Saison Un

: Obscure Prophétie

L’Ecremeuh ! Clairement, C’est pas Kedal ici ! Regardez-moi ces rues pavées bordés de bâtisses aussi hautes et nombreuses que les arbres de chez moi ! Non mais regardez-moi celui-là, surplombé de sa cloche immense ! Je meurs d’envie d’y grimper, juste pour y foutre un énorme coup du machin qui permet de la faire sonner et découvrir le son qu’elle fait. Je parie qu’on l’entend à des kilomètres à la ronde !

Les passants m’interrogent du regard sans s’arrêter, curieux de voir une gamine grimpée sur l’accoudoir d’un banc, la main en visière pour observer le plus hauts des bâtiments. Faut dire que ma tenue n’aide pas à passer inaperçue, entre mon fusil dans le dos, les marques de griffures encore visibles sur mes bras et mes fringues tâchés de boue. Ouep, je viens de débarquer en ville, et j’arrive de loin !

À ma grand surprise, l’autre Truc de Vivaldaim me suit toujours. Sauf qu’à présent, il aurait bien du mal à rester camouflé dix mètres derrière moi étant donné que les rues sont envahies d’humains. Du coup il s’est planqué sous le banc, dans l’ombre, en espérant pouvoir se faire oublier de tous. À chacun de mes déplacements dans les rues de la ville, je l’ai vu galoper avec hâte de cachette en cachette, aussi doué qu’un Steelix planqué dans un champ de baies framby.

Bref, passons les détails ! Qui dit nouvelle ville, dit nouveau panneau de missions ranger ! Je délaisse mon observation de l’immense cloche pour me frotter les mains en zieutant les bâtiments qui m’entourent. Ma première mission en tant ranger officielle ! J’ai tellement hâte que j’en bondis sur place… enfin, jusqu’à me rappeler ma position. Je rate l’atterrissage sur l’accoudoir, glisse jusqu’au sol tête la première, m’y rattrape des deux mains en avant et fini la chute d’une pirouette acrobatique loin d’être maitrisée. Lorsque mon corps revient sur ses deux jambes, je reste figée un instant, moi-même surprise de ne pas m’être écrasée au sol.
L’anecdote aurait pu s’arrêter là, sauf qu’avec une pirouette pareille, mes poches se sont renversées, libérant mes quelques pokeball au sol. Je ramasse les quatre premières à la hâte, mais avant d’avoir pu m’emparer de la cinquième, l’objet s’ouvre de lui-même, libérant ma Fouinette dans un couinement victorieux.
Un sentiment de victoire qui durera approximativement cinq secondes pour la belette, le temps de réaliser où elle se trouve. Mais, qu’est-ce que c’est que ça ? Où sont les arbres ? Les champs ? L’herbe ? Pourquoi y’a-t-il autant d’humains et d’énormes montagnes carrées partout autour d’eux ? Au-delà de son instinct de survie plus que virulent, la Fouinette se sent prise d’égarement en ce territoire si humains. Tant d’odeur la perturbent qu’elle ne sait plus où donner du museau. Du coup, elle finit par se dresser sur la boule qui lui sert d’appendice et couiner dans ma direction avec un air de reproche.

— Ben quoi ? Elle est super, cette ville ! T’as déjà vu un truc pareil, toi ? dis-je en pointant la cloche du doigt. T’as qu’à faire comme Truc, il visite, lui !

Sitôt qu’il me vit le pointer du doigt, Truc couina de frayeur et changea de cachette, délaissant l’ombre du banc pour aller se planquer sous la pancarte publicitaire d’une boutique. Ha…. L’entente est idéale dans cette fine équipe !

— AH ! Pardon, c’est ma pokeball qu’est tombée, et comme elle est jamais contente, bah voilà !

J’ai sursauté en entendant la dame. En plus, elle a une blouse blanche ! C’est le signe des personnes importantes, les blouses blanches ! Tous les grands scientifiques, ils ont des blouses blanches, et c’est grâce à eux qu’on a des fléchettes pour endormir les Pokémon ou qu’on sait faire des flotteurs à base de queue de Marill et des chaussures en Crocorible ! Sans eux, on en serait encore à manger la viande crue, ou à peine cuite avec un feu de paille foireux !
Du coup, je l’ai tout de suite respectée. Ses reprochent en deviennent d’autant plus frappant ! Je hoche la tête rapidement, prête à faire ce qu’elle m’ordonnerait pour régler le problème sans broncher.
Sauf qu’au lieu de m’ordonner, comme je m’y attendais, de ramener ma Pokemon dans sa pokeball, voilà qu’elle "propose" de se débrouiller elle-même.

— Vraiment ? Tu ferais ça ? Oh, merci, merci !

Et voilà que je me laisse tomber sur la scientifique pour l’enlacer en clamant toute ma joie, frottant ma tête contre elle tel un chaton au réveil. Je suis à présent persuadée que cette étrangère possède une technique unique destinée à calmer les Pokémon récalcitrants. Grâce à elle, ma Fouinette va redevenir toute sage et m’obéir !
La principale intéressée semble bien moins enthousiaste vis-à-vis de cette mystérieuse solution. Faut croire qu’elle est moins naïve que moi ! Elle s’est à nouveau dressée sur sa queue, à son petit mètre de hauteur, et gonfle son ventre et ses joues de colères en fusillant du regard la nouvelle venue. Son grondement de colère résonne à nouveau, aigu à vous en crisser les oreilles. Elle aussi, elle menace à sa façon. Elle aussi, elle n’hésitera pas à les mettre en exécution. Ses longues oreilles s’agitent sur son crâne pour pointer la professeure, narguant cette dernière d’un Par Ici humiliant tandis qu’elle agite ses griffes aiguisées.

C’est ainsi que s’organise un magnifique duel Humain-Pokémon sur la place de la cloche, sous le regard plus qu’enthousiaste d’une chasseuse toute excitée, et celui désespéré d’un daim couché sous un présentoir publicitaire qui se demande dans quel merdier il aura finalement fourré cette pauvre Fouinette.

ACTION ! J’observe la scène, attentive comme jamais. Sauf que l’opération vire rapidement au bourrinage pur et simple ! Je tends un bras en direction de la scientifique pour la prévenir en voyant les premières griffures arriver :

— Attention, j’ai déjà essayé et…

Et Woaw, agile la madame ! Elle a réussi à récupérer la queue de la Fouinette sans se faire choper ! Et voilà qu’elle la… ben qu’elle la défonce hein, faut dire ce qui est, pauvre bête ! Pourtant je l’avais déjà prévenue, la petite : faut pas jouer les durs face à plus fort que soi.
Hein ? La plaindre ? Bien sûr que non, je ne la plains pas ! La madame en blouse, c’est une professionnelle ! Elle sait ce qu’elle fait, et si elle considère que cinq coups dans la face, c’est un traitement adéquat, c’est surement que c’est le cas !

Je mets un temps à réagir une fois la scène terminée, comme si je m’attendais à voir la Fouinette se relever toute souriante, guérie de sa colère. Mais euh… Non, elle ne bouge plus : genre décédée, mais en moins sale. Alors je m’approche pendant que la dame en blouse blanche me confirme la réussite de l’expérience. J’avoue qu’à voir l’autre par terre, je commence à douter un chouilla de ses paroles. Elle n’est pas morte, quand même ? C’est que c’est fragile ces bêtes-là ! Sans aller jusqu’à dire que je m’y suis attachée, j’aurais quand même voulu essayer d’en faire quelque chose, de cette belette. Entendez par là : autre chose qu’une écharpe.

Je ramasse avec douceur la Fouinette, une boule dans chaque main. Oh ! Elle respire. Tout va bien, du coup ? Elle a un peu de bave au niveau de la gueule, mais à part ça, tout semble normal. Ah, si, y’a un truc bizarre, quand même ! Elle fait une espèce de bruit discret, comme un long sifflement récurrent tandis que son ventre se soulève et se rabaisse à un rythme régulier.
Euh… Se pourrait-il qu’elle pionce, la belette ? Mais oui, oui, c’est bien ça ! Elle dort à poings fermé, la gueule entrouverte et ronfle sans aucune gêne dans mes bras !
Une profonde inspiration me prend, prévision de tout ce que je me dois d’exprimer…

— MAIS TU ES GÉNIALE !

Je lui ai hurlé aux oreilles, la pauvre. Désolé, mais c’était trop top ! Attendez, imaginez un peu le truc : moi, il a fallu que je tire une flêchette enduite de produit, et c’est à peine si elle somnolait, la belette. Et là, madame blouse blanche, en trois pains bien placés, POUF, elle lui a fait le coup du ninja qui endort les gens ! Et maintenant, ma Fouinette se repose en silence, comme l’avait ordonné l’adulte. In-croy-able !

— Comment t’as fait ? Hein, dis, comment t’as fait ? C’est les points du Shakira ? Le coup du Laporeille ? Ou en vrai, t’es ninja, c’est ça ? T’es une professeure Ninja !

Je lui fous la Fouinette sous le nez, qu’elle la voit bien pioncer paisiblement pour lui confirmer l’efficacité redoutable du traitement. Puis j’aggripe la manche de sa blouse et tire dessus à répétition en enchainant :

— Tu peux m’apprendre ? Hein, dis, dis, dis, tu peux m’apprendre ?

Hein ? Quoi ? Qui ? Ma bouche s’entrouvre à plusieurs reprises tout au long du discours de la dame, hélas, elle ne me laisse pas en placer une. Pourquoi elle s’énerve ? J’ai rien dit moi ! Puis il n’est pas assommé, il dort. Quand on est assommé, on ne ronfle pas comme ça ! Et euh… peur ? Mais elle n’a pas peur ma Fouinette, c’est plutôt elle qui fait peur aux gens. Et… Et… mais… Euh… Pourquoi ? Pourkwa !

J’suis par terre, ma Fouinette abandonnée sur le sol devant moi et je caresse son pelage abimé d’une de mes mains. Truc est retourné sous son banc, horrifié par la scène. J’suis vraiment si nulle que ça ? Moi j’voulais juste faire confiance à une scientifique pour qu’elle m’aide à élever mon Pokémon ! Et, et, et…
La dame s’est assise, elle s’excuse, va même jusqu’à se présenter et donner des conseils bien plus sensés pour soigner mes Pokémon. Sauf que cette fois, même Truc n’y croit plus : ses yeux se sont presque révulsés en voyant la main de l’assassin s’approcher. Et là, l’incroyable se produisit ! Pour la toute première fois de son existence (enfin, je suppose), le daim s’emplit d’un élan de courage sans faille et… mord le doigt qui s’approche de toute la force ridicule de sa petite gueule d’herbivore ! Oué, il mordille quoi. Une seconde. Non, une demi-seconde. En fait, c’est à peine si ses dents ont eu le temps de se refermer avant que sa peur ne reprenne le dessus et ne l’envoie piquer un sprint aussi loin que possible, quitte à se perdre parmi les passants dans les rues de la ville. Il finira sa journée dans un pot de fleur, camouflé comme il sait étrangement bien le faire en de rares occasions.

Après cette courte incartade, c’est à mon tour de me redresser face à la scientifique. Je suis debout, poings et dents serrés à la fixer de mes yeux rouges embués de larmes naissantes. Elle a été vraiment méchante ! Mais, mais… Je n’ai pas vraiment écouté, ses derniers conseils… Mais…

— C’est pas ma fauuuuuuuuuute !

Et les chutes des origines commencèrent, coulant à flot de mes yeux sur madame la scientifique tandis que je m’agenouille pour la serrer dans mes bras et cacher mon visage contre sa blouse.

— Moi, moi, moi… J’voulais juste chasseeeer ! C’est les ranger qui m’ont dit… m’ont dit… m’ont dit… mais j’chai paaaaaas mwaaaaaaaaaaaaa !

Et je pleure, m’étale, et pleure encore entre les bras de cette pauvre dame, cherchant du réconfort auprès de celle qui m’a grondé parce que, après-tout, elle a quand même raison ! Ben oui, c’était méchant, mais elle a quand même une blouse blanche ! J’ai vraiment été toute nulle ! Et sans doute que la Fouinette elle a vraiment peur, et que c’est pas juste une psychopathe ! Et que je suis irresponsable ! Et conne ! Et je me suis foutue de sa gueule ! Enfin, je crois… je sais toujours pas quand, mais apparemment, je l’ai fait ! J’SUIS NULLE !

— C’est, c’est, c’est…. C’est le daim qui voulait ! Mwa je voulais paaaas, je sais paaaas !

Je relève la tête pour regarder la responsable d’une telle remontrance et chercher une quelconque approbation de sa part. Malheureusement, je ne vois pas grand-chose à travers le tsunami qui noie mes yeux.
Et là, d’un coup… Un coup. Ma tête vient s’écraser contre le buste de la scientifique avec force, j’en suis presque assommée ! Derrière-moi, une boule brune profite de ce premier choc pour en rebondir, s’élever aussi haut que possible en tournoyant sur elle-même, jusqu’à rabattre sa queue à la verticale sur la tête de la deuxième tarée avec sa blouse qui fait mal aux yeux au soleil.

PAF ! D’une boul’armure, deux souplesse ! HAHA ! Vous faites moins les marioles, là, les humaines ? Eh wé, c’est comme ça ! J’me fais pas avoir trois fois par la même connerie, MOI ! Que la gamine me tienne par la queue pour m’empêcher de bouger une fois, d’accord. Une deuxième fois, c’est déjà trop. Mais à la troisième ? HA ! La stratégie était déjà prête ! Un bon repos, on encaisse, et on repart ! Là, j’trône sur la tête de ma première victime assommée, mon buste gonflé à quelques centimètres du visage de la seconde. J’ricane, lui mets une petite tape de ma patte gauche pour tâter sa joue… Et un bon gros coup de griffe de l’autre main. Voilà ! Ça, c’est mérité ! Je redescends et mon perchoir et retrouve pied à terre en soufflant de satisfaction. Ha ! Ça fait du bien ! Je nettoie mon pelage d'un revers de la patte : j'ai encore mal, mais clairement, ça valait bien quelques coup dans le bide !

UN PEU exagéré ? Je t’en foutrai, de l’exagération, moi ! Et d’abord… Ce n’est même pas elle, qui exagère le plus, mais bien cette foutue gamine qui m’a kidnappée ! Et comment j’retourne sur mon sentier, moi ? Ah ça, pour tabasser des Pokémon sauvages, ils sont forts. Mais pour le reste, y’a plus personne. Bande de bons à rien ! J’ai une famille, un Ponchiot et 20 gosses à nourrir, moi !

D’accord, c’est complètement faux. Mais ça aurait pu ! J’avais enfin marqué mon petit territoire, expulsé tous ces viandards de rapaces et autres insectes, fait mes réserves… Et il a fallut qu’une gamine dénuée de jugeotte et pas foutue de se battre à la loyale vienne m’en déloger avec sa fléchette empoisonnée ! J’vous jure, quand je pense qu’à l’heure qu’il est, une saleté de Rattata squatte probablement MON terrier aménagé avec soin, ça me donne des envies de meurtre !

Je tape du pied sur le sol, pestant ma colère à qui veut l’entendre. Ça ne vaudrait même pas la peine de s’acharner sur ces deux bonnes à rien, la première est dans les Mepo, quant à la seconde, ses excuses me dégoûtent. J’préfère encore cracher de colère et leur tourner le dos en attendant que la gamine en revienne à la facilité : j’vous parie que dans moins d’une minute, elle m’enferme à nouveau dans l’autre machin rond surabusé. J’espère au moins que la prochaine fois, j’en sortirais dans un lieu duquel je pourrais me carapater sans me faire piétiner par une armée de ces bipèdes malodorants ! Et… BORDEL, C’EST QUOI CE VACARME À VOUS EXPLOSER LES TYPANS ?


Hein ? La cloche sonne. Il est déjà si tard ? La dernière chose dont je me souviens, c’est de m’être cognée contre le torse de la dame en blouse blanche. Je rouvre les yeux, redresse la tête en me frottant l’arrière du crâne. Aouch ! Ça pique. On s’enligne pour une belle bosse d’ici demain.
Oulà, ça tourne… Je me sens un peu relevée de force. Le centre ? Oh, c’est vrai, je dois aller au centre des rangers !

— Oh, merci madame, c’est très gentil. Je ne me sens pas très bien.

Je m’appuie un peu sur son épaule, encore toute brimbalante. La seule chose que j’arrive à faire correctement, c’est ramasser la pokeball de ma Fouinette tombée au sol pour enfin la rappeler, comme la dame me l’a demandé. Elle avait l'air en sacré panique, la pauvre, roulée en boule à se tirer les oreilles jusque sous le museau en hurlant.

Les reproches me reviennent. La tristesse. Il m’en reste quelques larmes au creux des paupières. Je fronce les sourcils et renifle un coup, serrant mon poing libre en avant avant de murmurer :

— Tu sais quoi, madame ? C’est décidé, je vais tout faire pour m’améliorer ! Même que le prochain professeur que je rencontrerai, il dira que je m’occupe bien de mes Pokémon. Promis !

C’est une promesse à moi-même, autant qu’à elle ! Je deviendrais une aussi grande ranger Pokémon que chasseuse ! Et ce, même si toutes mes captures mériteraient leur place sur le tableau de chasse !

Oh, c’est ça, le centre ranger ? Il est bizarre, ce toit rouge. Enfin, ça ne m’empêchera pas d’enlacer une dernière fois la dame en blouse blanche en la remerciant. Mais pas trop longtemps, elle a l’air vachement pressée ! J’espère que je ne l’ai pas mise en retard pour une importance conférence de chercheurs !