.

C’était donc avec tout son attirail et un énorme sourire aux lèvres que le jeune homme revenait du champ au lavande. Bien sûr, il lui faudrait plus d’un échantillon pour venir au bout de ses peines mais il commençait peu à peu à cerner les habitudes et comportements des Rafflésia.

- Le prochain échantillon sera plus facile à obtenir, dit Roger à Ambroise. On prendra moins de temps pour le reste.

Depuis le début, le chat avait docilement suivi le scientifique. Ces allers-retours devenaient lassants à force mais Roger le récompensait toujours quand il arrivait à débusquer une des ces énormes fleurs rouges.

- Je crois qu’on mérite bien un ou deux jours de repos, tu ne crois pas ? Avant d’aller à l’hôtel, je vais te racheter des friandises. Tu les as bien méritées.

En guise de réponse, le félin émit un miaulement aigu. Ces paroles, Ambroise les avaient rêvées et elles devenaient désormais réalité ! Ainsi, il se mit à joyeusement trottiner aux côtés de l’humain, heureux que son dur labeur puisse être grassement récompensé.

Evidemment, ce serait beaucoup trop simple si la mission de Roger se passait sans encombre. Dans un premier temps, le jeune homme ignora les aboiements du molosse. Il n’était pas rare que la présence d’Ambroise fasse ce genre d’effet aux chiens ne sachant pas réprimer leurs instincts. Cependant, la tenue du propriétaire du Malosse mit le Statitik à l’oreille de Roger. Personne n’ignorait l’uniforme distinctif de leurs agents.

Parfaitement éduqué, le pokémon obéit à l’ordre sans broncher, montrant ainsi son l’éducation irréprochable dont étaient soumis les chiens de la maréchaussée. Apparemment, le botaniste n’avait pas affaire avec n’importe qui. Il s’agissait ni plus ni moins d’un lieutenant. En plus de son grade, l’homme avait une carrure incroyablement musculeuse. A la connaissance de Roger, la seule personne pouvant rivaliser avec ce physique de titan était le Maître de la Ligue. A Mistral, on ne rigolait pas avec les hautes instances.

Bien sûr, Roger avait conscience que ses activités des derniers jours paraissaient suspectes. Heureusement, il n’avait rien à se reprocher.

- Bonjour, lieutenant. Oui pas de soucis, juste le temps de retrouver ça…

Pendant que son humain fouilla la poche intérieure de son veston, Ambroise lança un regard courroucé au chien. Dommage pour le toutou, son maître ne lui laisserait sûrement pas l’occasion de goûter à une cuisse de chat.

Contrairement à ce qu’il pensait, le blond ne retrouva pas son portefeuille dans sa veste. Ça ne sentait pas bon… Un peu plus gêné cette fois-ci, il glissa sa main dans les poches arrière de son pantalon, bien que cela n’aurait pas été très malin de mettre son portefeuille à la vue de tous. Cependant, il ne s’y trouvait pas non plus. Commençant à perdre de sa substance, Roger fouilla encore toutes ses poches, en vain.

Roger devait se rendre à l’évidence, il avait oublié ses papiers dans sa chambre d’hôtel. Ambroise l’avait également compris car il frottait sa tête contre les cheveux blonds de son dresseur. A moins que cela soit un subterfuge pour se faire pardonner… D’habitude, le chat indiquait au botaniste oublieux ce qui lui manquait avant de partir. Ce jour-là, le félin s’était montré aussi distrait que lui, probablement fatigué par ses journées à pister le Rafflésia.

- Je-j’ai oublié mes papiers à l’hôtel, fit Roger en se grattant le cou nerveusement.

Il y avait un jour, un seul, où il ne devait pas oublier ses papiers d’identité. Evidemment, tête-en-l’air comme il était, Roger avait réussi à se louper. Le botaniste n’en voulait nullement à Ambroise. Au contraire, il aurait préféré ne pas embarquer son fidèle compagnon dans cette galère.

- Ecoutez, je vous assure que je ne fais absolument rien d’illégal !

Dans sa tête, cette phrase sonnait beaucoup moins clichée. Bien malgré lui, Roger se voyait désormais en train de se défendre comme l’aurait fait une personne qui avait justement quelque chose à se reprocher. Pourtant, le scientifique ne pouvait céder aussi facilement son échantillon. Il lui avait fallut passer des heures entières, à observer des Rafflésia sauvages, sous le soleil éreintant pour obtenir quelques pauvres grammes de poudre. Et voilà que son étourderie avait encore frappé, au pire moment.

- Je m’appelle Roger Ranium et je suis botaniste. Avec des collègues, on travaille sur un futur médicament. Si vous voulez, on peut aller jusqu’à l’hôtel. Tous mes papiers s’y trouvent.

Il s’agissait de la stricte vérité. Malgré l’air patibulaire du lieutenant de la maréchaussée, Roger espérait que celui-ci se montrerait compréhensif.  

L’air sévère du lieutenant ne trompait pas Roger, il savait qu’il se trouvait désormais en terrain glissant. Faute de meilleur argument, le blond lâcha un petit rire nerveux. Le voilà embarqué dans une des rares situations qui lui faisait perdre totalement son flegme. Quant à Ambroise, il rompit sa bataille de regard avec le molosse au moment où il comprit que son dresseur se voyait dans de sales draps. Pourquoi fallait-il que son humain soit aussi tête-en-l’air ?

Dépité, Roger secoua faiblement la tête. Il n’avait aucun argument cohérent face à la méfiance implacable du lieutenant Patike. Le botaniste était totalement en tort et il ne pouvait reprocher la maréchaussée de faire son travail correctement, bien que les explications avancées par Anty lui parussent légèrement tordus. La seule chose présumée dangereuse qui attendait dans la chambre de Roger était un Chlorobulle un tantinet porter sur la bagarre.

Comme si cela ne suffisait pas, le scientifique avait laissé le reste de son équipe dans sa chambre. Normalement, ce petit monde attendait sagement dans sa poké ball mais, s’il tardait trop longtemps, Roger craignait une quelconque bêtise de la part de ses jeunes pokémons.

-Euh… attendez, des rumeurs ? fit Roger, l’incrédulité se lisant clairement sur son visage. Quelles rumeurs ?

De mieux en mieux. Ce n’était donc pas un hasard si on venait le contrôler. Un peu plus désarçonné, le blond se massa les tempes. Il n’était en rien au courant des on-dit, prêtant nullement attention à ce genre de messes basses. A aucun moment le scientifique s’était imaginé que des ragots puissent ainsi lui porter atteinte.

Roger soupira profondément. Il n’avait pas beaucoup de choix. S’il voulait se sortir de ce bourbier, il devait montrer patte blanche. Le jeune homme blond espérait simplement que ce quiproquo serait vite réglé, mais il avait quelques doutes à ce sujet. Accompagné de son Pandarbare, le lieutenant Patike ne paraissait faire de cadeau à personne.

- Bon, et bien, je vous suis dans ce cas…

La journée allait être longue… Roger espérait seulement que la maréchaussée comprenne rapidement qu’il n’était en rien impliqué à ces rumeurs. Certes ses allées et venues pouvaient paraitre suspectes, ne parlons même pas du sachet qu’il se trimballait dans sa poche… A bien y penser, il n’avait été nullement prudent en oubliant ses papiers.

Sans broncher, Roger suivit le lieutenant Patike jusqu’au commissariat de Fricke. Pendant le trajet, un lourd silence s’était installé entre les deux hommes. Apparemment, les hauts gradés de la maréchaussée ne plaisantaient pas avec la loi, quand bien même il ne s’agissait que de prétendus délits mineurs.

Parmi tous les bureaux du commissariat, celui du lieutenant était sans aucun doute le mieux ordonné. Trop ordonné au goût du bordélique scientifique, si bien que l’envie de prendre un des stylos pour le déposer hasardeusement le titilla. Néanmoins, le regard perçant d’Anty le clouait sur sa chaise. Roger ne bougeait pas d’un pouce. Toujours resté sur l’épaule du blond, Ambroise ronronnait doucement pour tenter de le rassurer.

Voyant qu’un des collègues du musculeux brun épluchaient les casiers judiciaires, Roger se débattait intérieurement pour ne pas lui dire de chercher son nom. Une perte de temps car il n’existait évidemment aucun dossier concernant le botaniste… du moins, pas à sa connaissance.

Quand Anty sortit un Pokématos, Roger y vit immédiatement la clé de sa délivrance. Voilà qui devrait faire l’affaire pour prouver sa bonne fois. Le botaniste se détendit un peu, affichant cependant un sourire crispé.

- Ici à Fricke, non. Je suis seul sur le terrain, répondit le scientifique. Mais vous pouvez appeler le laboratoire de Vigneaux. Il y aura sûrement un assistant ou un collègue pour vous confirmer mon identité et… le projet que je mène.

En espérant, bien sûr, que quelqu’un se trouvait au laboratoire à ce moment-là. Mais sur ce sujet, Roger était assez confiant. Il y avait toujours quelqu’un sur les lieux, ne serait-ce que pour surveiller les Pokémons.

- Lieutenant, je vous assure, si je me promène avec ce sachet de poudre c’est pour unique but d’étudier ses effets, soupira le jeune homme blond. J’ai passé des heures à tenter d’en récolter à la prairie. Pourtant, il existe des tas d’élevages illégaux et ça m’aurait sans aucun doute épargné un temps précieux de passer par ceux-ci pour me procurer de la poudre. Mais je n’ai pas envie d’invalider mon travail pour des raisons juridiques.

La conversation téléphonique entre le commissariat et le laboratoire durait ce qui semblait être une éternité pour le botaniste. Parfois le regard sévère du lieutenant croisait le sien et, Roger se demandait à quoi pensait le brun quand il scrutait les gens de cette manière. Avec son air patibulaire, il mettait difficilement son interlocuteur à l’aise.

Essayant de récolter quelques bribes de la conversation, Roger se pencha légèrement en avant sur le bureau, l’oreille tendue. Malheureusement, il n’entendit qu’une espèce de murmure grésillant. Dès qu’Anty raccrocha, le blond se redressa brusquement. Il essayait de sonder les pensées du lieutenant mais son visage ne laissait rien transparaitre, comme s’il était imperméable à toutes émotions.

- Mais… je ne comprends pas, souffla Roger.

Ces épaules s’affaissèrent d’un seul coup. Fixant le sol d’un air dépité, le botaniste se demandait comment cela était possible. La situation empirait un peu plus.

Puis il regardait Anty, les yeux plissés… avant de lâcher un rire nerveux qui résonnait désormais dans tout le commissariat.

- Ahahahahah…. AH ! s’étrangla-t-il avec son propre rire. Ne le prenez pas mal lieutenant, mais il existe d’autres moyens plus sympathiques pour détendre l’atmosphère.

La pression enfin redescendue, Roger relâcha ses épaules et s’affaissa sur sa chaise en lâchant un profond soupir. Néanmoins, avec les explications du lieutenant, le botaniste commençait de mieux en mieux à comprendre la situation. Ainsi, le scientifique serait connu pour dealer de la poudre… Voilà pourquoi Anty avait été si intransigeant avec lui. Compatissant, le blond se secoua légèrement la tête.

- D’accord, je vois. Bon, j’admets qu’oublier mes papiers n’étaient pas… une bonne idée. Vous ne faisiez que votre travail, après tout.

Peu à peu, Roger reprit de la consistance. Si Anty était inflexible, il n’avait cependant pas l’air d’avoir mauvais fond. Peut-être prenait-il son boulot trop à cœur, au point d’oublier qu’il avait parfois affaire avec des êtres humains un peu étourdis.

- Ceci dit… je ne pensais pas que la maréchaussée enverrait carrément ces lieutenants pour des affaires de poudre. Surtout avec ces histoires de team Rocket et d’Ordre Noir, dit Roger, ponctuant sa phrase par un geste évasif de la main. Ça doit être plus grave que ça en a l’air.

La plupart du temps, Roger ignorait les agissements de ces deux groupuscules. Bien sûr, le jeune homme ne pouvait tolérer leurs actes mais il se sentait bien loin, fort heureusement, de ces sombres histoires.