Saison Un

: Obscure Prophétie

Décidément, cet arrêté sur l’Eleculture avait fait travailler l’esprit de Roger plus que nécessaire. Cela faisait des semaines qu’il voulait discuter sur ce projet avec Madame la Maire. Par manque de temps, il n’avait jamais pris la peine d’aller à sa rencontre.

Ainsi, il avait fallu d’un rêve étrange pour qu’il se décide enfin. Oh bien sûr, le pragmatisme de Roger avait traduit ça par un message peu subtil de son inconscient. Son imagination l’avait envoyé tout droit dans une école de magie, l’enfermant dans son ancien corps d’enfant. Il devait bien admettre que le rêve avait été sympathique et mignon. Néanmoins, il n’expliquait toujours pas la présence du Chlorobulle à ses côtés le jour de Noël. Enfin, pas qu’il s’en plaignait. Le botaniste ne pouvait pas rêver meilleur cadeau. Bon gré mal gré, Dahlia avait rejoint l’équipe fleurie du jeune homme.

Dans tous les cas, Roger s’était enfin résolu à écrire une lettre à Madame la Maire. Juste quelques lignes concises lui expliquant qu’il était botaniste et aurait aimé voir de ses propres yeux ce fameux projet sur l’Eleculture. Si son imagination était apparemment assez fertile pour lui inventer une amourette d’enfance dans un monde magique, elle avait cependant atteint sa limite concernant ces fermes modernes. Le jeune homme n’avait absolument pas la moindre idée de ce à quoi elle pouvait ressembler et la façon dont elles fonctionnaient. Son côté vieux jeu avait surtout beaucoup de mal à s’accommoder aux nouvelles technologies. Probablement était-ce dû à son éducation… Être élevé par une personne âgée l’avait, d’une façon ou d’une autre, isoler de certains progrès. Un comble pour un scientifique.

Quelques jours plus tard, Roger reçu une réponse. Pour une fois, les services postaux avaient accompli proprement leur devoir. Vu leur réputation, le botaniste était en droit de s’attendre au pire… Il fut satisfait d’apprendre que la Maire acceptait leur entrevue. Encore mieux, les serres se trouvaient à Cochignon. Depuis un moment, la vie du botaniste se résumait à des allers-retours entre cette ville et Frîme.

Le jour du rendez-vous, Roger avait un peu de retard. Puisqu’on ne changeait pas une équipe qui gagne, le blond avait oublié ses papiers d’identité. Pas qu’il en avait réellement besoin pour cette entrevue mais la dernière fois que cela lui était arrivé, il s’était fait contrôler par la maréchaussée. Heureusement, Ambroise était un peu plus alerte et avait convaincu l’humain, à l’aide de miaulements bruyants, de faire demi-tour.

- Madame la Maire !

Une fois sur place, le jeune homme n’avait pas eu grand mal à reconnaître la demoiselle. Figure prépondérante de Mistral, il aurait fallu vivre dans une grotte pour ne pas la connaître. Même si Roger craignait l’arrêté sur l’Eleculture, il était forcé d’admettre que Mademoiselle Estem avait fait avancer beaucoup de choses dans la région. Une prouesse autant plus étonnante vu son jeune âge et son physique délicat. Le jeune homme, quant à lui, restait un parfait inconnu, devant ainsi prendre la peine de se présenter en bonne et due forme.

- Enchanté, je suis Roger Ranium. L’expéditeur de la lettre, précisa-t-il comme pour dissiper quelconque malentendu.

Le botaniste tendit son bras pour une poignée de main solennelle. Peut-être en faisait-il trop ? Roger avait beaucoup de mal à imaginer une personne si jeune et si sérieuse à la fois.

Entre la maire et lui, Roger ne sut dire lequel des deux étaient le plus surpris. Avec son statut, il était persuadé qu’elle avait l’habitude des poignées de mains formelles. A moins que le problème se trouvait ailleurs… Cependant, ce qui frappa incontestablement le botaniste fut les yeux verts de la jeune femme. Ils étaient exactement similaires à ceux qu’il avait imaginé dans son rêve. Comment pouvait-il se représenter mentalement ce trait physique qu’il n’avait jamais vu auparavant ? Ce fut les paroles de Lizbeth qui le ramenèrent sur terre. Encore un peu, et Roger perdait de son flegme. Il fallait bien admettre que la frontière entre le rêve et la réalité commençait à devenir de plus en plus floue…

Le physique menu de la maire semblait aller à l’opposer de son caractère, montrant très clairement qu’elle était une femme occupée. Roger s’en doutait, la maire était probablement sollicitée de toute part.

- Dans ce cas, j’irais à l’essentiel. Il me semble que vous avez mis au point une façon assez innovante de cultiver les végétaux, vous avez-vous-même décris ces fermes comme « technologiquement avancées »…

Roger fit un léger temps de pause, le temps de souffler et surtout de trouver les mots justes. Pour l’instant, le jeune homme se gardait bien de dire que Lizbeth usait de son pouvoir pour mettre en place ses projets sans l’aval du comité scientifique. Si le rang de maire ne lui permettait certainement pas de valider des thèses, il avait au moins l’avantage de mettre en place ses projets. Néanmoins, Roger ne voulait pas céder à la facilité d’une accusation sans preuve.

- Et pour être tout à fait honnête, je ne connais pas grand-chose à la technologie. Par contre, en tant que botaniste, je suis curieux de voir le fonctionnement exact de ces serres et comment vous y faites pousser les cultures.

Voilà ce qui tracassait réellement Roger. La façon dont fonctionnaient ces fermes lui paraissait absolument nébuleuse. Cultiver des plantes n’était pas un art, il s’agissait bien là d’une science. Plus encore quand on savait qu’un champ de culture avait la capacité d’impacter l’environnement qui l’entourait.

Les paroles de la Maire confirmaient quelque peu les craintes de Roger. Aussi délicate pouvait-elle paraître, la jeune femme semblait savoir très clairement là où elle avançait. Indéniablement, son statut lui donnait un coup d’avance pour ses projets, là où le reste des scientifiques devait attendre sagement l’aval de la communauté pour confirmer leurs thèses et donc les réaliser de manière concrète. Le botaniste ne savait pas exactement s’il devait se méfier, ou au contraire admirer cette facette-là. Sans doute ferait-il la même chose s’il avait été à la place de Lizbeth…

- Oh, et bien dans ce cas, je me contenterais des grandes lignes, répondit Roger. J’attendrai bien le Congrès pour comprendre de manière plus poussée le fonctionnement de ces serres.

Il laissa donc la scientifique ouvrir la marche afin de lui faire visiter les installations. Rapidement, Roger découvrit toute la machinerie qui alimentait en énergie le bâtiment. Du moins, pouvait-on réellement qualifier ceci de « machinerie » ? Il ne s’agissait ni plus ni moins de pokémon. Sans doute que cela en aurait choqué plus d’un mais Roger n’en pensait rien. Il fallait admettre que le confort dans lequel vivait la région était en grande partie dû aux efforts de ces créatures. Le jeune homme observa un long instant l’équipe de pokémons électrik qui s’affairaient à la tâche. A priori, ces travailleurs hors du commun ne paraissaient nullement perturbés par tous ces instruments. La Maire semblait avoir trouvé un moyen de transformer ce travail en jeu.

La question de la jeune femme le tira de sa longue observation. Une fois lancée sur un sujet qui lui tenait à cœur, la Maire devenait intarissable. Rien à voir avec la façon dont Roger l’avait imaginée dans son étrange rêve. Dans un sens, cela le rassurait un peu. Cette fantasmagorie avait été si prenante que, pendant un moment, il l’avait prise pour la réalité.

- Hum, oui, réfléchit le botaniste, le temps de reprendre le fil de la discussion. Si je vous suis bien, ces installations ont deux rôles : faire pousser des plantes et… également étudier l’énergie produite par les pokémons ?

Une seconde fois, le regard du jeune homme se posèrent sur l’équipe de pokémons qui travaillaient joyeusement. Il était indéniable que ces créatures possédaient des ressources qu’aucun humain ne pouvait prétendre. Si quelques individus dans la population mistraloise possédaient des « don » -puisque que c’était là le mot couramment utilisé-, ce n’était rien comparé aux capacités extraordinaires des pokémons.

- C’est ingénieux, admit Roger. Sur ce point-là, je n’ai rien de particulier à dire. En fait, j’ai même envie d’en savoir plus mais… vous êtes suffisamment occupée. Je me laisse donc la surprise pour le Congrès, ajouta-t-il avec un clin d’œil.

Ce qui intéressait surtout le scientifique était évidemment les plantes que faisait pousser la jeune femme.

- Ceci dit il y a un autre point sur lequel je ne suis pas certain de vous suivre. Vous… utilisez l’énergie produite par ces pokémons pour accélérer la croissance des cultures ?

Les sourcils froncés, le visage de Roger trahissait son sentiment de perplexité. Sûrement avait-il mal interprété la dissertation qu’avait tenu la jeune femme et, qu’à cet instant, il se faisait passer pour un abruti incrédule.

Bien plus qu’il ne se l’imaginait, Roger venait de lancer la jeune femme sur un sujet qui semblait lui tenir à cœur. Les scientifiques se trouvaient désormais dans un petit bureau, probablement l’endroit où Lizbeth potassait ses recherches. Après avoir posé les bases, elle entreprit des explications plus complexes, ponctuant ses phrases par des schémas sur un tableau blanc.

Indéniablement, le blond fut absorbé par les paroles de la maire, d’autant plus qu’elle venait titiller sa curiosité en incluant les pokémon Plante. Comme attiré par les cercles, Roger s’approcha plus près de cette étrange figure. Il était évident que Lizbeth était une jeune femme intelligente et pleine de ressource.

- Fascinant…

Trop absorbé par le schéma concentrique, l’attention de Roger s’éloigna peu à peu des explications de la blonde. Tandis que Lizbeth mentionnait un trou dans les fonds publics, les pensées du botaniste se tournèrent vers de futures thèses. Les découvertes de la Maire allaient incontestablement ouvrir de nouveaux horizons.

L’esprit de Roger quitta ses divagations quand le botaniste se rendit compte qu’il était observé. La Lizbeth de ce monde n’avait presque plus rien de similaire à la Lizbeth du rêve. Néanmoins, quelque ce soit l’univers dans lequel il se trouvait, Roger se sentait happé par ce regard vert. Comme si cela ne suffisait pas, la question de la maire la désarçonna un petit peu plus.

- Non, je n’étais pas au bal, répondit-il en se secouant la tête, surtout pas pour embrasser cette statue…

Le botaniste avait soufflé cette dernière phrase à voix basse, trahissant ses convictions. Pour cet affront, il pourrait être brûlé devant le château du Roi. Ainsi, espérait-il que la Maire ne soit pas elle aussi une adepte du culte du mollusque… Il émettait cependant un doute à ce sujet. Une femme aussi éclairée ne pouvait croire en ces inepties, n’est-ce pas ?

- Hum… je ne crois pas que nous nous sommes déjà vus auparavant, à moins que…

Se pouvait-il que ce rêve n’en soit pas réellement un ? Cette théorie fumeuse fit naître un sourire crispé sur le visage du jeune homme. Non, cela ne tenait pas debout. Décidément, ces derniers temps son imagination le travaillait énormément, au point d’inventer toute sorte de scénarios ridicules.

- Non, rien, continua Roger. Vous avez sans doute croisé un sosie, quelqu’un qui me ressemble.

Cette explication était bien plus terre à terre, et surtout, satisfaisante pour l’esprit logique qu’il était. Et, s’il avait ainsi rêvé de la Maire, c’était sans aucun doute parce que ce petit brin de femme prenait une place immense dans la région.

L’instant d’après fut particulièrement étrange pour Roger, ne comprenant pas exactement ce qu’il se passait. Un sourire énigmatique, qui déconcerta un peu plus le jeune homme, s’afficha sur le visage de Lizbeth. Il semblerait que la Maire n’avait pas envie de répondre immédiatement aux interrogations du botaniste, comme si elle délectait de savoir quelque chose qu’il ignorait. Ce fut d’autant plus déstabilisant quand le regard vert de la jeune femme croisa le sien, le ramenant encore à ce rêve.

Ignorant soudainement la tension qui venait de s’installer entre eux, Lizbeth se tourna presque aussitôt sur une espèce de tableau de bord. Tandis qu’elle tapota sur des tas de boutons, Roger fixa la délicate blonde, désormais bien plus perturbé par la réponse qu’elle avait emmenée.

La voilà qui commençait à fournir d’autres explications techniques au scientifique. Explications qu’il écouta d’une seule oreille. Si c’était pourtant le but premier de sa visite, il se retrouvait à les ignorer, essayant de comprendre là où Lizbeth voulait réellement le mener.

L’humidité et la chaleur ambiante de la serre fit revenir sur terre le botaniste pour un bref moment. Si l’envie de toucher aux infrastructures mises en place par la Maire était palpable, Roger n’en fit rien et garda sagement ses mains derrière son dos. C’était une scène étrange que lui offrait la scientifique, que le jeune homme ne put décrire correctement. D’une certaine manière, il ne se sentait pas à sa place dans cet endroit. Sûrement parce que ce qu’il voyait lui échappait totalement, et ce malgré les explications de Lizbeth.

D’un pas prudent, Roger s’approcha d’une des ces étranges structures métalliques. Ses yeux vaquaient entre ces constructions atypiques et les plantes, déjà au stade de bourgeonnement. A n’en point douter, l’invention toute droit sortie de l’esprit bouillonnant de la jeune femme semblait porter ses fruits.

Pourtant, l’esprit du blond était toujours coincé dans la pièce d’à côté, ressassant les paroles de Lizbeth. « Sans doute ne nous sommes-nous jamais croisé, à proprement parler ».

- Dîtes-moi Lizbeth, est-ce que vous savez quelque chose que j’ignore ? A propos de nous deux, précisa Roger, car il ne doutait pas que, malgré son jeune âge, la Maire soit immensément plus cultivée que lui.

C’était probablement très mal amené de sa part, voir même oppressant. Néanmoins, il avait la ferme sensation que Lizbeth tournait autour de ses doutes, le narguant presque. Ainsi, Roger se voyait obligé de mettre les pieds dans le plat.

Il redressa légèrement la tête, observant encore l’endroit dans lequel il se trouvait. Une serre. Peu commune, voir même atypique, mais il s’agissait bel et bien d’une serre. Dans ce monde magique, toute la relation qu’il s’était inventée avec la jeune Lizbeth se tenait dans un lieu similaire. Le petit garçon qu’il était redevenu s’était précipité pour aider l’apprentie sorcière à rempoter un Chetiflor.

- Je me souviens maintenant. On s’est déjà vu pendant un cours de botanique, n’est-ce pas ?

Cherchant à capter le regard de la Maire, le sourire de Roger s’élargit peu à peu. Si, à son tour, il pouvait faire marcher la jeune femme, ce ne serait pas de refus. Bien sûr, si le rêve se révélait être une espèce de réalité partagée, il restait de nombreuses questions sans réponses. Peut-être se trompait-il mais, pourtant, cela donnait désormais sens au comportement ambigu de la jolie blonde.