Saison Un

: Obscure Prophétie

Maman est un peu rassurée aux paroles de Krystal. Personne dans ma famille raffole des combats Pokémon, alors entendre le vacarme à la porte de ta chambre quand tu fais dodo, ça n’a rien d’une aubaine. Néanmoins, avec madame Rable, elle préfère rester sur ses gardes et attendre de voir l’état dans lequel l’auberge sera à l’avenir pour se faire un avis. Même si Krystal semble pleine de bonnes volontés, elle s’est alliée à quelqu’un dont le poids n’est pas négligeable !

Mais laissons-là ces histoires de dresseurs : moi, j’y connais rien, et j’ai aucune idée de qui est cette Daisy (quelle ironie, quand on y pense !). Le plus important, maintenant, c’est mon Papa !

— Tu m’as trop manqué !

L’adulte ricane de sa voix franchouillarde, bien heureux lui aussi de me retrouver. Malgré ma poussée de croissance, il arrive encore à me porter dans ses bras pour me lever tellement haut que je pourrais m’asseoir sur Grand Dada. Il est super fort mon Papa ! J’en profite pour saluer le cheval d’une de mes mains parmi sa crinière. La renarde, de son côté, a déjà fini son élan de générosité et retourne surveiller les fêtards.
Voyant Krystal qui s’approche au moment où papa me repose au sol, je m’exclame :

— Papa ! Regarde, elle c’est Krystal, ma meilleure copine ! (puis je me retourne pour la présentation inverse.) Krystal, lui c’est mon papa, le meilleur de tous les ranger, avec ma maman !

100% Objectif, pour sûr ! L’homme s’esclaffe d’être ainsi encensé et s’empresse d’approcher la tzigane en tendant une main vers elle. Mon papa, il fait toujours des serrages de mains aussi fermes que chaleureux ! Y dit que ça représente la droiture des gens quand on les rencontre !

— C’bin chouet’ d’voir qu’ma tite chipie s’brouille tout’seule da l’grand dehors !

Ah, oui, j’ai pas précisé : mon papa, il a un fort accent campagnard. À Kedal, tout le monde le comprends sans soucis, par contre dans les autres villes, ça demande toujours un temps d’adaptation.

— ‘Chanté, Krystel ! Je ‘spère qu’ti prend bin souin d’ma chipie ?

Vu les deux rangées de dents ravies (bien que mal entretenues) qu’il lui dévoile, mon papa est plus qu’heureux de la rencontrer. Ce qui ne m’empêche pas d’enchainer aussitôt :

— Oh, et lui c’est Grand Dada, dont je te parlais ! T’as vu ? Il est immeeeeense ! Ils étaient comme ça aussi, les Bourrinos de ta famille ?
— Ah ça, l’Grand Dada c’t’un brav’gaillard. D’pi t’jour, y m’porte : lé costaud ! Ma fierté, qu’c’est ! Hein, l’pépère ?

Il balance une tape de bon cœur sur la croupe du cheval qui hennit d’acquiescement sans bouger d’un chouillat malgré la force de mon paternel. Il lui rend d’ailleurs la gentillesse d’un pas de côté, bousculant sans peine le tas de muscle qu’est l’adulte. Tous deux se marrent en cœur de leur complicité avant que leurs regards ne reviennent vers cette jeune femme qui semble si intéressée.
Autour de nous, la foule se presse : contrairement à ma maman qui est restée tranquille tout le repas avec juste Krystal et moi, à peine interrompue par les autres gourmands qui réclamaient leur nourriture, mon papa, lui, attire les foules. Tout le monde l’adore, et à chaque fois qu’il revient, c’est comme le débarquement d’une véritable star ! Et encore, là, c’est la fête… mais d’habitude, ils y vont de requêtes en requêtes tant ils le croient capable de tout !

— Ché vrai, ça ? ti d’jà une vraie ranger, twé !

Il m’ébouriffe les cheveux de sa main puissante, tout fier de ma prestation. Je lui montre mes muscles en réponse, et comme s’ils avaient subitement doublés de volume aux paroles de mon amie, il affiche un air faussement impressionné en tâtant mon bras de son index.
Cependant, je me dois de combler la vérité omise par mon amie :

— Krystal aussi elle est super courageuse ! Et Shebk ! C’est tous ensemble qu’on a tout réussi !

Grand Dada, de son côté, est un milliard de fois plus simple à comprendre et amadouer que sa partenaire électrique. Il se laisse faire à l’approche de Krystal, accepte la main qu’il lui tend en y frottant son museau et l’invite à le caresser autant qu’elle le souhaite en s’abaissant à sa hauteur. Costaud avec le cœur sur les sabots, qu’il est, le dada !
En parlant de dada, où qu’il est, mon dada ? Je le repère à l’autre bout de la fête, servant toujours de feu secondaire aux enfants qui le récompensent en herbe et autres bêtises à grignoter, qu’il accepte de mâchouiller sans rechigner.

— Oh voui, c’est le Ponyta là-bas, regarde ! Le vieux Gérard me l’a offert quand je l’ai aidé aujourd’hui !

Mon père semble en rire. Pour sûr, il est conscient que le vieillard s’en est débarrassé de cette bête, mais tant que je m’amuse, il n’en dira rien.

— J’ai aussi Split ! (je ramasse l’insecte entre mes bras, puis pointe du doigt l’oiseau sur le toit.) Et Monsieur Croa là-bas !

Cette fois, mon paternel prend son air sévère – que je sais faux, parce qu’il le fait tout le temps – et me rétorque de sa voix forte :

— ‘Tention, ’tite chipie ! Les Pokémon, c’t’une tare si nombreux ! Sais-ti qu’on s’pavanait d’autant, Anna et moi ? ava’, bien ava’ twé. ‘Fin, trop d’tête à veiller, c’pas fin.

Je hoche la tête, bien consciente de ce qu’il vient de me raconter : jamais trop de Pokémon ! C’est vrai que mon papa et ma maman, ils ont qu’un Pokémon. Ils en ont eu d’autres, je le sais, même certains que j’ai connus mais tous ont fini par périr en mission. Trop de têtes à surveiller, comme il dit mon papa.
Le sourire revient fleurir son visage, puis il tourne la tête vers d’autres personnes qui l’interpellent. Vaut mieux qu’on le laisse, on aura toute la journée demain pour lui parler, nous !

Nouveau morceau de viande. On se goinfre et boit à n’en plus finir, et surement qu’on continuera jusqu’à s’endormir sur les tables ! En tout cas, c’est le plan ! maman est déjà complètement pompette, ça se voit quand elle répond à Krystal :

— C’est l’amour ! C’est toujours l’amour, le secret ! Aime ta cuisine, aime ceux pour qui tu cuisines, et surtout, aime manger !

Je pouffe de rire en la voyant se relever d’une démarche brimbalante pour retourner jusqu’au Haydaim et mettre en pratique son amour de la viande comme nous l’avons fait avant elle, puis murmure à mon amie :

— Repose la question demain, t’auras une réponse plus pertinente !

C’est pas la seule à avoir abusé de la boisson : certains chanteurs commencent à dérayer dur. Ce qui ne m’empêche pas d’en redemander en levant un verre dans leur direction. Et vas-y qu’ils reprennent ! Hilarants les bourrés !

— T’es une drole de bête, toi ! Hein ? Tu veilles sur ma fifille ! Prends exemple sur Volti, Elle va touuut t’apprendre, Volti.

Voilà que maman parle avec Split ! Et le pire, c’est qu’il répond… Et qu’elle rerépond. Les voilà partis dans une grande discussion, qu’on pourrait croire être celle d’une bourrée avec un animal, mais qui malgré cela tient la route.
Avant que Krystal ne s’inquiète de sa santé mentale, je devance ses questionnements :

— Mes parents, ils comprennent super bien les Pokémon ! J’essaye de faire comme eux depuis toujours, mais j’ai jamais réussi. Ils disent que ça vient avec le temps et beaucoup beaucoup d’entrainement ! Parfois, papa et Grand Dada ils passent des heures à discuter au soleil, comme deux copains !

Maman et Volti, moins, puisque la seconde n’est pas loquace. En parlant de Volti… Elle vient de s’échapper de la petite fête, un os énorme entre les crocs, pour le déposer à l’écart du groupe. D’un ridicule éclair dirigé jusqu’à Croa, elle attire son attention en le faisant sursauter, puis revient vers nous. Elle autorise finalement le rapace à profiter un peu du festin ! Un os à ronger, entouré d’un peu de viande. C’est pas grand-chose, c’est sûr. Mais il avait qu’à accepter sa première proposition, le bougre !