Saison Un

: Obscure Prophétie

Si ça c’est pas du bol ? Recroiser Adèle pile par hasard, comme ça, juste à côté de chez moi ! Évidemment qu’il fallait que je lui propose un tour du coin ! Bon, je ferais attention par contre : pas de léchage de vitrine sur les élevages comme avec Krystal ! Surtout qu’en ce moment, ils sont pas beaux à voir les élevages : les survivants pondent à nouveau, mais il faudra des années pour en revenir aux armés de viande que produisait Kedal autrefois. Même chose pour les champs : tout n’est que friche et terre abandonnée, entre les terrains dont l’agriculteur est mort et ceux rasés par les flammes.
Heureusement, Kedal se remet petit à petit. Grâce à Gaston, surtout : sa hargne envers ce cataclysme et les autorités a su fédérer le village. D’ailleurs, heureusement qu’on arrive encore un peu à calmer ses ardeurs, sinon ils auraient déjà déferlé sur Arnac armés de râteaux !
En revanche, si le village retrouve un semblant de splendeur, pour ses habitants, c’est plus difficile.
Bon, déjà, y’a moi : j’ai beau avoir retrouvé ma bonne humeur, j’suis toujours malade, et Ciboulette brille toujours à travers mes yeux pour marquer notre besoin l’un de l’autre.
Parlons-en, de Ciboulette. Il a fait une apparition le mois dernier. Alors je sais qu’il est pas perdu. Ça me rassure, mais… J’ai l’impression qu’il arrive pas à récupérer, le pauvre. Je fais tout ce que je peux pour lui !
Puis y’a papa. Lui, c’est encore pire. Il a plus goût à rien. Il fait la même journée en boucle depuis que je l’ai revu : lever, manger, chasser, aider aux réparations, manger, dodo. Le tout sans sourire une seule fois. Il a pas fait de mission ranger depuis, et je sais pas s’il en refera une un jour. De toute façon, sans Grand Dada, ce serait bien trop dangereux. J’ai bien proposé de lui prêter Petit Dada, mais il m’a pas répondu et s’est contenté d’aller chasser.
Quant à la dernière… ben en fait, c’est ça la surprise que j’avais promise à Adèle !

— Tadaaaaaaaaaa ! m’exclamai-je en arrivant devant mon amie. Je te présente ma grande sœur, Volti !

Mes deux mains présentent la puissante Voltali dont les vieilles cicatrices de nombreux combats marquent le pelage électrique. Hélas, celles de son dernier affrontement ne sont en rien perceptibles à l’œil nu. La renarde porte un regard désintéressé sur l’humaine, ne m’ayant suivi que par lassitude devant mon insistance.

— C’est la meilleure de toutes, c’est elle qui a tout appris à Split et protège tout le monde tous les jours !

Chose un peu moins vraie ces derniers temps, la renarde électrique n’ayant plus lâché le moindre éclair depuis plusieurs mois. Même Fouifi, portée disparue depuis qu’elle sait où j’habite et que je n’en partirais pas de sitôt, n’a pas eu droit à son "examen" d’entrée dans l’équipe, elle qui l’aurait réussi haut la main. Mais bon, c’est ma sœur et je l’adore, alors je lui remonte le moral comme je peux !
Comme souvent à Kedal, Truc n’est pas là : il reste avec Jojo, l’éleveur d’Haydaïm, pour essayer de comprendre ce qui l’empêche d’agir comme ses pairs. Il voudrait tant pouvoir me guérir, le pauvre !
Quant à Split, je le garde en pokeball en dehors des chasses.

Du coup, qui il reste ? Bah, Piège et Prince, l’une perchée sur l’autre pour profiter de la vue en faisant claquer sa mâchoire joyeuse. L’immense Dunaconda salue Adèle d’un hochement de tête respectueux, bien moins menaçant qu’il ne l’avait été dans le désert. Ici, il est chez nous, il n’a pas à jouer les apprentis-dominants !

— Alors, alors ? Par quoi tu veux commencer ? On peut aller voir la forêt ? Ah non, t’es arrivée par là. Y’a la place du village, c’est jour du marché aujourd’hui ! Ou sinon, on peut aller voir les élevages ! Ou les champs ? Enfin, ils sont moins beaux maintenant, c’est l’hiver et en plus ils ont tout été abimés par les cavaliers. Sinon y’a ma maison ! Oh, et la dunes des Moumoutons, ou le petit lac ! Enfin, c’est tout comme tu préfères !

Tant d’enthousiasme ! Adèle est intéressée par tout tout tout, j’adore ça ! J’accueille sa réplique d’un sourire ravi en me frottant les mains et mène la marche, direction le marché ! Comme je l’ai dit, Adèle est venue au bon moment : de là où on se trouve, on peut déjà voir quelques paysans qui amènent leurs charrettes tirées par de gros Bourrinos jusqu’à la place du village pour y installer leur échoppe du jour. Bientôt, on verra tous ces stands champêtres où la bonne humeur se mêle au racisme et autres préjugés sur lesquels tout le village s’entend. Tant qu’ils restent entre eux, les kedaliens sont si agréables à vivre !

Tandis qu’on marche, Adèle s’intéresse à Volti qui marche à mes côtés sans se faire remarquer. Sa question frappe évidemment la renarde en plein cœur. Celle-ci baisse la tête d’un air morose avant de s’arrêter, m’obligeant à faire pareil. Je m’accroupis à ses côtés et lui offre de longues caresses entre ses pics, de l’arrière de son cou jusqu’au bas de son dos. Sa tête se laisse porter par le mouvement pour venir se poser sur mon épaule et me permettre de lui gratouiller le cou.

— T’en fais pas, Volti. On est toujours là, nous. (je me tourne alors vers Adèle, ne souhaitant pas la laisser dans l’incompréhension.) C’était la partenaire de maman, avant que le cavalier ne vienne détruire le village.

Volti et Grand Dada étaient des cas particuliers à Kedal. On n’a pas de grandes relations avec nos Pokémon comme d’autres dresseurs. Y’a un aspect possession pour beaucoup, digne de simples meubles, ou un plaisir enfantin d’animaux de compagnie comme je peux l’avoir avec beaucoup de miens. Mais de là à les considérer membre de la famille ? Même Split n’a pas cette chance. Y’aurait que Truc, à la rigueur, si Volti acceptait sa présence.

— C’est maman et Grand Dada, le Pokémon de papa, qui ont protégé les gens pour qu’ils puissent fuir vers les gorges.

Je suis assez neutre. Si le contraste avec ma bonne humeur habituelle est évident, on peut noter que j’ai l’air de bien m’en remettre par rapport au choc que cela devrait être. Surtout en voyant l’état mental déplorable de ma sœur ou de mon père. Du coup, je suis là pour eux. C’est bien, non ? Enfin, c’est mieux comme ça ? Maman voudrait pas qu’on soit triste, elle est bien là où elle est, grâce à Ciboulette, alors on peut continuer nos vies en la gardant dans notre cœur grâce à nos bons souvenirs !

Je sais pas comment j’en arrive là alors qu’il y a deux mois je pleurais pour m’être pris une simple baffe, mais c’est comme ça.

Un chariot passe alors près de nous. La dame le conduisant interpelle son Chevroum pour le faire s’arrêter et lance un œil dans notre direction en demandant si tout va bien, inquiète de me voir immobile avec une étrangère près de moi. Comme je l’ai dit : on est bien entre nous. Par contre, le moindre étranger se prendra toujours un regard de méfiance, voire de jugement immédiat avant toute autre chose. Adèle, bien accueuillie ? Pas pour l’instant, mais ça ne saurait tarder :

— Bonjour madame Bertha ! Voui voui tout va bien ! Je fais visiter le village à ma copine Adèle, c’est une nouvelle ranger, comme moi !

Presqu’aussitôt, le visage de l’adulte se décrispe et révèle un sourire rayonnant. Une ranger ? Quelle bonne nouvelle ! Voici le meilleur laisser-passer au monde ! On adore les ranger, chez nous ! Elle s’empresse de saluer ma copine de sa voix franchouillarde, clamant que c’est bien que la jeunesse s’intéresse à des choses importantes, qu’on est des exemples, et pleins d’autres compliments qui s’achèvent par une proposition de monter dans sa charrette pour aller jusqu’au marché sans se fatiguer.

Adèle a pas insisté pour Volti. Elle a l’air toute gênée, les yeux au sol. Faut pas s’en faire, tant que je suis là, Volti elle tiendra le coup aussi ! D’ailleurs, en me redressant, je pose une main chaleureuse sur l’épaule d’Adèle et lui fait un petit sourire pour la rassurer. On est entre copines, sourions ! Y’a déjà assez des autres jours où rien ne va bien.

Comme souvent, Volti a préféré marcher, contrairement à nous. Une fois dans le chariot, Adèle pose une question sur le Cabriolaine de la dame, question qui me fait beaucoup rire. C’est mignon !

— C’est pasque c’est pas un Cabriolaine, c’est un Chevroum, lui ! dis-je avec bonne humeur.
— Exactement, reprend la dame pour davantage d’explication. C’est bien sûr ici que se trouvent les meilleurs élevages de cette espèce, mais un Cabriolaine n’atteindra cette taille qu’en évoluant.

La dame n’est pas avare d’explications, elle est contente qu’une adolescente s’intéresse à son travail. Une fois arrivée, elle libérera un autre de ses Pokémon pour montrer un véritable Cabriolaine à Adèle, qu’elle note bien les différences entre les deux espèces. De plus, elle accepte notre aide avec plaisir. Adèle a déjà pris le pli ! Ici, tout le monde est cool avec tout le monde, et on n’hésite jamais à s’entraider ! En quelques minutes seulement, l’étalage est monté, et les fromages entreposés pour attirer les plus gourmands de leur puissant arome.

— Tenez, servez-vous les jeunes ! Pour vous remercier de m’avoir bien aidée !

Elle nous présente un de ses meilleurs fromages de biquette déjà coupé en tranches. Sans aucune gêne, j’en prends deux parts que j’engouffre aussi vite que mes remerciements sont venus ! En plus, je le reconnais celui-là, c’est un de ses meilleurs !

— Regarde, regarde ! interpellai-je Adèle aussitôt. Y’a déjà plein de gens arrivés ! Aurevoir madame Bertha !

Je salue la dame avec mon énergie habituelle avant d’accourir en direction d’un autre stand, zieutant tout un tas de morceaux de viande précuite plus juteux les uns que les autres.
Là encore, la bonne humeur est présente, si l'on omet les toux grasses récurrentes pour l'ensemble du village atteint par le pokerus, moi y compris, sachant qu'aucun de nous n'a le réflexe de tousser avec délicatesse. Il y a bien sûr ce regard de doute qu'ils posent l'un après l'autre sur Adèle, mais peu à peu, tandis qu'on progresse, le mot se passe qu'une autre ranger m'accompagne.
Regardez, encore un vendeur différent, ici, qui fabrique des chaises, des armoires et plein de meubles à la main. Mais toujours avec un petit quelque chose différent amusant !
Et le laitier !
Et le vendeur de fruits !
ET DES PONCHIOTS !

— Regarde, regarde ! C’est une toute nouvelle portée, ils sont trop choupis !

Une horde de petits ponchiots, laissés libres par leur éleveur à mon approche, se ruent dans notre direction. Au moins 6 petites bêtes qui jappent gaiement en nous tournant autour, certains s’amusant même à grignoter le cuir de nos chaussures pour jouer. Même Prince est envahi ! Le Gros Dunaconda est un terrain de jeu formidable, certains cherchent à l’escalader, et le sage seigneur des sables n’ose plus bouger de crainte d’écraser un des chiots par mégarde. Y’a que Volti, comme à son habitude, qui se fait éviter. Faut dire qu’elle a sa réputation chez les Pokémon. En général, quand elle débarque, c’est pour réprimander quelqu’un d’un éclair sur la tronche !

— Hihi, contente que ça t’amuse autant que moi ! C’était super !

Rien ne me fait plus plaisir que passer du bon temps avec mes amis ! Surtout à Kedal ! Volti est moins enthousiaste que nous, mais je sais que ça lui fait plaisir aussi, sinon elle resterait pas avec nous. Elle est bien du genre à partir dans son coin pour bouder quand elle le veut !

— Mais c'est trop super ! Le meilleur endroit pour un pique-nique, c’est le petit lac là-bas ! Tu vas voir, on sera trop bien pour manger tranquilles ! dis-je en pointant du doigt l’endroit où Jack a fait faire trempette à Truc pour la première fois.

Ça nous permettra pas de faire cuire une grosse viande pour le repas de midi, mais… C’est plus le soir, les gros feus de repas ! Là, on va grignoter ce qu’on a en rigolant toutes les deux !
On s’installe, étend une espèce de nappe qui traine toujours dans mon sac, dépose les noix d’épaule en les découpant en tranche, ouvre la bouteille pour remplir quelques verres, et voilà ! J’ajoute au festin d’Adèle quelques morceaux de viande séché (j’en ai toujours aussi), quelques baies et tout un tas de petit cubes Pokémon. Volti attrape un morceau de saucisson sans demander notre avis, tout comme je le fais presqu’aussitôt, prouvant une fois encore qu’on a aucune manière. Y’a qu’en servant que là je prends le temps de remplir nos deux verres pour lâche un joyeux :

— À la tienne !

Avant d’achever mon verre d’un cul sec aussi enthousiaste qu’au-devant d’une bonne bière.

— Alors au fait, tu m’as pas raconté ta mission de punition, ça a bien été ? Et après, ils t’ont pas embêté, t’as pu reprendre ton voyage tranquillement ?

Tandis qu’un discute, une grosse boule orangée atterrit au milieu du panier repas. Piège ! Après s’être jetée de son promontoire façon saut de l’ange, la Kraknoix roule sur elle-même, cherchant à se rétablir sur ses petites pattes pour faire claquer ses machoires en direction des vivres qu’elle a visiblement senti de sur Prince.

— Aaaah, Piège ! Attention les doigts !

J’attrape la Kraknoix par les pattes et la soulève au-dessus de ma tête juste avant qu’elle n’attrape la noix d’épaule non découpée qu’elle comptait visiblement engloutir.

— Gourmaaaaande !

En guise de réponse, la mâchoire claque dans le vide. Puis se rouvre, se referme… Cherchant cette chose si délicieuse qui la frôlait l’instant d’avant. Prince secoue la tête, dépité du comportement de sa protégée. Il lui soufflerait bien un jet de sable dans la mâchoire si elle ne se trouvait pas au-dessus de ma tête !
Je repose la Kraknoix au sol en gardant une main prête à la rattraper si elle se lançait à nouveau à l’assaut de la charcuterie, puis récupère une tranche pour la laisser pendre juste au-dessus de sa machoire.
Ouverture. Fermeture. Chtak ! La nourriture disparait en quelques instants, gobée par le trou béant servant d’estomac à la Kraknoix. Pire que moi ! J’explose de rire, la gourmande ne faisant que cumuler les claquements de mâchoire en restant sur place dans l’attente qu’autre chose ne lui tombe tout prêt dans la gueule.

Ouf ! Apparemment, la mission punition d’Adèle a pas été si terrible. Je la gratifie d’un sourire, ravie pour elle.

— Du coup, t’as réussi ta première mission aussi ! C’est trop cool ! Moi j’ai pas pu faire de mission pasque j’étais trop malade le temps que les trucs du médecin ils marchent un peu, alors j’ai juste fait des missions pas officielles. Avec ma copine Vivia, on a aidé les gens qui réparaient le pont à Carcakrok, puis j’ai été aider un peu partout dans les villes, c’était épuisant !

Mais au moins, ça occupe l’esprit. Et ça, c’était bien ! Puis pendant ce temps, Ciboulette pouvait se reposer un peu.
Adèle semble connaître les Kraknoix encore mieux que moi. Une monture volante, lui ?

— Beeuuuuh, il doit avoir une drôle de tête, non ? Il devient comment ? Un genre de gros gros scarabée tout orange, avec de grosses ailes ? En tout cas, t’as complètement raison pour les Kraknoix ! On a essayé de chasser ensemble l’autre jour, et Piège elle s’est juste mise dans un trou et elle a plus bougé pendant des heures ! Ça doit lui faire bizarre d’avoir plein de nourriture quand elle veut avec nous !

C’est tout ce que je peux imaginer à partir de cette forme ! Je ricane en voyant Adèle me tendre de la viande et m’empresse de la donner à Piège pour voir celle-ci l’engloutir. Elle s’agite de gauche à droite en faisant claquer sa mâchoire à répétition, visiblement très heureuse de ce repas en groupe.
Bref ! Le repas, ça fait du bien, mais faut pas oublier un truc : c’est bientôt l’hiver, et il fait froid. Malheureusement, je l’avais effectivement oublié. C’est Adèle qui me le rappelle d’un frisson ! Un hochement de tête plus tard, on remballe tout et on est prêts à repartir ! Je garde Piège dans mes bras, pour une fois. Ça m’amuse de le voir claquer des mâchoires comme ça !

— Je sais ! On peut aller voir les Moumouton ! Et si on y va en courant, on aura plus froid du tout !

À peine ai-je dit ça que je pars comme une flèche avec un signe de la main envers Adèle pour lui demander de me suivre. La butte des Moumoutons, elle est pas loin, mais c’est toujours amusant à voir ! De là-bas, tous les moutons peuvent se laisser tomber et rouler pendant looongtemps ! Y’a aussi les Wattouat qui jouent à saute-Moumouton avec eux. Vu que tous les Pokémon de Kedal se baladent en liberté, que ce soit volontairement ou pasqu’ils détruisent au quotidien les barrières qui les retiennent, y’a toujours des Moutons qui jouent là-bas !

Et en effet, quand on arrive sur place, plusieurs Moumouton manquent déjà de nous rentrer dedans alors qu’il dévalent la pente de leurs roulades incontrolées.
C’est toujours amusant à regarder ! Puis on peut jouer avec eux, aussi ! J’en attrape un et fourre ma tête dans sa laine toute duveteuse en cette période de fraicheur.

— Les Moumoutons, c’est les plus douuuuuux du monde !

Mais parmi cette armada de Moumouton, il en est un qui saura se faire remarquer. Une créature sombre aux poils dorés, jeune star de l’élevage du trépassé Jojo, éleveur de Moumouton. Le Moumouton Mistral présenté au dernier salon de l’agriculture, objet de nombreux prix en ce jour des éleveurs ! Il est là, au sommet de sa butte, observant la troupe de ses semblables d’un œil hautain. Lorsqu’enfin il décide de dévaler la pente comme l’ont déjà fait bien d’autres avant lui, une Wattouat joyeuse le suit en courant. Toujours le même duo depuis des mois et des mois ! Ils se sont bien trouvés, ceux-là !