Saison Un

: Obscure Prophétie

David fit les gros yeux, des soucis… Oui, effectivement, le gros Ronflex qu’elle avait croisé à son arrivée le lui avait bien fait comprendre qu’il ne fallait pas plaisanter avec les lois ici. Elle n’était d’ailleurs pas certaines de les avoir toutes respectées même en ayant fait de son mieux. Heureusement, son interlocuteur ne creusa pas plus loin… Elle aurait été bien mal prise d’avoir un quizz surprise sur les règles de Mistral ou sa culture, David avait tant essayé de s’en séparer pour rester elle-même – que ce soit une bonne chose ou non, ça c’était encore à débattre – qu’il lui paraissait impossible de se rappeler de tout. Ce n’était pas comme si elle allait un jour demander une naturalisation.
L’une des erreurs de la jeune Kalossienne fut de boire une gorgée de café pour paraître plus cool pendant qu’il répondait à ses questions. David manqua de s’étouffer et fit une moue incroyable pour essayer de ne pas recracher le contenu de sa bouche en vaporisateur devant elle. Le propriétaire ?! Oh Lord. Quel était son secret ?! Avait-il voyagé ? Ou n’était-ce là que le visionnaire en lui qui avait parlé et ouvert une chaîne de café à emporter digne de Kalos même ? Peut-être un peu des deux ? De lointaines cartes postales illégales cachées sous son oreiller ? Les caresses sur le Zorua s’étaient arrêtées, ce qui ne manqua pas de le faire japper pour qu’elle continuât tout en ayant le mérite de la ramener à la réalité. Elle était à la table du propriétaire du café et d’un coup toute la gêne des employés et le regard qu’on lui adressait prenaient un tout autre sens :

C’est, hum. Très réussi. Vos prix semblent abordables, le café est délicieux…Et surtout vous avez l’air de savoir ce que vous faites, ce qui n’est pas le cas de tout le monde ici. s’incluait-elle ? Possiblement. Vous ne vous êtes jamais demandé ce que vous faisiez, genre, ici ?

Si vous avez de l’argent, pourquoi vous n’êtes pas partis de Mistral ? Est-ce qu’on vous en empêche ? Est-ce qu’on va aussi m’empêcher de partir ? Est-ce que tout ça n’est qu’une mascarade visant à prendre en otage des touristes ? Comment avez-vous compris et accepté votre place dans cette société d’arriérés ? Pourquoi vous n’avez aucun coordinateur, à cause du travail dans les champs personne n’a le temps de s’amuser ? Pourquoi vous avez un réseau électrique qui n’a pas marché pendant des mois ? Ça fait des semaines que j’ai un rhume qui ne s’en va pas, les médecins ça existe chez vous ou je dois aller dans un centre pokémon déguisée en Ramoloss ? Quitte à être prisonnière, est-ce que j’aurais un jour un emploi car j’atteins la fin de mon budget. Autant de questions qu’elle aurait souhaité poser mais qui n’étaient si socialement acceptables ni très polies.
Mais Mistral avait aussi des bons côtés, quoi qu’elle ait pu en penser, elle n’avait rencontré que des gens aimables, à l’écoute, généreux, écologiquement parlant Mistral était aussi presque irréprochable. Alors oui, il y avait quelques barbaries animales, mais ici, sans Spindagram, David n’avait pas à faire semblant de fumer ou d’être végan en public. Cette déconnexion forcée lui avait fait du bien, en plus de lui servir d’excuse pour une « absence » prolongée, qu’elle aurait pris comme des vacances si tout n’avait pas essayé de la tuer un mois après son arrivée. Y compris cette Lipoutou bizarre qui la fixait sans jamais s’arrêter, et passait la tête à la fenêtre par intervalles réguliers.

Visiblement, ma révélation eut l’effet escompté. Oui, elle ne devait surement pas s’attendre à une telle révélation de ma part. Il fallait dire que ça n’avait rien de très commun. On invitait rarement quelqu’un à manger dans son propre café. C’était déjà la deuxième fois au final.

Réussi ? Evidemment que c’était réussi. J’avais passé un temps incroyable pour créer cet endroit. Evidemment que cela devait être réussi. Bosser des heures et des heures, imaginer le concept pendant des jours, on s’attend à une récompense à la hauteur et pas un résultat semblable pour un travail fait à la va vite.

« Merci, j’ai travaillé dur pour mêler qualité et prix. »

Oh, Mistral était un pays de folie ? Il y avait des chances, c’était vrai. La plupart des personnes étaient assez limitées, on devait bien se l’avouer. Beaucoup étaient en roue libre constamment. Un poil de raison ne faisait pas de mal au final.

«Il en faut bien. Tout le monde n’a pas pour vocation de se laisser aller à toutes ses lubies… Sans en avoir les moyens. Il est doux d’avoir un rêve, mais il faut avoir les moyens de les réaliser. »

Je réalisais certains objectifs que je m’étais fixée. D’autres, j’attendais patiemment mon heure et les opportunités qui me passeraient à porter de mains. Tout était un jeu de patience. Alors oui, je savais ce que je faisais.

« On se demande tous ce qu’on fait ici. Disons que j’ignore ce qui a fait que j’existe, mais j’ai choisi ce que je ferais. Aider Mistral. L’aider à améliorer sa condition de vie et l’aider dans son évolution. »

Me frottant le menton, je voulus néanmoins éclaircir un point ou explorer une autre piste. Après tout, je doutais que mon interlocutrice soit réellement versée dans la philosophie.

« Mais je suppose que vous voulez parler de Mistral en particulier ? »

Il avait beau être Mistralois, et ça la peinait de le reconnaître juste par principe de donner raison à quelqu’un, M. Hater avait raison. En un sens, rien n’empêchait David de réaliser ses rêves malgré tout ! Elle voulait être coordinatrice ? Elle pouvait très bien le faire, avec un sac de pomme-de-terre et un chapeau de paille elle serait toujours mieux habillée que la plupart des pécors du coin de toute façon. Cependant où allait-elle trouver un public ? Et un spectacle de coordination sans son et lumière, ce serait… étrange non ? Non pas qu’elle doutât de ses capacités exceptionnelles bien sûr, rappelez-vous qu’elle est plusieurs fois championne régionale de Kalos – grâce à tous les pots-de-vin que fournit sa famille. Il fallait qu’elle se rende à l’évidence, son rêve était encore lointain, et avec une équipe composée exclusivement de Ramoloss… le chemin allait être long et ennuyeux :

Ah, heu. Well. J’adorerais être… elle regarda la table et se gratta le flanc du bras comme pour se rassurer ou se donner du courage. Coordinatrice ? Ça va vous paraître ridicule, I know. Je suis pas une très bonne dresseuse, mon Ramoloss attaque tout le monde… J’aimerais canaliser toute son énergie dans… autre chose qu’attaquer tout le monde, you see ?

Et puis, encore un de ses éclairs de génies, de ceux qui arrivent tout le temps, vous savez, ces idées soudaines qui vous paraissent parfaites et qui – si l’on creuse un peu – ne sont en vrai que des idées normales ou de très mauvaises idées. David en avait des tonnes des idées comme ça et surtout, elle se faisait une joie de les partager immédiatement pour que tout le monde profite de ses illuminations et de son savoir de jeune guerrière de la justice sociale :

Vous savez… Je pourrais aider votre marque. On pouvait lire une motivation ardente dans ses yeux. Je m’habille aux couleurs de votre enseigne. Et là, j’ai mon premier Ramoloss, tout calme, triste, tellement mou et inintéressant, je danse, tourne, essaie de le remettre sur pied. Arrive STARIBUCK, une gorgée et mon Ramoloss devient réactif, brillant, obéissant, il se met à me suivre et je suis heureuse, je fais un 360 et… BOOM ! Staribuck en main, ma pose secrète qui m’a rendue célèbre pour le mettre en évidence et une phrase d’accroche, votre sloggan ou même quelque chose de plus vague et accrocheur comme… : Staribuck, une gorgée suffit pour rejoindre les étoiles. Over and out.

Venait-elle de lui proposer de faire une publicité avec un placement de produit presque mensonger ? Oui. Mais la publicité ne dit jamais rien clairement, elle dit juste : c’est une boisson et regardez comme moi et mon Ramoloss nous sommes heureux et productifs. Ça ne force absolument personne, l’interprétation fera le reste. Nulle part elle ne mentionnerait que l’effet serait le même sur tout le monde mais la projection de chaque individu ferait le reste. Staribuck pouvait devenir le Starboks de Mistral. Et puis, pas une seule fois elle avait vu une véritable publicité faite par autre chose qu’une poissonnière qui criait comme si on l’égorgeait pour qu’on achète son poisson presque-frais. M. Hater se démarquerait, c’est sûr :

M. Hater, mon rêve ce serait ça. Quitte à être bloquée ici, autant que je mette à profit mes talents et que je me rende utile. Et, not gonna lie, je ne propose pas mes services à tout le monde. Vous avez de l’influence, de l’argent à investir et un commerce. La plupart des gens n’arrivent jamais jusque-là.

Essayait-elle de le convaincre ? Évidemment. Au pire elle risquait quoi ? De rester sans travail, dans un café avec le créateur de la marque ? Elle avait vécu bien pire ces derniers mois, passer un entretien d’embauche surprise lui paraissait un jeu d’enfant. A vrai dire, elle faisait de la coordination depuis l’âge de 3 ans, ce n’était pas ça qui allait lui faire peur. Enfin… Ça c’était ce qu’elle devait laisser paraître :

En plus, je suis touriste, donc tout le monde me regarde anyway. Autant que ce soit pour vous.

Sur-ce, elle haussa les épaules d’une façon légère et candide avant de reprendre une gorgée de cet excellent café. Elle ne manqua d’ailleurs pas d’en obtenir une mine réjouie et d’esquisser son fameux mouvement pour mettre en valeur sa propre tasse, comme pour répéter un mouvement qu’elle allait devoir faire mille fois, sans même avoir dit oui à quoi que ce soit. C’est ça David, la vie à 2000 km/h, même si ça voulait dire se stopper net dans un mur.
En parlant de ça, il fit mine de regarder une montre qu’elle n’avait absolument pas au poignet, puis le Lipoutou, toujours collé à la vitre, le Zorua, toujours collé à elle… Au pire si M. Hater n’était pas intéressé, elle avait eu un moment dont elle se souviendrait, et surtout une nouvelle motivation, elle qui pensait avoir tout perdu et avait été prête à se jeter à la mer plutôt que de rester ici… Après tout, peut-être que le progrès allait faire son bonhomme de chemin dans ce bas-pays.

J’vous laisse y réfléchir ? Au pire si j’ai pas d’nouvelles de vous, j’aurais qu’à me rendre dans un Staribuck. Elle lui fit un clin d’œil malicieux. Comptez sur moi pour vanter les mérites de votre café en attendant, aucun contrat nécessaire, je trouve juste votre projet… pertinent. Vous aurez sans doute des nouvelles de vos clients qui vous diront à quel point j'ai été convainquant avant de me revoir. Parole de Langlois.

Se reposant ainsi sur son expérience d'influenceuse, elle se leva, finit son café, salua d’un geste familier le barman comme si elle l’avait connu toute sa vie et était déjà une habituée. D’ailleurs, la prochaine fois qu’elle viendrait elle n’hésiterait pas à lui demander « comme d’habitude » et gare à lui s’il ne s’en rappelle pas ! En un mot, elle partie comme elle était venue : comme une star. Car l’important ce n’est pas d’être connue, c’est d’agir comme tel.