Saison Un

: Obscure Prophétie

It's all about
finding the calm in the chaos

Un silence pesant, gênant, envahissant accueille les derniers mots de Sören, plongeant le grand garçon dans un terrible malaise. Il ne sait pas vraiment comment relancer la conversation : parler des cours n’est pas ce qu’il y a de plus intéressant, mais c’est bien la seule chose qui les lie pour le moment, étant donné qu’ils ne se connaissent guère. Enfin … les études et tout autre chose, à laquelle Sören évite au maximum de penser. Il songe bien à quelques sujets de bavardage, mais tous paraissent forcés et sans réel intérêt. Parler de la pluie et du beau temps, ça va bien cinq minutes, mais ce n’est comme ça qu’il peut espérer développer quoi que ce soit avec Frann. Cependant, Sören ne connaît ni son histoire, ni ses passions, ni même de quoi il apprécie converser en règle générale. Leur première rencontre s’est déroulée dans des circonstances trop étranges et terribles pour faire comme si de rien n’était, et papoter comme des adolescents normaux, sans aucun tabou. Bien sûr que l’ombre de la catastrophe plane sur leur tête. La terreur qu’ils ont partagé dans ce vieux placard à balai les fait sûrement encore trembler. Rien que d’y penser, Sören a des sueurs froides. Il se souvient du tonnerre éclatant au-dessus de leur tête, comme si le monde entier explosait tout autour d’eux.

L’air préoccupé, Sören se mordille la lèvre inférieure. En parler une bonne fois pour toute serait le meilleur des remèdes. A force d’éviter le sujet, ils vont finir par s’éviter tout court. Et ce n’est pas ce qu’il veut, loin de là. Il veut pouvoir faire plus amplement la connaissance de Frann et devenir son ami. Il est certain que quelque chose de très sympathique pourrait naître entre eux. Et puis bon, il faut bien l’admettre … sur le plan physique, Frann est parfaitement à son goût. Si Sören ne s’imagine absolument pas pouvoir espérer plus qu’une bonne amitié, ce n’est pas une raison pour passer son chemin si facilement. Il a toujours été facile pour ce grand kedalois d’ouvrir son coeur à n’importe quoi, d’oser les demandes les plus gênantes et les gestes les plus timides. Mais avec Frann … c’est plus compliqué. Il craint de dire quelque chose de travers, et de passer pour un grand abruti. Après tout, son camarade n’est pas issu d’une petite famille de pacotille comme lui. Frann est un érudit, un homme de lettres, amoureux du bon verbe. Qu’est-il à côté, sinon un ancien fermier à peine capable d’écrire correctement dans l’alphabet commun ?

La faim coupée par ce silence gênant, Sören froisse le papier aluminium contenant auparavant son misérable sandwich et tend le bras pour le lancer dans la poubelle située à quelques pas. Les minutes s’enchaînent et aucun, de lui ou de Frann, ne semble savoir quoi dire. Alors le kedalois lui lance un petit regard gêné, espérant capter son regard et obtenir ne serait-ce que quelques petits mots de sa part. Il demeure quelques secondes à admirer son profil, avant que l’étudiant en lettres ne tourne la tête vers lui. Ils s’observent en silence pendant un court instant, qui paraît pourtant une éternité aux yeux de Sören. Il manque même de se dérober, mais la voix de Frann le maintient attentif et concerné sur son regard sombre. C’est finalement lui qui brise le premier mur en lui tenant le même discours que lui-même s’est répété en boucle dans son esprit sans oser le prononcer à voix haute. Et la seule idée que Frann partage son envie de faire connaissance rallume une petite braise au fond de son coeur. Néanmoins … il a raison. Ils n’arriveront à rien s’ils ne brisent pas définitivement la glace sur tout ce qui a pu se passer ce jour, ce terrible jour qu’ils n’oublieront malheureusement pas de sitôt.

Les deux garçons s’observent désormais droit dans les yeux, comme mis à nu devant cette vérité qu’il leur faut affronter s’ils désirent continuer sur le même chemin. Une drôle de sensation secoue les entrailles de Sören. D’un côté, il a bien évidemment envie d’en parler à Frann, de mettre des mots concrets sur ce qu’ils ont vécu ensemble. Mais d’un autre, cela lui rappelle tout ce qu’il a perdu pendant ce terrible événement : notamment sa mère et sa soeur, décédées dans l’incendie ayant quasiment rasé sa Kedal natale. Penser à une catastrophe lui rappelle forcément l’autre, tant ces deux événements sont liés dans son esprit. Parviendra-t-il à contenir ses émotions en se remémorant cette terrible journée …?

▬ Tu as raison. Nous devons en parler même si … même si ce n’est pas facile.

Un profond soupir traverse la grande carcasse de Sören, alors qu’il passe une main dans sa courte chevelure blonde. Il lui faut prendre son courage à deux mains. Il n’est pas obligé de lui parler de Kedal dans l’immédiat. Il préfère attendre qu’ils se connaissent mieux et surtout, le moment où il sera totalement prêt à en parler. Sa récente conversation avec Kata, son ancienne voisine à Kedal, lui a fait réaliser à quel point il n’était pas encore prêt à en parler sans contenir ses larmes. Or, ce n’est pas le moment de pleurer. D’autant que la pause ne sera pas éternelle, et qu’il sera bientôt rappelé sur les bancs de la faculté. Alors évitons le sujet le plus sensible, et concentrons-nous plutôt sur ce qu’ils ont partagé. C’est là que réside leur problème actuel après tout. Et de toute évidence, il est grand temps de démêler cette boule de nœuds.

▬ Ce jour-là a été terrible, n’est-ce pas ? J’ai eu tellement peur. J’ai sincèrement cru que nous allions mourir. Sans toi je … je pense que je serais devenu fou, dans la pénombre de ce petit placard à balai. Ta présence m’a sauvé la vie, sincèrement. Sören rougit un peu, et commence à tortiller un peu ses doigts. J’espère que j’ai pu t’aider aussi, autant que tu m’as aidé. Dans ces moments-là… nous avons tous besoin d’un peu de chaleur.

En se rappelant de leurs corps serrés l’un contre l’autre au fin fond du placard, entre des vieux balais et des seaux empilés, Sören se souvient du délicat parfum de Frann qui avait envahi ses narines. Aussi étrange que cela puisse paraître, cette fragrance est devenue rassurante tout le long de leur attente. Parce que le kedalois sentait son camarade à ses côtés, bien présent malgré la terreur agitant son petit corps. Ils avaient peur certes, mais ils étaient ensembles, unis dans l’adversité, dans l’attente interminable …

▬ Je sais que ce que nous avons vécu a été terrible et tu veux sûrement tout oublier, comme moi. Mais j’ai également envie de te connaître davantage, de connaître le vrai Frann, et pas le Frann du placard à balai.

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Un léger voile rosé colore les joues légèrement bronzées de Sören. Maintenant qu’il y repense, il trouve que sa déclaration porte à confusion et qu’elle sonne beaucoup plus intime qu’elle ne devrait l’être. Comment Frann, de son côté, va-t-il l'interpréter ? Il est un homme de lettres après tout, habitué à décortiquer et analyser les moindres mots. Le fait-il également dans la vie de tous les jours, Sören ne saurait le dire. Il espère bien que Frann a créé une limite entre le travail et le reste, sinon il risque de tourner Chevroum au fil des années. Du moins, c’est ce qu’il avait entendu dire pendant ses deux années de rattrapage intensif. L’un de ses professeurs lui avait conseillé de bien définir une limite, pour son propre équilibre personnel. Pendant un temps, Sören s’était en effet laissé obséder par la lecture et l’écriture, au point d’essayer de lire et de réécrire tout ce qu’il voyait pour toujours plus s’entraîner. Mais à force de faire une fixation dessus, il y arrivait de moins en moins, et il a bien failli se décourager. Heureusement, son professeur l’avait remis dans le droit chemin. Cela dit, tout le monde ne fonctionne pas pareil. Le cerveau est une drôle de machine qui ne tourne jamais de la même façon selon l’individu. Cependant, il estime Frann suffisamment intelligent pour savoir que faire et comment. Il espère seulement que ses mots ne sonnent pas trop étranges à ses oreilles. La dernière chose que désire Sören, c’est bien de le mettre mal à l’aise. Bien au contraire, il souhaite plus que tout le mettre en confiance et faire preuve de bonne foi, même s’il n’est pas toujours aisé d’être cent pour cent naturel devant un quasi inconnu.

Parce que oui, à l’heure actuelle, Sören ne peut pas encore considérer Frann autrement que comme … une vague connaissance. Ils n’ont pas vraiment eu l’occasion de discuter pendant l'apocalypse, bien au contraire. Il leur fallait demeurer silencieux, pour ne pas prendre le risque d’attirer l’attention sur eux. Ils ignoraient ce qu’il se passer en dehors, mais hors de question de prendre le moindre risque. Si Sören connaît le prénom de Frann, c’est seulement parce qu’ils ont quelques cours en commun et qu’il a eu l’occasion de l’entendre de la bouche des professeurs ou d’autres élèves. Et il y a quelques instants maintenant, il n’avait qu’une supposition concernant sa filière. Il ne sait rien de sa vie, de sa famille, de ses passions, de ses attentes, de ses rêves … Absolument rien. Et cette page vierge, Sören a envie de la remplir en passant du temps avec Frann, en découvrant ce jeune homme au fur et à mesure des jours, des semaines. Il désire fermer la parenthèse “placard à balai” et débuter un tout nouveau paragraphe, dans lequel son avis seul sera pris en compte. Parce que Sören pourrait céder à la facilité des on-dits pour gratter quelques informations concernant le binoclard, mais a-t-il vraiment envie de se fier au jugement d’un autre ? Se créer le sien sera certes plus long, mais au moins sera-t-il totalement objectif.

A ses côtés, Frann s’agite un peu. Il réduit la distance entre eux et nettoie savamment ses lunettes, permettant à Sören d’observer son visage fin en toute tranquillité. Ses pommettes ont pris quelques couleurs, et cela lui va à ravir. Autant que ce joli sourire étirant ses lèvres fines, normalement pincées par la concentration. Néanmoins, il laisse planer un petit silence gênant et Sören ignore s’il doit reprendre la parole ou si Frann est seulement en train de réfléchir à sa propre réponse. Il sait ce que c’est de faire le tri dans ses pensées avant de se lancer dans une explication, et cela prend parfois plus de temps que prévu. Finalement, l’étudiant en lettres prend la parole et Sören se suspend à ses lèvres, déjà mis en haleine par la petite introduction de son interlocuteur. Qu’importe, qu’il se montre lyrique ou non, là n’est pas le sujet. Justement, il vaut mieux que les mots viennent naturellement, comme il les pense. Cela ne rend la confession que plus sincère. Comment Frann a-t-il donc vécu ces heures terribles, recroquevillé au fond du vieux placard poussiéreux …?

▬ Il m'est arrivé de t'observer de loin avant de te rencontrer. Et très franchement, tu m'intrigues beaucoup. Cela peut paraître assez évident, mais je viens d'un milieu très aisé. Tu comprendras donc aisément que découvrir un kedalois sur les bancs de l'université n'est pas une chose courante de mon point de vue. Ensuite, bien sûr, le destin nous a rapprochés. Et, tu sais, je ne suis pas du genre à prendre ces choses-là pour un simple hasard : je pense sincèrement qu'il y aurait du bon à garder contact. Le souci c'est que, comme tu as sans doute dû le remarquer, les amitiés, les rencontres, et tout ce qui s'ensuit… Ce n'est pas franchement mon fort. Et je ne sais pas trop comment… Initier tout ça. Surtout avec des débuts aussi particuliers…

Si ce n’est pas vraiment ce que Sören attendait, il l’écoute malgré tout avec curiosité et embarras. Ainsi donc, Frann l’observait bien avant tout cela ? Bon, en soi, ce n’est pas si étonnant. La rumeur du kedalois accepté à l’université a dû faire le tour du campus - impossible qu’il puisse rater une telle information. Et si l’ancien campagnard commence à redouter la suite du discours, ses doutes se dissipent aussitôt. D’une façon plutôt maladroite - toute Frannienne, même - le jeune noble exprime son désir d’apprendre à davantage le connaître. Mais de toute évidence et comme il l’avoue lui-même, la socialisation n’est pas son fort. Et leurs débuts ma foi tout particuliers n’aident pas vraiment à mettre la machine en marche, ce que Sören comprend tout à fait. Lui-même a abordé Frann en répondant à une pulsion, à une envie soudaine de partager un peu de temps avec lui. Il n’avait pas prévu la suite, et comment aurait-il pu de toute façon ? Au début, c’est normal d’avancer un peu à l’aveuglette. Ils ne se connaissent pas suffisamment pour avancer sur une route dégagée. Et quand bien même le brouillard se dissipe … il y a toujours des nids de poule. Bref : rien n’est jamais acquis dans une relation, quelle que soit sa nature. Tout est une suite d’expériences - le tout est d’accepter de s’y confronter.

Le kedalois attend donc la suite de son discours avec une certaine hâte. Il sait bien que Frann ne compte pas s’arrêter là, ça se voit à la façon dont il fuit le regard de Sören. Mais ce dernier ne le presse pas et ne cherche pas à rétablir le contact visuel. Le pauvre Frann semble suffisamment mal à l’aise pour ne pas lui en rajouter une couche, ce serait vraiment vicieux de sa part. Certes, l’heure tourne - d’ici moins de dix minutes, ils devront rejoindre leur salle de cours - mais ce n’est pas une raison suffisante pour le presser. Finalement, l’étudiant en lettres se jette à l’eau et Sören se laisse surprendre par sa proposition. Il lui propose donc … du soutien scolaire ? Pendant un quart de seconde, le kedalois ne sait pas vraiment comment interpréter sa proposition. Que sait-il concernant sa manière de travailler ? Certes, il a mentionné un peu plus tôt avoir encore quelques difficultés, mais en orthographe, pas en littérature. L’a-t-il donc observé à ce point …? Ou bien a-t-il entendu par hasard quelques conversations que Sören a récemment eu avec son professeur de littérature ? Quelque peu gêné, Sören rougit davantage et se gratte l’arrière du crâne. Il est vrai que la littérature n’est absolument pas son fort. Son apprentissage de la lecture est encore trop récent pour saisir toutes les subtilités d’un texte. Et c’est vrai qu’en travaillant ensemble, ils apprendront davantage à se connaître, c’est indéniable…

Un petit sourire vient alors fleurir sur les lèvres de Sören. S’ils peuvent joindre l’utile à l’agréable, pourquoi donc s’en priver ? L’aide de Frann ne sera vraiment pas de trop, et ils pourront ainsi passer du temps ensemble. Voilà une idée qui le charme bien. Il est même … assez ému de sa proposition. Jamais personne n’a essayé de l’aider sur le plan des études - peut-être parce que personne n’a envie d’enseigner à un kedalois ? Pourtant, s’il est sur les bancs de l’université, c’est parce que Sören a travaillé suffisamment fort pour y parvenir. Personne ne lui a pris la main ou ne l’a pistonné. Il y est arrivé par la force de sa volonté - mais visiblement, il est bien difficile de l’admettre pour certains. Toujours est-il que Sören, pris d’un nouvel enthousiasme, attrape vivement les mains de Frann dans les siennes en hochant vivement la tête, un grand sourire illuminant son visage.

▬ Oui ! Oui, avec grand plaisir. Tu l’as bien compris, je ne brille pas en littérature mais avec toi en professeur, je suis certain de remonter la pente ! Et puis comme ça, on pourra se voir plus souvent, et apprendre à se connaître ! Tu me diras comment on s’organise ? Je travaille quasiment tous les soirs de dix huit à vingt et une heure sauf le mercredi, je fais journée complète le samedi et j’ai course deux heures le dimanche matin mais le reste du temps … Enfin, le peu de temps qu’il me reste, je le dédie entièrement à mes études ! Alors si ça te va … moi, je suis partant.

Son emploi du temps peut paraître bien serré mais Sören n’a pas le choix de travailler s’il veut pouvoir payer son loyer et mettre un peu d’argent de côté. Certes, ce n’est pas le boulot le plus passionnant du monde, mais au moins il a pu choisir ses horaires et se libérer des heures précieuses de travail. Parfois, quand il n’y a pas trop de monde dans la supérette, il lui arrive de lire un peu dans l’arrière-boutique - son patron le lui permet du moment que le travail est bien fait. Or, un kedalois sait travailler rapidement et efficacement, ce n’est donc pas un problème pour Sören. Il faut juste espérer que ses horaires puissent convenir à Frann. D’autant qu’ils ont tous les deux d’autres cours à travailler en plus de la littérature, il leur faudra donc trouver une organisation qui leur conviendra à tous les deux. Bref, ils verront comment ils feront en temps et en heure. Pour le moment, quelque chose d’autre occupe les pensées de Sören. Notamment le fait que Frann lui ait demandé de se livrer concernant ce fameux jour … mais que lui n’en a pas parlé une seule seconde. Or, il est important qu’ils soient à égalité de ce côté-là. Sören n’est pas l’abruti qui mord à l’hameçon et qui oublie ce qui a pu se dire avant. Certes, il ne pourra pas le forcer à se confier s’il n’en ressent pas l’envie mais … l’étudiant en histoire espère bien l’encourager à lui ouvrir son coeur, aussi.

▬ Mais dis-moi … Toi, comment as-tu vécu le passage du Cavalier à Vigneaux ? Nous avons vécu cela ensemble et pourtant, je n’ai aucune idée de ce que tu as pu ressentir. Sauf la peur, bien sûr - je pense que pour ça, nous sommes d’accord. Comment ne pas être terrorisé à un moment pareil, hein ?

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Frann va-t-il lui ouvrir son cœur et lui offrir le témoignage que Sören attend tant ? Étrangement, une partie de lui n’y croit pas vraiment. S’il avait eu à le faire, il aurait parlé directement à sa suite, sans entrecouper la conversation avec une proposition de cours particuliers. Finalement, tout cela n’a été qu’une mise à l’épreuve. Si Sören n’aurait rien dit, aurait-il vraiment coupé court à la conversation ? Un drôle de sentiment s’empare de Sören, notamment … celui de s’être fait avoir comme un bleu. A en juger par l’expression de Frann, il peut faire une croix sur son témoignage. D’ailleurs, l’étudiant en lettres se hâte de se libérer de l’emprise de Sören, n’appréciant visiblement pas le contact. De toute évidence, le kedalois n’a pas gagné de points auprès de Frann - peut-être en a-t-il même perdu. Sa réflexion colore d’ailleurs son visage d’un rouge vif, carmin. Pour Sören, il a toujours été tout naturel d’offrir accolades et poignées de main à sa camarade. A Kedal, personne ne s’embarrasse avec autant de manière. Les gens de la ville sont décidément bien coincés … pas étonnant qu’ils se prennent pour supérieur avant de tels balais dans le postérieur !

Frann attrape alors son sac à dos et en tire un carnet, duquel il déchire un morceau de papier. D’une plume raffinée et élégante, il y inscrit son adresse puis le tend à Sören. Sa soudaine froideur le laisse un peu perplexe, mais le kedalois ne fait aucun commentaire, se contentant de glisser le papier dans sa poche. Dimanche quatorze heures, donc ? C’est à peine s’il aura le temps de se doucher et de manger un petit quelque chose, mais tant pis. De toute évidence, ce n’est pas le moment de se montrer capricieux sur les horaires. Frann a l’air suffisamment agacé comme ça. Aux yeux de Sören, c’est un peu disproportionné comme réaction. Il lui a juste pris les mains, il ne l’a pas fait sauter sur ses genoux…! Enfin bref, il faut croire qu’il devra s’habituer à ce froid polaire qui accompagne la grande majorité des faits et gestes de Frann. Pourtant, il est certain qu’il est capable d’énormément de chaleur. Il lui a prouvé, un peu plus tôt. Néanmoins, il est trop mal à l’aise pour se laisser aller. Qu’à cela ne tienne - Sören accepte le défi.

Méticuleusement, Frann range son carnet dans son sac puis se lève pour jeter l’emballage de tarte dans la poubelle la plus proche. Et sans plus de cérémonie, il lui cède les desserts restants, lui donne quelques consignes concernant le cours particulier à venir, puis prend congé. C’est à peine si Sören a le temps de lui renvoyer sa salutation que le binoclard est déjà quelques mètres plus loin. Un profond soupir échappe à Sören, alors qu’il s’étire de tout son long. Bon, tout ça ne risque pas d’être facile, c’est une certitude. Contrairement à lui, Frann est rigide, comme la coquille d’un Coquiperl. Percer à travers cette carapace ne sera pas tâche facile, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais il en faut plus pour que Sören abandonne si tôt. Alors le grand garçon range les desserts dans son sac à dos et se lève à son tour, pressant le pas pour rejoindre l’université avant que treize heure ne sonne.

Les semaines à venir promettent d’être folkloriques !