Saison Un

: Obscure Prophétie

Quel étrange mélange de paysages ! À droite, la mer, longue étendue bleue visible jusqu’à l’horizon ; et à gauche, de larges champs de tulipes à ne plus savoir quoi en faire. J’avance à mon rythme, le fusil rangé dans le dos et toujours aussi ralentie par ma jambe plâtrée. Voilà qui empêche pas mal d’activité, en plus de réduire mon efficacité en mission. Du coup, en voulant me rendre à Cochignon, j’ai décidé qu’un détour serait le bienvenu. Mes parents ne m’ont jamais emmenée dans cette région. Ni même à la mer, où que ce soit ! Je découvre le mouvement des vagues avec curiosité sans oser m’y tremper, de crainte d’abimer mon plâtre.

Alors que je m’intéressais davantage à la mer qu’aux fleurs, Truc se met à bramer dans mon dos. Seule sa tête dépasse de mon énorme sac de chasse, je dois en soulever la fermeture pour l’attraper dans mes bras et lui demander ce qu’il veut.

— C’est les fleurs qui t’intéressent ?

Nouveau bramement. Il agite ses pattes avant en direction de la lavande, comme s’il cherchait à s’en approcher. Le pauvre handicapé ne peut plus rien faire de lui-même depuis que je lui ai tiré dessus, brisant sa colonne au niveau de l’arrière train. Je suis obligée de le porter jusqu’aux fleurs et l’y déposer afin qu’il puisse en humer le parfum.

— Ça te rappelle celle qui était sur ta tête, hein ? lui ai-je demandé d’une voix triste.

Le pauvre a beaucoup souffert. Tellement que sa fleur s’est fanée jusqu’à tomber, laissant son front vierge de toute nature. Je lui caresse le dos avec douceur et le regarde lécher les fleurs à sa portée. Je suis peu attentive a ceux qui nous entourent : depuis ce débat à la mairie, plein de gens se sont mis à me reconnaître dans la rue ! Ça fait bizarre. Du coup j’évite un peu de croiser leurs regards, comme s’ils me faisaient peur à tous me regarder. Plutôt rester focalisée sur ce pauvre Truc et son dos en compote…

Alors que je m’occupais de Truc, la mélodie monocorde de N retentit derrière moi et attire mon attention. Je me retourne et remarque le monsieur qui vient de passer non loin de là. Alors qu’il voletait dans tous les sens comme à son habitude, poussé par sa curiosité et un enthousiasme nouveau découvert durant notre dernière mission, mon Pokémon lettre a percuté l’adulte en pleine tête, quasiment œil contre œil. Bien plus sonné que l’humanoïde devait l’être, le Pokémon unique œil perd lentement de l’altitude en clignant des yeux à répétition, visiblement sonné par le choc.

— Bah alors, N ! Tu regardes plus où tu vas ?

Je laisse Truc fureter les fleurs afin de rejoindre mon second camarade à quatre pattes avant qu’il ne touche le sable. Plus de peur que de mal : je l’ai à peine tapoté une ou deux fois à l’arrière de son œil qu’il s’en remet et sonne de nouveau dans son langage des plus incompréhensibles. Je peux donc me tourner vers le monsieur !

— Pardon monsieur, N est tout excité depuis qu’il a réussi sa première mission ! Vous allez bien ?

Il parait évident que je n’ai aucune conscience de la rareté du Pokémon que j’élève. Je le traite comme n’importe quel autre animal, et décide d’ailleurs de le relever au-dessus de ma tête pour qu’il reparte dans ses lévitations pendant que je m’exclame :

— Allez N, excuse-toi aussi au monsieur pour lui être rentré dedans !

Le Pokémon s’en donne à cœur joie, flottant de haut en bas face à l’adulte tandis que son timbre résonne à nouveau.
De mon côté, je reste à genoux en attendant la réponse du monsieur. Avec mon plâtre, c’est encore le plus pratique. Et puis c’est fatigant à force de s’assoir, se relever, s’assoir, se relever… Mais bon, faut pas se plaindre ! Après-tout, j’ai juste un plâtre. Truc, lui, il est condamné à attendre que je daigne le déplacer.