Saison Un

: Obscure Prophétie

Il ne comprenait plus les agissements ni même les décisions de ce roi. Était-il devenu fou ? Paranoïaque ? Le vieux garde ne savait que trop penser de tout cela. Les Exagides avaient été retirés alors qu'une menace se faisait de plus en plus présente. Pourquoi donc ? Ils étaient le symbole de la loyauté et même aucune lame n'avait été évoquée pour remplacer le chambellan souffrant. Seul. Il avait été choisi seul pour garder les pièces les plus proches de la salle du trône et si les bruits des soldats gémissants de douleur résonnaient lugubrement dans les couloirs du château, bien vite d'autres échos parvinrent à ses oreilles : ceux d'échanges belliqueux.

Ainsi donc l'escarmouche avait bel et bien commencé et le roi n'avait choisi que pour seul bouclier un vieux roquet ayant connu bien trop de batailles. Il n'avait guère eu le temps de récupérer de son affrontement contre l'Ordre Noir qu'il devait dès à présent subir un nouveau assaut. Pourquoi de toutes les décisions possibles, était-ce celle-ci qui avait été préconisée ? Adalbert était certes un combattant émérite mais il n'était pas sorti indemne de ses derniers échanges : de sous son plastron, là où son tabard cachait son abdomen, un large bandage cachait quelques points de sutures. Au moins avait-il eu la présence d'esprit d'appeler la maréchaussée en renfort mais arriverait-elle à temps ? C'était là sa plus grande crainte.

On lui avait sommé de resté alité quelques jours de plus pour récupérer de ses blessures mais les ordres de ce roi étaient formels et sans appel. Avait-il décidé de mourir aux cotés d'un chien fidèle ? En tout cas c'était comme cela que voyait le guisarmier alors qu'il arpentait une fois de plus les couloirs qui donnaient sur la salle du trône.

Malgré le calme dont pouvait faire paraître son allure, le garde était dos au mur et plus les bruits de combat se rapprochaient, plus l'emprise qu'il avait sur sa fidèle lame se resserrait. Il avait laissé Duchesse aux cotés du roi ainsi quelques Lançargots et avait pris avec lui ses plus anciens compagnons : les membres de son Escouade. Les créatures étaient certes faibles mais leur carapace dure et rutilante serait un atout non négligeable dans le combat à venir. Il avait certes le traumatisme d'avoir perdu jadis son Escadron mais il ne réitérerait pas les mêmes erreurs et ferait plus confiance aux être qui étaient sous ses ordres au lieu de tout endosser.

C'est alors que l'origine de tout ce raffut fit son apparition. Elle. La Jézabel ! À sa vue, le regard perçant du vieux garde se fit plus incisif et sa mâchoire se serra. Ainsi donc il avait raison dès son premier regard : elle était bien une impie destinée à servir le mal. Plus que cela, elle se gaussait même de lui en lui ordonnant de se pousser pour la laisser passer. S'en était trop ! L'affront était total ! D'un mouvement brusque, il balaya devant lui de son arme pour la contraindre à reculer avant de gronder.

« - Jamais le roi n'a accepté d'audience ! Et surtout moins avec une sorcière ! Pars ou je n'aurais d'autre choix que de te combattre ! »

Les flammes d'une haine trop longtemps contenue flambaient désormais dans son regard qui dardait la traîtresse. Son statut lui permettait de passer certes au dessus de nombreuses lois mais un régicide était un crime d'une toute autre gravité. C'était tout bonnement un aller sans retour. Un des deux belligérants tomberait en ce funeste soir. Malheureusement, il savait lequel. Ses expériences lui avaient fait comprendre les batailles perdues d'avance et celle-ci en était une. Il espérait juste donner assez de temps aux renforts pour arriver.

Car oui, telle était la dernière mission du chevalier Gamotte : tenir le plus longtemps afin que la traîtresse ne soit appréhendée. Malgré les flammes de sa colère, une légère étincelle crépitait dans son regard ambré : celui de la résignation. Et peut-être même celle de la délivrance car enfin il pourrait de nouveau être aux cotés de sa bien-aimée Dame Adeline.  

Son opposante n'avait nul respect pour lui et ses paroles le prouvèrent. « Vieillard », « que son cœur risque d'emporter ». Tels étaient les propos de la Jézabel mais malgré cela elle devait bien se douter qu'il ne la laisserait passer qu'une fois tombé au combat. Ne se souvenait-elle point de sa devise qui en faisait rire plus d'un : « Que trépasse si je faiblis ». En quelques mots son sort était implicitement dévoilé : un genou à terre face à son adversaire et l'issue en serait fatale.

De rage, ses poings se serrèrent sur le bois de son arme et il se concentra à parer les attaques de l'arme que la sorcière avait caché jusque-là dans son ombrelle. Une fine lame, certes fragile et flexible mais qui était d'une maniabilité plus aisée que sa propre arme. La colère le gagnait et les flammes ardentes de son ire se dessinaient à travers les éclats disséminés dans son regard ambré. Le vieillard était plus que sérieux et c'était avec force qu'il tentait lui aussi d’asséner des estocs afin d'obliger son adversaire à reculer.

Malheureusement et comme dit plus tôt, sa guisarme était dotée d'une allonge non négligeable et lui d'une musculature pouvait l'aider à la manier avec aise, l'arme d'hast n'en restait pas moins beaucoup plus difficile à manier – surtout au milieu de la bataille qui faisait rage – et il devait à maintes reprises freiner ses coups pour ne point blesser ses alliés notamment son fidèle petit Hexadron resté à ses cotés.

Chaque boule tentait de parer les attaques que le chevalier lui-même avait du mal à éviter et se fut grâce à son intervention que la lame de Nirvana ricocha contre l'armure de Meneur au lieu de toucher les doigts de sa main exempt de gantelet. L'homme avait appris de ses précédentes erreurs et pourtant il serait voué à toujours en faire et pour preuve : si l'attaque à l'encontre de ses mains avait échoué, celle de son flanc fit mouche et rouvrit la blessure occasionnée lors de son dernier duel.

La morsure de la lame déchira sa peau et s'enfonça toujours plus loin dans sa chair déjà bien malmenée. Aussi, lorsque le fer rougit ressorti de la plaie et du vêtement qu'il avait traversé, le bleu du tabard se colora d'une teinte pourpre à la limite du cramoisie. Ce n'était guère une légère égratignure qu'elle venait de lui faire mais bien une blessure visant à le neutraliser le plus vite possible.

Une main pressa alors la plaie béante qui avait même fait sauter les sutures précédentes et dans un accès de colère le chevalier utilisa la base de son arme pour toucher à son tour son adversaire avant que de son poignet encore libre, il fasse un pivotement pour que cette fois ce soit la tête qui menaçait de toucher la dame aux cheveux roses et noirs. Il était grièvement blessée et pourtant il se refusait à abdiquer. L'Escouade, quand à elle, se gela sur place en découvrant la position dans laquelle était son maître. Même agonisant, il resterait debout pour tenir le rôle qui lui avait été attribué. Aucune reddition, seule la mort serait ce qui l'arrêterait.

Le souffle erratique du garde devint sifflant et se mêlait à quelques grognements indéchiffrables. Peut-être étaient-ce des promesses de mort ? Des insultes envers celle qui voulait à tout prix ébranler tout un royaume ? En tout cas quelque chose venait de changer dans l'attitude du guerrier. Sa posture était moins axée sur la défensive, contrairement à ce que conseillerait son arme, et bien plus sur l'attaque. Ses yeux injectés de sang faisaient désormais flamber l'ambre avec le rouge, tels des flammes ardentes d'un courroux trop longtemps contenu.

Sa main qui avait jusqu'alors servi de pansement de fortune à la blessure se referma de nouveau sur la guisarme, la maculant d'un sang qui s'écoulait à la vue de tous et cette fois au lieu de faire des balayages dissuasifs, l'homme e permettait de nombreuses estocades là où semblait y avoir du mouvement. Oui, il voyait rouge et les formes autour de lui lui étaient indescriptibles. Aussi bien alliés qu'ennemis, il attaquait tout ce qui passait à portée de son arme sans distinction aucune.

En face d'eux ne se dressait plus un homme mais bien une bête féroce et assoiffée de sang. Les flammes et les entrechocs des combats entre eux n'allaient pas l'aider à se calmer. Loin de là car ils résonnaient en écho avec les bruits qu'il percevait lors de ses précédents combats. Point ceux qu'il avait donné en cette époque mais bien lors des champs de bataille où la terre finissait gorgée du sang des différents belligérants. Bien sûr le sien aussi avait fini par coulé par le passé mais c'étaient des blessures moins grave que celle qui se déversait en ce jour funeste.

Loin de faire attention à lui, le colosse essayait tant bien que mal de s'acharner sur son adversaire principale. Le sang fusait sous ses efforts et ses mouvements effrénés et nul ne savait combien de temps encore tiendrait-il cette cadence infernale avant de finir exsangue. S'en était trop pour le pauvre petit Hexadron et si lors de la première rage de son maître, il en avait été tétanisé de peur, il comprenait mieux désormais le traumatisme qu'avait subit son chef et la réponse naturelle et presque instinctive de son corps pour s'en protéger.

Il fallait qu'il calme la bête avant qu'elle ne se tue elle-même à cause de sa folie du sang. Sautillant entre les différentes attaques rapides et puissantes du guerrier, les voilà se rapprocher d'Adalbert avec pour objectif de l'empêcher de bouger en le coinçant. Peut-être cela permettrait à la femme de donner l'ordre à l'un de ses alliés de calmer le berserker. Après tout, n'avait-elle pas dit qu'elle ne voulait point le tuer mais simplement le neutraliser afin de couper la tête du roi.

Si le molosse était prêt à mourir parce que son maître le lui avait ordonné, eux se refusaient à cette fin. Ils avaient perdu un père avant de naître, ils ne voulaient nullement en perdre un second. Alors tandis que cinq boules retenaient tant bien que mal la musculature de l'ancien héro, le chef de groupe se tourna vers Nirvana afin d'y trouver un soutien.

- Hexa !

C'était bien la première fois qu'ils désobéissaient tous à un ordre d'Adalbert mais cette fois leur cœur avait été plus fort que leur enseignement. Ils se mutinaient mais seulement par la loyauté qui inondait leur être. Il fallait faire vite car les mouvements de l'arme meurtrière commençaient à devenir incontrôlés et le sang qui coulait abondamment annonçait avec fatalité un funeste dénouement.

En tout cas, aide ou pas, voilà que le guerrier désormais privé de sa force et ayant la tête qui tournoyait que trop, fini par mettre un genou à terre, pourtant il continua quelques balayages avant que son arme ne finisse par tomber de ses mains privées d'énergie et de force. Une quinte de toux plus tard et l'homme s'écroula alors que son Pokémon tentait tant bien que mal d'amortir sa chute et l'obliger à rester coucher sur le dos.

La cage thoracique du quadragénaire se levait et s'abaissait de plus en plus difficilement alors que l'un des membres posa ses poignons sur la blessure, tentant d'y calmer l’hémorragie. Se fut alors que tous sentir le regard de leur maître se poser sur eux. Non un regard courroucé mais emplit de fierté et de bienveillance alors que son regard se fit de plus en plus lointain et retrouva sa teinte habituelle.

« - Merci... mes amis... »

Tiens, en parlant d'amis, est-ce que ce combat aura donné le tune nouvelle quinte de toux et un sourire bienheureux se dessina sur le vieil homme alors que la fatigue gagnait peu à peu tout son être. Froid et engourdissement. Il ne sentait quasiment plus grand chose si ce n'était les petites présences de ses fidèles compagnons. Dame Adeline. Il allait enfin la rejoindre. Cette idée au moins l'apaisa même si la réalité de laisser son compagnon sans lui lui tiraillait le cœur. Pourvu qu'Anty s'occupe bien de l'Escouade à sa place. D'ailleurs, peut-être aurait-il fallu qu'il lui donne leur nom à chacun. Dommage...

Difficilement, sa main glacée tâta à plusieurs reprises le sol pour y retrouver sa fidèle arme et se fut l'un des membre de l'Hexadron qui l'aida à la prendre à pleine main. Au moins il allait partir l'arme à la main en ayant accompli la tâche qu'il n'avait pu faire il y avait de cela deux cents longues années.

Ses paupières se fermèrent. Il allait décidément passer pour un gros Ronflex à jouer tout le temps au dormeur. Cette simple pensée le fit sourire avant qu'un soupir ne s'échappe d'entre ses lèvres suivi de sa fidèle devise :

« - Que trépasse si je fai... »

[À vous de voir si Adalbert est mort ou s'il est sauvé à temps, je vous laisse décider]