Saison Un

: Obscure Prophétie

Comment ça, qu’est-ce que je fou là ? Bah… apparemment, après avoir vu ma tête dans les journaux, les gens ont commencé à croire que j’étais importante. Du coup on m’a carrément accepté dans l’hôtel luxe ball malgré leurs airs de dégoût ! Ils m’ont juste fait laisser mon fusil et mon sac dans ma chambre (faut pas déconner). Ah, et prendre une douche directe aussi ! Sans doute que cette drôle de renommée passera vite, mais en attendant, j’en profite.

Cet hôtel, c’est juste… WAH ! C’est immense ! Et y’a des pièces partout ! Même qu’une fois, j’ai ouvert une porte au hasard et y’avait des gens que j’avais déjà vu en photo dans une vitrine à Vigneaux dedans. Bon, ils m’ont dit de sortir tout de suite… du coup j’suis allée un étage plus bas. Et c’est encore plus dingue !

Là où je suis, une dame tout en noir avec un balai dans le derrière m’a demandé de me mettre en maillot pour continuer. Une fois ceci fait, je me suis faite offrir un peignoir, une petite serviette et des chaussons tout plats en un espèce de plastique bizarre. Et ainsi s’ouvrit à moi… L’espace soins et détente de l’hôtel !

C’est très curieux. Y’a une dame qui porte mon Vivaldaim où que je décide d’aller et passe son temps à lui masser ses jambes paralysées ! Par contre, même malgré toute sa retenu, ses regards furieux ne m’ont pas échappé. Elle n’a pas l’air d’aimer voir que mon Vivaldaim n’a plus de fleur en plus de s’être pris une balle dans l’arrière train. Elle a voulu s’occuper de N aussi à un moment, mais le Zarbi a préféré virevolter en hauteur pour rester tranquille.
Y’en a une autre qui m’a installée sur le ventre pour me frotter le dos pendant vingt bonnes minutes. C’était agréable ! Mais c’est dingue, quand même, ces gens qui s’occupent du moindre de mes désirs ! Remarque, c’est même pas mes désirs… Juste ils s’occupent de moi sans que j’ai rien demandé de plus que "vous faites quoi ici" ?

Finalement, j’ai récupéré Truc entre mes bras pour rentrer dans une pièce où il fait chaud. Très chaud. J’étouffe à moitié, mais comme y’a une autre personne avec moi que je ne connais pas… Je lui ai juste dis « Bonjour ! » en rentrant, et maintenant, bah je fais comme elle et j’attends en jetant des coups d’œil de gauche à droite, l’air de chercher à comprendre l’objectif de cette étrange attraction. J’ai l’impression d’avoir été mise dans un four à bois pour me faire manger par les autres clients de l’hôtel !
Oh, petit détail qui a son importance également : je n’ai plus de plâtre ! Enfin ! Disons que… c’est surtout qu’à force de voyager, prendre l’eau et m’appuyer dessus, je l’ai abîmé le machin. Du coup, le médecin de Fricke a fini par me l’enlever en jugeant que ma jambe était suffisamment rétablie pour finir le travail seule. Juste, pas trop d’effort ! À priori, pour une fois… je vais peut-être réussir à suivre cette consigne !

Tiens ? Une drôle de poupée flottante semble me dévisager. J’connais tout un tas de Pokémon, mais les fantômes, presque aucun ! Faut dire que les fantômes, c’est effrayant. On peut même pas leur tirer dessus ! On est complètement sans défense face à eux. Heureusement, j’suis une petite fille très courageuse, alors tant qu’il est seul, ça va. Après-tout, derrière leur côté déjà mort des plus inquiétants, ils restent de véritable Pokémon, comme les autres.
Truc a relevé la tête en entendant le Feuforêve s’adresser à lui. Il brâme timidement à son tour, saluant l’étranger d’un air un peu désemparé. Derrière ce visage joyeux, le fantôme a une espèce… d’aura qui fait froid dans le dos ! Le pauvre daim n’est guère rassuré. Heureusement, la dame nous vient en aide pour garder l’étrange créature loin de nous.

Tout ça aura au moins eu le mérite de briser la glace – bien que la chaleur du sauna aurait pu suffire – : apparemment, je suis une bonne personne maintenant. Ah bon ? Bah c’est super ça ! Mais, euh… pourquoi ? Voilà des semaines que tout le monde me dit l’inverse, c’est bizarre.
D’ailleurs, surement que ça va très vite changer. En général, c’est ce qui arrive… puisqu’elle vient de poser la fameuse question. Je réponds sans interrompre mes caresses sur le dos de Truc, d’une voix morne et fatiguée :

— Je lui ai tiré dessus.

Je ne précise ni qu’il s’agit d’un accident, ni qu’il s’est jeté sur le fusil. Parce qu’au final, peu importe : je me sens aussi coupable que si je l’avais visé directement. Le triste regard que j’accorde à mon camarade sera ma seule défense.

— Mais on s’en remettra, tous les deux. Pas vrai, Truc ?

L’animal redresse la tête en entendant son magnifique surnom. Il parait encore plus abattu que moi, le pauvre. J’aurais aimé qu’il frotte sa tête contre mon torse en guise d’affirmation, mais il préfèrera finalement reprendre sa position allongée et faire comme si je n’avais rien dit.
Je lâche un soupir de lassitude avant de jeter un œil aux pierres que la dame vient d’arroser. C’était bizarre, pourquoi elle a fait de la vapeur comme ça ? Est-ce que c’est lié à l’attraction de cette pièce ? J’hume un peu dans cette direction, persuadée de pouvoir y sentir un début d’épices destinées à nous aromatiser… mais non. À part cette chaleur qui nous prend aux poumons et rend la respiration difficile, y’a rien à sentir !
Du coup je reporte mon attention sur la dame et le fantôme dans ses bras :

— Et ton Pokémon, il lui est arrivé quoi ?

Le renvoie de question m’a paru évident : après-tout, c’est un fantôme, non ? Donc il a pas juste frôlé la mort, lui, il l’a vécue !

Pendant ce temps, un peu plus loin, N vient de remarquer la présence de son camarade en forme de C. Ca alors ! Une autre lettre ! On n’en a pas recroisé depuis l’expédition de la mine. Le voilà qui perd enfin de l’altitude pour venir se poser aux côtés de son camarade et le fixer de son unique œil. Et puisque C accepte les massages… N se dit qu’il pourrait s’y essayer également ! Ainsi, la lettre s’allonge aux côtés de son semblable, prêt à profiter à son tour du centre de bien-être.

Et voilà. La réaction de la dame à ma réponse ne m’a pas échappée, bien que j’aie détourné le regard sans tarder. Enfin, au moins, elle a eu la délicatesse de ne rien ajouter.
Sa réponse, par ailleurs, me trouble davantage. Comment ça, "je pense" ? J’ai eu l’impression qu’elles s’entendaient bien – mieux que Truc et moi –, mais à priori, c’est plus compliqué que ça. En tout cas, elles communiquent. J’interromps mes caresse quelques instants pour replacer le cerf amorphe dans une position plus confortable. Il se laisse faire sans même râler et me gratifie même d’un long bâillement. La chaleur l’a rendu tout détendu. Je croyais qu’il demanderait à sortir rapidement, étant donnée sa faiblesse au feu, mais il semblerait que la vapeur chaude lui soit agréable.

Ma tête se relève à l’entente du proverbe de l’adulte. C’est bien pessimiste, tout ça ! Aussi pessimiste que moi ces dernières semaines. L’envie d’appuyer ce fatalisme d’un petit "Quant on peut la corriger" me traverse l’esprit, mais je me retiens et laisse l’adulte poursuivre sur un élan d’encouragement plus positif.

— Merci madame tu es très gentille, ai-je commencé en gardant la tête baissée, mais j’ai fait trop de bêtises pour pas être dure. Y faut… je sais pas si je ferais jamais assez, alors j’essaye ce que je peux pour faire bien.

J’ignore moi-même le sens de cette phrase tant elle s’est embrouillée dans mon esprit durant sa formulation. Tout ce que je sais, c’est que j’aimerais devenir celle que Fouifi aurait acceptée. Celle qui aurait soutenu Jean-Jean dans ses actes héroïques. Celle qui aurait mené Truc jusqu’aux cieux quand il en avait besoin. Celle dont les gens auraient eu besoin quand je n’étais qu’une incapable enchainant les erreurs.
Je ne me contente plus de me morfondre. La peine est déjà passée, depuis le temps. J’en suis bien au-delà : je serre les poings, aussi brûlante que la vapeur qui m’étouffe à l’idée d’atteindre mon objectif. Ça me donne envie d’exploser. La température ne cesse de monter, accélérant mes battements de cœur. J’ai l’impression qu’il bouillonne, expulsant son crachat infernal à travers mes veines jusqu’aux extrémités de mon corps pour le calciner membre après membre. Je brûle littéralement de cette volonté d’avancer ! De briser mes malheurs, les réduire en cendre et y faire renaître un moi nouveau, fait de chair, de sang et de braises si ardentes qu’elles remonteraient le long de ma gorge et m’obligeraient à hurler…

— C’EST CHA…

Oups ! Je me suis relevée d’un coup pour hurler, comme une tige, oubliant le pauvre Truc sur mes genoux. Heureusement, dans un réflexe miraculeux, mes bras à peine levés se sont rabaissés pour le rattraper par l’arrière-train. Lui-même, il n’a pas eu le temps de réaliser sa chute que le voilà la tête en bas à brâmer d’un ton bredouillant, encore incertain de ce qui vient de lui arriver. Je le laisse glisser jusqu’au sol en douceur avant de le reprendre entre mes bras dans une position plus agréable.

— Ch… chaud. Pardon ! J’ai l’impression d’avoir le cerveau fondu… Je comprends toujours pas pourquoi ils nous font cuire ici.

Autant les massages étaient amusants, autant ça, beh… je vois pas l’intérêt !

Pendant ce temps, du côté des deux lettres, N se montre des plus enthousiastes durant son massage tandis qu'il parle de moi. Lui qui est resté discret des jours et des jours à me suivre sans raison... il a changé du tout au tout depuis notre dernière mission ensemble et semble d'être découvert une passion à l'idée de jouer les héros. Le sauvetage qu'il a effectué au milieu des marais a eu beau l'épuiser comme jamais, il en parle avec une fougue digne d'un rêveur en plein délire !

Elle est très gentille la madame : même après ce que j’ai dit, elle continue à vouloir me remonter le moral en positivant.
En plus, elle s’y connait en sauna ! Je vois pas en quoi le fait de s’étouffer de chaleur aide contre le stress et l’anxiété (au contraire, j’ai explosé dans le sauna), mais si elle le dit, je veux bien la croire !

— C’est bizarre : si ça fait du bien, ça devrait pas être dangereux !

Cette logique m’échappe. Bref, comme elle le dit, je ferais mieux de sortir. Je fais quelques pas en direction de la porte après qu’elle se soit levée lorsqu’elle me propose de porter Truc à ma place.
Curieuse proposition ! Si évident que soit le désir d’aider exprimée par sa phrase, j’ai cru qu’elle avait une idée pour soulager Truc, ou qu’elle voulait s’occuper de le bichonner comme les infirmières. Parce que moi, en vrai, je le porte très bien toute seule maintenant que mon plâtre a été enlevé. Du coup, c’est à lui que je demande une réponse :

— Tu en penses quoi, Truc ? Tu veux aller un peu avec la dame ?

Le Vivaldaim nous observe tour à tour, étonné de cette proposition. S’il ne l’a pas vraiment approuvée, il ne refuse pas non plus. Du coup, je le soulève à hauteur de ma tête et tend le paquet à l’adulte pour qu’elle puisse le prendre dans ses bras à son tour. L’animal est des plus dociles, il se laisse faire et ronchonnerait à peine, même si l’adulte appuyait par mégarde sur les cicatrices de sa blessure. Il n’y a que sa petite tête pour s’agiter, tandis qu’il dévisage l’étrangère de ses grands yeux curieux en humant un possible parfum… Oh, et ce fantôme qui leur tourne autour aussi. Mais ça n’a pas d’odeur un fantôme, si ?
J’ouvre la porte du sauna et la tiens à tout ce beau monde avant de me diriger vers la douche la plus proche, aussi terrible que l’adulte venait de l’annoncer. Brrrr, de l’eau froide, juste après ça ! J’ai laissé échapper un petit cri de surprise aux premières gouttes, bondissant loin du jet avant d’y retourner.

— Mince, t’avais raison, c’est encore pire ! Comment tu connais aussi bien ici, tu viens souvent ? Moi c’est la première fois. On m’avait dit que l’hôtel il était interdit aux Kedaliens, mais en fait non !

C’était "presque" ça.

— En plus, j’ai bien cru que les messieurs en costume à l’entrée, ils allaient me mettre dehors, mais en fait ils m'ont juste demandé mon nom avant de me laisser passer.

Allez, j’ai osé la douche. Brrrrr, quel cauchemar ! Plus jamais le sauna, plus jamais !

Pas de chance, je ne suis pas très sucrerie… plutôt charcuterie ! Ce qui ne m’empêche pas de comprendre ce que sous-entend l’adulte, au contraire : les sucreries, tous les autres enfants en veulent tout le temps alors que ça fait mal aux dents. Du coup, le sauna, c’est pareil : tout le monde doit vouloir y aller tout le temps alors que ça étouffe ! Heureusement, je suis immunisée à ces pièges on dirait, puisque j’aime pas ça ! Je garde le point en tête, bien contente d’être si particulière comparé aux autres fragiles.

Truc s’est laissé porter sans rechigner jusqu’à la douche. Il marmonne quelques fois à l’attention de la spectre, un peu curieux d’être observé de façon aussi intense. Il approche son museau, puis tente une petite léchouille sur la créature avant qu’elle ne s’envole pour… "aider" sa dresseuse.

Cri de l’humaine. Cri du daim. J’ignore s’il a paniqué sous la douche froide, ou s’il a juste réagi en écho, mais le cerf a bien montré qu’il n’était pas paralysé des cordes vocales. D’ailleurs, heureusement que son arrière-train ne bouge pas, parce qu’il s’est également ébroué dans tous les sens entre les bras de la dame en sentant cette agression glaciale sortie de nulle part.
Lorsque je reviens auprès d’eux, emmitouflée dans ma propre serviette, il tremblote encore pendant qu’elle le sèche et jette des regards paniqués dans tous les sens à la recherche d’autres pièges machiavéliques. Bien sûr que j’ai tourné la tête immédiatement en les entendant gueuler ! Mais après avoir testé l’horreur en première, j’ai vite compris ce dont il était question, et j’en ai bien ri ! D’ailleurs, ça fait du bien… Depuis quand n’ai-je plus échappé de petits éclats de bonheur ainsi ? Bien longtemps. Ça ne dure pas, évidemment.

Sitôt que Théa m’explique le fonctionnement de l’hôtel, mon cerveau se charge d’en compléter les zones d’ombres :

— Alors ça doit être pasque j’ai bien travaillé, moi aussi ! dis-je en forçant les muscles des bras. Pas vrai, N ?

Je tourne la tête : il est où, N ? Pas là. C’est suffisamment exceptionnel pour le faire remarquer ! Il doit flemmarder avec son copain lettre dans une autre attraction. Tant pis, on le comblera d’éloges plus tard pour son implication en mission !
J’enchaine sur le présent sujet pour aller de conclusions hâtives en conclusions incorrectes :

— Du coup t’es ranger toi aussi ?

Ben oui ! Si on m’a acceptée pasque j’ai bien travaillé, surement qu’on fait aussi le même travail ! Je suis à mille lieux de deviner les pensées de l’adulte.

Viennent ensuite de nouvelles propositions d’activité. Je cache mon menton d’une main, soudainement prise d’une profonde réflexion parmi mes connaissances de chasse :

— Les Vivaldaim, ils vont se baigner que quand y’a un beau, beau soleil. Ils préfèrent l’eau chaude à l’eau froide, donc Truc aimera surement !

Mais en vrai… sitôt cette grande analyse terminée, je reprends en levant les bras au ciel d’un enthousiasme décuplé :

— On a qu’à tout essayer !

Ni une, ni deux : j’y emmène madame l’adulte en suivant de rares indications. Et bien sûr, vous savez ce que ça donne, une enfant dans un Jaccuzi ? Heureusement qu’il n’y avait personne d’autre dedans à notre arrivée ! Au moment où nous aurions dû y pénétrer tout en douceur et bien profiter de rejoindre ainsi le bonheur d’une eau à chaleur idéale… J’ai bondis pour y atterrir en bombe, éclaboussant toute la fine équipe.
J’avoue que les espèces de marches à l’intérieur m’ont surprise ! J’aurais sans doute pu me faire mal… Mais non, tout va bien ! Je refais surface en ricanant, intriguée par ces mouvements dans l’eau qui me poussent vers la surface.

— C’est trop bizarre, je flotte ! T’as vu ça, euh… Euuuh… Euuuuuuh…

Ah, ça y’est. Le bug dans la matrice vient enfin de me monter jusqu’au cerveau. J’allais dire son nom, puisqu’elle a dit le mien tout à l’heure durant sa proposition d’activités. Sauf que… C’est quoi son nom ? Je l’aurais oublié ? Attend… on se connait ? Elle vient de Kedal ? Je fronce les sourcils, plus pensive que jamais sans me douter un seul instant que l’incohérence pourrait venir d’autre chose qu’un oubli de ma part. Mince, j’aurais pourtant juré qu’on avait pas encore échangé nos noms jusqu’ici, est-ce que j’ai été si bavarde dans le sauna que j’en ai oublié ce qu’on s’est dites ?