Saison Un

: Obscure Prophétie

— Vas-y Split, choppe-le !

Je lève l’Insolourdo à bout de bras. Celui-ci braque un regard médusant sur sa cible, paralysant le Ponyta d’une frayeur rouge.

— Bravooo ! félicitai-je mon camarade en le gratifiant d’un énième frottement de mes joues contre son front.

Lorsqu’enfin le cheval cesse de se braquer dans tous les sens pour se libérer de cette emprise, je peux m’en approcher, lui accrocher la corde autour du cou et le ramener jusqu’à son élevage (en espérant le trouver du premier coup, cette fois-ci).

J’ai l’impression d’avoir passé la moitié de la journée à chasser des Ponyta ! À cause d’une certaine altercation, tous les éleveurs de Ponyta ont décidé de laisser leurs chevaux aller où bon leur semble en pleine manifestation. Résultat ? Même maintenant que la procession s’est arrêtée, mon papa et moi on continue à ratiboiser le coin à la rechercher des derniers incendies ! (Non, pas ma maman. Elle est à la taverne avec les autres gueulards capables de tenir le taux d’alcool accumulé depuis ce matin)
Et encore, quand c’est des Ponyta, ça va… mais tout à l’heure, j’suis tombée sur un Galopa, le machin n’a pas voulu me suivre quoi que j’y fasse ! Je pouvais que le maintenir sur place avec mon pauvre Split qui s’épuisait, et il a fallu que j’attende l’arrivée de papa et Grand Dada pour le ramener.

Bref, une de ces journées interminables durant lesquelles l’oreiller du soir devient un rêve que l’on a hâte de rejoindre ! Split cligne des yeux à répétition. Ses blobs oculaires sont rougis par la fatigue à force d’user de sa super capacité paralysante. Et moi, je commence à haleter d’épuisement. Hélas, c’est pas le moment d’arrêter les efforts ! En voilà encore un qui se balade au milieu d’une épicerie !

Regard Médusant. Paralysie. C’était pas l’idée du siècle ! Le cheval se débat, comme le précédent. Sauf que cette fois, il est entouré de promontoires à renverser ! S’il n’a pas la force de détruire tout ce qui l'entoure, il parvient néanmoins à renverser quelques étagères et ça commence à râler du côté des clients et des vendeurs. Split n’arrive plus à immobiliser, ses regards sont à peine assez intenses pour empêcher sa cible de partir en courant. Je m’approche du cheval à la va-vite, tente de lui passer la corde au cou : d’une ruade, l’animal me repousse. Ouh ! C’est dangereux tout ça, faudrait pas que je me blesse non plus !
En tout cas, y’en a un qu’a pas loupé l’action. Split a bondit pour tunnellier son adversaire de sa queue perforante. S’il peut plus les paralyser, il peut toujours les foutre KO ! Pas question de laisser qui que ce soit s’en prendre à moi.

— Split, non ! Faut pas qu’ils soient blessés, sinon ils pourront plus être exposés au salon !

Un client me contredit, clamant que les éleveurs n’ont qu’à mieux s’occuper de leurs Pokémon, qu’ils n’ont rien à faire là de toute façon et tout un tas d’autres vilaines choses que j’ignore. En plus, maintenant que le Ponyta est KO, comment je fais pour le ramener, moi ? Je vais pas le transporter comme un gibier crevé, le pauvre ! Et en même temps… est-ce que j’ai le choix ?

Et vas-y que ça continue. Bon, ils vont arrêter de râler et me laisser m’occuper du Pokémon ? En plus, c’est d’un pratique… je peux rien utiliser de mon sac sur un Ponyta vivant. La moitié des trucs vont lui bousiller la chair, l’autre moitié vont cramer sur sa crinière.  Y’a juste le machin que j’étais censé lui mettre au cou pour le diriger qu’est adapté. Sans compter qu’à le trainer sur le sol, je vais tout l’érafler le pauvre.

Oh, et en voilà encore une qui s’en plaint. Mais ils m’embêtent ! Puisque je vais les débarrasser, ils peuvent pas arrêter de râler ? surtout que… J’ai pas pigé la moitié des mots. Deux yeux ronds ébahis se posent sur la dame accompagnée de ses Pokémon aussi musculeusement impressionnants qu’elle.

— Latter quoi ? Et bouger quoi ? Whoa, j’ai rien pigé. De toute façon, même pour le Ponyta, c’est méchant ! Il est juste perdu et il a eu peur, le pauvre.

Oh, et puis peu importe. Je secoue la tête puis fouille mon sac et en sort mon sac à gibier pliable. Ce machin, c’est peut-être qu’un sac immense, mais je m’en sers pour tout un tas de raisons ! Notamment, ça brûle pas. Je l’enfile donc sur ma tête façon clocharde et m’en recouvre jusqu’au épaules. J’ai l’air idiote ainsi vêtue : certains ne manquent pas de le faire remarquer. M’en fiche ! Un Ponyta, c’est lourd… mais pas tant que ça. Je m’approche du bêta KO, agrippe ses pattes-avant et, avec l’aide de mon copain Split, le hisse sur mes épaules. Après-quoi, le gros serpent vient se planquer avec moi sous le sac afin de rejoindre l’arrière de notre étrange procession, de façon à supporter sur son dos l’arrière-train du cheval qui pend derrière-moi.

— Ça va, pas trop chaud ?

Split me répond d’un courageux « So ! So ! ». Parfait, on est parés ! J’avance, pas après pas. Je pense pouvoir dire que ce sera le Ponyta le plus long de la journée, celui-là ! Et la sueur, on en parle ? J’étouffe déjà en sentant les flammes qui s’échappent de ses pattes avant, même à travers le sac. Tant pis, faut bien que quelqu’un s’y colle !
Par contre, y’a un problème dans toute cette histoire : avec mon super sac ignifugé qui couvre toute ma tête, je vois pas à deux pas. Je m’arrête in-extremis au moment où des pieds entrent dans mon champ de vision. Le pauvre Split, lui, n’a rien vu venir. Il me rentre dedans et couine de gêne. Sa tête se lève aussitôt pour s’enquérir de mon état.

— Euh, pardon… Monsieur ? madame ? Je sais pas trop.

Je lâche une des pattes du dada pour soulever légèrement le sac et observer la personne qui me barre la route.

Au milieu de cette foule de gens agaçants, la dame aux Pokémon bien musclés semble changer de camp. Non pas que j’ai l’occasion de la voir frapper l’idiot avec mon sac sur la tête, mais je l’entends prendre ma défense, en quelques sortes.
Après, ça reste du blabla tout ça. Moi, fallait que je sorte, alors j’ai continué à marcher, jusqu’à tomber sur cette autre dame très en colère que je lui sois presque rentrée dedans. Bla, bla, bla, ça recommence. Je soupire et ignore ses réprimandes, tente de m’excuser en expliquant que je dois passer : rien n’y fait, elle s’amuse même à me barrer la route tant que je n’aurais pas écouté son interminable sermon jusqu’au bout. J’ai pas que ça à faire, moi, y’a encore plein de dadas à récupérer partout dans la ville !

Puis d’un coup, la dame baisse les yeux et s’écarte. Wahou, est-ce qu’un des trucs inutiles que je viens de dire l’a soudainement terrifiée ? Non. Ça doit être autre chose, parce qu’il se passe un autre machin bizarre : tout le poids du Ponyta s’envole de mon dos. Même ses pattes m’échappent des mains ! L’instant d’après, le dada se retrouve juché sur les épaules du puissant Braségali. J’en reste bouche bée, incertaine de si je dois crier au voleur ou remercier la madame.

Ouf, la deuxième hypothèse se valide bien vite ! Je retire le sac de ma tête et révèle deux rangées de dents à l’étrangères avant de m’exclamer :

— Merci beaucoup madame ! C’est très gentil de m’aider !

Je prends quand même le temps de replier et ranger le machin, puis ramasse mon pauvre camarade Insolourdo en l’enserrant de mes bras contre mon ventre. Si je tiens encore le choc, lui il n’en peut plus. Il pose sa tête contre mon épaule et commence à fermer les yeux, somnolant à moitié contre moi. Je devine que seule l’inquiétude de me voir attaquée par un danger imprévu le maintien encore éveillé. Je rattrape la dame en quelques enjambées puis reprends avec légèreté :

— Je suis désolée de vous embêter : Split et moi, on commence vraiment à fatiguer. Les Ponyta des éleveurs sont partis dans tous les sens, on leur court après depuis le début de l’après-midi !

Je prends la tête de cette nouvelle expédition d’une marche un peu pressée malgré la fatigue. Surtout que celui-là, il est KO du coup le Ponyta, alors faudra vite l’emmener au centre Pokémon si son éleveur veut le présenter au salon.

— On doit juste l’amener aux collègues de mon papa, devant l’auberge Inn. Eux y sauront le soigner puis à qui le rendre après.

Attendez ! Loin de réaliser tout ce que j’ai raté durant ma semi-cécité, je remarque seulement que la dame n’a plus rien dans les bras. Pourtant, je suis certaine de l’avoir vue chargée de nourriture la minute d’avant ! Mince, mince, mince ! C’est ma faute ! Mon inquiétude s’exprime de petits bonds répétés alors que je m’exclame d’un coup :

— Oh, madame, je crois que vous avez oublié vos courses dans le magasin !

Elle est pas très bavarde la madame. Elle sort même un paquet de bonbons au lieu de répondre ! Bah, tant pis. Elle porte le Ponyta, c’est déjà beaucoup pour moi, alors je vais pas plus l’embêter ! Y’a que au moment où je parle des courses qu’elle me répond enfin.

— Comment ça elle… Aaah !

Un coup, on était dans la rue du supermarché, et au pas suivant, on m’attrapait par le col et j’atterrissait devant ma destination. Le choc fut tellement déstabilisant que j’ai failli trébucher à l’arrivée !

— Whaou, comment…

Erf, trop tard. La dame interpelle déjà le ranger le plus proche pour qu’il s’occupe du Ponyta. Malgré son étonnement difficile à dissimuler, l’homme passe le message et en moins d’une minute, un vieux ronchon arrive devant nous pour s’épandre de mécontentement :

— Mais qu’est-ce vous lui avez fait à mon poney ? On a demandé de les ramener, pas les abattre ! Vous…
— Stop, stop ! C’est pas la faute à la dame, c’est moi qu’ait pas réussi à le maitriser bien.

En plus il va bien, grâce à elle ! L’erreur fige le vieillard un instant, puis ses grognements reprennent pour me prendre pour cible. Je le laisse râler sans répliquer : de un, je suis bien fautive, et de deux, c’est encore la meilleure façon de régler le problème. Encore que… pas sûr que ma bienfaitrice accueille bien ces "remerciements" en livrant le paquet.

Une fois le Ponyta rendu à son propriétaire, je reste pensive quelques instants. Elle m’aura bien aidé la madame, mais il reste encore un tas de poney répartis dans la ville, et vu mon état, je risque de pas finir avant la nuit. Y’a bien d’autres personnes qui s’en chargent, mais pas assez. En plus, j’aime pas l’idée de rester sans rien faire.

— Madame ? repris-je avec hésitation. Vous voulez bien m’aider encore un peu avec les Ponyta ? On a été super vite pour l’autre, vous êtes super forts vous et vos Pokémon !

Je n’en dis pas plus, pour pas l’embêter si elle veut pas : c’est pas grave, je me débrouillerai ! Elle a déjà été bien gentille de venir jusqu’ici. Autour de nous, les rangers débordés récoltent un début d’informations des passants. Déjà trois poneys qui font du grabuge à l’autre bout de la ville. Un ranger part se charger du premier, mais personne n’est encore revenu pour s’occuper des deux autres près des locations de barques. Sans compter tous ceux qu’on a pas encore repéré… rien qu’à voir la fumée qui démarre au loin, je devine le quatrième en direction du bâtiment censé accueillir la partie principale du futur salon.

AOUCH ! J’ai mal pour lui, le pauvre vieux monsieur. Elle est dure dans ses actes autant que dans ses paroles. Mais moi, j’ai rien dit. Contrairement à mon papa, j’ose pas encore intervenir dans les histoires des grands quand j’arrive pas à calmer le jeu (et là, j’ai déjà tenté et ça n’a clairement pas fonctionné). D’ailleurs, je suis pas la seule ! Avec la brute qui m’accompagne, personne n’ose répliquer. Même pas un petit Kedalien pour venir la remettre à sa place d’une pique paysanne ! Faut dire qu’entre la démonstration musclée (certains s’en tiennent encore l’entre-jambe d’empathie, même si le coup a été arrêté de justesse) et le fait qu’elle ait osé s’en prendre à un ancien (à Kedal, les vieux, c’est eux qui râlent le plus pasque y’a que les vieux qui tapent les vieux.), personne n’ose risquer sa peau en retour. Même une fois le vieillard écrasé par son propre poney, il faudra qu’on se soit écarté un peu avant qu’un ranger ne se dévoue pour relever le vieillard (et surement l’emmener à l’hôpital en même temps que son dada.)

Ah, les rangers ! Parlons-en des rangers ! Mon papa serait surement intervenu, mais lui aussi il cherche encore des dadas (et ma maman boit, rappelons-le). Les autres, j’ai l’impression qu’ils détournent le visage et font semblant d’avoir rien vu, comme s’ils avaient reconnu la reine de Mistral et qu’elle pouvait faire ce qu’elle voulait, c’est bizarre !

Bref, résumons mon point de vue : j’ai eu de belles grimaces gênées durant l’action, et je trouve pas ça bien, mais puisqu’aucun adulte n’est venu contredire l’excès, je me dis que Madame n’a pas été trop loin (pauvre papi quand même !).
Heureusement, pasque ça me permet de l’inviter à poursuivre la mission. Et euh… peut-être que je préviendrais le commanditaire la prochaine fois, ou qu’on donnera juste les chevaux aux rangers sans attendre que l’éleveur débarque. Enfin on se débrouillera pour pas que ça recommence !
Bref, en attendant, Madame s’est enfin présentée :

— D’accord ! Moi c’est Kata ! lui dis-je avec un grand sourire en l’entendant accepter.

Vient ensuite la proposition. Ah… J’ai comme un doute. Pour que Madame la brute épaisse qui tabasse des vieillards se sente obligée d’ajouter deux propositions, je suppose que MÊME ELLE, elle considère la seconde un peu trop barbare. Elle va faire quoi, réduire la ville en miettes jusqu’à ce qu’on puisse voir les Ponyta planqués derrière les murs ? J’aimerais vraiment qu’on aille vite, mais j’ai très très peur de choisir ça. Hmm… Longue hésitation… Est-ce que je peux tenter un truc comme ça ?

— Si simple et efficace fait pas de mal aux poneys, on peut faire ça ! Sinon, l’autre.

En soit, la discrétion je m’en fiche. Le temps, moins. Le principal étant que la marchandise arrive en bon état. Au pire, je pourrais toujours l’arrêter si elle va trop loin, non ? Hem… j’ai comme un doute là-dessus.
Sans connaître son plan, je lui donne les quelques infos perçues via les conversations voisines depuis notre arrivée :

— Y zont déjà repéré d’autres Ponyta près des barques, et du salon. Et y’a…
— Un Galopa fait du grabuge en centre-ville ! m’interrompt un jeune ranger tout juste arrivé. Je crois que c’est le dominant du père Gaston !

Ça râle dans l’assemblée. Personne veut y aller. On sait comment ils sont les Pokémon de Gaston, c’est le genre d’éleveur qui attache ses Ponyta récalcitrants à un poteau jusqu’à ce qu’ils le supplient pour manger. Le dominant de son troupeau est, à n’en pas douter, aussi agressif et hautain que son dresseur.