Saison Un

: Obscure Prophétie

Décidément, Roger était bien mignon. Au point même que Lizbeth se retrouvait à mettre de coté toute les considérations adultes et responsables qui pouvaient lui venir. Un simple rêve, un gentil garçon bien joli, pourquoi se compliquerait-elle les choses ? La mairie et ses recherches constituaient déjà des tracas plus que suffisant pour que, affublée d'une apparence et d'une volonté infantile, elle se s'astreigne à un comportement sérieux au possible, non ? Le simple fait que cette question lui vienne à l'esprit constituait une réponse en soi. Qu'elle veuille l'admettre pleinement ou non, la jeune fille avait envie de passer du temps avec le joli blond.

Sans doute aussi parce que sa conscience restait intacte, la gêne se dissipait rapidement pour elle, chose qui ne semblait nullement réciproque. Le pauvre petit était aussi innocent que possible, et Lizbeth ne pouvait qu'admettre que cela jouait beaucoup dans l'émoi qu'elle ressentait. La petite n'était pas dupe, il était évident que Roger se montrait plus que disponible...

Et, une fois n'est pas coutume, ici elle ne voulait plus se compliquer les choses plus que strictement nécessaire. Du moins, c'était une façon bien plaisante et bien commode pour elle de rationnaliser ses réactions et son comportement. Elle pouvait rationaliser autant qu'il lui plaisait, restait qu'elle aussi baignait dans un état émotionnel sans précédent.

La façon dont Roger tentait de se dépêtrer de tout cela arracha un nouveau sourire à la petite blonde. Pour la peine elle fit un petit pas de coté, croisa un bras, relevant l'autre pour poser deux doigts à son menton, et lança un regard un peu espiègle au garçon. Pourtant même elle manqua un peu de courage pour finir sa phrase avec conviction.

- Le banquet ? Oh... Tu sais, si je t'ai dit que chercher avec toi me ferait plaisir avant de te montrer que ça n'était pas nécessaire... Enfin, on peut passer du temps ensemble avant le banquet...

En un sens, elle avait déjà pavé le chemin pour qu'il se sente plus confiant, mais apparemment pas assez. Ce qui se révélait problématique, car ils se retrouvaient comme deux idiots à présent, incapables de dire clairement ce qui pourtant les motivaient. Compréhensible de la part d'un inconscient, bien moins de celle d'une rêveuse lucide. Pourtant sa gorge se serrait, son cœur battait la chamade.

Le décalage entre ce qu'elle pouvait penser d'une part, et ses émotions de l'autre ne cessaient de perturber Lizbeth. Elle n'allait tout de même pas transformer ce moment déjà un peu gênant en un douloureux étalage de timidité et d'incapacité à communiquer ! Après une longue seconde d'hésitation, la petite Noirdaigle se décida à prendre un peu les devants, et se remit face à Roger, tendit la main jusque lui attraper la manche.

- ... Avant... Avant le banquet, tu voudrais bien passer du temps avec moi ? Maintenant par exemple, tu... tu voudrais bien ?

Gêne ou pas, la jeune fille n'avait pas lâché du regard les yeux de Roger, et sentait ses joues, juste en dessous des siens, la picoter, sans doute parce qu'elle rosissait à nouveau. En tout cas... Difficile de faire plus clair.

Un peu étonnée sur l'instant, Lizbeth éprouva néanmoins une étrange joie lorsque Roger prit enfin l'initiative. La main du garçon était agréablement douce et tiède, et l'infime tremblement qui agitait ses petits muscles délicats, signe de son trouble, rajoutait un petit quelque chose d'absolument adorable. Mais si lui semblait chavirer, elle se sentait calme, très calme, trop calme même. L'émoi contradictoire et gênant ressenti jusque là soudain muée en une forme de détachement quasi clinique, la petite blonde ne savait plus quoi penser.

Savoir que tout cela n'était qu'un rêve lui permettait autant de relativiser l'aspect terriblement puéril de ses petites envies, mais le revers de la médaille se dévoilait à présent. Obtenir ce qu'elle voulait ne la satisfaisait que d'une façon très partielle, distante, comme un stimulus strictement mécanique et désincarné. Sans aller jusqu'à la déception, la sensation d'un manque, d'un vide indicible ne pouvait être ignorée. Et, alors que son joli camarade se perdait dans ses yeux, Lizbeth lui rendit son regard en souriant un peu, sans rien montrer des pensées qui l'agitaient.

Battant enfin des cils, elle jeta un petit oeil amusé aux doigts de Roger toujours agrippé aux siens. Allait-il s'accrocher encore longtemps. Pas que le contact la dérange, au contraire, le geste était très mignon. Comme pour l'appuyer, elle s'amusa à agiter un peu ses phalanges autour de celles du garçon, amusée par l'avidité avec laquelle il gardait le contact physique, et rebondit sur ce qu'il venait de dire.

- Crois-tu ? Je pense que tu pourras me dire si c'est le cas... un peu plus tard.

Comme s'il ne fallait que reprendre la parole pour la faire revenir, la gêne grandit de nouveau en elle, d'autant plus maintenant qu'elle se retrouvait obligée d'assumer ses incitations et ses propres envies. Finalement, même si la pugnacité de la poigne du joli blond sur sa main la faisait sourire, elle entretint le contact, en éprouva la sensation. Lizbeth changea brièvement de sujet, et tenta de se rattraper dans la foulée.

- Dis-moi Roger, tu te souviens... Non, plutôt, tu connais un peu les autres Noirdaigles ? Je veux dire, tu es si gentil, tu dois bien avoir des amis...

La question était pertinente, mine de rien, mais y répondre n'était peut-être pas exactement des plus agréables, plantés debout au milieu de la serre. La jeune fille indiqua du menton un des bancs qui traînait, et tira doucement le garçon à sa suite.

- Tu... Hum, on va peut-être s'asseoir quelque part ? Ce sera plus agréable pour parler.

Lizbeth gardait en tête que, derrière le garçon se cachait un inconnu endormi quelque part à Mistral, mais Roger ne faisait décidément pas tache dans un rêve. Si gentil, si innocent, le joli blond semblait exempt de tout défaut ou mauvais penchant, et son intérêt peu commun le sauvait de l'écueil de l'ennui mortel dans lequel une personnalité autrement lisse aurait pu tomber. Voir l'émoi qu'elle pouvait provoquer chez lui procurait une satisfaction qui ne semblait pas se finir. Et leurs doigts qui restaient entrelacés l'attestait d'une façon bien évidente...

La réponse qu'elle reçut était aussi pleine de bonne volonté que d'une certaine incompréhension. Elle avait espéré faire ressurgir une éventuelle conscience, observer un conflit peut-être, quelque chose, mais non. Rien qu'une démonstration de plus du fait que Roger était tout gentil tout mignon. Lizbeth se fit un plaisir de répondre à sa question, même si sa réponse n'allait pas du tout être celle du joli blond.

- Oh, je connais un peu Jack, un peu moins Alice, un peu moins Gabriel... Mais je ne pense pas avoir d'amis.

Un constat qui sonnait bien rude, plus qu'elle ne l'aurait voulu. Car après tout la jeune fille ne s'en sentait pas du tout malheureuse de cet état de fait. Que ce soit par force de l'habitude ou de son caractère, rester seule était une habitude de longue date, à présent, et elle n'avait jusqu'alors pas pensé à en changer, même en rêve. Au vu le l'inquiétude immédiate que cette information créa chez le garçon, elle se sentit obligée de clarifier un peu plus.

- Embêter ? Non non ! Je suis juste toute seule, c'est plutôt tranquille pour lire, pour observer, pour faire mes petites expériences... Enfin, quand j'y arrive sans aide bien sûr. Mais...

Contrairement à ce que sa phrase en suspend pouvait sous-entendre, la jeune fille ne savait pas vraiment où elle allait, ici. Mais quoi ? Bonne question... Alors qu'on venait avec tant de sollicitude lui tenir compagnie, faire remarquer qu'elle s'en passait très bien par ailleurs aurait été un peu sec. Mieux valait insister sur les bons aspects, surtout au vu d'à quel point Roger buvait ses paroles. Autant se laisser aller à un peu de flatterie savamment saupoudrée d'une gêne aussi pratique que bien réelle. Et puis, le bougre ne lâchait toujours pas sa main !

- Mais... Enfin, je... Je me sentais bien dans mon coin, je crois, mais maintenant, ça m'ennuierait de... retourner à ça, d'être encore tout le temps toute seule...

Le petit corps infantile de Lizbeth se retrouva bien secoué par ces mots, et le rose lui vint à nouveau aux joues alors que, incapable de maintenir un contact visuel avec le joli blond, elle baissa les yeux pour regarder ses genoux. La nécessité de garder un peu le contrôle de la conversation et d'elle-même se fit violemment sentir, et elle sauta sur un autre sujet.

- Hm... Mais tu as vu d'autres enfants se faire embêter ? D'autres Noirdaigles ?