Saison Un

: Obscure Prophétie

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finding the calm in the chaos

Les yeux perdus dans le vide, l’air tout à fait ailleurs, c’est à peine si Sören réalise que sa classe vient de se terminer. En redressant un peu la tête, il avise ses camarades qui se lèvent dans une cacophonie nappée d'étrangeté, comme s’ils craignaient de quitter les bancs pourtant si peu confortables de l’amphithéâtre. Doucement, le jeune kedalois semble revenir sur le plancher des Ecremeuh. Ses yeux ambrés tombent alors sur son cahier de note, vierge de la moindre annotation. Pourtant, le cours de langues anciennes fait partie de ses favoris. Il leur prête toujours une oreille attentive et remplit des pages entières de notes qu’il gribouille tantôt dans l’alphabet Zarbi, tantôt dans l’alphabet classique. N’importe qui d’autre n’y verrait qu’un charabia incompréhensible, voire même des dessins d’enfant. Sören a bien essayé de se départir de cette mauvaise habitude pendant ses deux années de classe préparatoire, mais il faut croire qu’elle est revenue au grand galop. Il est capable de faire des efforts lorsqu’il remplit des documents officiels ou lorsqu’il sait que quelqu’un d’autre pourra être amené à le lire. Mais lorsqu’il écrit seulement pour lui-même … ses notes deviennent vite illisibles pour le commun des mortels.
Un soupir las lui échappe tandis qu’il range ses crayons et glisse son carnet dans son vieux sac à dos troué. Reprisé mainte fois par sa mère, il ne ressemble plus qu’à un patchwork de tissus muni de anses et n’est, de ce fait, vraiment pas beau - mais impossible pour Sören de s’en départir, et encore moins maintenant. Son regard passe sur les dernières têtes quittant l’amphithéâtre - il va falloir qu’il demande à l’un d’eux l’autorisation de recopier leurs notes. Il n’est pas vraiment cela, étant donné que chaque élève à sa propre perception d’un cours, mais il n’a pas vraiment le choix. Perdu dans ses sombres pensées, il n’a pas écouté une seconde son professeur de langues anciennes.

A son tour, il quitte l’amphithéâtre et rejoint les couloirs, évitant d’observer les affreuses marques que la catastrophe a laissées sur les murs de la faculté. Repenser à tout cela lui donne des sueurs froides, et joue des scènes odieuses dans son esprit. A chaque fois qu’il ferme les yeux, il imagine les champs en feu, les cris de détresse, la peur remuent les entrailles de la population kedaloise. Combien sont morts durant cette apocalypse …? Déjà deux de trop pour Sören. Ravalant sa tristesse et ses sombres pensées, il se dirige d’un pas rapide vers l’extérieur, rêvant de s’éloigner de toutes traces de la catastrophe. Cependant, son regard accroche une chevelure corbeau, puis une paire de lunettes familière. Bifurquant sans s’en rendre vraiment compte, Sören se retrouve presque à courir après Frann dans les couloirs de la faculté. Manque de pot pour le binoclard, le kedalois pratique régulièrement la course à pied - le rattraper n’est donc aucunement difficile. Une fois à sa hauteur, Sören dépose une main sur l’épaule du jeune homme avec lequel il a vécu les heures les plus sombres de sa vie.

▬ H-Hey ! Salut Frann. Euh… Comment ça va ..? Tu étais au cours de langues anciennes non ..?

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Sören n'a jamais été un couard, bien au contraire. Petit garçon déjà, il flirtait beaucoup avec le danger, au grand dam de ses parents qui craignaient toujours qu’il lui arrive malheur. S’il a des peurs comme tout le monde, il cherche davantage à les affronter qu’à les laisser le traumatiser et le piétiner. Une attitude toute kedaloise, puisque les enfants deviennent des adultes bien plus rapidement que les gamins des villes. Conduire un tracteur à sept ans, ce n’est pas donné à tout le monde, pourtant Sören l’a fait. Attraper un Tauros enragé par les cornes et le cogner en plein poitrail n’a jamais été un souci pour lui, malgré le danger évident qu’une telle manœuvre pouvait bien représenter. Pour beaucoup, il n’est finalement rien qu’un gros tas de muscles dénué de toute forme d’intelligence. C’était sûrement le cas jusqu’à sa soudaine prise de conscience à seize ans, lorsqu’il a décidé de tout abandonner pour se lancer corps et âmes dans ce que Kedal considère comme une immense perte de temps : les études. Toujours est-il qu’une fois encore, il n’a pas eu peur de prendre un virage à trois cent soixante degrés - les obstacles sont faits pour être surmontés, non ?

Et pourtant … Pourtant, une peur nouvelle, terrible, dévorante secoue son grand corps depuis la catastrophe survenue il y a quelques semaines de cela. Il se revoit, pris d’une panique folle, à courir comme un fou dans les couloirs de la fac, à la recherche d’un endroit sûr. Son coeur battait si fort dans sa poitrine qu’il a sincèrement eu l’impression qu’il allait y rester. C’est au fond d’un vieux placard à balais poussiéreux qu’il a trouvé refuge … aux côtés de Frann, tout aussi bouleversé par ces apparitions cauchemardesques. Peut-être encore plus ..? Ensemble, ils ont patienté, tremblant de peur, suant d’appréhension, tentant d’ignorer comme ils pouvaient les cris résonnant à l’extérieur et luttant pour ne pas imaginer ce qu’ils allaient découvrir en sortant. Parfois, Sören se surprend à penser qu’il aurait préféré ne jamais mettre un pied hors de ce placard à balais. La violence de la réalité l’a frappé comme un coup de poing en plein ventre. Tout Vigneaux s’était transformée, les routes étaient saccagées, la faculté défigurée, la bibliothèque réduite en cendres …

De la bile lui remonte dans la gorge tandis que ses sombres pensées pèsent à nouveau dans son esprit. Aussitôt, Sören s’applique à les refouler pour se concentrer sur son interlocuteur. Frann n’a pas l’air ravi de le voir et le kedalois mettrait sa main à couper qu’il aimerait le voir disparaître. Sûrement lui rappelle-t-il ces heures terrifiantes qu’ils ont partagé … ce que Sören comprend, parce que c’est également son cas. Néanmoins, il ne veut pas éviter Frann, au contraire. Il aimerait apprendre à mieux le connaître, à vraiment le connaître, ailleurs que dans un placard à balais, dans un cadre différent. Pourquoi ne pas en faire un ami …?

▬ Ça tombe bien, moi aussi. On peut manger un bout ensemble si tu veux. J’ai ramené un peu de pâté de Kedal … je me disais qu’on pourrait partager.

Sören regrette aussitôt sa proposition. Franchement, il n’y a rien de moins glamour que le pâté de Gruikui que Kedal. Il sent fort, il est gras, il donne mauvaise haleine … bref, niveau charme, il peut s’enterrer six-pieds sous terre. Pourtant, l’idée de partager un peu de sa culture avec son camarade lui apparaît plutôt sympathique. Sören sait pertinemment ce que les gens des villes peuvent bien penser des gens comme lui, et c’est justement pour étouffer les préjugés qu’il tient à montrer qui il est. Parce qu’il est plus qu’un cul-terreux venu découvrir la ville pour la beauté des buildings ! Mais cela, peu veulent bien le croire …

▬ Nous pourrions nous installer sur la Place de la Grosse Cloche. Qu’en dis-tu ?

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Ses yeux noisettes fixés sur son interlocuteur, Sören attend sa réponse avec une pointe d’impatience. Il faut bien l’avouer : il redoute un refus sec et sans appel. Sa volonté de faire copain-copain avec Frann n’est peut-être pas partagée, et si c’est le cas, alors le kedalois n’insistera pas. Autant éviter de mettre Frann et lui dans une espèce d'embarras - il y a déjà assez de sentiments étranges entre eux depuis la catastrophe. Et Sören sait s’avouer vaincu quand c’est nécessaire. A quoi bon forcer si l’étudiant en lettres n’a tout simplement pas envie ? Ce serait bien désagréable de sa part d’insister encore et encore. D’autant plus qu’il n’en retirera rien de réellement satisfaisant. Une amitié ne doit pas être forcée : les choses doivent venir naturellement, à leur rythme. Ainsi Sören est-il prêt à passer gentiment son chemin si Frann refuse de passer du temps avec lui. Il irait manger son casse-croûte ailleurs et tentera une approche différente une autre fois. Ou pas, d’ailleurs. Tout dépendra des réactions de son interlocuteur. S’il émet le souhait de ne pas l’avoir dans les pattes, alors Sören le respectera. Il espère néanmoins réussir à lui inspirer suffisamment de sympathie pour que le binoclard accepte de lui accorder un peu de son temps. Sur le coup, Sören a déjà totalement oublié son cours et les notes qu’il aimerait réquisitionner - l’aspect purement humain a pris le dessus sur le besoin matériel.

Tout en observant Frann de sa haute stature, Sören se permet de l’observer un peu plus en détail. Derrière ses lunettes se cachent un minois fin et délicat, presque enfantin … voire même légèrement féminin. Une beauté presque fragile qui n’existe absolument pas à Kedal. Là-bas, les hommes sont des gaillards solides et les femmes n’ont rien de petites minettes bien fardées. Ce n’est pas un problème en soi, car leur charme est indéniable. Mais Frann inspire à Sören un sentiment bien différent, et une attirance qu’il n’essaie même pas de nier. A quoi bon se mentir à soi-même ? Sören sait depuis des lustres que son attirance est universelle. Homme, femme … tout le monde est logé à la même enseigne. Et le jeune homme a eu l’occasion de croquer dans ces deux fruits différents au cours de sa vie. Son père piquerait des crises de nerf s’il l’apprenait, mais Sören se garde bien de le mettre dans la confidence. Après tout, ça ne concerne que lui, pas vrai ? Il n’appartient à personne d’autre d’avoir un regard sur les personnes qu’il invite dans son lit. De toute façon, il s’est déjà bien écarté de la voie familiale en partant faire des études, alors une incartade de plus ou de moins … Il n’est plus vraiment à cela près.

Le visage de Sören s’illumine d’un grand sourire lorsque Frann accepte sa proposition. Certes, ce n’est pas de bon coeur mais le kedalois s’en contente. Après tout, son camarade a l’air d’être quelqu’un d’assez timide et de solitaire … pas le genre à partir dans des éclats de joie pour un oui ou pour un non. C’est plutôt lui, ça. Enfin bref, peu importe : ils vont pouvoir passer un peu de temps ensemble, et c’est bien tout ce que le blond désirait. Ainsi le duo se met-il en marche vers la Place de la Grosse Cloche, slalomant entre les élèves et évitant les débris sur leur chemin. Bien vite, ils foulent les pavés du trottoir et approchent de leur destination, de laquelle s’élève un brouhaha de discussion. C’est à peine si Sören entend Frann lorsqu’il l’interpelle. Il rougit cependant à sa remarque. Il a si mauvaise mine que ça …? Quelque peu gêné, il frotte rapidement ses yeux fatigués, comme si ce simple geste pouvait suffire à en chasser toute la fatigue pesant sur ses paupières.

▬ J’ai une sale trogne hein ? Mais entre les cours, le travail et ces derniers jours un peu … bizarres …il m’est bien difficile de m’endormir le soir.

Pourtant, il a toutes les raisons du monde d’être fatigué. Ses cours lui demandent beaucoup de temps, notamment en termes de travail personnel à effectuer après ses classes. A cela s’ajoute son petit job à l’épicerie du soir, ainsi que sa pratique journalière de la course. Il n’y a pas assez de vingt-quatre heures dans une journée pour lui permettre d’être au point sur tous les plans. Néanmoins, jamais auparavant il n’aurait ainsi négligé ses cours. Mais les récents événements, et notamment le décès de sa mère et de sa sœur rendent ses nuits particulièrement difficiles. Impossible de fermer les yeux sans s’imaginer le feu dévorant les champs de son enfance, et emprisonnant dans son étreinte funeste les pauvres fermiers apeurés. Il n’ose pas imaginer la terreur, la douleur qu’elles ont dû ressentir avant de quitter ce monde. Et ce sentiment le hante, le terrifie, lui arrache des larmes de désespoir à chaque fois qu’il ose fermer les yeux. Son lit est devenu le théâtre de ses cauchemars, qu’il se doit pourtant de côtoyer au moins un peu… suffisamment pour récupérer un peu d’énergie pour la journée suivante.

▬ Mais ça va le faire, je vais reprendre du poil de la bête. Après tout, à la ferme, j’avais l’habitude de peu dormir !

A peine arrivé sur la place, Sören dégote une place à l’ombre, sur un banc solitaire. Ainsi se hâte-t-il de s’y installer, invitant Frann à faire de même. Il plonge ensuite la main dans son vieux sac à dos rapiécé et en sort un sandwich rustique emballé dans un torchon blanc. Bien qu’il envie les en-cas que se payent la plupart des étudiants dans la bonne boulangerie du coin, Sören se contente d’une tranche de jambon emprisonnée entre deux morceaux de pain de mie. C’est moins appétissant, mais beaucoup moins cher puisqu’il le fait lui-même.

▬ Je garde ta place, tu peux filer à la boulangerie avant qu’il n’y ait plus rien.

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Si Sören ne reniera jamais ses origines kedaloises, desquelles il est d’ailleurs très fier, il doit bien avouer qu’il n’apprécie guère qu’on la ramène à la boue et aux odeurs animales. Certes, ce sont deux éléments qui font partie du décor. Forcément, les routes ne sont pas aussi bien dessinées que dans les villes, où tout semble calculé au millimètre près et la pluie gorge les champs en friche, trempant la terre et formant des masses de boue gluante. Néanmoins, derrière ce tableau fort peu élégant se trouvent des travailleurs assidus, se levant tôt le matin pour s’occuper de leurs bêtes et de leurs cultures. Des gens qui ne comptent pas les heures, qui suent sang et eau jusqu’à leur trépas. Il est certain que le confort n’est pas de mise. Alors certes, les kedalois ne sont pas des flèches. Ils sont même réputés pour être assez crétins et bourrus. Le genre à faire des réflexions grasses et à rire fort de leurs propres blagues. Néanmoins, ce ne sont pas des traîne-misères. Sören a entendu plus de plaintes de la part des citadins en deux ans passés à Vigneaux que venant des fermiers de Kedal en seize années. Généralement, ceux qui ne connaissent que le confort depuis leur naissance n’ont aucunement conscience de la réalité d’un travail physique, toute l’année, dès le plus jeune âge jusqu’à ce que le corps soit trop vieux pour tenir convenablement une pelle. Sören se souvient notamment de son grand-père, qui s’est occupé de ses Ecremeuh jusqu’à ce que son heure arrive. Son fils l’avait retrouvé dans l’étable, étendu au milieu du foin, aussi serein qu’un endormi.

De ce fait, la réflexion de Frann sonne plutôt mal aux oreilles de Sören. Oui, ça a été un grand changement. Mais réduire sa vie d’avant au simple fait de patauger dans la boue … c’est un raccourci trop simple, trop facile pour pouvoir lui donner du crédit. Pour autant, le kedalois ne cherche pas à le reprendre. En deux ans, il a bien fini par comprendre que c’était inutile d’essayer de glorifier une vie campagnarde. Aux yeux des citadins, elle restera toujours beaucoup trop salissante et odorante pour accepter de la voir sous un autre angle. Ainsi Sören laisse-t-il Frann passer à tout autre chose, bien qu’il se contente d’y répondre d’un simple mouvement de la tête. Il sait très bien ce qu’il a à faire pour réussir ses études. Il se donnera les moyens d’y arriver, qu’importe la solution. Du reste, eh bien … il est vrai qu’il est nécessaire de vite se remettre en selle avant que toutes ces émotions ne finissent par le pénaliser de trop. Catastrophe ou pas, la vie a repris son cours et les professeurs ne semblent pas décidé à les épargner. La preuve en est avec la charge colossale de travail qui attend Sören dans les jours à venir.

Parvenu sur la place, Sören s’apprête à manger tandis que Frann part en quête de son déjeuner. Bien sûr, le kedalois attend que son camarade ne revienne avant de croquer dans son sandwich. Campagnard peut-être, mais avec un minimum de respect pour les autres. Il observe tranquillement quelques Poichigeon picorant des miettes tout près de lui lorsque le binoclard revient chargés de sacs en papier. Plutôt surpris, Sören lui propose aussitôt son aide et le décharge d’un sac dégageant un doux parfum de baie pêcha. Ainsi donc, Frann a acheté à manger pour deux …? Touché par cette attention, l’étudiant en histoire sent ses pommettes le chauffer légèrement. C’est la première fois que qui que ce soit fait quelque chose d’aussi gentil pour lui, tellement qu’il ne sait pas vraiment comment réagir. Frann voit ça comme un remerciement, mais Sören n’estime pas le mériter. Les choses sont arrivées ainsi par la force des choses, parce qu’ils vivaient un événement unique et particulièrement terrifiant. Dans d’autres circonstances, se seraient-ils seulement adressés la parole un jour …?

Toujours aussi gêné, il ose prendre une part de tarte aux poireaux. Elle a l’air succulente, il comprend mieux la réputation de la boulangerie. Et ça se confirme davantage lorsqu’il mord dans sa part, qu’il s’efforce de manger lentement pour ne pas avoir l’air d’un rustre. S’il avait été seul, il l’aurait englouti en deux bouchées seulement. Il faut dire qu’un grand gaillard comme lui, ça a toujours faim. Et il est parfois bien difficile de tenir jusqu’au soir avec un misérable sandwich au fond de l’estomac. Néanmoins, c’est toujours mieux que rien alors Sören refuse de se plaindre. D’ailleurs, il mord dans son sandwich juste après avoir englouti sa part de tarte, refusant de gâcher cette nourriture si précieuse.
Tout à sa dégustation, Sören est presque surpris lorsque Frann reprend soudainement la parole, sûrement gêné par le silence s’étant installé entre eux.

▬ Euh… ça se passe plutôt bien, j’imagine. J’ai encore quelques difficultés, notamment en orthographe, mais j’y travaille. Et je suis en licence d’histoire, spécialisé en langues anciennes.

Depuis qu’il a découvert par pur hasard ce livre écrit en Zarbi, Sören rêve de parcourir le monde entier pour étudier cet alphabet ancien. Tellement de secrets entourent encore ces drôles de Pokémon … Et d’ailleurs, c’est son rêve d’en rencontrer un un jour. Il a le sentiment que, s’il parvenait à faire face à un tel Pokémon, alors de nombreuses réponses lui seront apportées. Sûrement se fourvoie-t-il, mais là est son objectif à l’heure actuelle. Du moins, au-delà de la tonne de travail qu’il a à rendre pour l’université, bien évidemment. Entre ses dissertations, ses traductions, ses exposés et la montagne de livres qui lui reste à lire … Ce n’est pas demain qu’il pourra se reposer sereinement. D’autant que lire avec l’alphabet classique est encore un peu difficile pour lui. Ça se passe de mieux en mieux, mais il prend toujours un temps considérable pour terminer un livre. Pour le moment, il tient la cadence - difficilement, mais il la tient. En espérant que son professeur de littérature ancienne ne décide pas de mettre un petit coup de collier pour accélérer la machine.

▬ Et toi ? J’imagine que tu dois être dans la littérature car nous avons quelques cours en commun. Tu étais en langues anciennes avec moi ce matin, aussi.

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Parler étude, ce n’est pas vraiment ce que Sören préfère. Notamment parce qu’il ressent souvent ce décalage qu’il peut y avoir entre les autres et lui. Il n’a pas eu la chance de recevoir une éducation égale à la leur. Tandis qu’eux occupaient les bancs de leur salle de classe à leur six ans, Sören travaillait déjà dans les champs auprès de ses parents. Il soulevait une fourche trop lourde et trop grande pour garnir les mangeoires des Ecremeuh ou pressait leurs pis pour en extraire leur lait délicieux. L’écriture, les mathématiques, l’histoire, la géographie … ce n’est pas ce qui remplit les assiettes, à Kedal. Sören a plutôt appris à semer des graines, à reconnaître l’arrivée d’un orage ou à allumer la grande cheminée de la maison familiale. D’une certaine façon, c’est un autre apprentissage de la vie. A Kedal, on naît fermier, on meurt fermier. Alors pourquoi s’embêter avec l’école ? Sören est bien l’un des seuls enfants des champs à avoir pris la décision de mener des études. Beaucoup l'ont critiqué pour cela, d’ailleurs. Pourquoi rejoindre la ville, alors que tout son avenir était déjà décidé à la campagne ? Il était admis aux yeux de tous les kedalois que le jeune Sören reprendrait l’élevage de son père, et qu’il le cédera lui-même à son fils le moment venu. Mais plutôt que de se ranger dans cette spirale, Sören a décidé de la briser, d’en sortir et de tracer sa propre route.

Il lui arrive de regretter un peu, parfois. De se demander s’il a pris la meilleure des décisions, si l’avenir qu’il souhaite lui est vraiment garanti avec les études qu’il suit. Certains disent que rien n’est inscrit dans la roche, et Sören est plutôt d’accord avec ça. Néanmoins, Sören ne veut pas gâcher ces années de sa vie pour ne pas obtenir le résultat qu’il désire. Il aspire à fouler les sites archéologiques, à dérouler d’anciens parchemins, à se plonger dans l’histoire d’époques révolues et pourtant si importantes pour comprendre d’où l’humanité et les Pokémon proviennent. Bien sûr, il serait bien présomptueux d’imaginer qu’il trouvera les réponses à tout et n’importe quoi, mais la seule idée de plonger son nez dans de vieux écrits suffit à réveiller en lui une excitation sans nulle autre pareil. Mais avant cela, il lui faut apprendre tout le reste. Il lui faut des connaissances, des références, s’il veut pouvoir mettre en lumière tout le sens d’un texte ancien, ou d’une écriture énigmatique. Les humains d’autrefois n’étaient pas comme ceux d’aujourd’hui, que ce soit dans leur façon de faire ou de réfléchir. Il lui faut donc apprendre à penser comme avant : et pour cela, il faut évidemment suivre des cours spécialisés, et surtout rester bien accroché.

Et même si les cours qui le passionnent le plus sont les cours de traduction et d’histoire, il est bien obligé de se coltiner quelques matières qui lui plaisent moins. Et en tête de liste, la littérature. Ce n’est pas qu’il n’aime pas lire, mais il est parfois bien difficile de rester concentré sur une histoire dont le sujet ne le passionne guère. Bien sûr, tout ne peut pas toujours avoir de lien avec l’histoire, mais c’est bien tout ce qui l’intéresse. Alors il fait de son mieux, essayant de ne pas trop la négliger pour ne pas que ça lui porte préjudice. Il ne brille pas par ses notes excellentes, mais il fait de son mieux, et il a bien vite compris qu’il pouvait déjà être fier de cela. En contrepartie, il traduit le Zarbi comme personne, et même son professeur a parfois du mal à lui proposer des exercices suffisamment intéressants pour l’aider à s’exercer davantage. Alors Sören se rabat sur le vieux mistralois : il aime beaucoup moins, mais ça l’amuse malgré tout. De toute façon, dès qu’il est question de traduction, le kedalois est aussi enthousiaste qu’un enfant devant un nouveau jouet. Bon, ses réécritures laissent à désirer à cause de son orthographe maladroite, mais il ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Il lui faut travailler, comme tout le monde. Et surtout, ne pas se laisser anéantir par un échec, car il en connaîtra bien d'autres dans sa vie, il en est certain.

En tout cas, Sören a visé en plein dans le mille concernant le cursus de Frann. Néanmoins, ce n’est rien de vraiment étonnant. Le binoclard se promène toujours un livre dans la main. Et c’est bien connu que les étudiants en lettres se doivent de lire énormément, autant ceux recommandés par le professeur que ceux essentiels à une bonne culture littéraire. En tout cas, Sören sait pertinemment qu’il n’aurait pas pu suivre de telles études. Quand il voit le temps qu’il passe à lire, il aurait perdu le rythme dès le premier semestre s’il étudiait les mêmes choses que Frann. Néanmoins, ils partagent les mêmes options … que le brun n’a pas l’air de particulièrement appréciées. Contrairement à son camarade, Sören trouve justement que ce sont des cours passionnants, et il adore le professeur qui les dispense. Son débit de parole n’est pas toujours évident à suivre, mais Sören a l’impression d’en capter le principal, et ça semble suffir s’il se fie aux derniers résultats de ses partiels.

▬ J’ai validé mon semestre oui. Non sans difficulté, certaines matières ne m’ont pas aidé. Mais ça passe alors je ne me plains pas.

Un silence religieux accueille ses confidences. Inutile de relancer la balle à Frann, c’est certain qu’il a validé le sien étant donné sa nonchalance. De toute façon, il a la tête du premier de la classe. Pas que Sören éprouve quelque ressentiment ou même un avis sur la question, mais il est sûr de son hypothèse. Il ne doute cependant pas que Frann fournit tout le travail nécessaire pour réussir ses études, alors loin de lui l’idée de l’envier ou de le voir d’un mauvais oeil. Chacun ses facilités, chacun ses difficultés, chacun sa manière de travailler. C’est ainsi que Sören a décidé de voir les choses, pour arrêter de se traiter de moins que rien à la moindre difficulté. Autrefois, à Kedal, il n’avait jamais connu l’échec ou la profonde honte d’une mauvaise note.Et la simple idée d’avoir échoué le mettait dans tous ses états, autrefois. Depuis, il a appris à relativiser, et à accepter qu’il puisse rencontrer des difficultés. Après tout, si c’était facile, tout le monde viendrait à la fac pour se la couler douce. Or, le but est de travailler et de donner le meilleur de soi-même, tout en ayant conscience de ses propres capacités et la volonté de toujours faire mieux.

Timidement, Sören finit par lancer un petit regard en direction de Frann. Le garçon semble tranquillement prendre le soleil, muet comme un Magicarpe. Pour ne pas le déranger dans ce moment de quiétude, le kedalois s’enferme dans un silence un peu gêné, observant sans vraiment les voirs les quelques Poichigeons occupés à ramasser les dernières miettes de sandwich au pied d’un banc, très récemment abandonné par un groupe d’étudiants. Le calme revient tranquillement sur la place maintenant que ces braillards sont partis. Mais plutôt qu’apporter à Sören un certain soulagement, ça ne fait qu’accroître cette terrible sensation de malaise, qui plane sur Frann et lui depuis que leurs regards se sont croisés.