Saison Un

: Obscure Prophétie

La porte se rouvre, laissant apparaître ma copine Aurora. Je relève la tête, un petit air triste sur le visage qui semble encore aggraver l’aspect pitoyable que je dois renvoyer. Je l’écoute en haussant les sourcils. Mais qu’est-ce qu’elle raconte ! Je l’ai bien remarqué qu’elle était dure dans ses paroles, même quand elle a pas raison. C’est pas pour ça que je vais lui en vouloir, c’est ma copine après-tout !

— Mais pourquoi tu dis ça ? Je suis pas énervée, toi tu donnes plein de conseils alors que je fais tout de travers, c’est pas méchant du tout ! Ça m’énerve juste que je fais comme tout le monde dit de faire et que ça marche quand même pas, mais c’est pas ta faute ! Pis c'est pas grave si tu m'aimes pas, moi je t'aime bien quand même. (je marque un blanc puis redresse mon dos d’un coup avant d’ajouter.) On s’en fiche ! Théa va mieux ? Je pensais pas la faire pleurer, j’suis trop trop désolée ! Théa elle est trop gentille, elle devrait jamais avoir à pleurer ! Du coup je savais pu quoi faire !

J’en suis persuadée : c’est ma faute ! La panique est lisible dans mes yeux. Pourtant… un truc me dérange. Une drole de sensation, au niveau de mes narines… Comme si quelqu’un venait de gerber sur le hot-dog sans viande devant moi. Perplexe, je penche la tête et fais une moue d’incompréhension avant d’ajouter :

— Ça pue, non ?

SPOTLIGHT ! Les deux lumières du Pitrouille se braquent sur la raison de tout ceci. Le Balignon ! Ciboulette repère enfin le machin vert qui lui a rebondit dessus tout à l’heure. Trop intéressé par Poésie pour détourner son regard, le spectre avait renvoyé d’une tête hasardeuse le pauvre Pépin (dans la poubelle, à l’odeur ?). Cette fois, par contre, personne va le manquer, le Pépin ! Il est en pleine lumière ! Tout le monde saura que c’est lui, le perturbateur des odeurs !
Mais ne vous en faites pas. Si notre metteur en scène est capable de débusquer les coupables, il sait aussi les faire disparaître ! QUELLE CHANCE !

Après un rire des plus machiavéliques, la minuscule Citrouille volante se jette sur le pauvre Balignon aveuglé de ses phares, comme s’il souhaitait le dévorer tout entière. C’est con, il est encore plus petit que sa proie ! Et en étant aveuglé, pourquoi le Balignon aurait-il peur qu’on lui fonce dessus ? Elle manque un peu de jugeote pour ses blagues, la citrouille ! Fort heureusement, la blague n’a pas à réussir pour être efficace. Un petit Halloween, et on est parti : direction, le monde des morts ! Les bras d’Aurora se referment sur le vide tandis que le Balignon devient aussi spectral que son camarade Citrouille.

Je soupire.

— Ciboulette, arête de tuer des gens comme ça, c’est pas drôle ! Et depuis quand t’es là, d’ailleurs ?

Je l’ai pas revu depuis notre petite mise au point au soir de notre rencontre. Ça fait quelques jours maintenant ! Il réapparait pas au meilleur moment, celui-là.

Comme Aurora, je me désintéresse rapidement des spectres pour revenir sur la conversation. Ses premiers mots me soulagent immédiatement : pas ma faute, vraiment ? L’explication est étonnante, comme elle en parle si bien. Comment peut-on avoir peur des spectres et passer son temps auprès d’une Feuforêve ? C’est fou tout ça ! Mais si Aurora le dit, je la crois. De toute façon, le simple fait de pas perdre ma super copine en la rendant triste à cause de vilaines paroles, ça me rend déjà bien plus heureuse !

Ce qui est sûr, par contre, c’est que ces paroles ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd. La dame à l’intérieur a peur des spectres ? Mais qu’attend-on ?! Que le show commence ! Le Pitrouille qui passait son temps à éclairer son camarade devenu spectre a déjà un plan en tête ! L’air de rien, ses lumières vacillent le temps d’une onde folie ciblant le pauvre Balignon pour le désorienter. Juste de quoi le motiver un peu, tandis que Ciboulette l’incite à tester davantage ses nouvelles capacités ! Après-tout, le Balignon s’amuse déjà à traverser quelques murs, alors pourquoi ne pas aller plus loin ? Tu vas être la star du jour, petit Balignon ! Le grand showman spectral d’une nouvelle blague ! Pour cela, tu n’as qu’à avancer droit devant, à travers la façade du centre Pokémon afin de saluer l’incroyable public qui t’attend ! Va, petit Balignon ! Va réclamer la gloire ! Ciboulette bouscule gaiement son camarade dans la direction du centre en lui susurrant ses manigances sans franchir lui-même le mur. Il veut que la blague vienne du Balignon ! Faire peur à quelqu’un grâce à un Pokémon en lequel il a confiance, ce serait la blague du siècle ! Hilarant ! On verra plus tard pour le Rapasdepic, cette blague-ci est bien plus amusante !

Pendant ce temps, Aurora s’est relancée sur de nouveaux conseils. Je me frotte la tête de mes deux mains après la première partie, le cerveau déjà bouillonnant d’une telle complexité. Je dois suivre des conseils sans les suivre. Aaaaah, mais comment je fais ? Comment savoir quoi faire et quoi ne pas faire ? La chasse, c’est bien plus simple : y’a des règles, on les suit, et ça marche !

Quant à la seconde partie… J’offre d’abord deux clignements d’yeux ronds en réponse à mon amie, plus perdue que jamais. Puis finalement, j’éclate de rire en me redressant.

— Pas du tout ! J’ai rien compris, mais c’est pas grave !

Sans prévenir, j’attrape ma copine entre mes bras pour la remercier de tous ces conseils, si vains soient-ils.

— Merci tout plein de m’aider ! Je sais toujours pas comment y arriver, mais j’ai plein des nouvelles idées à essayer grâce à toi et Théa. Y’en a surement une qui va marcher !

Je la relâche rapidement puis fini par pointer la porte d’entrée du centre : puisque c’est pas ma faute si Théa était toute triste, on a plus rien à faire dehors !

— On retourne voir comment va Théa ?

DECEPTION ! Le Pitrouille, qui observe la scène par la porte entrouverte au moment où nous retournons dans le centre, ne peut qu’assister à l’absence totale de réaction de cette humaine au-devant du nouveau spectre. BAH ! Mensonges ! Calomnie ! Cette femme n’a pas peur des fantômes !

Je me jette sur Théa en la voyant debout malgré une fatigue évidente.

— Tu vas bien ! Suis trop contente ! Tu nous as fait super peur !

Elle va bien. Pour combien de temps ? Le Pitrouille est à la porte. Il observe la scène, pensif. Devrait-il rentrer et effrayer cette demoiselle ? La blague manquerait de classe, de finesse. Le coup du Balignon aurait été splendide s’il avait réussi ! Se rabattre sur une telle simplicité reviendrait à gâcher son talent. Une farce, ça s’installe avec minutie ! Chacune est un mini spectacle qui se doit de renouveler le genre. D’ailleurs, l’humaine a déjà été effrayée par sa simple présence avec succès, sans même qu’il le veuille. Il faut autre chose… Autrement !

Et ainsi, notre ami metteur en scène resta là, aux yeux de tous, derrière la porte du centre Pokémon. Perdu dans ses pensées, il en avait oublié à la fois de me suivre à l’intérieur… mais aussi de libérer le passage pour les prochains qui passeront la porte.

— Non merci, c’est super gentil, mais faut encore que Truc fasse tous ses exercices aujourd’hui ! Et je veux voir comment va Monsieur Croa. Et faut que je continue à préparer mon voyage ! Enfin plein de trucs, mais on se reverra peut-être avant que je parte !

Ma dernière supposition s’accompagne d’un large sourire à l’intention de mes deux amies. D’ailleurs, puisque j’en parle… je libère le daim dans un rayon rouge pour le faire apparaître entre mes bras. L’animal baille aussitôt à gorge déployée. Il remarque ensuite Théa et Aurora et les salue d’un bramement surpris, mais plus agréable qu’à l’accoutumé. La veille lui reste encore en mémoire : c’est vrai qu’ils se sont bien amusés tous ensemble. Pour une fois qu’il est hors du sac, Aurora aura peut-être l’occasion de voir la cicatrice du tir encore bien visible dans son cimier, ainsi que ses pattes arrière pendant mollement sans qu’aucun mouvement ne les agite.

— Je dois lui masser les muscles tous les jours pour pas qu’il tombe malade. (à ces mots, le daim roule déjà des yeux, las de ces exercices interminables.) Si, si, si ! C’est comme Jeanne elle a dit !

Un dernier aurevoir, et je laisse mes deux amies repartir seules. Est-ce qu’au fond de moi, j’ai senti qu’Aurora aurait pu m’en vouloir de l’obliger à partager sa sœur une soirée de plus ? Peut-être. Je n’en montre rien. Comme je l’ai dit, j’ai des tas de choses à faire. Et pour les premiers exercices de Truc, je préfère rester à l’intérieur du centre : y’a plein de tables, de serviettes, et même de nourriture vachement pratiques pour qu’il se sente bien pendant qu’on s’occupe de ses pattes. Je peux même profiter des conseils de l’infirmière quand j’ai des questions, c’est l’idéal ! Je me dirige donc vers une table libre et entame ce que j’ai à faire.