Saison Un

: Obscure Prophétie

Elle arrive ! Contrairement à elle, je n’ai aucune notion de combat. Chez nous, on se bat à l’arrache, on improvise. Du coup, c’est pas étonnant qu’elle m’étouffe littéralement sous les poings alors que j’arrive pas à en placer une ! Je recule petit à petit, à chaque coup encaissé que je tente de parer vainement de mes bras. J’ai reçu pas mal de poings en pleine gueule, et ceux sur mes bras ne sont guère moins douloureux. Y’a que les coups interceptés de mes mains qui me permettent de souffler un peu, grâce aux bandes qui les recouvrent.
Voyant que l’assaut n’en fini pas, je tente des contre-attaques comme je peux, jetant mes pieds à l’arrache dans la bataille durant l’assaut de pains dans la face, mais l’efficacité n’est pas là. Aouch ! Je pensais pas que ce serait aussi unilatéral… D’accord, elle doit avoir 5 piges de plus que moi, une carrure d’enfer, et des connaissances que j’ignore, mais… D’habitude, je mets des raclées, moi aussi !

Ouch, le dernier coup arrive. Je sens que celui-là va faire mal, mais… euh…
J’aurais cru à un uppercut, ou un truc du genre. Pourtant, son poing tombe littéralement en direction du sol, tout comme le reste de son corps. Ça ne frappe pas du tout là où je l’aurais imaginé ! Même le Balignon en ramasse les miettes ! Quant à moi.

— Aaaah !

BORDEL, son poing m’a atterrit en plein sur le pied telle une roquette lancée à pleine puissance ! Tandis que mon adversaire déguste l’herbe et la boue résultant de notre affrontement de damoiselles trempées, je me retrouve à sautiller sur un pied, me tenant l’autre dans mes mains pour faire passer la douleur d’avoir reçu l’équivalent d’une enclume dessus.

— Aïe… oh ? Aaaaah !

Vous le voyez venir ? Cloche-pied inconsistant, sol trempé, personne allongée très proche… Boum, je m’écrase sur Madame de tout mon poids. Je crois que j’ai enfoncé un coude quelque part en voulant me rattraper, mais j’avoue que je sais pas trop où.

Oh, la vache… C’était brutal tout ça. Je m’essuie le nez de ma manche et remarque le filet de sang qui s’en écoule. Elle m’a pas loupé ! C’est… C’est… C’est….

— Hahahahahaha !

J’éclate de rire, toujours allongée sur ma partenaire de lutte.

— Grosse Kangourex, va, tu m’as démontée ! Où t’as appris à taper comme ça, toi ?

Loin d’être colérique, ma question semble franche, même intéressée. J’ai une bonne carrure, moi aussi, mais j’ai pas l’habitude des combats à main nue. Pourtant, ça peut être intéressant dans certains cas ! On va pas tabasser des Kangourex, justement, mais ne serait-ce que pour calmer des tarés comme Ketchup-Mayo.

— Ça va, rien de cassé ? finis-je tout de même pas interroger, moitié sérieuse moitié ironique.

En revanche, je ne bouge pas mes fesses. Au contraire, je lui tapote la tête pour la faire réagir, bien curieuse de voir si elle se relèvera malgré mon poids. J'ai perdu d'avance, mais... le jeu peut continuer un petit peu, non ?

Hein ? Kangourect ? Qu’est-ce qu’elle raconte ? Je fronce les sourcils sans comprendre, m’imaginant une expression de sa ville sans chercher plus loin.
En tout cas, elle a beau dire, j’suis sûr que y’a plus que ça ! Elle doit au moins souvent se bagarrer. Houp-là ! Elle s’est relevée. Enfin, à moitié. Ça en devient presque confortable ! D’autant que je continue à lui tapoter la tête malgré qu’elle m’ait demandé d’arrêter. C’est amusant, elle réagit tellement à tout, j’adore ça !

Allez, quand même, laissons-la un peu. Je bondis sur mes jambes lorsqu’elle me demande de descendre, époussette tant bien que mal ma tenue et me retourne vers elle pour me moquer à nouveau :

— N’empêche, t’as tellement pas réfléchi que t’es tombée toute seule. C’est dommage de gâcher une victoire comme ça !

C’est vrai, quoi ! Un plus vilain que moi aurait continué à la tabasser au sol sans vergogne. Ça serait pas drôle. Et puis, ça ferait mal. Tout en disant cela, je garde mon gant gauche contre ma narine pour endiguer le flot rouge qui persiste à s’en écouler. La tâche s’immisce lentement parmi les bandes de mon gant, sans que cela ne paraisse m’inquiéter.

— M’enfin, j’te le laisse le Balignon si tu le veux tant que ça. J’m’en fiche moi, je trouverai autre chose à manger. Pourquoi en fait, c’est ton Pokémon ? Fallait juste le dire, on chasse pas les Pokémon des gens !

Ça arrive, bien sûr, les accidents. Mais l’avantage des collets et autres pièges de ce style, c’est qu’ils sont pas immédiatement mortels. Les dresseurs ont le temps de nous prévenir, voire de libérer leur compagnon avant que le drame n’arrive d’un coup de couteau. Après, les histoires de fusil… ça arrive, et on n’y peut rien. Truc en sait quelque chose, et je m’en veux toujours.

— À mon avis, c’est déjà un miracle qu’il soit en vie. C’est pas nous les plus dangereux dans la nature, c’est les autres Pokémon. S’il se planque sous une humaine pour se protéger, j’imagine pas ce qu’il donnera devant ses vrais prédateurs.

Si vous voulez le fond de ma réflexion, le voici : si elle l’emmène pas pour le bouffer ou le capturer, j’ai aucune raison de le laisser vivre. De toute façon, le machin sera crevé d’ici deux jours, parole de chasseuse !

Une malchance absolue ? Maaah, ça existe pas, ça. C’est de l’inattention, c’est tout ! Comme moi en haut de la dune : j’aurais dû être plus attentive, plus stable sur mes appuis ! La "malchance", ça se combat ! Ce n’est pas comme si on lançait un dé à chaque action que l’on fait !

L’étrangère a droit à un regard compatissant de ma part lorsqu’elle m’explique ses raisons pour le sauvetage. Je hoche la tête.

— D’acc ! J’comprends ! Tout le monde est pas fait pour ça ! J'espère que vous vous amuserez ensemble !

Je préfère ça au discours des malades pokebio, de très loin ! Et puis, tant qu’elle ne "gâche" pas ma proie, j’en suis satisfaite. Plein de gamins à Kedal partent en courant dès qu’ils me voient revenir couverte de sang, j’ai compris rapidement que les gens n’appréciaient pas mon mode de vie. Tant qu’on ne contredit pas notre importance, j’ai rien à y redire !
Je la laisse récupérer son champignon. Sont marrant ensemble, les deux poissards. J’espère qu’ils s’en sortiront, tout de même !

Finalement, l’heure est aux aurevoirs. Je la salue d’un geste amical de la main, comme s’il était naturel que nous nous soyons mis sur la gueule durant cette première rencontre :

— Kata Strophe ! Et… perso, ça me dérangerait pas, lui répondis-je en ricanant.

Même si la chute avait flouté la victoire au point que je puisse me l’attribuer si je voulais la compter à d’autres, j’en garde un goût de défaite. Je veux une revanche !

Ceci étant dit, je retourne auprès de Truc et ramasse mes affaires. Quoi que… le daim s’est encore endormi. J’ai pas le cœur à le réveiller. Comme si je n’avais rien appris de cette rencontre fortuite, je ramasse mon collet et le remet en place. Nouvelle branche, nouveau piège. En quelques instants, tout est de nouveau prêt ! Il ne reste plus qu’à attendre qu’un second repas passe dans le coin, en espérant que cette fois-ci, il ne soit pas accompagné d’une humaine récalcitrante !
Je m’adosse au tronc, de nouveau grimpée dans l’arbre et une main toujours posée sur ma narine. Quand même, elle tapait fort la madame ! J’ai peut-être été un peu gourmande, aujourd’hui. Mais bon, on s’est bien marré !