Saison Un

: Obscure Prophétie

PAN !

C’était une autre époque. Un passé déjà si lointain, à mes yeux ! Ça fait quoi… un an ? Quelque chose comme ça, je sais plus trop. Même Truc n’avait pas commencé à me suivre de ce temps-là. Y’avait que moi. Moi, et mon cher fusil.

Un peu à l’écart du village pour ne pas déranger les élevages, je rangeai mon arme dans son fourreau en arborant le sourire satisfait d’un travail bien fait. Une balle, pile entre les deux yeux et presque à bout portant, de quoi envoyer n’importe quelle bestiole au paradis sans qu’elle ait le temps de le réaliser. L’Ecremeuh gisait au sol, inerte.

Sans me préoccuper davantage de ce cadavre, je retournai auprès de mon sac, posé à quelques mètres de là et rangeai mes affaires avant de le rattacher autour de ma taille. Dedans, deux Fouinar tassés dont la queue pendait mollement hors du sac, preuve que les pièges à Lougaroc de mon papa étaient déjà d’une efficacité redoutable ! Vous ne voudriez pas voir la tête des bestiaux qui ont eu la malchance de mettre une patte au mauvais endroit, même si pour ma part, j’en avais pas mal ri en les libérant du piège assassin. Même pas besoin de les achever, ceux-là ! Ça avait beau être sanglant, comme mes mains le démontraient, moi j’appelle ça du travail propre et efficace !

C’est ça. Du travail. Rien n’a changé depuis. Je répondrais toujours la même chose à cette même personne si elle arrivait de la même façon : en hurlant, l’air furibonde devant ce qui représente mon quotidien. À peine relevée, j’avais tourné la tête vers la criarde, nullement inquiète de la voir bondir jusqu’à moi jusqu’à me retrouver front contre front. Ah, si, du coup ! Y’a ça qui a changé ! J’étais plus petite à l’époque, en début de poussée de croissance. Parait que c’était mignon comme tout, mon fusil faisait presque ma taille ! Pourtant, j’avais déjà le coup de main pour encaisser le recul.
Ce que je faisais ? Mais voyons, je l’ai déjà dit.

— Bah, mon travail ?

Je haussai les épaules avec un large sourire d’innocence, certaine d’avoir déjà éclairci le malentendu. D’ailleurs, je m’empressai de pointer du doigt l'Ecremeuh abandonnée à deux mètres de nous :

— J’aide monsieur Gaston qui a vendu des Ecremeuh aux restaurants, du coup faut les tuer, les dépecer et tout préparer pour qu’ils emmènent juste ce dont y zont besoin pour cuisiner !

C’est chouette non ? Moi, je trouve ça chouette. Ça va faire plein de rosbif vachement bon, j’espère même qu’on en gardera un pour nous !
C’est ainsi que j’eus certainement la pire idée possible à proposer à cette dame colérique dont le front était dangereusement proche du mien :

— Tu veux faire avec moi ? J’peux te montrer si tu veux, c’est touuut simple !

L’innocence, c’est pratique quand même ! Faut dire que j’avais aucune raison d’avoir peur dans mon village. La dernière fois qu’un monsieur avait voulu être méchant avec moi, Volti, la Voltali de ma maman, lui était tombé dessus. Et la fois d’avant, ça avait été un garçon de mon âge dont la mauvaise blague avait mal fini (par réflexe, je lui avais pété le nez, le pauvre). Du coup, les menaces entre humains, je connaissais pas trop ! Y’avait bien le regard grosse colère de ma maman, qui ressemblait un peu à celui de la madame aujourd’hui… Mais en général, j’avais juste à lui faire un gros câlin pour qu’il disparaisse ! Je supposais que c’était ça : la dame voulait juste un câlin ! D’ailleurs, en parlant de gros câlin…

— OOOOOH, il est trop choupi lui !

Priorité aux mignonneries ! Du coup, lui d’abord pour les câlin ! Ni une, ni deux, mes mains couvertes de sang plongèrent en direction du pauvre Pokémon qui accompagnait l’étrangère dans son vieux déguisement aux airs de Pikachu.

Aouch ! Je ne l’avais pas vu venir celle-là. Alors que j’attrapais gentiment le Pokémon pour le chouchouter dans mes bras, un véritable bulldozer m’explosa la joue pour me figer dans mon mouvement en me retournant la tête. Je reculai d’un pas, une main sur ma joue endoloris, le sang de mes proies venant s’ajouter à la marque étalée par l’autre kedalienne qui s’effarouche en m’arrachant des mains sa propriété.

Je compris en voyant l’adulte tremblante devant moi. Et un peu aussi en sentant la douleur persistante sur ma joue, faut l’avouer ! Bien sûr, je me serais pas énervée pour si peu, mais ça me soulagea un peu qu’elle s’excuse aussitôt. Faut pas frapper les gens comme ça, voyons, même par réflexe ! J’en connais plus d’un qui auraient rendu le coup sans aucune hésitation. Moi ? Ça m’a plutôt fait rire.

— Hahaha, c’est pas grave, mais faut pas paniquer comme ça ! J’vais pas le manger, ton PikaPika !

Pour une fois que cette phrase se justifiais par le contexte, profitons-en !
En tout cas, j’avais retenu la leçon. Pas question de m’approcher à nouveau de la peluche vivante. Même s’il était adorable, et qu’il avait l’air bien plus enclin à se faire câliner par autrui que ce que sa dresseuse aurait voulu. Je m'en désintéressai donc sans plus tarder.

Puis vint le spitch. Je fronçais les sourcils, perplexe. Qu’est-ce que ça venait faire là, ça ? Je commençais à flairer le Lampéroie sous roche. Mais pour l’instant, je me contentais de répondre de cette franchise habituelle qu’est la mienne :

— Elle part pas en fumée l’eau, elle part en pavé de rumsteak ! rétorquai-je en ricanant. C’est sûr que c’est pas aussi bon que le Haydaim à la broche de ma maman, mais tout le monde se les arrache en ville !

L’eau, de toute façon, y’en a partout sur la planète et en quantité illimité. Alors on s’en fiche de la quantité qu’il faut ! C’est juste une histoire d’éleveurs, ça, qui doivent bien s’organiser pour aller chercher l’eau du puit ou de la rivière quand ils en ont besoin.
Quant à la seconde question, je la trouvais presque vexante. Je croisai les bras, faisant la moue avant d’ajouter :

— Et bien sûr que je sais tout ça, tu peux pas être un bon chasseur si tu crois l’inverse ! Tu vas juste te faire avoir et c’est toi qui vas être chassé. Faut savoir les comprendre et penser comme eux pour deviner quoi qu’ils vont faire. Sinon, ils te surprennent et tu rates tout le temps ! Mais pourquoi tu dis tout ça, tu veux devenir chasseuse ?

Loin de moi l’envie de la décourager, mais elle n’avait pas vraiment la carrure. Surtout quand je la voyais toute timide devant moi, les rouges rougies de honte après sa première bêtise. À ce moment, je n’imaginais pas d’autre raison pour qu’une kedalienne s’intéresse à tout ça si ce n’est pour la chasse ! Ou peut-être un quelconque élevage de grande distribution ? Ça aurait été ambitieux ! Bref, en résumé, j’étais loin de la vérité. Très très loin.

Ah bah, vu sa tronche, j’ai dû me tromper. Qu’est-ce qui se passe ? YOUHOU, Y’a quelqu’un ? J’agite un bras devant elle tandis qu’elle murmure je sais pas trop quoi. J’ai cassé ma copine, je crois.
Ah, non, elle reprend. Changement de sujet radicale, plus de chasse : on parle cuisine ! Après un froncement de sourcils, je secoue la tête pour oublier cette étrangeté et reprendre le fil de la conversation. Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, j’accueille sa nouvelle avec un large sourire empreint de bienveillance !

— Ah bah bien sûr, quand tu veux ! Si c’est bon comme la viande, ça doit être trop cool !

Après-tout, faut pas rester bête ! Moi, on m’a toujours dit de tout goûter ! Même que maman elle fait des super potages avec tout et n’importe quoi, et y’en a qui sont ultra bons ! Y’a des trucs que j’aime vraiment pas (genre les bonbons, ou les légumes tout crus), et la viande (surtout de ma maman) est toujours restée loin au-delà de tout le reste en terme de préférence, mais je mange de tout !
À cet instant, me semble vraiment aller pour le mieux ! On commence même à se présenter, l’autre tend la main, et moi je réponds :

— Kata Strophe ! c’est Apo et Anna Strophe mes parents !

Sauf qu’au moment où je tends ma propre main, la sienne se retire, et j’comprends plus ce qu’elle raconte. Même son Pokémon semble un peu perdu : regardez-le qui se fait la malle pour venir vers moi et…

— Aie !

Ok, celle-là je l’avais pas vue venir. Cet idiot de Pokémon m’a griffé pour me faucher la jambe ! Je tombe au sol et me rattrape par réflexe sur mes paumes, avant de m’asseoir pour regarder la marque.

— Mais ! Pourquoi il a fait ça, lui ? C’est méchant !

Je lance un regard noir vers l’autre kedalienne avant d’ajouter :

— C’est pas drôle ! Ça fait mal ! Si ton Pokémon il attaque les gens, faut pas que tu le laisses faire comme ça !

Je garde aussi la peluche en vue, d’un coup devenue bien plus méfiante. C’est pas la première fois qu’un Pokémon d’élevage s’en prend à moi, mais d’habitude, les éleveurs ils se répandent en excuse, ils rigolent pas ! Enfin sauf Gaston, pasque lui il dit toujours que c’est ma faute si le Pokémon m’attaque, soi-disant que j’ai pas été assez dure et du coup il a le droit de faire comme il veut le Pokémon. D’ailleurs, le PikaPika a pas intérêt à s’approcher à nouveau, où il va s’en prendre une. J’applique pas souvent les conseils de Gaston, mais parfois, c’est les bons !

Je frotte ma jambe en attendant que la douleur passe. Heureusement que c’est qu’un petit coup de griffe, mais ça pique, merde ! Y’a un cadavre derrière moi qui attend d’être ramenée à son propriétaire…

— Ben bravo, vous avez gagné… va falloir que vous m’aidiez à ramener l’Ecremeuh crevée, maintenant.

Ahlala, que les gens sont fatigants parfois ! Pourquoi elle bouge plus, maintenant ?

— Ben alors, tu viens ?

Loin d’imaginer le tiraillement pouvant se déchainer dans son pauvre esprit d’innocence, je ne voyais qu’une autre enfant trop fragile pour faire ce que moi je fais tous les jours. Ils sont tous comme ça quand ils me voient faire. Petites natures ! C’est pourtant pas compliqué, mon travail.
Même son Pokémon n’arrive à rien. Il insiste, pourtant, le PikaPika ! Mais pas moyen, Kara reste inerte. Bon, bah tant pis ! J’ai compris, j’me débrouille.
J’ouvre la bouche, m’apprêtant à répondre lorsque sa voix se fait enfin entendre.

Deux fois le même mot. C’est tout ce qui en sort avant qu’elle ne prenne ses jambes à son cou. Énorme soupir de ma part… Tout ça pour ça ? Eh bah, c’était bien la peine de jouer les dures tout à l’heure ! Dans l’histoire, j’me retrouve avec une grosse griffure sur la jambe et toute seule pour trainer mon Ecremeuh.

— Bon, tant pis, j’me débrouille ! lui lançait-je de loin en roulant des yeux.

Finalement, j’ai été chercher une brouette. Je vous dis pas la galère pour faire grimper le cadavre là-dedans ! Surtout avec une jambe abimée. Mais bon, au moins, c’est réglé. J’ai pu ramener la vache à son propriétaire pour qu’il en fasse des steaks ou je ne sais quoi d’autre. Peu m’importe, c’est plus mon boulot. Déjà que c’est pas mon boulot de base ! Moi, j’ai des Fouinar à ramener à papa et maman qui vont surement me féliciter, mes pièges ils étaient trop bien placés cette fois.

J’étais toute jeune à cette époque, et déjà, je comprenais pas les gens qui me comprenaient pas. Mais bon, j’ai juste à pas trop m’approcher de Kara pendant que je chasse, et ça devrait aller. C’est juste une histoire de l’ajouter sur la liste des gens qui aiment pas voir des Pokémon morts. Cette fameuse liste à rallonge de petites natures qui n’en finira sans doute jamais ! Bref, je leur en veux pas… D’habitude. Quand ils m’embêtent pas pendant mon travail pour me griffer la jambe !