Saison Un

: Obscure Prophétie

D'humeur maussade, le colosse des temps anciens avait fini par accepter l'invitation de son ami à aller se changer les idées sur une île dont l'étrange sobriquet était île Pioupiou. Il était vrai qu'avec son réveil fort houleux et ses nombreuses frasques dans l'édifice appelé « hôpital », le guerrier avait réussi à traumatiser une bonne partie de l'équipe soignante. Pour sa défense il s'était réveillé dans un lieu inconnu, dans lequel on lui avait planté moult branchages inconnus qu'il s'était empressé d'arracher et ses derniers souvenirs provenaient d'une attaque aussi violente qu'elle aurait dû lui être fatale.

Pourtant le quadragénaire se trouvait là et avait apprit avec amertume son échec à sauver la vie du souverain et avait prit pour ce lieu une sorte de prison destinée à le punir pour sa faiblesse. De toute façon, connaissant son blason et la devise de sa famille, il n'avait nulle autre issue que de devoir périr pour avoir manqué à son devoir. Failli. Il avait failli dans sa mission et à cause de lui toute la belle contrée de Mistral était sans dessus dessous. Alors il se pensait en prison dans cette chambre dont l'odeur l’écœurait, dont les instruments de torture faisaient des bruits aussi dérangeants que répétitifs et donc la pitance était encore plus exécrable que les déchets que l'on donnait aux Grotichons.

Pourtant rien de cela. En effet, il avait apprit qu'il était en soins intensifs et que tout ce qu'il prenait pour des moyens de le torturer était en réalité destiné à le soigner. Pour preuve ses bandages et autres cataplasmes étaient propres. De même que sa personne ou encore son « lieu de vie ». il s'en voulu alors pour son réveil brutal où il pourchassa pendant une bonne partie de la matinée la pauvre infirmière en la menaçant de l’ustensile qu'on lui avait enfoncer dans le bras mais aussi pour les pauvres ménagères qui avaient dut nettoyer tout le sang et les différents liquides qui s'étaient échappés des poches raccordées à sa personne.

Autant dire que Mackogneurs et Leuphories n'avaient pas été de trop au personnel pour calmer l'homme en état de choc. Ainsi il avait failli mourir d'une perte de sang abondante mais on lui décela en plus ce qu'ils appelaient un traumatisme de guerre. Autant dire que le repos était de mise pour le barbu et qu'on essayait de ne point jouer avec ses humeurs. On lui apprit aussi que loin de vouloir sa mort, les survivants de la royauté voulaient le voir pour une nouvelle entrevue mais il n'en avait point le cœur. Il se sentait comme un traître, lui qui avait échoué à maintes reprises n'osait accepter de remettre les pieds au château. Pas après tout ce qu'il avait fait.

Mais la famille royale n'était aucunement la seule à ne pas lui en tenir rigueur pour sa faiblesse car il reçu bien assez vite des nouvelles d'un de ses amis les plus proches : le Maréchal Anty qui voulait le revoir pour lui proposer une chasse sur une île répondant au nom de Pioupiou. Se disant que cela lui ferait un peu d'exercice pour ses muscles ankylosés, il accepta avec engouement la proposition et dès le lendemain, le voilà qui arpentait les routes afin de se rendre au lieu de rendez-vous. Malgré la douleur à son abdomen, l'homme d'âge mûr tentait de n'en rien laisser percevoir et cachait ses blessures de sous son tabard abîmé.

Même s'il avait subit lui aussi les affres de ses nombreuses batailles et notamment sa dernière bataille, on lui avait accordé la possibilité de le garder et on l'avait recousu et lavé tant bien que mal. Au moins cela ferait un peu de conversation avec son ami que de parler cicatrices de guerre, après tout il se souvenait des marques de brûlures de son ami alors qu'ils avaient tous deux combattus lors d'un entraînement fort en émotions.

Adossé à un arbre, il attendait silencieusement l'autre colosse afin que tous deux puissent prendre le bateau jusqu'à leur destination. Les bras croisés, il fixait tour à tour l'Escouade et Duchesse qui n'avaient cessés de rester à son chevet et avaient veillé sur lui tout le long de sa convalescence. Finalement un fin sourire réussi à se dessiner de sous sa barbe de plus en plus hirsute et il passa une main affective sur chacune des têtes. Se fut à ce moment-là qu'il aperçu son ami et il leva une main amicale à son encontre afin de l'interpeller.

« - Bien le bonjour Maréchal Anty. Comment allez-vous ? Êtes-vous prêts pour notre promenade sur l’île aux oiseaux ? »

Après les éclats de joies qu'il laissa échappé tout en ouvrant ses bras de façon amicale, le chevalier déchu s'avança vers son ami pour lui offrir une franche accolade. S'ensuivit alors une conversation amicale assombrie toutefois par les nouvelles des récents événements, comment pouvait-il soutenir le regard de son frère d'arme alors qu'il avait failli à sa tâche. De plus, avec son échec, sa devise lui imposait à devoir trépasser ainsi lorsque ces tortionnaires d'infirmières en auront fini avec lui, il se rendrait une nouvelle fois devant le trône afin de subir son juste châtiment.

Toutefois après un certain temps à parler de ses différents états d'âme vint la sonnerie tant familière du Pokématos du sergent. Sachant rester à sa place quand il le fallait, le grand gaillard s'éloigna quelque peu afin de laisser à l'autre homme la confidentialité quand au métier et aux informations échangées. Le téléphone raccroché, Anty retourna auprès de lui et tout en s'excusant, lui annonça son départ précipité.

Quel dommage, lui qui pensait pouvoir se changer les idées et profiter une dernière fois d'une compagnie aussi agréable que rare en ces temps troublés. D'un dernier geste de la main, les deux colosses se saluèrent et Adalbert se retrouva seul. Que devait-il faire ? Aller à l’île PiouPiou ou rebrousser chemin ?

Toutefois il fini par opter pour profiter de son instant de répit loin de ce lieu qui puait et dont les bruits incessants des machineries lui broyait sa pauvre ouïe. Un peu d'air frais lui ferait grand bien et lui permettrait de profiter une dernière fois de la liberté et des magnifiques paysages de Mistral. Un soupir et le voilà emprunter une barque sans remarquer la mère et la fille qui les avaient jugé de loin. Le voilà donc en train de ramer à l'aide de son Escouade tandis que Duchesse profitait de la brise la truffe au vent.

« - Il semblerait que cette aventure se fassent entre nous, comme au bon vieux temps. À croire que le Saint Helix en avait décidé ainsi. »

Fini-t-il par annoncer à ses compagnons d'aventure avant de lâcher de nouveau un rire tonitruant. Le reste du voyage se passa sans anicroche et après avoir accroché la barque le voilà ainsi déambuler à travers les paysages de l’île aux oiseaux et lorsqu'il recroisa du regard la gente dame et sa progéniture, il les salua poliment – bonnes manières obligent - avant de continuer sans plus de cérémonies son excursion.

Avançant avec la charmante compagnie que représentaient ses alliés, le vieux combattant espérait trouver un peu de quoi le revigorer avant de devoir faire face à ses responsabilités. Certes on l'avait choyé et remit sur pieds mais cela ne voulait pas pour autant dire que tout le monde serait disposé à lui pardonner ses manquements. Pour être honnête, il était l'un des premiers à se blâmer pour sa faiblesse et n'avait accepté cette sortie uniquement pour faire plaisir à son ami.

Dommage que ce dernier lui ait fait faux-bond au dernier moment. Mais peut-être était-ce là le stratagème du Maréchal afin de tenter de lui changer les idées. Savoir que Sieur Anty avait réussi sa tâche et pas lui obscurcissait peut-être leur épopée à travers l’île aux oiseaux ? Était pour cette raison que l'autre colosse avait prétexté une affaire urgente ? Le chevalier déchu était quelque peu perplexe et fini par passer une main affectueuse sur chacune des petites têtes qui le suivaient. D'abord Duchesse car honneur aux dames, puis ensuite chacun des membres de l'Hexadron, pas de jaloux. Surtout si cela devait s'avérer être l'un des derniers instants qu'ils passaient ensembles. Autant qu'ils soient les plus heureux possibles !

Adalbert espérait juste, osait même prier le Saint Helix pour que ses compagnons soient par la suite apportés à des mains qui sauraient prendre soin d'eux. Lui qui avait été un bien piètre maître, il espérait tout le bonheur pour ses compagnons de voyage. Un garde bienveillant ferait l'affaire pour son Escouade, peut-être même que la chance le tournerait vers le chambellan, mais il avait quelques inquiétudes quand à Duchesse.

Après tout, il était vrai que la vieille éleveuse qui lui avait offert l'animal lui avait dit que la chienne avait quelques difficultés avec les êtres humains. Révélation qui fut d'autant plus surprenante que c'était la caniche qui était venue à lui en premier. Peut-être qu'il serait ainsi le mieux pour elle qu'elle retourne là où elle était née. Afin d'aider cette vieille dame à la bonté sans égale. Une bonne fin après quelques temps à avoir connu l'aventure.

Mais pour le moment ils allaient tous profiter de l'instant présent et la mélopée qui s'élevait dans les airs allait grandement les y aider. D'où cela pouvait-il provenir ? Le rythme était fort plaisant et joyeux se fut pourquoi et malgré ses inquiétudes, le chevalier déchu décida d'aller à l'origine des chants et des piaillements. Ainsi quelle ne fut pas sa surprise en découvrant que leurs auteurs étaient en réalité quatre Plumelines aux nombreux fans qui offraient à qui le voulait un spectacle des plus entraînants.

Amusé, le voilà se joindre à l'assemblée tandis que déjà Duchesse remuait en rythme sa queue tout en trahissant sa joie. Un rire de sous la barbe d'Adalbert fut la réponse avant que son attention ne soit attirée vers ce qu'il lui semblait être la mère et sa fille de tout à l'heure. Peut-être pourrait-il leur poser quelques questions quand à ce qu'il se passait en ce moment ? Il ne savait guère s'il devait faire le premier pas pour commencer une conversation. Alors il préféra poser une question vague, comme l'aurait fait un voyageur perdu.

« - Excusez mon impromptue irruption, mesdames, mais sauriez-vous l'honneur de ce spectacle ? »

Tout en lui répondant de manière aussi bien sage qu'en faisant montre d'une bienveillance envers sa fille, la gente dame lui fit part qu'elle non plus ne connaissait guère la raison d'un tel festival. Elle l'enjoignit toutefois à ne point se formaliser sur la question et plutôt d'en profiter, s'ensuivit alors les paroles de son enfant qui eurent pour effet de faire sourire le vieux garde et de rire de sous sa barbe. Quelle enfant charmante et pleine de surprise que voilà.

« - Alors tâchons de leur faire honneur, voulez-vous ? »

Ses coéquipiers et lui seraient dans ce cas de parfaits spectateurs à la hauteur de leurs espérances. Le brun en armure alla s'installer confortablement non loin des deux dames et s'amusa une nouvelle fois de ce que la mère avait à dire. Il semblerait bien qu'il avait devant lui – ou plutôt à ses cotés – une Apireine qui savait piquer là où cela pouvait faire mal mais loin de s'en formaliser, il allait lui répondre avec le plus de sérieux possible. Pour avoir été un protecteur, il savait l'importance que des trésors pouvaient représenter à leurs yeux et une mère aussi vigilante n'en devait être que plus aimante envers sa fille.

« - Point du tout, elle est simplement un apparat pour signaler à la populace que je suis un humble chevalier du Saint Helix, sanctifié soit son nom, et par là même un garde royal qui restera toujours présent pour l'aider dans quelque difficulté qu'elle puisse rencontrer. »

Tout en prononçant ces paroles il se demandait toutefois s'il pouvait toujours être considéré ainsi. Il avait failli et même si on le considérait toujours comme un héro, il ne s'en sentait aucunement l'âme. L'Ordre Noir tout comme cette Nirvana avaient réussis leur œuvre de le morceler dans sa volonté infaillible. Bientôt il retournerait au château mais contrairement à ce qu'on lui avait certifié, ce ne serait pas pour y recevoir une récompenses pour ses actes mais bien pour y recevoir la sanction appropriée. Il ne méritait nulle louange. Bien au contraire. Alors il voulait profiter une ultime fois de sa vieille alliée dont les marques étaient les cicatrices d'anciennes batailles menées pour ses idéaux et sa foi.

« - Cette armure est plus un guide qu'une véritable protection. Par ailleurs, je doute fort qu'elle puisse remplir correctement son office dans l'état dans lequel elle se trouve désormais. »

Seul un miracle pouvait expliquer qu'elle puisse tenir encore sur lui et cela n'était plus que question de temps avant qu'elle ne lâche complètement alors il préférait partir avant elle pour ne pas voir le dernier bastion de ses souvenirs se briser à cause de ses actions. Malgré le sourire qui demeurait sur son visage, une tristesse emplie ses yeux ambrés et fit apparaître quelques rides aux coins de ses yeux ambrés.

« - Par ailleurs, je vois bien qu'elle est assez inoffensive pour qu'une mère et son enfant chérie y passent du bon temps en cette belle journée. N'est-il pas ? »

Voilà qu'à son tour il répliquait pour ne pas laisser transparaître à quel point il était blessé.

Finalement pas si dangereux ? Avec le monsieur déguisé en policier ? Dubitatif face aux paroles de la jeune enfant, le chevalier déchu porta son regard interrogatif dans la direction de sa mère, attendant que cette dernière ne lui donne le fin mot de ce mystère. Du moins jusqu'à ce que son cerveau ne fasse finalement la corrélation entre ce qui s'était déroulé peu de temps avant et la vision que pouvait avoir une jeune demoiselle de son âge.

Loin d'être offusqué, le voilà rire à nouveau à gorge déployée tandis qu'une étincelle d'amusement brillant au fond de son regard. Il semblerait bien que laisser le droit à la parole aux femmes – ainsi que d'autres droits – ne soit point une erreur si grave que cela. Le colosse se rendait compte que cela était plutôt rafraîchissant même s'il devait avouer avoir quelques difficultés à avaler certains changements.

Peut-être que cela changerai avec le temps.

« - Grand Helix non ! Messire Anty et moi-même sommes réellement deux représentants de l'ordre et de la paix ! Si nos sommes dangereux, ce n'est qu'à l'encontre des forbans et autres mécréants terrorisants la populace. »

Un dernier rire tonitruant et le voilà de nouveau sous le joug de la curiosité inquisitrice mais néanmoins innocente de la fillette et loin d'en avoir fini avec son habillement, elle s'enquit de connaître les circonstances de l'état de son armure, l'enjoignant même à trouver au plus vite un forgeron pour la réparer. Malheureusement, il ne pouvait certifier si cela serait chose aisée compte tenu de son l'âge avancé et des nombreux heurts qu'elle avait subit. De toute façon, connaissant son sort, pour lui cela n'en valait plus la peine.

Malgré ses tourments, le grand chevalier gardait un sourire sur son visage et s'amusa même de ce que la demoiselle certifiait avec tant d'entrain et pour ne point l'offusquer, il répondit en son sens. Désormais à genou devant la petite, il lui offrit une œillade bienveillante.

« - Je n'en doute point un seul instant, gente damoiselle. »

Puis il tourna une nouvelle fois son regard ambré en direction de la mère de l'infante et d'un petit sourire amusé, continua sur ses louanges.

« - … Vous devez être une véritable force de la nature, ma dame. »

Mais bien vite la bonne ambiance qui avait enivré le groupe se dissipa peu à peu pour ne laisser que tristesse et confusion. Les enfants étaient certes innocents mais s'en devenait meurtrissant car leurs paroles pures relevaient la vérité nue et parfois cruelle. Peu à peu le sourire du quadragénaire disparu pour laisser place de nouveau à la mélancolie.

« - Au grand jamais le Seigneur Helix ne sera contrarié contre son peuple. C'est le vile Kabuto qui fomente un plan diabolique qui est la cause de nos tourments ces derniers temps. Il devient chaque jour qui passe que plus virulent et retord et même la garde fini par être débordée. »

Afin de ne pas alertée cette dernière plus que nécessaire, il fit abstraction de son incompétence au moment de l'assassinat de leur souverain mais son regard trahissait toutefois son émoi. Il porta à la frêle épaule de la plus jeune l'une de ses grandes paluches dans un geste bienveillant et réconfortant.

« - Il vous aime tous, n'en doutez jamais. La foi est ce qui le rendra que plus fort ! Grâce à elle, tous les problèmes finiront par disparaître ! Alors il faut bien prier tous les soirs et lui prouver que notre amour pour lui est aussi infaillible que le sien. Et puis votre mère est puissante, je suis certain qu'elle saura l'aider à vaincre les méchants ! »

Un clin d’œil vers cette dernière et il se releva avant de porter sa même main sur la tête de Duchesse qui aboya avec enthousiasme face à ce geste tandis que dans son dos, ses petits Hexadrons s'étaient déjà exécutés et priaient tous en parfaite harmonie. Mais il était temps de se concentrer de nouveau sur le spectacle qu'offraient les dominants et de leur faire part de leur joie à la vue de leurs efforts combinés. Le chevalier à l'armure abîmée se prit à applaudir.

« - Bravo ! Bravo ! »