Saison Un

: Obscure Prophétie

— Regarde, regarde ! dis-je à Krystal en revenant chez moi aux premières lueurs du soir. J’ai dû aider le vieux Gérard en chemin, du coup il m’a donné un de ses Ponyta ! Tu penses que je pourrais faire des courses avec lui quand tu auras ton auberge ?

Petit Dada hennit gaiement en découvrant mon amie, puis reprend son trot d’idiot en tournant en rond, comme s’il paradait pour la nouvelle venue. Il est pas fut-fut, Petit Dada, mais il est marrant !
Ah ça, j’ai pas laissé Krystal longtemps, et pourtant, il s’en est passé des choses ! Après nos précédentes histoires de moutons, maman nous a rejointes, puis nous avons été déposer Truc. Nous avons ensuite passé la journée ensemble à découvrir les alentours de la ville, quelques élevages et jolis points de vue tout en écoutant les récents récits de maman, puis nous avions fini par rentrer chez moi avant le souper. Tandis que Krystal s’est proposé d’aider ma maman à tout préparer pour ce soir,  je me suis éclipsée quelques minutes, entre autres pour dire bonne nuit à Truc, tout cela finissant avec une nouvelle acquisition dans mon équipe en un poney aussi chaud que con. C’était un peu ironique, au fond : c’est moi qui me retrouve avec un Ponyta, alors que Krystal en cherche. Mais elle en veut des sauvages, alors je lui ai pas proposé.

Papa n’est pas encore rentré. Dommage ! On va devoir commencer sans lui. La viande de Haydaim bien cuite sentait de la bâtisse voisine ! D’ailleurs, y’a déjà deux ou trois voisins qui sont déjà venus s’incruster. Maman les accueille d’un large sourire, clamant qu’il y aura bien assez à manger pour tout le monde et que de toute façon "C’est le retour de sa petite chasseuse", alors c’est la fête ! Y’a Banjo, un ado de notre âge qui a ramené sa guitare et tente de charmer toutes les damselles qu’il voit de ses regards douteux. Innocente comme je suis, j’applaudis ses morceaux sans vraiment m’en préoccuper. De toute façon, aujourd’hui, j’ai ma copine Krystal chez moi alors je m’en fiche des autres !

— Ooooh, ça sent tellement bon ! Ça fait des semaines que j’ai pas mangé un Haydaim comme ça, tu vas voir, ma maman elle fait ça trop bien !

Ma maman, c’est la plus belle des mamans. Elle me ressemble pas trop, avec ses longs cheveux brun clairs et son visage d’ange innocente, faut qu’elle agisse pour qu’on me reconnaisse en elle ! Voir notre excitation partagée devant la viande qui grille en est un bon exemple !
Y’a aussi une petite soupe de légumes pour accompagner, le pain de la région en quantité industrielle, et bien sur de la charcuterie dans tous les sens, dans laquelle certains tapent déjà. En revanche, le plat principal… Vous avez pas intérêt à vous approcher avant que ce soit fini, sinon Madame Strophe vous plante la fourchette dans le genoux, et avec le sourire ! Elle chantonne en rajoutant un peu d’eau par-ci par-là pour que la viande soit dorée et cuite à la perfection. La bonne humeur de ma maman est inégalable ! Pire que moi !

Des Pokémon d’élevage se rapprochent. Le grognement sourd d’une renarde raisonne non loin du feu, et aussitôt ils repartent, comprenant qu’ils ne sont pas les bienvenus. Faut pas déconner ! C’est ouvert à tout le monde, mais pas aux élevages ! En plus, la majorité ne mangent pas de viande. Les seuls Pokémon autorisés, c’est ceux de chasse et des familles, comme les miens, ceux de Krystal et maman, et les quelques Pokémon canins du voisinage.
L’oncle Norbert et sa femme sont venus aussi. C’est pas mon vrai oncle, mais tout le monde l’appelle comme ça dans le village. Eux, ils font un élevage bien particulier. Ils élèvent… du raisin ! Oui, bon, ils sont agriculteurs. Mais c’est plus drôle de le dire comme ça ! Autant dire qu’ils ramènent la boisson, et d’ailleurs, on ne verra jamais Norbert sans une bouteille à la main, sa bonne humeur aussi forte que son haleine ! C’est les seuls que maman a vraiment invité. Ils s’entendent super bien, surtout une fois bourrés !

— Krystal ! Tu es un ange d’aider comme ça ! s’exclame ma maman de sa voix enjouée. Tiens, goutte-moi ça, qu’est-ce que tu en penses ?

Elle découpe un tout petit morceau du Haydaim dont le jus coule à en faire saliver les plus biopoke d’entre nous, et le lui propose directement sur le pique. La viande est presque cuite, un tout petit peu et ça sera parfait ! Comme j’ai dit que Krystal était ma copine – et qu’elle est toute seule – tout le monde l’accueille sans la moindre hésitation, si ce n’est quelques regards intrigués sur son costume.

De mon côté, j’ai aussi décidé de franchir une étape, ce soir.

— Volti ? Viens par-là, Volti ! Je veux te présenter mes deux nouveaux copains !

L’animal fronce les sourcils, méfiante. Le dernier en date était un casse-croute sur patte, elle s’attend au pire.

— T’es gentille, d’accord ? C’est mes copains !

Ah, ça, on verra. La renarde s’assoit et patiente le temps que je sorte deux balls de mes poches, libérant tour à tour Split et Monsieur Croa. Le premier frétille de la queue, tout content d’être libéré aux premières lueurs de la nuit avant de ramper lentement jusqu’à mes chaussures. Quant à l’autre, il clame haut et fort son apparition, fier de se montrer à tous ceux qui pourront l’admirer.
Paupières mi-closes, la renarde hume l’odeur du premier. Hmm… Au moins, c’est pas un gibier. Mais on est loin d’un canidé chasseur ! Ça n’a pas l’air bien vivace. Elle le bouscule un peu du bout de la patte, finit par le renverser sur le dos. Le pauvre Split se demande un instant ce qui se passe avant de se redresser en position de défense, prêt à me protéger de ce terrible adversaire ! La renarde s’approche, la tête haute et un air menaçant sur le visage. Quoi, il veut se battre l’insecte ? Les deux grognent. Ah bah, ça promet !
Les yeux de Split rougissent. Trop tard. En un éclair, la renarde passe dans le dos de l’Insolourdo, lui bondit dessus pour le plaquer au sol, puis lui balance un petit choc électrique pour lui faire comprendre qui domine ici. N’importe qui aurait réagi ainsi, je me serais aussitôt inquiétée pour Split. Mais pas avec Volti ! Au contraire, je lève les bras au ciel en hurlant de joie, toute contente de la voir dominer ainsi mon partenaire. Sitôt que la renarde considère qu’elle s’est bien faite comprendre et que l’Insolourdo a cessé de lutter contre elle, je reprends mon Pokémon dans mes bras et l’y serre aussi fort que possible en hurlant.

— Split ! Elle t’a accepté, c’est trop super ! Bienvenue dans la famille !

Loin d’avoir été blessé par ce petit jeu de dominance, l’Insolourdo retrouve toute son énergie dans mes bras et s’empresse de remuer la queue de gauche à droite en me couvrant de léchouille. On dirait qu’il a compris, lui aussi : la Voltali, c’est la dominante de la famille. En voyant mon Pokémon réagir d’un air protecteur face au danger (et non comme une poule mouillée digne de ce daim l’autre fois), elle l’a jugé digne de rester auprès de mois tant qu’il respectait son autorité.

Ceci étant fait, elle s’approche du rapace. Oh, là… C’est autre chose. Elle connait l’espèce, la réputation, et réalise même la taille imposante du bestiaux. On pourrait même entrevoir un sourire parmi les poils de son visage ! Cette baston de regard est digne de deux boxeurs sur un ring ! Ils se jaugent, se jugent, bien conscients l’un de l’autre, tous les deux aussi dignes et hautains.
La renarde lève une patte traversée par un courant électrique qui illumine les ténèbres de la nuit naissante. Elle reste ainsi, immobile, son regard fixé sur le rapace. Celui-ci grimace. Il réalise le piège qui se referme. Bien plus couard qu’il n’aimerait le montrer, il hésite, sachant pertinemment qu’il n’a aucune chance de résister au moindre choc électrique. Hum, que faire pour ne pas perdre la face ? Il n’a qu’une solution.

L’oiseau de proie détourne la tête, l’air aussi digne que possible, puis déploie ses ailes en faisant mine de s’envoler au loin, désintéressé par cette renarde électrique si menaçante. Il fuit, le bougre ! Je ricane en le voyant faire.

— T’es terrifiante quand tu t’y mets, Volti !

J’espère qu’il reviendra. Je le pensais plus courageux, Croa ! Plus que Split, d’ailleurs. Cette soirée est une surprise pour moi : l’oiseau est perché au sommet de notre maison, et il ne risque pas de redescendre. Ni ici, ni ailleurs dans le village. La renarde l’a dans le collimateur. S’il veut gouter à notre nourriture, il devra se risquer au jeu. Même s’il tentait de s’éloigner un peu dans la nuit noire, un œil vif resterait collé sur lui, à l’affut du moindre écart que l’oiseau désobéissant pourrait oser… Quand on sait que Croa est un vilain oiseau, c’est plutôt rassurant de savoir qu’une Voltali veille au grain. Il pourrait se venger sur les Moumouton du coin !

L’air de rien, la renarde retourne auprès du feu, satisfaite de ceux que je lui ai présenté. D’autnat que je n’ai pas ressorti le daim, et qu’elle n’en sent pas la présence aux alentours. Soit, elle accepte de rester sans me cracher dessus aujourd’hui.

— Whaou ! T’es trop douée ! Quand tu fais des mouvements, il bouge tout de suite !

Et pourtant, elle fait ça avec le plus con des dadas ! Mais faut croire qu’il a quelques connaissances, le petit… et surtout qu’il est obéissant, contrairement à ce que j’ai cru initialement. Il parait tout content d’écouter Krystal, et continue même de tourner en rond après qu’elle ait détournée son attention pour retourner aider, jusqu’à s’épuiser de fatigue. Je lui caresse le museau, toute contente que mon dada plaise à Krystal. J’aurais plein de choses à lui demander demain, pour savoir comment dresser Petit Dada. Mais ce soir, c’est la fête ! Je laisse Petit Dada se reposer non loin de nous et jouer les torches en nous éclairant de sa crinière embrasée.

J’suis contente que Krystal se plaise parmi nous ! Elle s’amuse même à jouer quelques airs avec Banjo, que j’applaudis avec encore plus d’engouement qu’aux chansons du garçon. D’autres familles arrivent, des fermiers avec le fameux épi entre les dents, d’autres musiciens, quelques-uns qui s’empressent de chanter par-dessus des chansons paillardes reprises en cœur par toutes les personnes présentes, d’autres qui se contente de se goinfrer sans la moindre bienséance, si ce n’est de grands sourires et remerciement à la maitresse de maison. Y’en a bien sûr qui ont ramené leurs gamins, qui jouent autour du feu et courent autour des quelques Pokémon présents pour jouer avec eux. Petit Dada se retrouve à servir de feu secondaire aux sucreries mises au bout de brindilles afin de caraméliser. Non pas qu’il s’en insurge, au contraire, il léchouille ceux qui s’approchent un peu trop, tout content d’être ainsi au cœur de l’attention. Ça chante, ça crie, ça joue, ça mange. Bref, tout le monde est heureux ! Enfin, sauf Monsieur Croa qui boude du sommet de son toit.

Ma maman a remercié Krystal au compliment. Elle s’empresse de lui faire un clin d’œil en blaguant d’une voix forte :

— La cuisine, c’est une deuxième passion pour moi ! C’est ce qui réuni les gens, tous les jours. Puis je fonds en voyant vos petits yeux gourmands !

Je reprends à sa suite :

— Maman elle dit que, quand elle perd papa de vue en mission, elle s’arrête et fait cuire un morceau de viande, et à chaque fois il réapparait !

Ma mère pouffe à cette anecdote qu’elle se plait souvent à raconter. C’était effectivement arrivé plusieurs fois ! Entre l’odeur du gibier et la lueur du feu, un feu de cuisson aidait à retrouver son chemin.

Je ricane en voyant Krystal s’inquiéter après que j’ai présenté Split (toujours accroché entre mes bras pour son plus grand plaisir) à Volti.

— Mais non, voyons, y’a pas à t’inquiéter ! Tu peux la sortir tout de suite, Volti te dira rien. Regarde, c’est comme Petit Dada, elle s’en fiche. C’est les Pokémon qui chassent avec nous qui l’embêtent, pasqu’elle risque de chasser avec eux, alors elle fait que tout soit bien comme elle veut ! Ah, et les proies, comme des cerfs ou des cochons, mais elle touche jamais les Pokémon à quelqu’un. Même Truc, en vrai, je pense pas qu’elle lui ferait vraiment mal. Juste la première fois, elle a cru que c’était un gibier qu’on a oublié d’achever, du coup elle a voulu sauter dessus.

Je dis ça, mais je prendrais pas le risque. Et ce serait insultant pour elle, la pauvre. Par contre, Krystal n’a vraiment aucune inquiétude à avoir avec la renarde, elle va même en avoir une preuve assez concrète.
La Voltali s’est levée d’un coup en voyant des gamins tourner autour du feu non loin de nous, la méfiance inscrite sur son visage. La renarde a repéré la petite boule de Krystal laissée libre. Et évidemment, avec tout ce joyeux chaos…
Un gamin en pousse un autre. La renarde bondit. Le gamin lui atterrit dessus en un pont presque parfait : un abri circulaire s’est formé autour de l’animal, duquel l’enfant glisse en ricanant avant de retourner jouer avec les siens sans même réaliser qu’il a failli tomber sur la pauvre Togepi et son copain Shebk. L’abri se dissipe aussitôt. La renarde continue de fureter de gauche à droite, les oreilles dressées. On dirait que c’est la seule à ne pas s’amuser au sens premier du terme. Elle surveille, parce que c’est ce qu’elle fait toujours. Moi, je suis habituée, alors je le remarque pas, je sais qu’elle préfère ça à jouer comme Split, par exemple, que j’ai redéposé et qui s’amuse à poursuivre d’autres enfants en jouant les vilains serpents pour leur plus grand plaisir.

Enfin, l’heure de la bouffe est là ! Je récupère une assiette, puis m’empare de celle de mon amie pour me dirige vers maman pour qu’elle nous serve les premières parts, avec les meilleurs morceaux ! Ah ben oui : priorité à ceux qui chassent et cuisinent, quand même ! Toute façon, maman fait la distribution, ils ont pas intérêt à l’embêter. Même la renarde électrique est servie avant les invités, avec un os bien juteux arraché du mollet de l’animal. Elle abandonne enfin une légère part d’attention pour se nourrir, ses pattes posées sur l’os pour en arracher la viande de sa gloutonnerie. Le rapace s’imagine qu’il s’agit là de son occasion d’agir… mais déjà, la renarde relève la tête tandis qu’elle mastique, son regard moqueur dirigé vers l’oiseau de proie. "t’as vu ce que tu manques ?" qu’on pourrait presque l’entendre dire !

Krystal s’est installée sur une table, alors je la suis, entre elle et maman. Certains nous rejoignent, d’autres restent autour du feu et se contentent d’y trimballer leurs auges et couverts en espèce de céramique orangée. De toute façon, soyons franches : à Kedal, les gens s'attendent pas pour manger. Faut bouffer tant que c'est chaud, c'est là que c'est le meilleur. Je tourne la tête vers Krystal, rayonnante de bonheur avant d'hurler :

— BON APPÉTIT !

Mon cri du cœur est repris par l’assemblée dans un écho de rires et de bonne humeur. Ça fait du bien de rentrer ! Surtout que cette fois… je rentre sans plâtre !

L’anecdote sur ma maman et mon papa prit Krystal d’un énorme fou rire. C’était marrant de voir à quel point son histoire était miroir de la nôtre ! Par contre, pour ma part, je venais d’entendre autre chose :

— Un Démolosse ?! Mais c’est trop cool ça, comme Pokémon ! Enfin, y’a tout plein des gens qui z’en ont peur, mais moi je le trouve génial, c’est super comme un Caninos pour la chasse, mais en plus c’est agile et rapide, comme Volti !

En fait, je crois que j’adore tous les canidés. C’est vraiment triste que le destin n’ait pas voulu en mettre un seul sur ma route ! Pourtant, j’ai cherché des élevages de toutous en chemin, mais y’a jamais personne nulle part, à part des petits ponchiot parfois en ville mais élevés comme des gentils toutous qui pourraient même pas attraper un Roucoul. Faut que je continue à chercher !

La renarde hocha la tête rapidement au remerciement de mon amie, sans plus s’y attarder. Quant à la sortie de la vache, elle se contenta de la surveiller du coin de l’œil, prête à bondir s’il prenait à l’animal la mauvaise idée de venir rouler en direction du bucher.
Pour ma part, je salue la vache de mes deux bras levés :

— Coucou Apis ! C’est génial les Ecremeuh ! On en a des élevages ici aussi, t’as déjà bu du lait meuh-meuh ? La famille des Jean fait le meilleur de la région !

Petit coup de mou à la pensée du pauvre Jean-Jean. C’est vrai qu’à mon dernier passage, on pleurait tout juste sa mort. D’ailleurs, personne de sa famille est là aujourd’hui. J’irais surement les voir, demain ou les prochains jours, ne serait-ce que pour leur remonter un peu le moral. Allez, on se reprend. Je me passe deux mains sur le visage pour essuyer ma tristesse et reprend la soirée en oubliant ces peines pour lesquelles assez de larmes ont déjà coulé.

Le repas se déroulait à merveille. La bouffe est délicieuse, le vin coule à flots, et les chants n’en finissent plus. En plus, Krystal vient d’ajouter au menu l’idée qui finit toujours par arriver autour d’un feu : raconter des histoires !

— Il y a bien les vieux fous dans la maison sur la colline, à l’autre bout du village, qui se plaisent à raconter toute l’histoire de Kedal si tu les interroges, mais ils sont plutôt du matin, tu ne les verras jamais en soirée. Tu pourras aller les voir demain, si l’histoire de Kedal t’intéresse !

Enfin, s’ils sont d’humeurs à rencontrer quelqu’un ! Ma mère pouffe à cette pensée avant de dévoiler un regard coquin à l’intention de la tzigane :

— En revanche, tout le monde peut agrémenter la soirée de ses propres histoires, et là, on a du choix ! Hapo…
— C’est mon papa ! ai-je surenchérit à l’entente de son nom.
— … est du genre à passer la soirée à raconter toutes ses aventures. Dès qu’il sera là, tu seras comblée ! En attendant… (elle joint ses mains d’un air machiavélique et y dépose son menton) je peux toujours vous raconter l’histoire du conte Nosferatu !
— Oh, oui, oui, oui ! ai-je répliqué en applaudissant déjà cette histoire.

Ma mère s’échauffe la gorge, prête à conter cette histoire connue de tous les Kedal et que beaucoup jugeaient véridiques. Parce que chez nous, on en a les preuves, en plus !

— On raconte qu’il y a plusieurs années de cela, un voyageur solitaire est arrivé à Kedal en provenance des gorges du Vermillon. La journée touchait à sa fin, comme aujourd’hui, et le pauvre voyageur était épuisé, lessivé par sa traversée. Il s’était fait attaquer par un terrible Nostenfer au milieu de la rivière et n’en avait réchappé que par chance, avec pour seule blessure, une terrible morsure juste ici ! (Elle pointa son cou) À l’époque, une famille d’infirmiers avait décidé d’ouvrir un centre Pokémon à Kedal, avec leurs maigres moyens. Ils n’avaient que quelques médicaments et de simples lits sans tout l’équipement des autres villes, mais c’était un début. Toujours est-il que malgré leur méfiance, les habitants de l’époque ont décidé de venir en aide au voyageur solitaire. On lui offrit le couvert, un toit pour la nuit, et ce que l’on connaissait à l’époque des soins contre le poison de ce terrible Pokémon. Durant la nuit, son état sembla se stabiliser. Toutefois, la fièvre ne voulait pas tomber. Il est dit qu’il délira pendant de longues heures. L’infirmière restée à son chevet l’entendit parler de sang, de mort, et d’une soif insatiable. Toujours est-il qu’il passa la nuit. Et le lendemain… la situation semblait calmée. Bien trop calmée : plus aucun bruit ne se faisait entendre de la maison des infirmiers du village. Plusieurs curieux osèrent pénétrer le centre de soin, hélas, aucun n’en ressorti. Au soir de ce second jour, dix personnes déjà avaient disparu. Et on raconte que, le soir même, tous ressortirent en même temps pour se diriger vers les gorges, sans un bruit. Tous, excepté le voyageur solitaire qui demeura au centre qui était devenu sa nouvelle demeure. La fillette qui vit ça voulu prévenir le village, ou au moins ses parents de cet étrange phénomène, mais personne ne la crut. Et le lendemain matin, ses parents furent les prochaines victimes du terrible vampire du Vermillon. (elle appuya cette appellation avec force pour nous faire tous sursauter durant son récit.) On raconte qu’une trentaine de personnes furent contaminées avant que les habitants ne se décident enfin à bruler le centre Pokémon en même temps que celui qui y avait élu domicile ! Trente personnes qui errent encore aujourd’hui parmi les gorges et le reste de Mistral, ne sortant que la nuit pour assouvir leurs instincts démoniaque et boire le sang de leurs victimes afin de les entrainer eux-aussi dans une vie de vampire !
— C’est terrible ! ai-je affirmé à cette conclusion que je connais pourtant par cœur.

Je trésaille toujours à cette histoire, terrifiée par ces histoires de Nosferapti dont j’ai bien du mal à discerner le vrai du faux ! Et ma maman, ça la fait bien rire.

— Avec ton père, on a pas encore trouvé, mais ça ne saurait tarder ! nous confia-t-elle avec un clin d’œil. Les gorges n’auront bientôt plus aucun secret pour nous !

C’est vrai que beaucoup de missions se déroulaient là-bas, pas étonnant qu’ils commencent à connaître l’endroit par cœur !

De la crème d’Ecremeuh ? Surement, oui ! On fait tellement de fromages et de trucs avec le lait d’Ecremeuh ici, ça m’étonnerait qu’il reste des trucs que j’ai pas goûté ! Mais dans le doute, j’acquiesce avec le sourire, prête à gouter le lait bizarre du Pokémon de mon amie ! M’enfin, pas aujourd’hui, comme elle le dit : on va déjà bien se remplir la panse avec le Haydaim de ma maman.

L’histoire de ma maman fait fureur ! En plus, moi, je suis sûre que c’est vrai, du coup Krystal pourra la raconter dans son auberge. Du coup, je suis tout aussi terrifiée que Krystal quand je sens sa main se rapprocher de moi ! Ça m’a même un peu faite sursauter de la sentir sur mon bras. Heureusement, on est chez moi, alors ça va, je vais pas crier non plus.
Krystal enchaine ensuite sur notre propre histoire. Là, je peux pas m’empêcher de crier en agitant les bras :

— C’était horrible ! J’ai cru qu’on allait tous mourir ! Mais n’empêche qu’on a réussi, on a traversé les gorges à pieds toutes seules !

Ma mère nous lance un regard bienveillant avant de lancer d’une petite voix moqueuse :

— J’imagine que vous êtes des grandes, maintenant ? Je suis fière de vous !

La panique, c’est pas son truc. Elle a tellement l’habitude de voir des choses terrifiantes que même à l’évocation d’une possible mort, elle s’inquiète pas pour moi. Elle a confiance, ma maman ! Après-tout, je suis comme elle, donc il peut rien nous arriver ! La preuve, on est toutes les deux en pleine forme.

— Habituellement, j’y vais à pied puis je passe par la rivière. Les poissons agressifs qui y vivent ne m’inquiètent pas, vu que Volti m’accompagne toujours, je te laisse deviner ce qui arrive aux gourmands qui osent nous attaquer. Hapo, par contre, est plutôt adepte de l’escalade. En soi, les deux se font, et c’est tout aussi dangereux. Le principal, c’est d’être bien préparé. Quand on commence à connaître la zone, on sait quels endroits éviter et quels chemins emprunter. Vous avez été attaqués par une bestiole dangereuse ? Peut-être que je devrais la rajouter sur la liste des cibles à surveiller. S’il attaque les humains à vue en plein jour, mieux vaudrait le délocaliser, ou l’éliminer. Vous n’avez pas croisé le dominant du coin, quand même ?

Je secoue la tête à cette question. Heureusement ! Je crois qu’il est super dangereux, celui des gorges ! Et les dominants, faut pas les chasser, sinon ça devient encore pire pour tout l’écosystème !

Le sujet suivant est bien moins effrayant. L’auberge de Krystal ! C’est vrai qu’elle en parle tout le temps, donc c’est pas étonnant qu’elle y vienne enfin. Ma mère semble enthousiaste, et ça m’étonne pas : ma super copine a bien choisi son emplacement :

— Bivouac ? C’est une bonne idée, mais il y a déjà une auberge, là-bas, je crois ! L’auberge Inn ? On y va souvent, avec mon mari, lorsque la période de chasse est ouverte. Tu risques d’avoir une sacrée concurrence ! Heureusement, je parie que Kata pensera à nous emmener voir la tienne sans faute la prochaine fois.

Elle nous fait un clin d’œil amusé auquel je réponds d’un hochement de tête vigoureux avant de reprendre mon goinfrage.

Krystal a raconté notre aventure avec beaucoup de courage ! Bon, elle m’a un peu écrasé le bras aussi… Mais je lui en veux pas, c’était terrifiant ! Je me passe juste la main sur ma peau rougit en lui offrant un petit regard compatissant. Ma maman, par contre, a froncé les sourcils :

— Je vois… J’irais y faire un tour dans les prochains jours pour voir si je peux le retrouver et m’assurer qu’il ne représente aucun danger pour les voyageurs. Mais d’après ce que tu dis, ça n’avait rien d’une anomalie. Il n’est pas rare que divers rapaces et autres prédateurs s’en prennent aux petits qui nous accompagnent, enfants ou Pokémon : ce sont des proies à leurs yeux. Si ça n’avait pas été lui, ça aurait été un autre, je ne peux que vous conseiller de ne jamais retourner dans un endroit aussi dangereux accompagnées d’enfants.

Cette fois, ça avait des allures de sermon, son regard s’est d’ailleurs un peu durcit. On sent la ranger d’expérience, capable de jauger la situation rien qu’en l’entendant contée. C’est vrai qu’au final, à part nous renverser, le Musteflotte n’a rien fait contre nous. Surement qu’il avait les capacités pour nous massacrer, mais même lorsqu’ils s’en savent capables, très peu de Pokémon sauvages censés osent s’en prendre à des humains adultes durant leur chasse. Ils n’attaquent qu’à proximité de leur territoire, ou pour protéger leurs petits. Celui-ci ne faisait pas exception.

J’ai baissé la tête en entendant tout cela, un peu honteuse. Je savais bien que j’aurais dû prévenir Krystal ! Heureusement, ma maman ne nous laisse pas broyer du noir : elle retrouve vite son sourire et s’exclame :

— Mais le principal, c’est que tout le monde soit sauf ! Et vous vous êtes bien débrouillées toutes les deux, alors haut les cœurs, il reste du Haydaim !

Tu parles qu’il en reste ! Je vais de ce pas me resservir tandis que Krystal poursuit sur son projet personnel. Ma maman ouvre de grands yeux surpris en réalisant qu’il s’agit de la même auberge :

— Ça alors, j’ignorais qu’ils vendaient ! Eh bien, tu as déjà trois clients d’assurés, l’emplacement est idéal pour la saison de la chasse ! Par contre (son enthousiasme diminue à l’évocation du conseil 4), j’espère que Madame Rable ne perturbera pas les lieux par son activité personnelle. Il serait dommage de voir des Pokémon s’entredéchirer dans un cadre aussi agréable.

Ah ça, ma pauvre copine, t’es au seul endroit dans Mistral où l’évocation d’un membre du conseil n’a rien d’une bonne nouvelle !

Clop, clop, clop, clop. La légende était donc vraie : Madame Strophe n’a qu’à faire cuire un Haydaim pour attirer son bienaimé ! Je saute sur le banc, manquant de renverser la table à l’entente de ce trot lourd si reconnaissable.

— PAPAAAAA !

Et voilà une fillette qui hurle en courant dans la nuit, traversant le camp jusqu’à se coller à la jambe de son paternel perché sur le fameux Grand Dada, Bourrinos fier et bienveillant. La renarde m’a devancé et se trouve déjà à ses pattes, frottant son corps contre les pattes de l’énorme équidé. Il n’y a pas grand monde qui a la chance de voir son pelage aussi détendu : pas un pic dressé, la renarde est en parfaite confiance contre cet animal au moins cinq fois plus haut qu’elle. Celui-ci abaisse sa tête, caressant la quadrupède de son lourd museau pour la saluer à son tour.

— Crévindiou ! C’t’une surprise, ça ! s’exclame mon papou en me voyant.

Il descend de grand dada, m’attrape entre ses bras puissants et rejoint à son tour le joyeux feu de camp kedalien.
Mon papa, c’est mon portrait craché en garçon ! On a la même coiffure en bataille rousse et les mêmes yeux, sauf que lui il a une barbe de 2 jours qui entoure ses sourires d’un orange chaleureux. Il est tout en muscle, sauf son ventre qu’est un peu rond, gourmand comme il est ! Il porte le même genre de fusil et de sac que moi, et une tunique verte également. Même niveau des gants, c’est comme moi ! Tout pareil ! Si on savait déjà d’où je tiens mon caractère, on sait à présent qui est mon exemple dans la vie. Il a une belle balafre sur le visage, aussi, environ à l’endroit où j’ai mon tatouage, mais que d’un côté, lui. Et pour finir, il a le sourire du plus heureux des papas !