Saison Un

: Obscure Prophétie

Telle sera cette journée, comme beaucoup d’autres. Kata me trimballe dans son sac. Au moins, je profite de l’air pur, et non de cette prison sphérique étroite à laquelle mes semblables sont destinés. En plus, comble de l’ennui, Split n’est pas de sortie. Mon seul compagnon de blabla – si peu loquace soit-il – a été contraint d’attendre son heure aujourd’hui.
Faut dire que Kata a décidé qu’aujourd’hui serait particulier, contrairement à ce que je devine du jour. Le nom de la ville lui a rappelé quelques souvenirs d’avant le salon. Une journée, puis une soirée, en compagnie d’une dame forte des plus agaçantes, laquelle m’avait privé de baignade sans aucune raison. Même en la mordant, je suis tombé sur un os ! Une machine, je vous dis !
Pourtant, allez savoir pourquoi, Kata s’est entiché de cette tarée pour en faire sa professeure de sport, ou une connerie du genre. Résultat, aujourd’hui, elle suit ses conseils. Enfin, elle profite de l’occasion pour les suivre : qui dit Cochignon, dit Lior. Qui dit Lior… Dit Técla ! Du moins, de loin.

TocTocToc.

— Bonjouuuuur ! On m’a dit de venir ici pour trouver Lior, est-ce que c’est le bon endroit ?

À tous ceux qui s’imaginent que c’est la première fois qu’elle pose la question aujourd’hui, retournez à vos fantaisies illusoires. Ce fut long et compliqué de trouver ce fameux Dojo. Faut dire qu’entre sa mémoire et sa compréhension toutes deux défaillantes, on peut déjà se satisfaire du fait qu’elle a retenu Cochignon et Lior.
Sans aller jusqu’à faire du porte-à-porte, Kata a demandé son chemin à une vingtaine de personnes environ. Si les premiers n’ont absolument rien compris à ce qu’elle cherchait, il y en a finalement un qui a percuté au nom de la championne et lui a indiqué le coin. Puis elle s’est perdue, on a erré des heures durant, et elle a recommencé à demander son chemin. Et ainsi de suite, jusqu’à arriver devant cette porte qui, je l’espère, sera la bonne.

Parce que certes, cette journée me parait déjà ennuyeuse, mais j’aimerais au moins qu’on décolle de la marche interminable.
Côté tenue, Kata est comme toujours. Avec sa tenue de chasse de toute façon aussi adaptée à n’importe quelle activité physique qu’au massacre de créatures sans défense. Elle a même son fusil. Faut être con, quand même, pour amener un fusil dans un dojo. Mais bon, c’est Kata… je l’ai vue faire pire. Et au moins, si elle trimballe ses affaires, c’est qu’elle me trimballe.

Je sors la tête du sac, poussé par un élan de curiosité. Ça a l’air tendu, comme coin. Les gens ont l’air super sérieux, ici. Peut-être que je ferais mieux de garder la tête dans le sac, moi…

Je pensais que les minutes d’attente à la porte étaient de trop… Bon sang, j’aurais préféré qu’elles durent plus longtemps. Rien qu’aux premières paroles de la fameuse Lior (c’est bien elle, n’est-ce pas ? Elle ne l’a pas confirmé, mais vu qu’on l’a demandée par son nom…), je sens déjà qu’on décolle du plafond en termes de stupidité. Madame ! J’ai déjà essayé le coup de fusil ! ÇA FAIT MAL !
Heureusement pour elle, Kata est plus naïve que moi.

— Une armure ? Ou ça ?

Regardez-la fureter de gauche à droite à la recherche d’un plastron métallique, avant de réaliser que l’étrangère parle de son six pack. Faut dire que sa musculature est impressionnante, tout comme la dernière bodybuildeuse que nous avons croisée, l’image n’est pas si exagérée. La bouche de Kata s’entrouvre. C’est bon, elle a compris. Elle peut désormais secouer la tête.

— Ah ! Non, madame, c’est interdit de pointer les fusils sur des humains !

La gamine ricane à cette supposition amusante, puis d’un coup, ramène les deux mains sur sa bouche avant de retrouver son sérieux.

— En fait, c’est une autre madame qui m’a dit que je suis pas capable de suivre son entrainement, alors elle veut que je trouve Lior dans le dojo du roi à la place avant de revenir. Elle s’appelle Técla !

Mais puisque le dernier passant t’a dit que c’était son nom, LEROY, pourquoi tu continues avec cette histoire de roi ? C’est à mon tour de soupirer en arrière-plan, dans la sacoche. Bref, au moins, il semblerait qu’on soit arrivé à destination. La rouquine se tient droite comme un piquet depuis le début de sa question. Je sens, collé contre elle, qu’elle est à cran. Elle a enchainé tellement de bêtises aux côtés de Técla qu’elle ne voudrait pas gâcher sa chance une seconde fois avec Lior. Manquerait plus que Lior la renvoie vers un troisième maitre, encore moins bon, qu’elle devra se coltiner en attendant de pouvoir revenir…

Tout en attendant que les deux humaines discutent, je sors un peu plus ma tête du sac pour zieuter ce qui se passe derrière la musculature excessive. Plein de gens qui se tapent dessus ou se balancent au sol. Que je n’ai pas envie d’entrer là-dedans, moi !

Kata pénètre l’intérieur du dojo à la suite de sa nouvelle professeure. Depuis qu’elle a posé ses paumes sur sa bouche dans un réflexe enfantin, la petite semble n’exprimer que très peu d’émotions. De la surprise, de temps à autre, et surtout un sérieux insistant. Elle s’est contentée de détourner le regard à l’évocation de son échec devant Técla sans rien en expliquer. Je ricane en la voyant faire. La pipelette est devenue muette, quelle ironie ! J’ignore à quoi elle joue, mais elle a saisi l’occasion que Lior lui offrait en haussant les épaules pour garder le secret et laisser la combattante enchainer sur la confirmation du lieu.

Si elle pige ? Oui. Hochement de tête, toujours muette. Ça m’intrigue. Je plisse les yeux et tend un peu le cou, cherchant à voir le visage de l’enfant. C’est bien trop inexpressif, tout ça. Qui a kidnappé ma Kata ? Est-ce encore un mauvais tour de Ciboulette, le Pitrouille de service ?

Il semblerait que non : l’enfant réagit à tous ceux qu’elle croise, saluant d’un petit geste de la main ou d’un hochement de tête les trois Pokémon qu’elle croise. Sauf qu’en temps normal, elle aurait hurlé sa présence à tout va et aurait peut-être même câliné le plus proche des trois. Quelque chose cloche, définitivement. J’imagine que la réponse viendra suite aux paroles de l’adulte…

— Ah ! Euh… Moi c’est Kata Strophe, je suis chasseuse et apprentie ranger et ma maison elle est à Kedal.

Après cette courte présentation limite protocolaire, la petite s’empresse de saluer la dame en s’inclinant. Elle reprend ensuite sans paraître plus enthousiaste que durant sa présentation :

— Et en fait, quand Técla elle m’a aidé à Bivouac, elle volait sur un gros golem, et elle a arrêté un énorme dada à mains nues. Alors je lui ai demandé si elle pouvait m’apprendre comment elle faisait pour faire des trucs cools comme ça, et elle m’a fait un entrainement.

Très factuel, tout ça. Et je suppose qu’en plus elle ne va pas…

— Mais après qu’on ait couru une fois autour de la mare, reprend-elle, elle m’a dit que même si je sais pas courir, elle peut pas continuer à m’apprendre pasque j’ai fait les grosses joues et que j’ai dit plein de bêtises, alors je viens ici comme elle m’a dit.

Un petit couinement de surprise vient de m’échapper. Comment ça, elle déballe tout maintenant ? Je pensais qu’elle voulait éviter d’en parler. Et y’a toujours quelque chose qui me chagrine dans son timbre. C’est beaucoup trop neutre. Je secoue la tête, perplexe, puis porte mon regard sur les autres Pokémon et visiteurs du dojo. Est-ce le lieu ? J’ai été auprès d’elle toute la journée, il ne lui est rien arrivé. Pourtant, ces autres Pokémon que j’observe semble bien se porter. Qu’est-ce qui lui arrive, à ma Kata ?

Técla, gentille ? Kata ne contredira pas, bien que sévère lui soit surement resté en tête. Après-tout, malgré son refus de l’entrainer, la conseil 4 l’avait accompagnée la journée durant afin de rameuter tous les Ponyta échappées jusque chez leurs éleveurs. Elle hoche la tête, reste droite, n’ajoute rien. Notre Kata demeure concentrée sur les paroles de la fameuse Lior.

Nouveau hochement de tête au plan de la professeure. Et encore un derrière. Et un autre. Ça en devient répétitif ! À croire que l’enfant n’a rien à redire sur rien. D'un côté, c’est son objectif : retourner voir Técla dès qu’elle aura fini cet entrainement. Et puis, quand il le faut…

— Les échauffement j’ai fait avec Técla, je dois le faire du coup ?

Pas de problème ! Je me sens rejoindre le sol d’un coup en même temps que le reste de ses affaires encombrantes incluant fusil et sac. Je m’extirpe de ce dernier de mes pattes valides pour mieux suivre la scène, tandis que l’enfant entame quelques mouvements présentés par Técla lors de son entrainement de courte durée. Etirement des bras, jambes, cou… le tout plus ou moins approximatif : l’enfant a une bonne mémoire, par contre sa compréhension…
Bref, après quelques minutes, nous voici partis pour le véritable exercice : pousser le tas de muscles. Ça, ça promet d’être intéressant. On a le droit aux premières véritables émotions de Kata : un air surpris, lequel transitionne sur un froncement de sourcils pensif tandis qu’elle s’approche de la dame à bousculer. Après une courte hésitation, elle appuie sans force du poing contre l’extrémité du bras avancé de l’adulte.

D’instinct, la petite aurait dû sortir une corde pour cet exercice. L’attacher au pied de la combattante, et tirer d’un coup pour la renverser comme un gibier. C’est en la voyant imiter la posture de l’autre que j’obtiens une première piste. Kata ne réfléchit pas comme Kata. C’est con dit comme ça, mais c’est vrai. Regardez ! Elle va jusqu’à unir ses mains à celles de l’adultes pour faire les choses de la même façon que sa professeure. Même position de jambe… ce qui, en soi, est stupide. Elle doit pousser, pas résister.

Elle s’en fiche, on dirait. La voilà qui entame la poussée. Enfin, le sur-place. La gamine insiste de toutes ses forces contre les bras de l’adulte, ses jambes glissant peu à peu derrière-elle sans parvenir à garder prise sur le sol.
Après quelques instants seulement, elle se fige et cesse de pousser, surprise que l’adulte n’ait pas bougé d’un chouilla alors qu’elle a tenté d’être aussi brusque que possible dès le départ. Il ne lui a pas fallu longtemps pour réaliser que c’était peine perdue.
Néanmoins, elle n’abandonne pas. Pas tant que Lior ne lui dira pas d’arrêter. Alors elle reprend l’exercice, poussant de sa force impressionnante pour son âge, mais loin de rivaliser avec les tas de muscles adultes de ce dojo. De là où j’observe, je peux l’entendre grogner les dents serrées, son visage rougissant des efforts produits.

Je me demande ce que Lior cherche à réaliser par cet mise en bouche ? Peut-être réalisera-t-elle que l’enfant prend naturellement de bons appuis, puisque habituée à devoir encaisser le recul de son fusil. Qu’elle n’a aucune notion de sport de combat ? Surement qu’elle verra au moins que Kata s’appuie davantage sur sa jambe droite que la gauche depuis ses récents plâtres. Qu’elle est droitière, aussi. Qui sait ?

Elle attendra l’ordre de Lior, s’il vient, pour arrêter d’un coup et reculer, de nouveau prête à écouter la dame sans rien dire.

L’enfant écoute sans broncher sitôt qu’elle s’est arrêtée. Elle reprend son souffle pendant que l’adulte parle, jusqu’à pouvoir l’observer avec sérieux. Contrairement à la souleveuse de Galopa, celle-ci sait reconnaître les qualités des gens à voix haute. Comme la brute l’avait expliqué, Lior parait bien plus adaptée à l’entrainement d’une enfant. Elle l’a même remerciée !
Pourtant Kata, toute droite et toujours de marbre, se contente de ses hochements de tête sans paraître satisfaite de se voir complimentée jusqu’à pouvoir passer aux entrainements extérieurs.

Peut-être fait-elle bien de ne pas crier victoire trop tôt. Après-tout, la professeure vient d’annoncer qu’il lui restait d’autres évaluations à faire, qui sait ce que donnera cette seconde journée dans les gorges ? J’espère que ce sera moins mouvementé qu’avec Krystal. J’aime nager ! Par contre, les courants… C’est tout de suite moins agréable.

— Oui ! Quand on chasse, faut se lever tôt pour relever les pièges avant que les animaux les mangent.

Au moins, elle répond toujours aux questions. Je me sens un peu triste pour l’adulte, bien plus expressive qu’elle. Même un clin d’œil n’aura pas suffi à ramener l’innocente à son excentricité habituelle. Kata se contente d’un dernier hochement de tête devant l’invitation aux gorges avant d’ajouter :

— Oui m’dame !

Je soupire en la voyant se figer de nouveau. On dirait presque qu’elle n’a pas entendu. Elle tourne la tête vers moi… Quoi, tu m’interroges du regard, là ? Ce n’est pas moi qui vais t’expliquer quoi que ce soit. Ses yeux reviennent sur Lior, dévisageant l’adulte musclée avant que sa bouche n’ose enfin exprimer quelque chose de plus pertinent qu’une réponse ou une affirmation.

— Et… du coup… je rentre et je reviens demain ?

L’Ecremeuh ! Elle hésite tant qu’on dirait que ça lui arrache les lèvres de sortir des rails prescrits par l’adulte.
Pour le coup, cette fois je pense que je la comprends un peu. Après s’être faite mettre à la porte (bien que ce fut en extérieur) par Técla en dix minutes chrono, la petite Kata doit se demander si cette Lior n’est pas en train de lui refaire le même coup d’une autre façon. Manquerait plus qu’elle se pointe le lendemain et que l’adulte ait disparue pour accompagner on ne sait quel autre élève. Elle avait déjà eu bien du mal à trouver le dojo, Kata voulait surement s’assurer qu’elle aurait sa chance le lendemain.

Une fois rassurée, elle obéira surement, toujours sans rien laisser paraître. Elle saluera tout le monde avec politesse, reprendra ses affaires, et repartira du dojo comme elle est venue. Et avec un peu de chance, elle redeviendra elle-même une fois rentrée à sa chambre d’hôtel…