Saison Un

: Obscure Prophétie

Mais, mais, mais… Y’A PAS DE BUISSON !

Tout mes plans tombent à l’eau. L’arène de madame la maire, elle est au milieu du festival ! Comment je fais pour suivre les enseignements de Judas Senseï, moi, du coup ? Je pourrais pas devenir invisible comme il a dit ! Et à cause de ça, madame la maire va se faire attaquer par la team rocket sans que personne il puisse la protéger ! CATASTROPHE !

Allez, Kata, on se reprend ! Si y’a pas de buisson, faut improviser avec ce qu’on a ! Sinon Judas Senseï il sera pas fier de sa seule élève en dix ans, et dix ans, c’est long, alors j’ai pas le droit de le décevoir !
C’est ainsi qu’en avant de la bâtisse aux miroirs, "presque" habilement camouflée entre deux roulottes, couchée sous un panneau publicitaire annonçant promotions sur les crêpes et autres chouchous de fête comme buisson, une enfant surveille la bâtisse de la jumelle de son fusil (détachée dudit fusil, celui-ci étant resté dans son dos).
Chaque personne, chaque créature qui pénétrera les lieux… j’observe tout en espérant y voir la maire… Ou mieux, la team rocket ! Après-tout, les rumeurs sont formelles : madame la maire travaille avec eux. La pauvre, elle a pas dû les reconnaître ! Ou alors, ils l’obligent à chanter, ces vilains ! Pasqu’à mes yeux, c’est impossible que "l’élue" soit la véritable méchante dans l’histoire. Pas quelqu’un qui aurait été capable de faire les exercices du grand Judas et d’aller encore plus loin que moi, jusqu’à réussir à devenir maire !

Un bramement me fait sursauter. Je me cogne la tête contre la pancarte au-dessus de moi. Aie ! Furibonde, je me retourne d’un coup et fait signe de se taire au Vivaldaim dans mon sac, qui se retrouve du coup allongé sur mon dos :

— Chuteuh, Truc ! On est en mission secrète pour protéger madame la maire, faut pas qu’on nous voit sinon la magie elle marchera plus et madame la maire sera en danger !

La magie ? Mais si, celle qui me rend invisible ! C’est Judas qui l’a dit : faut penser très fort à madame la maire, rester allongé et la stalker, et Tadam ! Ça marche ! Du coup, je suis sûre que personne il aura remarqué ma tignasse rousse sous le panneau publicitaire.
De toute façon, comme toute bonne stalkeuse qui se respecte, j’ai attendu le soir ! Pas sûr que ce soit le plus pertinent étant donné qu’il y a encore plus de monde au festival à cette heure tardive qu’en journée. Pourtant, d’habitude, ça marche d’attendre la nuit !

Split aussi, mon Insolourdo, il se demande ce qu’on est en train de fabriquer. Enfin, au moins, ça n’a pas l’air trop dangereux puisqu’on reste loin de la foule et qu’on ne bouge pas. Alors il reste à ramper de droite à gauche au bout de mes pieds, surveillant que rien de fâcheux n’arrive pas derrière durant notre opération.

AH ! C’est elle, c’est elle ! J’affiche un sourire victorieux, ma lunette pointée sur la maire tandis qu’elle quitte les lieux pour se rendre on ne sait où. Parfait, le stalking commence ! J’observe tout ! Sa direction, ceux qui la suivent, sa démarche, TOUT ! Vous allez voir : d’ici ce soir, j’aurais la preuve que la team rocket est à ses trousses et je lui aurais sauvé la vie !

Tiens, d’ailleurs, c’est quoi cette énorme machine qui l’accompagne ? On dirait un oiseau, mais avec dix yeux en rond et tout en caillou bizarre. J’suis loin, je n’entends pas trop ce qu’elle raconte, mais elle pointe un doigt vers moi et…

BOUM !

J’ai à peine eu le temps de me couvrir la tête de mes deux mains qu’une détonation fait voler en éclat ma cachette.

— Aaaaah !

J’ai hurlé ? Ah oui, j’ai hurlé. Pas très discret tout ça ! Et surtout, ça va faire paniquer un certain Insolourdo complètement obnubilé par ma sécurité.
La fumée se dissipe. Ce n’est pas une enfant qui se trouve devant le Kaorine et la championne, mais bien un Pokémon. Split, visiblement fou furieux, est prêt à mettre en application tous ses entrainements prodigués par la Voltali de maman. Et ça commence dès maintenant !

Sitôt que la brume dissipée lui permet de voir sa cible et avant que quiconque n’ait le temps d’interrompre les hostilités, Split balance sa plus puissante attaque sur le Kaorine ! Une terrible tonnerre ! La foudre part de ses crochets, déferle à travers l’espace jusqu’à sa cible et frappe ! Et... et voilà. Rien de plus, ni hurlement de douleur, ni KO, ni même une petite éraflure.

ENCORE ! Et pourquoi ça marche pas, cette fois ? Déjà la dernière fois, il n’avait pas réussi à paralyser le chien électrique… Et aujourd’hui, ce pigeon ignore sa déferlante de foudre ? N’importe quoi !

— Split, attend !

Non, non ! L’insolourdo n’a pas dit son dernier mot ! Le voilà qui rampe aussi vite qu’il le peut (c’est-à-dire pas vite) jusqu’en dessous du Kaorine et essaye de le terrasser à coup de sa seconde plus puissante attaque… Tunnelier ! Regardez-le, sa queue en vrille essayant d’atteindre le Pokémon lévitant bien trop haut pour lui. Il insiste, en plus, le pauvre ! Je le plains, ça doit être dur de se sentir aussi insignifiant malgré tous ses entrainements… Même Truc se met à bailler devant cette prestation humiliante, sa tête dépassant du sac sur mon dos.

— Mais arrête ! On doit la protéger, madame la maire, pas la combattre !

C’est qu’il obéit pas, le bougre ! Pas tant qu’il n’aura pas vaincu cette horrible créature qui a osé s’en prendre à moi !
Je reprends néanmoins, portant mon regard sur la maire tout en me redressant en position assise.

— Et ça marche pas non plus si vous nous voyez, Madame ! Raaaaaaah, y’a tout qu’est parti n’importe comment ! Pourtant je croyais avoir tout bien compris cette fois !

Je croise les bras, déçue de ce nouvel échec. Mince alors, comment je fais pour protéger la maire si elle voit que je la protège, moi ?!

— Oh non, Split !

Pauvre Split ! Il se fait soulever dans les airs puis encaisse de plein fouet l’attaque de l’énorme machine volante. Le courageux Insolourdo en ressort dans un sale état, couvert de bleus et l'une de ses petites ailes froissées. Aurait-il sous-estimé l’adversaire ? Boarf, la question ne se pose même pas. Split m’a vu en danger, il a bondi, et il se battra jusqu’au bout s’il le faut. Hélas, il croit n’avoir aucune capacité capable d’atteindre cette dangereuse machine ! Il ne peut que gronder, impuissant. Il recule même un peu face à son adversaire, le temps d’évaluer une potentielle solution pour, au moins, me permettre de m’en sortir.

Sauf que moi, de mon côté, ça va pas mieux ! Madame la maire m’a attrapé la cheville ! Truc a couiné en me sentant tomber sur le dos (donc sur lui), le pauvre !

SACRILÈGE ! L’Insolourdo hurle de colère, ses pupilles s’illuminant d’un rouge menaçant pour paralyser ses deux adversaires d’une seule attaque. Après quoi, il ignore superbement le Kaorine pour ramper dans ma direction. Déjà, ses crochets s’illuminent d’une lueur électrique. Il compte attaquer madame la maire pour me permettre de fuir, quitte à se faire abattre par le Pokémon de cette dernière.

— SPLIT, T’ARRÊTE MAINTENANT !

Cette fois, le Pokémon se fige et s’écrase sur lui-même, terrifié par cette réprimande qu’il n’a pas vue venir. Pourquoi ai-je les larmes aux yeux ? Mais parce que tu fais que des bêtises, Split ! Madame la maire, on veut la protéger, pas l’attaquer !
Toujours sur le dos face à la maire souffrant de paralysie, je joints mes mains et y plonge ma tête avant de répéter à une vitesse hallucinante :

— Pardon, pardon, pardon, pardon, pardon ! Promis je voulais pas faire de bagarre, je suis trop désolée ! S’il vous plait faite pas plus mal à mon copain, je peux tout expliquer !

Et sans attendre sa confirmation, j’enchaine avec les fameuses explications, toujours dans cette même position de soumission, prête à recevoir ses coups de parapluie sans rechigner si elle décidait de m’en donner :

— On voulait vous suivre en étant invisible loin de vous pour attraper la team rocket qui veut vous faire du mal, je voulais pas vous embêter dans votre journée du tout du tout, je savais pas que votre pokémon il nous verrait invisible, c’est tout ma faute, pardon, pardon, pardon, pardon !

Enfin, Truc a réussi à s’extirper du merdier. Le daim souffle de fatigue, épuisé de s’être tiré d’en-dessous de moi juste à la force de ses pattes avant. Il s’étale de tout son long sans même jeter un regard à la mairesse et son Pokémon.

Pouf. Parapluie.

— Aieuh.

Je me frotte la tête en me redressant sur les fesses. À ce moment, la maire sort un second Pokémon qui semble capable de soigner ses blessures. Enfin, je crois. Je sais pas trop, en vrai, pasque je crois pas que Split ait causé la moindre blessure, mais on dirait que tout le monde va mieux quand même après ça, donc ça doit l’être. À présent, je regarde le gros oiseau bizarre qui répare les dégats qu’on a fait.

— Whoa, c’est nous qu’on a fait tout ça ? Split, vilain, aide le Pokémon à réparer !

Après s’être rétracté une énième fois à mon reproche, voilà que l’Insolourdo s’empare d’un bout de bois tombé d’un stand, et commence à le rapporter. Le temps de le faire, son camarade aura probablement fini tout le reste, mais c’est l’intention qui compte, n’est-ce pas ?
Pour ma part, je m’apprête à les imiter quand un étrange pouvoir psychique me devance pour me forcer à me relever. D’abord déstabilisée, je me rattrape sur mes deux pieds, encore toute déboussolée lorsque le sort d’achève. Ouah, c’était bizarre, ça !
Hein ? C’est quoi, ça ? Je regarde l’ardoise que Madame vient de me mettre sous le nez. Perplexe, je tends une main hésitante vers l’ardoise… puis plus particulièrement vers le crayon.

— Je… moi aussi je dois écrire sur l’ardoise ? Je sais pas bien du tout écrire, ça va être dur !

Mais euh… on dirait que non, en fait ? puisque là je viens de parler et qu’elle m’écoute. Alors à quoi elle sert, l’ardoise ? C’est vrai qu’elle parlait déjà pas, au débat, madame la maire. Elle était juste restée assise à montrer son ardoise de temps en temps. C’est marrant que ce soit elle au final, l’élue. Moi je croyais que c’était ma copine mamie aux cheveux blanc qui serait élue plutôt, elle avait trop l’air de savoir ce qu’elle disait !
Allez, concentration ! Je fronce les sourcils et entame la traduction de ce terrible langage qu’est l’écriture :

— Ton… nom… invisible… Hahaha ! Mais non, c’est pas mon nom, Invisible, c’est que je voulais être invisible, comme mon professeur il a dit pour vous suivre ! Mais c’est un secret qu’il dit qu’une fois tous les dix ans : j’ai pas le droit de dire comment ! Ah, et mon nom c’est Kata, on a fait le jour de la mairie ensemble !

Je repose mon nez sur l’ardoise pour lire le reste (ça faisait trop, j’allais pas tout lire d’un coup quand même !).

— Idiote… (je relève la tête, un grand sourire sur les lèvres) J’ai encore pas compris un truc, c’est ça ? Ça m’arrive souvent… pourtant j’essaye de tout faire bien, mais ça marche pas !

Une pression sur mon pantalon me détourne de la conversation. Split est revenu vers moi, les lieux ayant été rétabli par l’intervention exceptionnelle de celui qui y a foutu le bordel à l’origine. Mais regardez-moi cette bouille toute implorante qu’il me fait ! Il est toute tristoune, le Split ! Je peux pas le bouder plus longtemps. Je l’attrape de mes deux bras et l’enserre fort comme tout en lui lançant :

— Me refait plus peur comme ça, madame la maire c’est l’une des plus fortes du monde, son Pokémon il aurait pu te faire trop trop mal ! J’serais trop triste si tu te faisais vraiment bobo mon copain !

À l’écoute de mes paroles, l’Insolourdo replie ses ailes atrophiées d’un atterrissage pour atténuer une partie des blessures de son affrontement. S’il n’a pas pu me montrer qu’il me protégerait de tout aujourd’hui, il essaye au moins de montrer qu’il peut encaisser ce genre de choses sans broncher. Non pas que je comprenne ce qu’il veut me dire : moi, je suis surtout soulagée qu’il aille bien.

J’achève le câlin avec mon gros copain, toujours soulagée que l’histoire se soit finie sans blessure, puis relève la tête vers mon interlocutrice. Mais, euh…

— Madame la maire ?

Gauche. Droite. Plus de madame la maire. Aaaaaah, elle est partie et je l’ai même pas vue faire ! Complètement paniquée à l’idée que la team rocket profite du moment pour lui tomber dessus, je me redresse d’un bond et commence à regarder au loin dans l’espoir de la voir. En vrai, je cherche surtout le gros oiseau, pasque lui il est gros et plus facile à voir ! Mais pas moyen. L’Ecremeuh, ils ont été super vite ! Ou elle l’a rappelé ? Naaan, elle va pas rappeler son premier garde du corps et en plus semer le second, ça serait débile !

Ne voyant plus d’autre solution, je mets Split sur la piste tout en ramassant un Truc grommelant derrière moi pour le refoutre dans son sac. Ça lui allait bien, lui, que personne l’emmerde dans cette histoire ! Allez, on se secoue un peu pour virer la poussière, et on y va !


Split retrouve madame la maire sans grand difficulté. Et effectivement, elle est toute seule, à présent. Si dangereux ! Elle est courageuse, madame la maire ! Et en même temps, elle s’est mise sur un grand terrain plein d’herbe avec personne autour. Peut-être qu’elle attend un rendez-vous ? J’en suis persuadée ! Truc, par contre, a bien repéré la seule chose importante qui soit : le marchand de glace sur la route. Il brame sitôt qu’on passe devant et m’oblige à lui en acheter une sous peine de faire échouer la mission (je le connais, il va râler pendant une heure). Vilain daim !

C’est ainsi que je devins l’agent secrète la plus crédible du monde ! Avec un petit daim dans les bras, lequel lèche goulument la glace au bout de ma main droite. Ah, et un Insolourdo sur les talons qui, lui au moins, me suit sans demander d’effort. Je m’installe dans le dos de madame la maire, aussi loin que possible mais en restant dans l’herbe. Là, y’a même des buissons ! Je m’y allonge avec Truc au sol contre ma tête. Paaaaarfait ! Avec un buisson, le pouvoir de Judas senseï va forcément marcher si je reste allongée ! Je surprendrais la team rocket sitôt qu’elle essayera de s’en prendre à madame la maire. Jumelle de nouveau en main, j’observe.

Résumé des observations ? elle a l’air bonne sa glace.

C’est pas la mission la plus pertinente à laquelle j’ai participé. D’autant qu’après m’être littéralement ennuyée cinq minutes, une voix se fait entendre dans mon dos :

— Scusez ma p’tite dame, mais je dois m’occuper de ces buissons !

Un monsieur, grand, chauve, avec un petit chapeau contre le soleil et un gros sécateur. Maiiiiis, pourquoi lui aussi il me voit ? La grosse machine de la maire, d’accord, mais pourquoi le jardinier il me voit aussi ?

Je m’excuse (on n’en oublie pas la politesse !) et me relève, époussetant mon short et mes jambes avant de reprendre Truc dans mes bras et me diriger droit sur la championne. Je sais, elle a rien demandé et c’était pas dans les plans, mais m’en fiche ! Maintenant, j’improvise !
Alors je m’assois à côté d’elle, prenant un air boudeur tandis que Truc poursuit sa dégustation sans se soucier du restant des évènements. D’abord, le silence. Quelques secondes. Peut-être une minute ? Allez, on va dire ça. Ensuite…

— Ça marche pas !!!!

J’ai hurlé ça après un gros soupir, arrachant sans le vouloir au daim son repas en levant mes deux bras en l’air de frustration. L’animal grogne de mécontentement et se remet à bramer, les yeux rivés sur son repas.