Saison Un

: Obscure Prophétie

J’aide Krystal autant que je le peux, que ce soit en aidant à porter ma pauvre Kata, en surveillant la fouine ou en tenant compagnie à l’humaine. Malgré cela, je persiste à me sentir impuissant. Cette Fouinette est toujours sur le dos de Kata, entravée mais bien présente.

La ville semblait entière, vue de loin, comme s’il ne s’était rien passé. Pourtant, la mort s’y devinait même d’où l’on se trouvait. Heureusement que Krystal nous emmena seulement en bordure, dans son auberge. Après avoir installé Kata et préparé diverses affaires dont je n’ai pas pris connaissance, un repas me fut apporté.
Je mange sans enthousiasme, tourné vers Kata avec un air triste sur le visage. J’aurais aimé partager ce repas avec elle, comme nous le faisions autrefois. D’ailleurs, la nourriture de Kata est bien meilleure que ces croquettes. Mais ce n’est pas le moment de faire le difficile.

De son côté, Croa apparait, bien différente de celle que l’humaine connaissait de sa dernière rencontre avec Kata. L’oiseau hautain a perdu toute sa hargne. Elle tremble dès son apparition puis jette un regard inquiet autour d’elle à la recherche d’une attaque potentielle, ne se calmant qu’au moment où ses yeux se posent sur la tzigane. Même en voyant l’humaine déposer sa nourriture, elle semble hésitante, flairant un piège avant d’enfin oser y plonger son bec et se saisir de quelques croquettes. Elle non plus n’a pas particulièrement faim. C’était une des rares choses dont elle n’a pas souffert, puisqu’elle avait l’occasion de chasser ces derniers jours.
Ses blessures sont nombreuses. Rien de grave, mais tout comme Kata, elle est parsemée de griffures et autres coupures, ses ailes sont froissées en de nombreux endroits, et plusieurs bosses douloureuses marquent son crâne. Fouifi en a fait son punchingball ces derniers jours, frustrées de n’avoir rien d’autre sous la main pour passer ses pulsions vengeresses.

Elle se laisse faire devant l’humaine : rien de pire ne pourrait arriver, de toute façon. En toute sincérité, elle aurait préféré se faire abattre sur place que de vivre ces dernières semaines, alors bon…

Hélas, rien n’est terminé. Shebk va avoir l’occasion de sonner l’alarme, car la prisonnière semble se réveiller.
C’est un mouvement de patte qui marque le premier son éveil : un geste soudain, brusque, qui lui fait rapidement prendre conscience que quelque chose ne va pas. Sentiment qui se confirme à la sensation du bâillon dans sa gueule.
Bon, c’était à prévoir. La fouine réinstalle sa patte calmement, constate que le moindre geste est ni plus ni moins définitif. Tant pis, elle a sorti une de ses griffes, elle n’arrivera pas à la rentrer. Sa queue est dans le même état. Bien. Pas le choix. On ne bouge pas… pour l’instant.
Ses yeux se rouvrent. Pleinement réveillée, elle se contente d’observer ce qu’elle peut voir, à savoir rien puisqu’elle est collée à Kata. Néanmoins, elle semble calme. Beaucoup plus calme que tout à l’heure, comme si l’entrave ne l’angoissait pas, ou qu’elle avait prévu cela avant de s’endormir.

Sans blague… je pensais au moins qu’elle m’enlèverait cette merde de la gueule. Je vois que je n’aurais rien d’elle, c’est une perte de temps. Patience. C’est tout ce qu’il me faut faire, patienter, tandis qu’ils prennent la confiance en cet attirail de misère qui m’immobilise. Je l’ai testé dès mon réveil, en ai vaguement compris la structure… rien d’insurmontable quand on a mon ambition.

Alors j’attends, sans répondre. Mon petit sourire narquois, invisible à leurs yeux, se moque de l’humaine qui me déplace. Elle parle de remplacer le bâillon par autre chose. Parce qui si elle me l’enlève, elle compte me mettre autre chose à la place ? Idiote. Tu aurais mieux fait de l’enlever directement, j’aurais peut-être pardonné cet affront. Maintenant, je vais devoir le faire moi-même.

L’humaine s’en va. Il ne reste dans la salle que trois Pokémon pour me surveiller, et pas nécessairement les plus puissants. Patiente, encore un peu. Juste un peu. Jusqu’à être certaine que l’humaine n’est plus dans les parages, que cette fouine indigne qui l’accompagne mette une éternité avant de la rejoindre pour la prévenir.
Il me semble entendre son cheval hennir à l’extérieur. Bien, allons-y.

D’un mouvement brusque de ma queue immobilisée, je me fais rouler de l’oreiller confortable jusqu’au cou de la petite Strophe. Ainsi lovée auprès d’elle, je peux entamer mes tentatives sans craindre un assaut brutal des trois autres. Regardez-moi cette pauvre loque lui servant d’Insolourdo qui n’ose pas attaquer de crainte de blesser son amie ! Hahaha, minable ! Dans la vie, il faut savoir faire des sacrifices. Le temps que tu rampes jusqu’à moi, il sera déjà trop tard…
Et ne perdez pas votre temps avec ces seringues minables. Elles marchaient quand j’étais faible. Là encore, le temps que vous dégaignez, j’aurais accumulé ce qu’il faut pour que la seringue s’éclate sur ma peau d’acier sans l’endommager.
Boul’Armure.
Je force. De toutes mes forces. Hurlant ma haine et ma rage pour briser ces sangles et ces nœuds, poussant mes quatre pattes et ma queue en avant, dans le sens inverse de ce qui les retient.
Boul’Armure.
Allez, bordel ! Explose, saloperie ! N'importe quel bestiole aurait déjà abandonné. Mais moi ? Certainement pas ! Je sens que ça vient. Alors que mon premier mouvement n’a fait que m’immobiliser complètement, je commence à reprendre l’avantage face à ces lanières de cuir.
Boul’Armure.
Mes pattes continuent de progresser. Déjà, mon corps retrouve un semblant de mobilité, suffisament pour me permettre d’achever la posture sphérique de cette attaque.
Boul’Armure.
CLAC. La première des reliures craque, libérant une de mes pattes. Aussitôt, je retire cette SALOPERIE de ma gueule.
Boul’Armure.
CLAC, la seconde. Cette fois, c’est terminé. Ma queue se libère, rejoint le lit puis me propulse enfin vers ma liberté, tandis que d’une pirouette je me débarrasse du reste de mes chaines.

AAAAAAAH, Que ça fait du bien ! Quel cauchemar d’avoir à supporter cela ! Je réaterrit sur Kata, bien debout et fusillant les trois autres d’un regard haineux pire encore que celui de la veille. Si quelqu’un a décidé d’empêcher ma libération, je le balaie aussitôt au loin. Néanmoins… je n’engage pas d’autre hostilité, juste un grondement menaçant à leur intention :

— M’emmerdez pas, et vous serez peut-être en un seul morceau au retour de votre dresseuse.

Split recule, dépité. Après leur premier affrontement, il ne se sent pas capable de vaincre. Ils ont déjà eu tant de mal en étant tous réunis. Sans Krystal, Auriel et Arion, l’affrontement n’est pas envisageable.
Je n’ai aucun intérêt à massacrer ces microbes pour l’instant. Il faut que j’en sache plus, que je trouve la proie parfaite et que je l’isole. Pour cela, il va falloir que je me coltine cette humaine quelques temps et que j’apprenne à les connaître. Néanmoins… il aurait été hors de question qu’elle me trimballe davantage en tant que prisonnière.

J’attends que l’humaine rentre dans la pièce pour lui renvoyer un grand sourire moqueur et la fusiller d’un regard meurtrier à son tour. J’ai hâte de la voir poser les yeux sur sa merde de harnais réduit en miettes au sol.

Humf, l’humaine n’est pas aussi paniquée que je l’aurais espéré. Je plisse les yeux, cherchant à démêler le vrai du faux dans sa réaction. Comprendre les autres, ce n’est pas mon truc. Faudrait pas non plus qu’elle se montre insupportable trop longtemps, l’autre grande perche. Si elle me cherche, elle va me trouver.

Bref, ils vont au moins me servir à une chose : s’occuper de Kata. Je sens d’ici les odeurs de bouffe, je suis sûre qu’il y en a pour tout le monde, y compris la comateuse. Enfin, j’espère pour elle qu’elle a pensé à Kata. Sans quoi, je vais finir par les considérer inutiles. Maintenant que je sais où cette humaine habite, je ne risque plus de les perdre de vue, c’est le principal.

J’entends le début des paroles de Krystal, mais ça me gonfle d’avance. Elle joue les fausses gagnantes, alors qu’elle aurait bien aimé me garder enchainée. Sans quoi, elle m’aurait détachée d’elle-même. Je suis sûre qu’au fond d’elle, elle panique quant à ce que je pourrais faire durant la nuit. Tant mieux, si je peux leur donner à tous quelques frayeurs nocturnes et les obliger à installer des tours de garde, le tout dans un climat de crainte, ce sera parfait. Une petite vengeance pour cette histoire de bâillon.

Krystal entame à peine sa proposition de collaboration quand un bruit de vitre brisée se fait entendre dans la pièce. Auriel aura probablement eu une bonne frayeur, puisqu’il a fallu attendre que j’achève ma mise en boule offensive pour voir la direction dans laquelle je comptais bondir pour attaquer. Mais non, ce n’était pas à leur intention : je me suis tirée sans écouter Krystal, et sans prendre la peine d’ouvrir la fenêtre.
Quoi ? Vous ne pensiez quand même pas que j’allais finir la journée comme un Ponchiot attardé à réclamer ma gamelle et bouffer cette nourriture en cube ? Je vais chasser, me nourrir, et me passer les nerfs.

Bien qu'il sache le soulagement de courte durée, Split expire profondément après mon départ. Le pauvre est aussi désespéré qu'exténué. Il ignore le repas apporté par Krystal. Tout cela lui donne plus envie de vomir qu'autre chose. Il préfère de loin remonter sur le lit, à présent que la voie est libre, et reprendre sa place d'autrefois aux côtés de la ranger. Hélas, comme toujours depuis ce bal funeste, Kata reste inerte malgré tous ses efforts. Il ne sert plus à rien.

Je rentre exprès au milieu de la nuit. Je reste discrète et sur mes gardes, au cas où l'humaine aurait installé un piège foireux pour mon retour. Je me doute aussi qu’au moins une personne surveille, au cas où j'aurais la bassesse de les attaquer de nuit. Oh, ce serait mon genre ! Plus tard, peut-être.
C’est le cas de Split, cet Insolourdo de malheur. Je le retrouve à nouveau couché de tout son long sur ma Kata. Ma parole, c’est un serpent ou une sangsue ? Le machin me dévisage, commence un grognement chuchoté dans ma direction pour essayer de me convaincre de ne pas réveiller les autres. Pfff, certainement tiens ! D’un coup de queue, je balai l’insecte géant du lit pour le jeter loin du lit et prend sa place pour me lover jalousement sur le dos de Kata sans me préoccuper des traces de sang qui marquent mon retour de la fenêtre aux draps. Son esprit combattif réduit à néant, Split abandonne l'idée de remonter. De toute façon, à quoi bon ?

Dormir dans une maison infestée d’ennemis… Les nuits vont être légères, désormais. Non pas que ça me change de d’habitude… quand on vit seule pendant des mois, on sait réagir au danger, même la nuit. Une nuit de sommeil complète… je pense n’avoir jamais connu ça.

Je ne saurais répondre à Krystal. Je désespère autant qu’elle de voir le comportement puéril de cette Fouinette. Une simple petite Fouinette… capable de causer autant de tourments. Ma langue siffle en réponse à ses conseils, montrant mon écoute malgré que le cœur n’y soit pas. Je ne suis pas certain qu’elle ait raison. Qu’un quelconque courage puisse retenir sa colère : elle s’est battue avec acharnement contre toute notre troupe malgré les tentatives d’Arion et Krystal. Pourtant, je soupçonne que l'humaine n’a pas tort. Simplement… ce n’est pas la peur qui me fige.

Je baisse la tête, attristé. C’est l’échec qui me mine. Ceux qui se répètent et ne cessent de s’amplifier. Et voir toutes les précautions de l’humaine en l’attente du retour de la fouine ne fait qu’amplifier mes remords. On diminue les risques comme on peut, mais au final, rien n’empêche son retour. Dans un long couinement de peine, je m’abandonne au désespoir aux côtés de ma dresseuse endormie, sans même qu’il me reste l’énergie pour retenter de la réveiller.

Croa, de son côté, répond à Krystal en détournant le regard. Elle montre l’une de ses serres, comme honteuse d’avouer sa part dans les déboires de Kata. Elle s’en serait moqué, quelques mois plus tôt. Mieux encore, elle se serait amusée de voir cette irresponsable pendre à ses serres et de la sentir à sa merci. Mais aujourd’hui, en la voyant ainsi étalée et amorphe et après avoir supporté la fouine des jours durant, sa hargne lui était passée. Tout ce qu’elle voulait, c’était oublier. Chose qui lui serait impossible puisque le cauchemar reprendrait d’ici peu. Dès le retour de Fouifi.
Contrairement à moi, elle accepta la nourriture de Krystal. Nous étions tous deux abattus. Moi d’autant plus, puisque je ne réagis pas en voyant Krystal emmener Kata pour une douche. Quant à la suite… Vous la connaissez déjà.

J’ai fini au pied du lit, privé de ma dresseuse par une fouine. Même le sommeil refusait de venir, à tel point que j’abandonnai mon rôle au point de m’en aller rejoindre ma pokeball, moi aussi, comme Croa.

Les oreilles de la fouine lovée en boule se dressèrent aussitôt que Krystal se leva. Elle sembla surveiller quelques instants, méfiante, puis poursuivit sa nuit sans se préoccuper davantage de nos personnes. Ce n’est qu’au moment de redresser Kata pour l’emmener ailleurs que Fouifi se leva enfin, baillant lourdement sans accorder le moindre regard à qui que ce soit. Elle ressortit par la même fenêtre que cette nuit, disparut de nouveau, puis réapparut magiquement sitôt que Krystal installa Kata dans la charrette pour bondir sur sa dresseuse et s’y accrocher. Peut-être aura-t-elle donné l’espoir à Krystal de pouvoir partir sans elle… pour ma part, je n’y ai pas cru un seul instant. Il n’y a qu’à voir son air mesquin dirigé vers Krystal tandis qu’elle s’agrippe à Kata de ses griffes.

La route sera longue. Les nuits seront courtes. Et moi, je n’ai plus envie d’essayer. Je suis resté dans ma ball toute la matinée et ne compte pas en sortir pour échouer de nouveau.