Saison Un

: Obscure Prophétie

Tiens donc ? Ce n’était donc pas sa première tentative. Intéressant. Je la laisse poursuivre en silence.

Adèle me parle de la chose au fond du lac. Et d’un massacre d’Amonita. L’avais-je vue ? Non. Malgré les intenses lumières, j’étais aussi aveuglé que le reste du monde par ma propre lumière.
Ce serait l’existence et la dangerosité de cette créature qui motivent la bonté d’âme d’Adèle pour s’en débarrasser. Tant d’ambition pour un si petit être ! Si deux champions et un membre de la maréchaussée n’ont pas suffi, je doute que sa quête se termine en apothéose. Mais ce n’est pas à moi d’en décider, cette humaine a sa propre histoire.

Lorsque la question vient, je prends un air soucieux le temps de me remémorer ces bribes qu’il me reste de l’évènement.

— C’est Gabriel, l’un des quatre cavaliers, qui m’a ordonné de m’y rendre. Après avoir recouvré ses esprits, ce petit malin pensait pouvoir se jouer de moi et m’ordonner comme Mort aurait pu le faire. Bien entendu, je l’ai démasqué. Mais… je connaissais également mon rôle, dont dépendait ceux de toutes les âmes qui s’accumulaient en moi. Je l’ai donc écouté.

Je lève la tête, observant ce plafond que la nuit ne saurait éclairer, aussi sombre et oublié que mon âme ce jour-là. J’avais tenu bon. Sans céder. Ignorant ces voix dans ma tête tout comme Adèle auprès du lac.

— Je savais que le lac était important. Tout au long de notre traversée de Mistral, je m’y suis senti attiré, comme si ces âmes en moi y étaient liées d’une certaine façon. Comme si elles réclamaient de rétablir un certain équilibre en ce lieu précis. Comme si tout était parti de cette eau, et que le reste n’avait fait qu’en découler.

Mon regard se porte alors en direction des fenêtres, imaginant les gorges du Vermillon non loin d’ici qui accueillaient le second lac dont parlait Adèle.

— Cet autre lac dont tu parles également. J’y ressentais l’inverse. Une certaine pureté. Je me suis demandé durant un instant si je ne m’étais pas trompé, s’il ne valait pas mieux les relâcher auprès de cette lumière gorgée d’espoir et espérer qu’elles la partagent avec le monde, plutôt que de suivre le désir de ces âmes. Mais… après réflexion, j’ai suivi ce que les âmes désiraient. Elles, qui n’avaient pu vivre leur rôle pleinement, se devaient d’accomplir une fin historique.

Mon regard brille tandis que j’en parle avec fierté, chacune de ces petites âmes représentant à mes yeux un acteur dont je me serais occupé jusqu’au jour de son ultime prestation sur scène. Je reste silencieux un instant, bercé par ces pensées, puis reprends la parole d’une voix moins théâtrale :

— En revanche, je fus surpris de ne trouver personne en arrivant. Je veux dire… Aucune âme. Je m’étais imaginé qu’une puissante âme errante s’y terrerait, un être empli de peines et de remords qu’il me faudrait entourer de ses pairs pour l’accompagner jusqu’à l’au-delà et enfin l’apaiser. Il n‘en fut rien. Les âmes s’en allèrent, s’exprimèrent au monde à travers moi, puis tout s’acheva ainsi.

Mon air s’assombrit d’un coup tandis que je croise les doigts pour y poser ma tête, pensif.

— Il faut croire que le repos éternel n’est pas destiné aux âmes qui marquent l’histoire…

S’il y a bien eu une âme en ces lieux, comme je le suppose, elle a disparue durant le processus qui créa la malédiction. Une chose que je comprends sans peine, bien évidemment…

La sorcière du lac. Quelle étrange histoire. Je savais déjà que mes actes avaient brisé la malédiction : c’était assez évident, tant par le ressenti du moment que par les réactions de chacun après avoir été frappés par la vague. Néanmoins, je doute d’avoir apaisé qui que ce soit. Je n’ai fait qu’en lancer une seconde, écrasant la première des remords de milles autres âmes aussi désespérées que l’originale. J’ignore si, comme Adèle l’exprime, les gens pourraient ainsi me voir en héros. Moi ? Non seulement je m’en fiche, mais je ne me considère pas ainsi. Je marque l’histoire de mes actes, de faits et conséquences grandioses destinées à faire rayonner les acteurs de Mistral. Qu’importe leur accueille par le reste du monde. D’ailleurs, je n’ai pas l’intention de le cacher à Adèle :

— Tu as conscience que je n’ai agis que dans l’intérêt des âmes, n’est-ce pas ? Libre à toi de me juger héroïque, mais la dissipation de cette malédiction permettant la victoire sur les cavaliers ne fut qu’une conséquence annexe de mon objectif initial.

Par ailleurs, Adèle n’a surement pas compris l’ampleur de mes dernières paroles, concernant le repos éternel. Je ne parlais pas de son sauvetage, mais bien du drame de cette sorcière et de ma personne. Chaque sacrifice implique de lourdes conséquences. Chacun est ensuite libre de juger la valeur de son être par rapport à ses actes. Toutefois, je n’ai pas l’intention de la perturber là-dessus, alors j’en rigole avec elle, le regard légèrement plissé d’amusement.
Elle est comme Kata, laquelle clame sur tous les toits que j’ai ni plus ni moins sauvé le monde. Peut-être, oui. Il est vrai que tous pourraient m’aduler pour avoir permis cette victoire. En revanche, il serait sot de leur part de m’imaginer en ange gardien.

Qu’en est-il d’Adèle ? Elle semble me voir en allié, voir même m’imaginer en futur partenaire, aux côtés de Kata. L’idée de se rendre à la source des Origines est intéressante. J’y songe un instant, puis m’exprime :

— Eh bien, ma situation est similaire à la tienne. Tant qu’il m’est impossible d’agir sans provoquer une migraine sans nom à Kata, il est impensable que je l’y encourage. Si à ton retour, je suis en état, pourquoi pas. C’est une histoire intriguante qui mérite mon intérêt. En revanche, c’est à Kata de faire ce choix.

Remarque à laquelle je m’esclaffe. L’enfant est si prévisible…

— Inutile de dire qu’elle t’accompagnera sans aucune hésitation. Jamais elle ne refuserait d’aider une amie dans le besoin pour la traversée d’un lieu dangereux.

C’est d’ailleurs ce qu’elle fait en parcourant les lieux les plus dangereux en compagnie de son amie Krystal. Cette Source des Origines ne doit pas être beaucoup plus dangereuse que le volcan.

— Néanmoins, je crains d’être moins actif que toi durant ce temps d’attente. J’espère que tu trouveras quelques réponses supplémentaires auprès de ces gens. Néanmoins, prends garde à toi, et surtout à ceux que tu côtoies en t’approchant ainsi de secrets enfouis. Car c’en est un, sans aucun doute. Il serait malheureux que tu interroges par mégarde la personne responsable de tout cela et qu’elle décide de mettre un terme à ton enquête.

Plus les gens seront au courant, plus il faudra se méfier d’eux. N’y a-t-il pas meilleure source d’information que l’initiateur d’un mouvement lui-même ?

— Les cavaliers ont causé une véritable apocalypse… Pourtant, tu dois savoir comme moi qu’ils n’étaient qu’un débris oublié par leur géniteur. Il ne me semble pas t’avoir vue durant ce bal cauchemardesque ? Tu n’as donc jamais vu la créature qui possédait la jeune Véronica ?

Sans surprise, Adèle est tout aussi intéressée par le bal que les cavaliers. Soit, il est toujours amusant de conter cette histoire :

— Ce n’était pas qu’une énergie… C’était un être aussi réel que je le suis, et dont l’ombre emplissait l’entièreté de la salle. C’était à la fois… Terrifiant, et splendide. Une présence si écrasante que même sa majesté, pourtant parée de ses Hexagide et sa garde royale, a préféré user de Pokémon psy en urgence pour fuir, abandonnant tous les convives à sa merci.

Je ricane à ce souvenir, un sourire narquois sur mon visage tandis que je révèle ce que personne n’a songé à me demander jusqu’à aujourd’hui :

— La créature avait, semble-t-il, la capacité de plonger tous les convives dans un rêve commun… À moins qu’elle n’ait usé du pouvoir des Zarbi pour le faire. Encore un point que nos amis mistraliens ont oublié ces derniers mois. Ils n’observent jamais plus loin que l’instant présent et oublient le passé… Quoi qu’il en soit, je fus le seul à voir cette chose. Les autres idiots te parleront d’une certaine Veronica de l’ordre noir. La fille est aussi innocente que les cavaliers, et plus encore, puisqu’elle n’avait même pas l’air d’avoir recherché ce phénomène auparavant.

Les yeux de Kata s’illuminent d’autant plus à ces paroles, révélant un souvenir bien plus emprunt d’admiration que d’horreur pour ce que beaucoup qualifient encore comme un véritable cauchemar éveillé.

— J’ai attendu que ce rêve s’achève, sentant Kata s’y perdre comme les autres. La créature leur a fait revivre l’incendie du manoir d’autrefois, il semblerait, pour justifier qu’une fausse royauté serait en place. Soit, j’ignore le vrai du faux parmi ces révélation, je me fiche de ces histoires politiques. En revanche, je ne serais pas étonné que cet être et la créature au fond du lac soient reliés d’une certaine façon, tout comme le pouvoir dont bénéficiaient les cavaliers. Mais une fois encore, je doute qu’il soit possible d’apposer un alignement sur quiconque. Je dirais même qu’il serait surprenant qu’une seule force agisse dans l’ombre, je ne serais pas étonné d’en voir s’affronter à l’avenir, tout comme les cavaliers finirent par s’entredéchirer. Les êtres sont, ils vivent, ils agissent. Le bien et le mal autant que la vérité n’ont de substance qu’après avoir été associés à une idéologie déjà biaisée.

Pour ma part, j’aurais adoré converser avec cet être, tellement au-delà des autres qu’il s’imposa au-devant de la scène malgré la présence d’importants protagonistes de Mistral, tel que le conseil et le roi. Hélas, j’étais insignifiant à ses yeux. Peut-être aura-t-elle changé d’avis à sa prochaine venue ? Car elle reviendra, je n’en ai aucun doute.

— Encore une fois, Mistral est beaucoup plus gangrené que le peuple, ou même le roi semble se l’imaginer. Même le plus insignifiant de ses habitants participe parfois au plus grand de ses mystères.

J’ai eu l’occasion de confirmer cette théorie durant mon voyage aux côtés de cavaliers. Tant de surprises auxquelles je ne m’attendais pas… Tant de victimes, déjà…

Adèle n’est pas sotte. Elle a bien conscience de la situation. Néanmoins, elle est peut-être un peu radicale.

— Les éliminer, hein ?

Je ricane à nouveau. Mais ce n’est pas le fait qu’elle veuille vaincre ses ennemis qui m’amuse. Plutôt le fait qu’elle semble imaginer que cette solution sera celle de chaque épreuve.

— Il se pourrait que certains que tu appelles ennemis soient en vérité les solutions à ces problèmes. Et qu’au contraire, tes amis en engendrent de nouveaux. Ou encore que les rôles s’inversent d’un problème à l’autre. Garde un esprit ouvert et vigilant.

Je sépare mes mains et les laisse glisser sur la table, jouant avec la lueur de la bougie qui titillent les sens de Kata.

— Le jeune Jack O’Lope, par exemple, est à la fois le plus innocent des amis de Kata, l’une des causes principales de l’apocalypse, leur ennemi et l’un d’eux, tout en étant la solution contre le pokérus. Si vous l’aviez éliminé en même temps que son camarade Famine, Mistral aurait couru à sa perte. Et Kata aurait probablement perdu l'esprit une énième fois.

Ainsi, l’ordre dans lequel Adèle choisira de résoudre les problèmes et la façon de faire ont une importance, autant que de résoudre les-dit problèmes.
En vrai, je peux continuer ainsi longtemps, pour lui faire prendre conscience de toute cette complexité dans laquelle elle s’engage. Mais ce ne sera pas nécessaire : Adèle est déjà engagée sur cette voie, elle découvrira les choses par elle-même.

— Quoi qu’il en soit, je te souhaite que le destin soit généreux, et qu’il te permettre d’accomplir tout cela. Y’a-t-il d’autres mystères sur lesquelles tu comptais enquêter ? Peut-être pourrais-tu profiter encore un peu de mes lumières ? À moins que tu ais plutôt des choses à m’apprendre à ton tour ?

Oui, je suis fier de ma mauvaise blague, comme le montrent les yeux brillants de l’enfant. Néanmoins, je suis tout à fait sérieux. Comme Adèle doit s’en douter à présent, je suis toujours avide de connaissances, bien que j’en partage la majorité sans retenue.

Au lieu de me sentir dépassé par sa réplique, je m’en montre ravi, très heureux de voir qu’elle y a déjà songé. Hélas, cela l’a plongé dans l’exact inverse de ce que j’exprimais : puisqu’elle ne peut pas deviner l’avenir à l’avance, elle préfère ne pas s’en soucier et s’occuper de ce qui est sous ses yeux.

— Ce n’est pas si vrai, les cavaliers étaient déjà ancrés dans leur esprit depuis longtemps. Ils auraient été trois au lieu de quatre, mais aussi bien plus virulent, si c’est possible de l’être… Voire encore, l’esprit l’aurait sauvé à ta place. Mais tu as compris l’idée.

Inutile qu’Adèle s’en veuille plus longtemps là-dessus. Les yeux de Jack s’illuminaient du regard glacial de Pestilence depuis bien longtemps. Leur destin était déjà tracé ce jour-là.

Elle semble vouloir détendre un peu l’atmosphère, se prend même à rire tel un miroir de moi-même. Je cligne des yeux lentement, toujours le sourire aux lèvres. Soit, je ne l’embêterai pas davantage avec mon savoir sordide pour ce soir. Je garde le silence, hochant la tête. Du moins, jusqu’à ce que je la voie envisager de quitter les lieux pour aller camper dans son coin.

— Allons, allons… Kata m’en voudrais de ne point t’offrir le gite pour cette nuit. Installe-toi donc dans ce fauteuil, je m’en vais quérir quelques draps pour ton confort.

Cela me donnera l’occasion de bouger un peu. Après-tout, c’est pour cela que j’étais debout à l’origine. Une fois tout ceci réglé, je retourne à la porte, la petite Gruikui toujours sur mes talons. Décidément, elle ne me lâchera pas, celle-là. Avant de disparaître dans la nuit pour un énième exercice de marche, je reste un instant sur le pas de la porte, et sans tourner la tête dans sa direction, je murmure pour Adèle :

— Veille sur ton âme, jeune enfant.

Topic terminé