Saison Un

: Obscure Prophétie

Des histoires ? Elle fait comme le vieux Bob du coup ! Lui il raconte toujours plein d’histoires à tout le monde ! Par contre, j’ai pas souvenir qu’il soit déjà venu à l’hôtel grâce à ses histoires… ça doit être parce qu’il les raconte qu’à des Kedaliens, du coup ça fait pas assez de gens. La madame, ça doit être une historienne dans le monde entier !
J’y pense en me laissant flotter, amusée par la machine à bulle et encore un peu pensive. Théa, Théa… Ben non, ça me rappelle toujours rien. J’ai hoché la tête quand même, mais… ce n’est qu’en entendant son explication que je comprends : la télévision ! Mais bien sûr ! Sur la télévision, parfois, on pouvait voir des gens alors qu’ils sont pas là. L’image de la télévision doit bien passer à Kedal de temps en temps, et donc elle a pu m’y voir si elle la regarde très souvent ! Enfin, je crois. J’y connais pas grand-chose à ces machins-là. C’est ennuyeux, la majorité du temps on y voit que des gens en train de blablater des choses ennuyeuses, c’est pour ça qu’elle prend la poussière dans l’autre grange. Faudra qu’elle me prévienne la prochaine fois qu’on y voit des gens de Kedal !
Quoi que, en fait… Pourquoi je regarderais la télévision pour voir des gens de Kedal ? J’y vis à Kedal ! Raaah, décidément cet engin est vraiment trop bizarre. Ça doit être comme les saunas, surement un truc que les gens adorent faire mais qui fait mal, puisque j’aime pas ça.
En tout cas, concernant ces fameux jours mystère passés à la télévision :

— J’espère que j’étais pas en train de faire des bêtises !

Hein ? Pourquoi ai-je justement l’impression d’en faire une ?
Mes mimiques de réflexion silencieuses cessent lorsque Théa reprend la parole. Moi ? Ranger ? Mais bien sûr ! Je lève les bras hors de l’eau d’excitation, aspergeant une nouvelle fois mes compagnons en m’exclamant :

— Bien sûr ! J’ai déjà accompagné mon papa et ma maman quand ils aidaient des gens, et depuis que j’ai ma propre licence, j’ai même protégé le parc à Vigneaux des voleurs, et aidé un monsieur à sortir des marais ! Mais je débute tout juste, j’ai encore beaucoup à apprendre avant d’être aussi forte que maman !

Ah ça, j’en suis fière de mes réussites ! Dommage qu’elles ne puissent effacer le reste de mes échecs…
De son côté, Truc a retrouvé son calme en entrant dans l’eau. La douce chaleur du liquide apaise ses peurs, le berce… bientôt, il finit par poser sa tête contre l’épaule de l’adulte et s’endort comme un bébé.

– Dis, dis, toi aussi tu aimes les histoires du coup ? C’est quoi ta préférée ?

On pourrait croire que j’ai posé la question à Théa… Mais non, mes yeux sont rivés sur la Feuforêve que je viens d’inclure dans la conversation sans me soucier qu’elle soit incapable d’y répondre. Après avoir passé du temps avec Coach, je me suis un peu trop habituée à l’aisance de la belette, si douée pour se faire comprendre qu’on pouvait presque partager une conversation. Brrr… je secoue la tête. J’aime pas penser à elle et Fouifi.

Moi ? Une super ranger ? Je l’espère ! En tout cas, je fais tout pour que ça arrive ! Hélas, il me reste encore beaucoup à faire avant de devenir ne serait-ce qu’une ranger respectée. Les débuts, c’est dur !

La réponse du fantôme à ma question n’est pas aussi claire que je l’aurais espéré. Même l’adulte semblait un peu perdue. J’essaye de rattraper le spectre en le voyant disparaître parmi les bulles, mais trop tard.

— Mes parents, ils parlent avec leur Pokémon comme on parle ensemble, j’ai jamais compris comment ils font ! C’est dommage qu’ils soient pas là. En tout cas, elle a l’air d’avoir adoré ton histoire, faudra absolument savoir c’est laquelle, j’aimerais bien l’écouter aussi !

Après la disparition du premier compagnon de Théa, une étoile de mer vient le remplacer.

— Bonjour Fantasie ! T’es super belle !

Loin d’être callée en Pokémon aquatiques, je ne m’imagine pas que l’animal est d’une couleur particulière. Ce qui ne m’empêche pas d’être impressionnée par ce cristal bleuté des plus étranges par lequel elle semble nous observer.

— Toi aussi tu aimes bien les histoires de Théa ? lui ai-je aussitôt demandé.

Après-tout, y’a pas de raison ! Tout le monde écoute les histoires du vieux Bob, même les Pokémon ! la Voltali de maman, par exemple, elle est toujours avec moi quand on y va !
En parlant d’histoires Kedaliennes… l’adulte me renvoie la question. Je dois y réfléchir : je m’installe plus confortablement dans le jacuzzi, découvre avec surprise que c’est tout aussi agréable de laisser le jet vous fouetter le dos, puis en choisi une… Enfin, une poignée :

— Mes préférées, c’est quand mon papa il me raconte ses meilleures chasses ! Quand il a réussi à avoir un Dracaufeu, un Léviator, ou d’autres Pokémon trop dangereux comme ça ! À chaque fois, il réfléchit à tout tout tout, chaque machin qu’il emmène, il pose plein de questions à tout le monde avant de partir avec son groupe, et il suit la piste pendant des heures avant de trouver le Pokémon ! Même que plus d’une fois, il a sauvé tout le monde alors qu’ils étaient tombés dans des pièges, pasque ces pokémon-là, ils sont tellement gros qu’ils peuvent tomber sur dix humains comme ça, d’un coup !

Plouf, mon histoire s’image de mes mains frappant l’eau devant moi. Ah ça, on est loin d’une douce romance !

— Plus d’une fois, il a cru qu’il allait se faire avoir, mais il a toujours gardé son sang froid pour faire des plans qui sont trop intelligents ! Et à chaque fois qu’il me les raconte, j’en frissonne jusqu’à la dernière seconde ! Y'a des gens, ils le croient même pas quand il raconte tout ça tellement il est incroyable, mais moi je sais que c'est vrai, pasqu'il a plein de trophées à la maison pour le prouver !

D’ailleurs, les frissons me reprennent rien que d’en parler ! Dire qu’un jour, moi aussi je vivrais peut-être des aventures comme celle-là !

Ça, c’est un oui clair et précis ! Enfin, je crois. J’aurais dû demander son histoire préférée aussi ! Mais je me dis qu’elle aurait surement eu du mal à répondre, comme le spectre avant elle qui boudait à présent. Tant pis !
Quant à Théa, elle semble apprécier ce que je raconte sur mon papa ! Et ça, ça me fait très plaisir ! Parce que souvent, les gens râlent quand on raconte ce qu’on fait, ou m’affichent une mine gênée l’air de vouloir changer de sujet. Mais pas elle ! Du coup, je lui offre un petit sourire ! C’est très rare ces temps-ci.

Hélas, l’heure du départ approche. Une dame de l’hôtel est venue : au début, j’ai cru qu’elle voulait aussi porter Truc, mais non : elle a juste chuchoté quelques mots à l’adulte.

— Oh… ai-je murmuré d’un air déçu en apprenant que ma copine de Sauna allait devoir s’en aller.

Déception qui repart bien vite à la réapparition du plus blagueur des fantômes. Je m’esclaffe en me faisant asperger, amusée comme l’enfant que je suis par ce petit joueur :

— T’es vraiment une chouette Pokémon, toi ! dis-je à Poésie. Vous devez jamais vous ennuyer !

À côté d’elle, Truc et N me paraissent si calme ! J’aimerais bien avoir un camarade de jeu comme elle, enthousiaste et toujours prêt pour une petite blague !
En parlant de Truc… toutes ces éclaboussures ont eu le mérite de réveiller le pauvre daim dans un sursaut de panique ! Je me suis redressée dans l’eau pour débarrasser l’adulte et le reprendre. S’il grommelle en premier lieu, il se laisse bientôt faire en voyant que je n’ai nullement l’intention de sortir du bassin. Pour une fois qu’on est bien, profitons un peu ! Tout comme il l’avait fait sur Théa, il se réinstalle aussi confortablement que ses pattes le lui permettent et pose sa petite tête sur mon épaule. À nous voir, on pourrait presque croire que nous sommes proches, mais comme le daim venait de le prouver sur Théa, il aurait fait de même avec n’importe qui.

— Oh, j’y pense ! Si tu veux que mon papa te raconte plein d’histoires aussi, t’auras qu’à me dire si tu viens à Kedal un jour ! ça sera super ! On pourra entendre tes histoires, ses histoires, et peut-être même mes histoires si j’en ai d’ici là ! Et peut-être qu’en plus il saura t’aider à parler avec Poésie et Fantasie ?

Persuadée d’avoir eu une bonne idée, j’élargis un peu mon sourire. On allait se quitter ainsi, sur une bonne humeur grandissante, lorsque soudain…
Pourquoi me suis-je présentée à la mairie ? La question parait innocente, dites comme ça. La réponse, par contre… Ma mine s’assombrit. Je penche la tête.

— Bein…

C’est tellement triste. C’est quelque chose qui n’a pourtant aucun rapport avec le fait de devenir maire, mais c’est ainsi que les choses se sont déroulées.

— Normalement, c’est mon papa qui y va. Mais vu qu’on perd à chaque fois, il s'en fichait et m'a proposait d'essayer à sa place pour me changer les idées. Je… Je venais d’apprendre… Pour mon copain Jean-Jean…

Si elle a vu la vidéo, elle doit savoir ce dont je parle, puisque la moitié de mon discours portait là-dessus. Par contre, je n’ai jamais prononcé son nom en public. Ça m’aurait effondré sur place ! Rien que d’y penser, je tremblais des pieds à la tête à l’époque.
Je me suis laissée glisser petit à petit dans le jacuzzi jusqu’à pouvoir buller dans un soupir de fin. C’est drôle de se dire que je suis allée en politique sans aucune raison politique. Bien sûr, je n’étais que l’effigie d’un parti que je connais bien, dont mon père parle souvent, et qui ne m’avait demandé aucune préparation. Mais au final… ça m’avait véritablement aidé. Pendant ces quelques jours de course aux points, j’avais la tête pleine d’autres choses. Il parait même que j’ai fait un meilleur score que mon papa d’habitude ! Faut dire qu’en général, à part les Kedaliens, personne vote pour nous.

Une auberge ? À Bivouac ? Le tilt fut immédiat dans ma tête :

— Oh, tu vas voir ma copine Krystal ?! J’suis sûre qu’elle est super on auberge, faudra que j’y aille un jour aussi !

Imaginez si nous pouvions toutes nous revoir en même temps, ça serait formidable !

Hélas, l’heure n’était plus aux souvenirs joyeux. Après avoir répondu à la dernière question de Théa, je sentis que ma réponse fut aussi dure pour son moral que le mien.
L’adulte s’excuse. Pourquoi les gens s’excusent toujours ? C’est pas eux qui l’ont tué. C’était même pas un humain ! En tout cas, j’ai fait pleurer la madame. Voilà qu’on noie toutes les deux le jacuzzi de nos larmes… et que ses Pokémon se disputent pour la réconforter. Ça occupe mon regard, mes pensées. Je tourne les yeux vers Truc, certainement le Pokémon le moins réconfortant du monde. Je l’envie, Théa. Ses Pokémon ont l’air tellement… vivants ? C’est con de dire ça d’un spectre et d’une étoile de mer, mais c’est ce qui me vient à l’esprit.

— Jean-Jean, il a vécu en héros toute sa vie. J’espère qu’un jour, je serais aussi courageuse que lui.

L’ambiance est devenue lourde, pesante. À tel point que Théa ne vit pas mieux qu’une blague pour y détendre l’atmosphère ! Je l’écoute, silencieuse. Très silencieuse. Même après la fin de la blague, je continue à écouter, persuadée de ne pas avoir tout entendu puisque je n’ai rien compris. Pourquoi la Pichu elle fait de la poussière ? Finalement, je me remets à buller en voyant la Feuforêve rire. J’ai dû rater quelque chose.

— J’ai pas compris, finis-je par dire en toute naïveté.

Pourtant, ça doit être drôle si la madame en est à se cacher la bouche de sa main ! Je me redresse un peu, murmurant quelques paroles qui me viennent à l’esprit :

— Un jour, y’a une dame avec un chapeau qui m’a dit : c’est pas grave de pleurer, si ça te fait apprendre.

Je relève la tête, un sourire forcé sur mon visage malgré les larmes qui le traversent puis reprends mes pensées en une conclusion plus positive :

— Du coup c’est pas grave si on se quitte toute tristes, pasqu’on a quand même appris à se connaître !

Et en guise de preuve de ma bonne fois, je dépose le daim au rebord du bassin derrière-moi – ignorant ses murmures endormis – et me jette sur la dame historienne et la spectre dans ses bras pour leur faire un grand câlin comme je le fais avec tous mes amis.

Non loin du bassin, les deux lettres ont terminé leur massage. N revient en flottant, tournicote autour du bassin. Il se demande bien ce qu’il a raté ici !

FIN