Saison Un

: Obscure Prophétie

J’aurais jamais cru ça. Ce matin, mon papa est venu me chercher avec ses yeux de pas content. Je me suis d’abord imaginé des trucs vraiment pas drôles, comme quoi il aurait passé une mauvaise journée ou des gens l’auraient embêté, ou une mission ratée… mais non, son regard était définitivement braqué sur moi, et uniquement moi. C’est alors que sa grosse voix de paternel en colère s’est exprimée d’une terrible remontrance.
Quoi, quoi, quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? je me suis assise sur mon lit en baissant les yeux, écoutant le sermon jusqu’au bout sans l’interrompre.

Alors voilà. Il semblerait qu’une rumeur lui soit arrivé aux oreilles. Depuis quelques jours, ça murmure dans le village que mes copines sont des gens pas fréquentables ! Même qu’ils disent que Krystal aurait menacé les gens pour avoir ses dadas.

— Mais c’est faux ! que j’ai bien sûr répondu.

Et là, l’argument de choc. Papa m’a demandé de répéter mot à mot tout ce que Krystal a dit aux autres éleveurs ! Sauf que… C’est trop compliqué ces histoires d’achats et de négociations, j’ai rien écouté, moi ! Je suis même restée dehors la plupart du temps à m’occuper de nos Pokémon pendant que Krystal discutait. Aaaah ! Je peux pas la défendre ! Pire encore, en vrai, je sais même pas si c’est la vérité ou pas !! Je suis restée toute rouge devant mon papa, honteuse de rien avoir à redire à ses accusations. On dirait que j’ai fait une grosse bêtise ! Mais, mais, mais… Je voulais bien faire, moi ! J’avais une copine qui voulait des dadas, et plein de gens qui vendent des dadas dans le village… Où est-ce que ça a pas marché ?!

Résultat : privée de viande pendant une semaine entière ! CATASTROPHE ! Je vais m’atrophier, perdre tout mes muscles et agoniser lentement sur la place du village pendant que les gens dégustent des bons plats auxquels j’ai pas droit !

Mais ce n’est pas tout. Pasque ça, c’est une punition pour une bêtise que j’aurais faite moi toute seule. Sauf que là, ma bêtise elle a touché tout plein de gens ! Donc cette semaine… je suis contrainte et forcée d’aller m’excuser auprès de touuuuus ceux que Krystal a été embêter durant son séjour à Kedal et leur servir d’esclave une journée entière. Et si y’en a pas assez pour que ça dure toute la semaine, bah j’aurais qu’à aider d’autres personnes random ! En tout cas, mon papa veut pas me voir me tourner les pouces une seule minute avant la semaine prochaine !

Et vous savez le pire ? Pas le droit de m’aider de mes Pokémon ! Pasque eux, ils sont pas punis, bien sûr. Truc, j’ai même pas le droit d’aller le voir de toute la semaine, c’est Jojo qui s’en occupera. Split, pareil, il va rester avec Maman et Volti qui vont encore lui montrer plein de ficelles sans que j’ai le droit d’en savoir quoi que ce soit. Monsieur Croa et Petit Dada, c’est papa qui va s’en occuper. Le premier, il va juste le nourrir, quand au second, il apprendra avec Grand Dada. Reste Mamie Meuh. Elle, c’est plus chiant qu’autre chose de s’en occuper pasqu’elle est malade. Du coup, BOUM ! Je la garde et je dois continuer de m’en occuper, même si je suis crevée à la fin de la journée. AAaaaAAAaaah ! Quel cauchemar !

Comment ? Vous posez la question pour Ciboulette ? J’en sais rien, moi, il fait ce qu’il veut lui. C’est pas comme s’il m’appartenait.

Bref… on est parti pour une dure semaine de solitude et d’épuisement comme personne ne les aime…



Aujourd’hui, on commence à la fois avec le pire et le plus simple. Notre "cher" Gaston. Ah, ça… Gaston, c’est un cas ! On peut dire que c’est l’un des plus méchants éleveurs de Kedal. Même moi, il me fait un peu peur quand je le vois utiliser des méthodes vraiment tristes sur ses Pokémon, comme les attacher à un poteau pour les punir ou les abandonner dès qu’ils servent plus à rien. Je m’attends à fusiller encore une de ses Ecremeuh aujourd’hui. Pas que ça me révulse, mais quand je vois l’état de Mamie Meuh, je me dis qu’il y est forcément pour quelque chose !
Du coup, ça va être un cauchemar, je le sais d’avance. Alors pourquoi je dis que c’est le plus simple ? Eh bien… Faut savoir que Gaston, il a un magnifique Galopa qu’il a emmené au salon. Et quand tous les Ponyta se sont barré dans tous les sens, c’est moi (avec l’aide de Técla) que je l’ai ramené son cheval, et en pleine forme sans rien abimer ! C’est con, mais je sais qu’il m’aime bien le Gaston. À coup sûr, c’est pas lui qui a lancé la rumeur, même s’il est celui avec qui Krystal semblait le plus en désaccord. D’ailleurs, même concernant Krystal, il semblait plus s’amuser des méthodes douteuses de l’étrangères qu’autre chose. Nan, c’est pas lui, pour sûr ! En plus, Gaston, il râle sur tout le monde. Comment voulez-vous qu’une rumeur crédible parte de lui ? Impossible !

Alors pourquoi je m’embête ? Eh ben, pasque dans ma famille, quand on fait quelque chose, on le fait bien ! J’ai promis que je m’excuserai auprès de tout le monde, je le fais !

Six heures du matin, le soleil est à peine levé quand j’arrive devant la porte de Gaston, un gros gigot d’Haydaim entre les bras. Je toque. Des bruits de pas résonnent à l’intérieur, puis la porte s’ouvre. L’accueille est glacia : du genre « qu’est-ce que tu m’veux ? » mais en plus vulgaire. Ne pas se laisser démonter ! Le regard aussi déterminé qu’en pleine mission, je m’exclame :

— Bonjour monsieur Gaston ! Je viens m’excuser de quand ma copine elle est venue pour acheter un Ponyta l’autre jour ! On m’a dit que tout le monde il l’a trouvée pas gentille, alors je suis trop trop désolée ! Moi, je pensais que tout le monde il serait content pasqu’elle voulait acheter un dada et que on avait plein de dada à vendre, mais…

Gaston, c’est pas un patient. Il m’interrompt. Je sursaute, m’excuse à nouveau en baissant la tête et décide d’abréger :

— Oh, pardon ! Je veux pas que vous perdez du temps. Tenez, c’est un cadeau de toute ma famille pour dire qu’on est trop désolée. (Je lui tends le gigot, bras tendus) Et même que si y’a quoi que ce soit pour quoi vous avez besoin d’aide aujourd’hui, je peux vous aider pour tout, tout, tout et n’importe quoi toute la journée !

Ça, c’est pas tombé dans l’oreille d’un Chuchmur. Gaston, c’est vraiment pas un marrant. Et vu le large sourire de sadique qu’il me balance déjà sur le pas de la porte, je sens que la journée va pas être drôle. Finalement, j’aurais peut-être pas dû sauver son Galopa… Gaston aurait même pas ouvert la porte s’il m’aimait pas et j’aurais évité cette première torture.

Ma première mission ? Ben là… On s’y attendait un peu. Me voilà parée d’une brosse et d’un seau d’eau, direction les toilettes. Et vas-y que je passe une heure à récurer les toilettes de la famille de Gaston. Et on parle pas des toilettes bien propre qu’on trouve à Kalank, hein ! Avec des beaux sièges en céramique et tout ! Nan, nan… là c’est les toilettes sèches qui puent dont personne s’occupe jamais. Je remonte mon gilet sur mon nez et commence à frotter, le dégout lisible sur mon visage même à travers mon vêtement. Néanmoins, j’accepte sans râler, pas même une fois.

— Oui, m’sieur !

C’est tout ce qu’il entendra de la matinée. Ses toilettes et sa salle de bain n’auront jamais été aussi resplendissante qu’en ce jour (et ne le resteront sans doute pas très longtemps).

Mais les tâches dégradantes ne s’arrêteront pas en si bonne route. Gaston, c’est un monsieur qu’il déborde d’ingénierie quand il s’agit d’être bien sadique ! C’est comme ça qu’il les matte, ses Pokémon ! Alors après avoir nettoyé les toilettes de sa maison… C’est au tour du petit coin de ses Pokémon. Et là… je vous passe les détails, vraiment. Nan, franchement, vous savez ce qui arrive quand on nettoie les toilettes d’un humain, alors imaginez-vous ce que peuvent déclencher une armée de Ponyta et de Galopa en pleine forme.

BREF ! L’humiliation, c’est fait. Il est bien satisfait, le monsieur, ça l’aura bien fait rire de me voir ramasser tout ça avec mon seau et ma brosse. Mais si y’a un truc qui l’a énervé quand Krystal est venue… C’est surtout de la voir remettre en cause ses méthodes. Alors la voilà, sa vengeance !

Cette fois, c’est un fouet qu’il me donne. Devant moi, un Ponyta attaché au même poteau qu’Arion avant lui. Apparemment, ce dada a essayé de sauter la barrière de l’enclos sans l’accord (barrière qu’il a évidemment défoncée puis carbonisée et qu’il me faudra réparer juste après la punition). Objectif ? Trente coups de fouet ! Cette fois, je ne peux m’empêcher d’hésiter, trouvant la punition bien trop sévère par rapport à la bêtise. Mais Gaston me fait les gros yeux ! Alors d’accord.

Un coup de fouet. Deux coups de fouet. Trois coups de fouet. Ça me fait mal au cœur de voir le Ponyta couiner à chaque fois. J’essaye de retenir ma force, juste assez pour que ça claque, mais pas plus, qu’il n’ait pas trop mal, le pauvre. Bien sûr, Gaston me voit faire : « PLUS FORT ! », qu’il me hurle.

SPLASH ! le quatrième coup fut brutal. « ET ON FERME PAS LES YEUX ! »
Vraiment ? Je suis incapable de cacher le dégoût sur mon visage. J’imagine Petit Dada à la place du pauvre puni que je suis contrainte de fouetter de toutes mes forces, à m’en faire mal au bras. La première dizaine est interminable. La seconde encore plus. Quant à la troisième… j’en ai mal au bras ! Et quand je vois les marques qui s’accumule sur le pelage du pauvre dada, je ne peux empêcher quelques larmes de couleur. « Tu trouve ça triste ? Refais-en dix ! »
AaaAAaah, mais c’est horrible ! Je renifle un coup, m’essuie les yeux et reprend les coups de fouets en me mordant les lèvres pour retenir ces pleurs d’empathie qui me torturent. C’est mon papa qui m’a dit de le faire, je dois faire tout comme mon papa a dit ! Je dois obéir au monsieur toute la journée, touuuuute laaaaaa journééééée ! C’est lui qui connait son travail, moi j’ai pas le droit de pas être d’accord.

Ma main est encore tremblante quand je repose enfin le fouet au sol, la cinquième dizaine de coup (ajoutée au dernier moment) terminée. Le pauvre dada est allongé au sol, son buste couvert des marques que je lui ai infligées. « Mwé, c’est un peu faiblard tout ça, mais ça ira. »

En effet, ça a marché. Lorsque Gaston détache le poney et le force à se relever, celui-ci ne laisse plus paraitre le moindre signe de rébellion. J’ai créé le plus docile des Ponyta.

Est-ce que c’est ça que je dois faire avec Monsieur Croa ? Mais c’est… horrible ! Papa et maman, ils m’ont toujours appris à traiter les Pokémon avec respect. C’est grâce à eux qu’on mange, alors faut les tuer sans souffrance inutile. Et ceux avec qui on travaille, faut bien les traiter. Brrrr, j’en tremble encore.

La suite de la journée a été plus normale. Comme prévu, j’ai réparé la clôture (encore), puis il a fallu que j’abatte deux Ecremeuh. Une obèse destinée à la bouffe, l’autre trop vieille pour fournir du lait. Cette fois, pas de Krystal pour me faire douter comme avec Mamie Meuh, je l’ai fusillée sans hésitation. De toute façon, mon empathie s’est clairement mise en pause à la seconde où j’ai été forcée à fouetter ce pauvre Ponyta jusqu’au sang.

À la fin de la journée, Gaston me remercie pour mes services avec un grand rire du monsieur machiavélique pour se moquer de mon regard aussi perdu qu’épuisé. J’AI VU DES CHOSES ! Je m’excuse encore une dernière fois pour avoir dérangé son travail la dernière fois, puis repart à l’heure du diner pour rentrer chez moi.

Lorsque j’arrive, papa m’accueille d’un grand sourire en me demandant comment ça s’est passé. J’y réponds pas. Ligne droite, direction mon lit, sans manger. De toute façon, j’aurais pas eu de viande. Et même ça, je sais pas si j’aurai pu l’avaler. Je veux juste poser ma tête sur mon lit et écraser mon oreiller sur mes oreilles pour oublier tout ça.

Le levé fut terriblement difficile. Pas à cause de courbatures ou d’une fatigue excessive : non, la journée d’hier n’a pas été spécialement plus éprouvante qu’une autre, physiquement. Par contre, moralement… le mien est dans mes chaussettes.

Aujourd’hui, c’est la madame qui s’occupe de Ponyta et à laquelle Krystal a parlé en dernière que je vais voir. Elle est plus gentille que Gaston, par contre, je serais pas surprise que ce soit elle, la rumeur. Elle a cédé très vite, et Krystal y a été en pleine nuit. Surement qu’elle voulait pas s’embêter avec cette étrangère. Du coup, j’y vais à tâtons et baisse le regard dès que la porte s’ouvre.

— Bonjour madame ! Je viens m’excuser de quand ma copine elle est venue pour acheter un Ponyta l’autre nuit, j’suis toute désolée si elle vous a embêtée, je pensais que tout le monde y serait content vu qu’elle voulait un dada et que vous en aviez plein !

Grmblblbl. C’est à peu près ce qui m’accueille avant qu’un « ça va, au moins, elle a payé. » ne mette un terme à mes excuses. La porte se referme dans un claquement. Oups… loupé.
Je retoque. La pauvre se rouvre sur un « Quoi ?! » de lassitude.

— Pardon, pardon ! J’ai pas eu le temps de vous donner mon cadeau, tenez ! C’est de toute ma famille pour dire qu’on est désolée. Et si vous voulez, je peux même faire tout tout ce que vous voulez aujourd’hui pour vous aider et rattraper ma bêtise !

Cette fois, j’y gagne au moins un petit rire de la dame qui m’ouvre sa porte en grand. J’ai quand même une hésitation : j’ai pas vraiment envie de passer une deuxième journée à récurer les toilettes. Mais sitôt que le regard de l’adulte revient m’interroger, je me reprends et pénètre l’antre de mes cauchemars.

J’attends le premier ordre, une inquiétude non dissimulée sur mon visage. « Tu tombes bien, faut déplacer tout ça pour nourrir les chevaux aujourd’hui. »

Du foin. Une énorme masse de foin à déplacer d’un gros carton à l’auge des dadas. Mais, mais… C’est un travail normal, ça !

— Oui m’dame !

Et je m’y mets aussitôt, remotivée par la normalité de cette tâche. Et vous savez quoi ? Au final, toute la journée s’est plutôt bien passée. J’ai même appris des choses ! Y’a une Ponyta qui a eu un œuf aujourd’hui, et avec la madame de l’élevage, on a fait plein de trucs vachement importants comme mouiller des serviettes et bien s’occuper de la jument pour que tout il aille bien !
C’est quand même amusant de s’occuper d’un élevage. Bon, d’accord, y’a des tâches aussi berk et ennuyeuses que ce que m’a fait faire Gaston hier : par exemple, il a quand même fallu que je ramasse le caca des Ponyta pour le mettre sur un tas d’herbe sentant mauvais. Mais au moins, j’avais une pelle, des gants, un sceau, et plein de trucs fait pour que ça soit moins dégradant !

Super journée, du coup ? On s’y attendait pas. C’était un gros soulagement ! À tel point que le coup dur, je l’ai pas vu venir.

— Bon, je te laisse t’occuper du reste, bonne nuit !

Hein ? Comment ça, le reste ? Mais on vient tout juste de commencer à réparer la barrière, et elle m’a dit qu’il fallait changer l’eau, et brosser les dadas, et… c’est vrai qu’il fait déjà nuit. Sur le coup, ça m’a pas choqué, je m’étais dis qu’on remettrait ça à un autre jour. Idiote que je suis, je viens de percuter…

— Quoi ? Tu l’as bien vu, non ? Même la nuit, on a du boulot, nous !

Aouch, la vengeance qu’elle fait mal ! La dame me fait un sourire en coin puis tourne les talons en baillant, comme pour se moquer de moi. Je crois qu’en vrai, elle s’attendait à ce que je parte après 10 minutes, sitôt qu’elle aurait détourné le regard… Mais nan, moi j’écoute quand on me dit des trucs ! Alors c’est parti.

La nuit a été longue. TERRIBLEMENT looooooongue. D’abord réparer la barrière : en plus de replacer les morceaux de bois détachés, l’a fallu que je badigeonne tout le bois tout du long d’un machin gluant qui pue mais empêche le bois de brûler.
Ensuite, nourrir les dadas. Le problème, c’est pas le travail. Nan ! Ça, ça va, normalement ! Mais là, j’étais déjà épuisé moralement, mais en plus je le suis physiquement désormais, et en prime de ça, il fait nuit donc je vois rien : y’a juste les flammes des dadas qui m’éclairent un peu à l’intérieur. Me suis cassé la gueule une ou deux fois avec un arrosoir plein d’eau en trébuchant sur des machins qui trainent n’importe où (pourquoi y’a une fourche au milieu de la grange des Ponyta ?). Du coup, en prime, je suis trempée. Mais bon… on va dire qu’au moins, les Ponyta, ils ont eu leur eau. Ils s’en fichent, en plus, puisqu’ils dorment !

Et vous connaissez la pire ? Bah c’est quand j’ai voulu les brosser. Un par un ! Mais y’en a cinquante mille, des Ponyta ! Et en plus, ils pioncent tous. Y’en a, ça allait… mais les plus colérique, quand tu les réveilles, ils sont pas contents ! Et c’est pas comme monsieur Croa : je peux pas les ramener dans leur ball, et je suis même pas leur éleveuse normalement, alors ils font bien tout ce uq’ils veulent. Oh, et je parlerais même pas de la connerie que c’est de brosser un pelage à moitié en feu, est-ce que ça sert à quelque chose au moins, ou est-ce qu’elle se fout juste de ma gueule ? Grmblblbl. Voilà, c’est à moi de le faire, le bruit des pas contents !

Je rechigne, je rechigne… mais bon, je le fais quand même. Et je dois dire qu’elle était plutôt surprise, la madame, quand elle m’a vue aux aurores, la tête encore collée à un Ponyta, assise sur une chaise et la brosse dans la main. C’est le cheval qui l’a attiré, à force de hennir dans son box pasque je prenais trop de place pour qu’il se rallonge. Il a réussi à réveiller son éleveuse… mais moi qui était à côté ? Pouah, une vraie tombe. Déjà que j’ai mal dormi hier, alors enchainer une deuxième nuit blanche…

— Ah, pardon, pardon, pardon ! Je voulais pas m’endormir !

Et sans tarder, je reprends mon brossage. La dame explose de rire en me voyant faire et m’arrache la brosse des mains. Encore une qui me traite d’idiote ! Bref, trop fatiguée pour m’en plaindre, je hoche gentiment la tête tandis qu’elle m’annonce d'une voix réconfortante que je peux rentrer chez moi pour aller dormir un peu.

Lorsque j’ouvre la porte de ma maison, je vois maman déjà réveillée qui discute avec Volti. Enfin je "vois", c’est un bien grand mot. Disons que leurs silhouettes étaient dans mon champ de vision tandis que mon corps zombiesque se trainait jusqu’à mon lit pour…

Pouf… Dodo.




Le troisième jour, il va être un peu compliqué. Déjà, les plans sont tout chamboulés par le fait que je me suis réveillée au début de l'après-midi (pas étonnant après cette nuit de dingue ! ), du coup pas moyen d'aller m'excuser auprès du troisième éleveur. J'aurais l'air bête : "Bonjour, désolé j'ai fait la grasse mat mais maintenant je suis prête à vous aider !".

Pourtant, je suis toujours punie. PAS DE VIANDE ! Quel enfer ! Et je dois continuer à aider des gens. Papa, il a dit toute la semaine, même si Krystal a vu que trois personnes. Alors aujourd'hui, j'erre de droite à gauche dans le village, aux aguets de gens qui ont besoin d'aide. Y'en a toujours, à Kedal ! Des mamies qui veulent qu'on leur porte quelque chose, des éleveurs dont les Pokémon se sont enfuis, des voleurs repérés... donc aujourd'hui, ça sera ce que le hasard veut bien que je fasse pour être gentille avec ma grande et super famille qu'est Kedal !

Non.
J’accepte la punition, et tout ce qu’on me dira de faire, et montrerai que je suis une gentille fille, par contre, je suis pas une menteuse ! Alors non, je vais pas dire que je traine plus avec Krystal.

— Mais c’est une grande copine Krystal ! J’vous promets qu’on fera plus de bêtise comme l’autre jour, mais je peux pas dire qu’on jouera plus ensemble, ça serait tout triste et pas vrai. Vous verrez, c’est moi qui va être une super bonne influence pour elle maintenant et plus l’inverse !

Ceci étant dit, je le suis avec une motivation retrouvée, et tant pis si je dois refouetter un Ponyta pour lui montrer à quel point je suis sage !

Ah bah, en parlant de Ponyta… je le reconnais, le pauvre. Il est dans un sale état, depuis mes coups de fouets. Je savais bien qu’il me faisait taper trop fort, Gaston ! Et je crois qu’il en a remis, il a l’air encore pire aujourd’hui. C’est trop triste ! Mais je le montre pas, pasque Gaston il aime pas ça.
Un Pokémon bon à rien. L’ordre est donné. Je prends le couteau, m’approche du Ponyta et l’égorge d’un coup sec sans hésitation. Le cheval pousse son dernier hennissement.

Sans une once de remord, j’attends que l’animal soit vidé de son sang pour le descendre et le dépecer, sortant pour l’occasion mon propre couteau bien plus aiguisé que celui fourni par l’éleveur.

Toute la suite, vous la connaissez. À la fin de la journée, il ne reste du cheval qu’un bon paquet de viande prêt à servir de lasagnes, du cuir en excellent état et des os à ronger pour les chiens du village. Il a eu de la chance de tomber sur moi aujourd’hui, Gaston ! Ou alors il a fait exprès ? Il savait que je cherchais à me racheter, il a dû en profiter pour m’exploiter. Pas grave, c’est le jeu ! Et puis, tout ça… c’est un peu mon quotidien, au final, donc ça n’a rien de très gênant d’avoir à le faire un jour de plus.

Faut jamais hésiter, quand tu dois tuer un Pokémon. Si tu rates ton coup, c’est pire. Si tu le fais attendre, il a le temps de stresser, de paniquer, c’est pire. J’en tue tous les jours, des Pokémon. Ceux du village que les éleveurs veulent pas abattre eux-mêmes, ceux que je chasse pour me nourrir, ceux qui embêtent les gens… C’est mon métier, de tuer des Pokémon. Ça fait longtemps que ça me fait plus rien de le faire. Et même petite, je trouvais ça plutôt amusant. Y’a qu’une fois, une seule fois, ou ça m’a vraiment fait quelque chose. Quand j’ai tiré sur Truc. Pasque là, c’était pas un Pokémon. C’était… C’était MON Pokémon. Mon copain. Même si à l’époque, j’en avais pas conscience.
Il me manque Truc. Split aussi. Et Petit Dada… Tt même Croa. Ils me manquent tous, mes Pokémon.

Je sais pas s’il voulait me punir ou s’il avait vraiment besoin d’aide, Gaston. Le connaissant, il liait l’utile à l’agréable. Mais aujourd’hui, je suis même contente d’avoir tué ce Ponyta. Je me sens moins mal de l’avoir fouetté avant-hier. Pasque au moins, maintenant, il a plus mal. Je l’ai libéré, à ma façon. C’est moins gentil que le jour où j’ai récupéré Petit Dada, ou Mamie Meuh, mais on peut pas être gentil avec tout le monde. Ces Pokémon, c’est des repas sur pattes. Ils vivent pour être manger. Alors le jour où faut les manger, bah on les tue, et on les mange.

— Aurevoir, j’espère que vous aurez plein d’acheteurs pour vos lasagnes !

Je lui fais un grand sourire et le salue d’une main chaleureuse avant de m’en aller de chez Gaston, de bien meilleure humeur que les deux derniers jours. Je rentre chez moi à une heure respectable, m’assieds à côté de papa et maman autour de la table, et mange avec eux (toujours en bavant sur la viande qui me reste inaccessible). J’ai même l’occasion de leur raconter mes journées. Maman était morte de rire, la méchante ! Papa, lui, plus compréhensif.

Finalement, la journée s’achève. Je prends bien le temps de m’occuper de Mamie Meuh pour lui faire faire quelques exercices et sortir un peu de lait, puis je décide d’aller prendre un nouveau repos bien mérité. Après-tout, demain, y’a une quatrième dure journée qui m’attend !

Et voilà ! Je l’avais dit ! C’est madame Bertha qui vers moi en première, souhaitant redorer mon blason autant que moi. Chouette ! Je lui fais un grand sourire et la suit de bon cœur.

Une fois sur place, la mission devient claire : traire une gentille petite Cabriolaine. Aucun problème, c’est facile, ça ! J’installe tout comme je l’ai déjà fait chez d’autres éleveurs, le sourire aux lèvres. Encore une journée qui s’enligne bien !

Attend. Pourquoi elle tape le sceau où je dois mettre le lait, la bêbête ? Et pourquoi elle me fonce dessus ?!

— Aaaah !

Je bondis du tabouret. Mais elle est dingue, qu’est-ce qu’elle fait ? La voilà qui revient et essayer de me mordre les doigts ! Qu’est-ce qui lui prend, à la vilaine ? Au début, je ne cherche qu’à l’éviter. Mais c’est qu’elle insiste !

Alors j’attends une charge. Je me prends pour Técla ? Un peu, oui. L’animal me fonce dessus. Je sens ses cornes contre mon thorax, heureusement bien trop peu courbées pour traverser la chaire. Aouch, ça fait plus mal que prévu ! Mais j’encaisse. Mes bras se referment autour de sa tête, doux et bienveillants, viennent caresser son pelage feuillu.

— Tu vois ? Je vais rien te faire !

Je grimace en disant cela. La bête semble surprise dans un premier temps, puis elle reprend ses assauts. Trop proche pour charger à nouveau à présent que je l’enlace, elle ouvre grand sa gueule et tente de me mordre le bras. Mais au lieu de se refermer sur mon bras, sa gueule est interceptée par un morceau de viande séchée sorti de mon sac.

Des caresses et à manger. En général, un Pokémon n’a pas besoin de plus pour vous apprécier ! Même si pour le coup, je risque de perturber le régime alimentaire d’un second herbivore. Tant pis, elle a l’air de s’amuser à mâchouiller le morceau de viande !

— Allez, on a assez joué ! faut reprendre le travail !

Je me réinstalle sur le tabouret. Cette fois, la Cabrolaine me suit. Elle n’en est pas à se laisser faire, puisqu’elle cherche plutôt à attraper mon sac pour le vider du restant de mes réserves, mais au moins je parviens à tout installer comme il faut. Je finis par poser une main douce sur son museau et lui fait un petit bisou sur le front en murmurant :

— T’en auras d’autres après si t’es sage !

Sage ? Elle l’a pas vraiment été. Mais au moins, l’animal se laisse traire et ne renverse plus le seau. Après beaucoup d’efforts, de caresses, et un second morceau de viande cédé à mi-chemin pour l’occuper, la Cabriolaine est enfin vidée de tout son lait ! Je lui donne sa récompense durement acquise, lui offre quelques dernières caresses pour la féliciter, puis retourne vers la grosse Bertha.
Elle vient de finir sa tarte. Et merde. Moi aussi, faut que j’accepte ma "récompenses" pour l’avoir aidée. Une "bonne" part de tarte ! Je lui fais un large sourire pour la remercier, puis croque dedans de bon cœur. Elles sont vraiment dégueulasses ses tartes. C’est marrant pasque, les fruits, quand on leur fout la paix, en fait, ils sont consommables. Là, c’est aussi des fruits, mais par un procédé miraculeux que j’arrive pas à m’imaginer, on dirait des gadins.

Elle me propose d’en emmener une autre part, au cas où j’aurais un trou dans la soirée ! Ou une fissure à colmater ? J’accepte dans un faux sourire, ne souhaitant pas la décevoir. Truc acceptera peut-être de manger ça ?

Quoi qu’il en soit, lorsque je rentre chez moi, il est beaucoup moins tard que d’habitude ! Pour la première fois de la semaine, j’ai pu passer un vrai long moment avec Mamie Meuh, jouer un peu avec elle, lui faire faire des exercices, et plein de choses comme ça. Elle est vraiment fatiguée, la pauvre. Je crois pas que je sois la meilleure dresseuse qui soit pour elle ! Mais bon, c’est soit ça, soit je l’abats alors pour l’instant, on va continuer d’essayer.



Aaaaaah, ça fait du bien, une bonne nuit de sommeil complète et sans chamboulement dans mon cerveau ! J’ai encore un peu mal au ventre après le coup du Cabriolaine (surement que je vais avoir un sacré bleu quelques jours !), mais sinon tout va bien !
Et vous savez le mieux ? On est presque au bout de la punition ! Plus que aujourd’hui et demain, et on aura fini ! me revoilà au milieu du village, à me balader et discuter avec des gens. Enfin, les gens se remettent à me faire de grands sourire ! On dirait que la bouderie commence à passer.

— Bien sûr m’sieur Martin ! Je m’en charge !

Et là, on parle pas de punition. N’importe quand j’aurais dit oui à ça ! C’est terrible un Pokémon qui s’enfuit, il peut lui arriver plein de choses ! Autour de Kedal, y’a que des endroits dangereux comme tout !

Le pistage commence dans l’enclos de l’Ecremeuh. Malheureusement, j’ai été privée de Split aujourd’hui, alors je vais devoir me débrouiller toute seule.

Les premiers indices sont assez évidents : la barrière a été cassée, y’a des marques dans l’herbe de bagarre, ainsi que des poils beiges. Comme ceux d’un Mastouffe ? C’est une première piste ! Peut-être l’un des chiens de berger du voisinage qui s’est pris d’une soudaine envie de viande crue. Ça arrive parfois ! Faut dire que certains sont mal élevés, heureusement que Volti est là pour les recadrer ! Hélas, on dirait qu’elle a raté celle-là, la Voltali. Elle peut pas être partout !

Au début, la piste me parait évidente. Mais y’a un truc bizarre là-dedans !  Y’a quelques tâches de sang, donc la vache a été blessée. Du coup, pourquoi la piste s’arrête net aux barrières ? Comme si le pauvre animal avait juste disparu d’un coup ! Le chien l’aurait-elle dévorée toute cru sur place ? Nan… ça serait beaucoup plus sanglant que ça, puis y’aurait des morceaux partout ! En plus, les traces du prédateur disparaissent au même endroit. Là ça ressemble plutôt à…

UNE CAPTURE ! Catastrophe ! Y’a un voleur dans le village !

Changement de plan ! C’est les traces de semelles qui faut suivre ! Fouillant l’herbe, je repère enfin la marque du coupable. Là ! Des grosses empreintes de bottes qui ont visiblement stationné quelques minutes, surement le temps que l’affrontement s’achève. Parfait !
J’inspire profondément. Une… Deux…

— VOLTIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !

Pitié, faites qu’elle soit dans le coin ! Réponse une seconde plus tard : une déferlante électrique accoure jusqu’à moi et s’interrompt in-extremis à mes pieds.

— T’es làààà ! Super ! Regarde, y’a un voleur dans le village ! Faut l’attraper !

Les yeux de la renarde se plissent de colère. Comme je lui ai demandé, ma sœur renifle les empreintes. L’instant d’après, elle décolle en ligne droite en direction d’une cible que je plains d’avance. Je cours à sa suite, bien que je l’imagine déjà arrivée après mes trois premiers pas. Un puissant choc électrique m’indiquera l’endroit exact du coupable quelques instants plus tard. Il ne me reste qu’à m’y rendre.

Ah, c’était pas un Mastouffe. C’était un Colossinge qu’il avait le monsieur pour tabasser cette pauvre Ecremeuh ! Il fait moins le fier, face à Volti, le macaque. Le monsieur non plus, d’ailleurs ! Ils sont tous les deux couchés au sol, paralysés par l’attaque de la renarde qui s’est assise d’une posture droite et hautaine devant ses proies du jour.

— Ha ! Ça vous apprendra à voler les Pokémon des gens ! Maintenant rendez-moi l’Ecremeuh de monsieur Martin !

C’est un jeune adulte en plein voyage initiatique. Surement qu’il est parti de vigneaux et s’est dit que personne regretterait une vache parmi tant d’autres dans notre village de bouseux. Pas de chance : on veille au grain ! Et lui, il aura même une amende !

— Volti, tu peux aller chercher papa ?

Non, pas maman. C’est papa qui arrête les gens, pasque maman elle en rajouterait juste une couche après que Volti ait assommé le coupable : elle déteste les voleurs ! Genre, encore plus que nous ! Si elle croisait les vilains qui m’ont volé ma Fouifi un jour, elle les étriperait !
La renarde décolle tandis que j’arrache la pokeball de la main du jeune homme et sort mon badge de ranger pour lui mettre sous le nez :

— On va t’envoyer à la maréchaussée, espèce de vilain voleur ! Nan, nan, nan ! C’est plus l’heure pour te plaindre !

J’attends les bras croisés, ignorant ses suppliques, qu’elles soient pour éviter la prison ou part rapport aux blessures infligées par la renarde. Qu’il se débrouille ! Bientôt, mon papa arrive et je le laisse s’occuper du récalcitrant. Quant à moi, je retourne vers monsieur Martin.

— Monsieur Martin, monsieur Martin ! Je l’ai retrouvée ! C’était un vilain voleur qui avait essayé de l’attraper !

Je lui montre la pokeball, puis m’empresse d’appuyer sur le bouton. L’Ecremeuh en ressort dans un sale état. Il l’a tabassée jusqu’à ce qu’elle tombe inconsciente cet idiot ! Pauvre Ecremeuh ! Je jette la pokeball au sol et l’écrase à répétition de mes chaussures jusqu’à ne plus rien entendre craquer. Voilà ! Elle est de nouveau libre l’Ecremeuh !
Finalement, on a passé la fin de la journée ensemble, monsieur Martin et moi, à s’occuper de cette pauvre Ecremeuh. J’ai même sorti Mamie Meuh pour lui tenir compagnie. Elle pouvait la réconforter et nous aider à panser les plaies de sa semblable. Et ainsi, tous ensemble, on a rendu le sourire à cette Ecremeuh malgré une grosse frayeur !

Encore une journée qui s’achève. Je rentre chez moi, contente de ma bonne action. En fait, j’ai été punie une semaine. Mais j’ai quand même fait des tas de choses cool, durant cette semaine ! Alors je suis contente. La seule chose, c’est que j’ai vraiment hâte de remanger de la viande !



Je sort de ma chambre en baillant, tout juste réveillée par les premiers rayons du soleil. Dans la cuisine, papa prépare le petit déjeuner tandis que maman discute avec Volti et Split. Lorsque je pénètre la pièce, tous les quatre se tournent vers moi.

— Parée pour ton dernier jour de punition ? se moque ma mère avec un sourire narquois.
— Parée ! répondis-je au quart de tour malgré la fatigue. Je dois encore aider quelqu’un aujourd’hui ?
— Et comment ! Cinq personnes, même !
— Tout çaaaaaa ?

Tout le monde s’esclaffe devant ma réaction. Déjà qu’aider une personne à chaque fois c’est dur, j’y arriverai jamais ! Un profond soupire de lassitude m’échappe. Tant que je ne réalise pas tout de suite le fusil que mon papa me lance à la figure ! Je rattrape l’arme in-extremis dans un réflexe incertain, puis les fixe avec étonnement.

— N’aurait bin b’soin d’main en pluche pou l’chasse d’jourd’hui !

Chasser ? Vraiment, vraiment ? C’est papa et maman que je dois aider aujourd’hui ! On va chasser en famille, chacun avec son Pokémon !!! Maman avec Volti, Papa avec Grand Dada, et moi avec Split ! C’est formidable ! C’est la toute toute première fois que Split et moi on chasse avec eux ! On va pouvoir faire plein de stratégies de chasse et apprendre plein de choses, comme ils font papa et maman ! TROP GÉNIAL !

La journée fut l’une des meilleures qui m’aient été données de vivre. Et je crois que pour Split aussi ! Il a même eu droit à quelques félicitations de Volti, chose assez rare pour le souligner !
Et vous savez le mieux dans tout ça ? Le soir… J’AI MANGÉ DE LA VIANDE AVEC TOUT LE MONDE ! HOURRAAAAA !

Topic terminé