Saison Un

: Obscure Prophétie

Le retour des marais. Haha ! Tremblez devant l’arrivée de la grande missionnaire ayant déjà sauvé quelqu’un de cet horrible bourbier ! Je sais, c’était miraculeux et j’ai eu beaucoup de chance, mais m’en fiche : même pas peur d’y retourner ! Surtout que maintenant, j’ai Split avec moi ! Enfin, je crois.

— Bah alors, tu suis ?

L’Insolourdo me dévisage d’un air dépité tandis que j’ai déjà de la gadoue jusqu’aux genoux. Cette fois, je me suis équipée d’un long, long bâton pour être sûre de tester chaque zone de gadoue et m’assurer qu’il y a du plat au fond d’où je mets les pieds. Pas question de me retrouver comme l’autre idiot, la dernière fois, qui s’est embourbé jusqu’à la tête.
Bon, par contre, Split, il veut définitivement pas rentrer dans la gadoue. Faut dire qu’en tant que rampant, le pauvre insecte géant préfèrerait un autre chemin. Y’a pas de route, ici, faut t’y faire mon gros ! Bon allez, je suis gentille. Je l’attrape entre mes bras et le soulève pour lui éviter la gadoue.

— Je jure que vous allez me tuer, à force !

Un Insolourdo devant, un Vivaldaim dans le dos. Eh ! Je suis costaud, mais ça fait lourd, quand même ! Surtout quand on triballe en plus un fusil et le reste de mon sac de chasse dans lequel squatte le daim. Va falloir que je fasse encore plus attention, du coup. J’y vais très lentement, pas après pas.

— Allez, du coup, c’est toi tu testes où je peux aller, Split !

Sans rechigner, l’Insolourdo attrape le long bâton dans sa gueule et… et voilà. Il aura beau essayer une fois, deux fois, trois fois, ce n’est pas avec juste une gueule qu’on plante des bâtons au sol. Décidément, c’est pas sa journée d’efficacité ! Je ricane, lui reprends le baton et poursuit mon exploration des lieux.

— Pas grave, t’as qu’à faire comme Truc ! Tu surveilles partout et si tu vois quelqu’un il est en danger, tu me dis !

En effet, c’est ce que le Vivaldaim sans fleur sur la tête fait, dans mon dos. Son museau s’échappe de l’énorme sac, pointe une direction, puis l’autre. Je crois qu’il est plus inquiet qu’autre chose : notre dernier passage n’était pas des plus agréables. On a fini couvert de mélasse ! Mais pas aujourd’hui, y’a juste à pas tomber !
Mes yeux se reportent sur ceux, éternellement clos, de l’Insolourdo. Ah. Bon bah ça non plus, du coup ? Pourtant, il a l’air de bien me voir. Il tourne même la tête vers moi quand je parle ! Sa langue siffle en guise de réponse. Allez, on va dire qu’il voit quand même !

J’avance ! Pleine de gaieté, de bonne humeur et d’espoir à l’idée de me rendre utile en ce lieu si dangereux pour les non-initiés.

Mouvement de tête de l’Insolourdo !

— Hein ? T’as vu quelque chose ?

Vu ? Non. Entendu, plutôt ! Split me pointe une direction de sa queue en vrille. Pas de problème, on va par-là ! Toujours avec précaution, j’avance malgré mes lourdes charges. Jusqu’ici, tout s’est bien passé. À présent, j’entends ce que Split a perçu en premier : un chat qui miaule ! Bon, on sauvera pas un humain, mais secourir un chaton ça sera déjà une bonne action, pas vrai ?

Lorsque j’arrive sur place, la voix d’un humain se mêle aux miaulements… Ainsi qu’un étrange fou rire de satisfaction. Le premier être sur lequel je pose mon regard est un Pitrouille.

— Ciboulette ?! Mais qu’est-ce que tu fais là ?

Bien plus à l’aise dans les marais que moi (puisqu’il n’a qu’à les survoler), Ciboulette m’est passé devant sans que je le voie pour fouiller les affaires de notre futur sauvetage. Et, quelle surprise, regardez ce qu’il y a trouvé ! Un appareil photo Luxiodak, surement bien plus efficace que le vieux Polaroid qui traine dans mon sac. Sans demander l’autorisation à son propriétaire, Ciboulette a ramassé l’appareil pour prendre une première photo. Et euh… pas de photo qui sort. Ah ? ça marche pas pareil que le Polaroid, on dirait.
Tant pis ! Il trouvera bien comment voir les photos plus tard. Pour l’instant, il a deux idiots dans une position déplorable à immortaliser ! Portant sur sa tête l’appareil presque aussi gros que lui, le Pitrouille mini approche des deux victimes des marais, dépose l’appareil juste sous leurs yeux et appuie sur le bouton pour déclencher la photo.

— Pitrouille ! leur lance-t-il tout sourire avant que le flash ne sorte.

Heureusement que je l’ai suivi, le coquin ! Je vois enfin le monsieur et son Pokémon, empêtrés dans la tourbe derrière des fourrés. Je dépose Split sur un coin d’herbe pas trop crade pour qu’il m’y attende et me dirige vers les pauvres victimes pour leur lancer de loin :

— Monsieur ou Madame, vous allez bien ? Bougez pas, je viens !

Avec toutes les précautions du monde, je suis le trajet qu’ils ont effectué, mêlant mes pas aux traces laissées par l’homme jusqu’à la dernière qui me paraisse sûre. Ça devrait aller, je suis à portée. Je tends mon long bâton dans la direction du monsieur derrière les fourrés, tapotant sa tête pour attirer son attention :

— Vous pouvez attraper le bâton ? Je vais tirer pour que vous sortez !

Le bâton, disons-le : il est dégueulasse. Couvert de mélasse à force de me servir de canne et de test à trous, gluant comme pas possible, et déjà couvert d’aspérités rugueuses de base. Mais bon, il est solide, alors c’est tout ce qui compte, pas vrai ? Je compte bien tirer le monsieur/madame de toutes mes forces sitôt que je sentirais des mains s’y agripper ! Toute une scène que le Pitrouille compte bien immortaliser, évènement après évènement ! Avec bien sûr l’espoir que cela s’achèverait d’une nouvelle chute de l’humain, histoire de recouvrir de boue le chaton qui s’accroche à lui comme si sa vie en dépendait. Ciboulette danse en lévitant devant les deux autres sans chercher à leur venir en aide, très amusé par la situation. À croire que notre cher metteur en scène est bien trop occupé pour se joindre à l’action ! À présent qu’il a un si bel appareil photo, il faut bien qu’il s’en serve…

Ouf ! J’ai réussi à les tirer de là ! Grand sourire satisfait de ma part tandis que le monsieur (car c’est un monsieur.) me rejoint sur la terre presque ferme !

— Les rangers, on est toujours là pour aider les gens partout où qu’ils soient ! répondis-je fièrement à sa reconnaissance.

J’suis vraiment contente ! C’est la deuxième fois que je tire quelqu’un des marais, et cette fois, j’ai même pas fini couverte de mélasse ! C’est que je m’améliore vraiment ! Le chat du monsieur a l’air moins reconnaissant, mais je m’y attarde pas, bien trop joviale pour me frustrer de quoi que ce soit.
Je laisse le monsieur récupérer ses affaires, persuadée qu’il me demandera la route pour rentrer après cela, mais non : il a une autre requête.

— Votre appareil ? (Je tourne le regard vers Ciboulette et réalise l’appareil photo qu’il trimballe et semble étudier sous tous les angles.) Ciboulette ! Mais c’est pas le tien, ça, faut le rendre au monsieur !

Ciboulette regarda le chat droit dans les yeux tandis que celui-ci bondissait. Dans un réflexe, il lève l’appareil aussi haut que possible, juste au cas où, mais ce fut inutile : en plus d’avoir ciblé un fantôme, le chat a de toute façon raté sa cible. Le Pitrouille ricane haut et fort, tout en se rapprochant de nous sans porter plus d’attention au chat de gadoue.
Comptait-il rendre l’appareil ? Presque. Il secoua un peu la machine, l’observa dans tous les sens, puis fini par la tendre à son propriétaire en pointant l’objet de son ailette avec un air interrogateur.

— Hihi, je crois qu’il cherche sa photo ! Regardez !

Je sors le vieux polaroid de Ciboulette dans mon sac, révélant au passage le Vivaldaim sans fleur qui s’y cache, lequel peste de se faire ainsi déranger.  Plus qu’à lever l’appareil, et sans prendre le temps de viser, je fais une photo du monsieur devant moi. Comme à chaque fois, une feuille en sort presque aussitôt et je me retrouve à la secouer bêtement pendant que je range le machin.

— Celui de Ciboulette, il fait toujours comme ça. Comment il marche celui-là, du coup ?

Pendant qu’on discute, Split est le seul à porter un intérêt à la pauvre bête couverte de boue. Puisqu’il semble n’y avoir aucun danger dans les environs, il peut bien s’écarter quelque peu de moi et venir en aide à quelqu’un d’autre. Il s’approche sans trop se mouiller non plus dans la mélasse et lui tend sa queue, au cas où le Skitty aurait besoin d’aide pour s’extirper de la boue.
Quant à moi, mon enthousiasme ravive aussi ma curiosité :

— Au fait, c’est quoi votre travail qui vous fait faire des photos ici ? C’est pas beaux les marais, si ?

C’est vrai ça ! Les seuls qui viennent dans le marais normalement, c’est les gens qui voyagent sans vélo, les chasseurs, les rangers, et les cons.

Après s’être fait superbement ignorer, Split revint vers nous sans accorder davantage d’attention au chat. Tant mieux si celui-là n’avait pas besoin d’aide, cela ferait plus d’attention pour sa protégée de dresseuse.

Pour ma part, je suis fascinée par ce que raconte le monsieur ! Une pellicule ! Vous vous rendez compte ? Comme dans les cheveux ! Et c’est avec ça que les photos se dessinent sur le drôle de papier minuscule que le monsieur me montre. Sans doute que c’est pour cette raison que Ciboulette l’a secouée, il a dû comprendre qu’il fallait faire comme des cheveux très sales pour faire tomber toutes les pellicules et que ça dessine bien l’image !
Problème, par contre : ça donne des photos toutes petites ! Du coup, faut demander à un photographe pour les récupérer. Surement que le photographe, il peut les grossir avec une machine bizarre ! Ou alors c’est juste un monsieur qui voit très très bien, et il redessine tout à la main en plus grand ?
Comme vous voyez, j’ai tout compris ! D’ailleurs je le fais comprendre au monsieur :

— Ça a l’air trop cool ! Faudra qu’on regarde avec Ciboulette s’il veut changer le sien un jour !

Ciboulette, de son côté, il a surtout compris qu’il s’est fait avoir. Son sourire s’est retourné, dépité. Ses belles photos, prises au moment le plus parfait qui soit ! Peut-être devrait-il voler la pellicule toute entière ? Ce serait envisageable, s’il connaissait ce petit tour de magie que certains de ses semblables pratiquaient. C’est malheureusement la toute première fois qu’il en aurait eu besoin. Abandonnant là son projet du jour, il ajoute cela en note dans sa tête, histoire de s’y essayer un de ces soirs…

Lorsque le monsieur me retourne la question pour les marais, je ris à mon tour et croise les bras, toute fière de ma décision du jour :

— En fait, j’avais pas de mission aujourd’hui et j’étais à Kalank, alors comme y’a souvent des gens qui se perdent dans les marais et que je connais un peu, bah j’ai voulu faire une patrouille comme les grands rangers ils font !

Sauf qu’eux, dans les marais, ils font plutôt ça à vol d’oiseaux. Mon propre oiseau étant plus têtu qu’un Tiboudet quand il s’agit d’obéir, je compte pas sur lui. En tout cas, à la réponse du monsieur, j’ai balayé le coin des yeux, par curiosité. Étudier des végétaux dans le marais ? Mais y’a que des plantes nulles, non ? Genre le roseau derrière lequel il est tombé ! Et de l’herbe toute pourrie par la vase. Donc si j’ai bien compris, le monsieur il fait pousser des plantes moches pour les prendre en photo. Drôle de travail quand même !

En parlant de plante moche ! Voilà qu’il s’intéresse à Truc maintenant. J’affiche une moue gênée à sa question, désemparée.

— C’est… C’est ma faute. Truc, je lui ai tiré dessus pendant ma chasse, et sa jolie fleur elle s’est toute fanée pendant qu’on le soignait… J’espère qu’elle repoussera au printemps, il a l’air trop triste à chaque fois qu’il voit son reflet…

Je sors le daim de son sac malgré les protestations de l’intéressé. Un fois bien installé dans mes bras, le Vivaldaim pose son regard las sur la cause de ses tourments : pourquoi ce type voulait-il l’embêter aujourd’hui ? On lui avait promis une journée mission où il n’aurait qu’à regarder autour de lui en somnolant à moitié, pas une séance présentation à autrui !
Quoi qu’il en soit, entre mes bras, la cicatrice de la balle est encore perceptible de part et d’autre de son cimier, parmi son pelage dont le vert estival penche peu à peu sur un orange automnal. Lorsqu’il se replace dans une position plus confortable, il est aussi aisé de remarquer que ses pattes-avant sont les seules à remuer, l’arrière de son corps ayant été paralysé par la balle.
Le choc est derrière nous, à présent, et le Vivaldaim semble bien portant malgré ses déboires. Hélas, tous ces signes du désastre sont de véritables épreuves pour nous au quotidien.

Euuh, mental ? Genre il a pas de fleur parce qu’il est tout triste ? Mais non, il est tout triste pasqu’il a pas de fleur ! C’est l’inverse !

— Mais non ! C’est quand il saignait tout plein que la fleur elle est tombée. Heureusement la dame au chapeau elle a réussi à arrêter le sang, mais la fleur elle était déjà toute partie.

Truc renifle l’humain qui semble l’observer avec tant de précaution sans jamais le toucher, puis le chat, s’étonnant de le voir prendre la parole à son intention.

Peur ? Le daim secoue vivement la tête. C’était avant de se prendre une balle qu’il avait peur de moi. Peur de tout, d’ailleurs. Aujourd’hui, il se sait en sécurité à mes côtés. Plus encore, il lui arrive de rechercher le danger par lui-même pour ressentir un brin de cette adrénaline d'autrefois.

— Tu veux parler un peu avec le Skitty ? ai-je demandé au Vivaldaim en les voyant interagir.

Il me regarde de ses pupilles hésitantes. Il se demande ce qu’a été chercher le félin parmi les affaires de l’humain. Prenant son silence pour un oui, je le dépose sur un carré d’herbe humide. Lorsque le Skitty revient vers nous, le daim redresse l’avant de son corps de ses pattes valides puis hume à nouveau l’étrange bout de tissu apporté par Ambroise. Ça n’a pas l’air de se manger. Du coup, c’est quoi l’intérêt ?

On lui explique. Moi, en tout cas, je sautille à cette idée, la trouvant trop géniale !

— Tu vas être trop chou, Truc ! Tu vas voir !

Tout le monde s’active pour le petit handicapé. Enfin, tout le monde sauf Split qui observe de derrière-moi, à l’affut du moment où quelque chose tournera mal ; et Ciboulette qui se tord de rire devant la gueule de son camarade. Faut dire que ça fait bizarre, le nœud papillon accroché comme ça ! On voit la ficelle qui entoure sa tête comme s’il avait une rage de dents, et si la couleur rappelle effectivement sa fleur d’autrefois, la forme donne quelque chose de plutôt disgracieux lorsqu’on s’y attarde. Mais c’est pas notre avis qui compte, c’est le sien ! Je ressors mon appareil, prend le petit daim en photo et attend que la feuille sèche en la secouant pour lui montrer le résultat.

S’il est resté silencieux jusqu’ici, très troublé de se retrouver au cœur de l’attention pour autre chose que des cajoleries et autres larmes de pitié, Truc ouvre enfin la gueule en voyant son image.

— Vaaa !

Rien d’intelligible, vraiment. Juste une de ces onomatopées comme j’aurais pu le faire en découvrant quelque chose d’incroyable. Ses yeux brillent, quelques larmes y naissant à la vue de son front enfin camouflé. Certes, sa fleur d’autrefois était bien plus belle. Mais à présent, il ne renvoie plus l’image d’un Pokémon diminué. Plutôt celle d’un être différent. À ses yeux, c’est le plus beaux cadeaux qu’on lui ait fait !

— Vivaaaa ! s’exclame-t-il à l’intention de son bienfaiteur à quatre pattes.

— Merciiii !

Mais, mais… Il n’a rien en retour ! Il est cloué au sol sans rien à lui. Comment pourrait-il montrer toute sa reconnaissance à ce héros des peines ? Il n’y a qu’une chose qu’il sache faire. Espérons que cela lui plaira !
Le daim se redresse à nouveau, libérant ses poumons pour pouvoir les gonfler tant que nécessaire. Puis il ferme les yeux, cherchant sa concentration avant d’entonner une douce mélodie sifflée à l’intention du Skitty. Pour l’avoir entendu depuis qu’il a commencé à s’entrainer, je peux dire qu’il n’a jamais aussi bien sifflé ! Le petit daim s’applique au maximum de ses capacités pour offrir à l’autre Pokémon un chant de remerciement digne de son offrande.
Je suis aussi heureuse pour mon compagnon que lui ! J’offre un regard plein de reconnaissance à l’adulte et m’exclame :

— Il est super gentil votre Skitty ! C’est la première fois que Truc il se fait un copain autre que Split, j’suis trop contente pour lui !

C’est faux. Y’a eu la plante de Jack aussi, et même le Fouinar de Krystal. Mais à mes yeux, c’est pas pareil ! Eux, c’est les Pokémon de mes copains. Là, je connais pas vraiment le monsieur, et Truc a déjà fait ami ami avec son Pokémon !