Saison Un

: Obscure Prophétie

C’était une belle journée. Ce genre de journée où on n’avait envie de rien faire, juste attendre le temps qui passe. Les mains dans les poches, Roger flânait. Ce matin-là, il s’était levé sans grande motivation. Même ouvrir un roman et le lire lui demandait une concentration exceptionnelle. Alors, il avait simplement eu l’idée de sortir prendre l’air, se changer les idées… ou plutôt essayer d’en trouver, parce qu’il avait la tête bien vide. Ainsi, le jeune homme s’était mis à arpenter les rues de son village natal, sans but particulier. Naturellement, il était accompagné de son fidèle assistant Ambroise. Le chat suivait sans broncher son dresseur. Il fallait dire que personne ne l’obligeait à suivre le scientifique, il le faisait de plein gré.

Dans un premier temps, Roger décida d’arpenter le marché frîmois. Il n’avait besoin, ni envie de rien mais admirer les divers bibelots qu’on pouvait y trouver lui passerait certainement le temps. Ce qui fut le cas. Il s’arrêta à chaque étale, faisant semblant d’observer attentivement ce qu’elle contenait.

- Ces bijoux font de parfaits cadeaux Monsieur ! Ce serait pour quelle occasion ?

Roger tourna la tête de gauche à droite, montrant qu’il n’était pas réellement intéressé par des bijoux de fantaisies soi-disant porte-bonheur.

Si le jeune homme ignora ce qui l’entourait, ce n’était pas le cas du chat qui se trouvait sur ses épaules. Le marché était son endroit préféré quand il s’agissait d’émoustiller ses sens. Les humains avaient toujours de bonnes choses à proposer, comme par exemple cet immense gigot qui pendait là ou encore les terrines qui se trouvaient en dégustation… Pour Ambroise, le Saint-Graal de la nourriture était sans nul doute le Magikarp fraichement pêché. Le Skitty aurait aimé devenir ami avec un poissonnier mais, il ne savait pas trop pourquoi, les poissonniers ne semblaient pas vouloir de lui comme ami.

La tentation était bien trop forte… Ambroise quitta les épaules de son dresseur pour rejoindre souplement le sol. Roger ne releva pas car il avait l’habitue que le chat fasse parfois sa vie ailleurs et revenait quand ça lui chantait. Le félin se faufila discrètement parmi la foule, observant attentivement les étales de poissonniers. L’un d’entre eux avait eu la magnifique d’idée de laisser une de ces énormes caisses remplies de glaces à même le sol. Alors Ambroise se tapit dans l’ombre et attendit le bon moment… Puis le marchand fut occupé avec un client. Le chat prit son élan, courut aussi vite que possible et bondit sur le rebord de la caisse.

- Hé toi ! T’as rien à faire là, fous le camp !

Aussitôt dit, aussitôt fait. Ambroise repartit aussi vite qu’il était venu… non sans emporter avec lui un butin.

- Ambroise, reviens ici tout de suite !

Si même Roger l’avait vu… Quel manque de discrétion ! Le chat ne pouvait se permettre de se retourner, il n’avait pas envie qu’on vienne lui reprendre ce délicieux met. Alors Ambroise bifurqua dans la rue d’à côté. Il savait quel chemin emprunté.

Quelques instants plus tard, le félin sauta par-dessus un muret et se retrouva dans le Jardin de la Tour. Il continua encore sa course pour être certain de distancer son dresseur, qui ne tarderait sans doute pas à le retrouver. Il s’agissait de l’endroit préféré du chat quand il voulait un moment de tranquillité. Il jeta un coup d’œil derrière lui et… roula à la renverse, lâchant le poisson de sa gueule. Ambroise bondit d’un seul coup puis fit le gros dos à la chose qu’il venait de percuter.

Outch ! Ça fait mal ! Le Skitty fit un rouler-bouler, lâchant son délicieux met. Qui osait donc l’attaquer ?! Il n’avait pourtant rien fait de mal ! Certes, il avait pris un poisson d’une des étales… mais ce poisson-là appartenait à la mer, pas aux humains ! Puis son humain à lui réglerait bien la note…
Dans tous les cas, Ambroise venait de perdre le poisson, qui se trouvait désormais derrière cette fille et son pokémon. Le chat jaugea la situation. Cette étrange boule rose ne semblait pas plus forte que lui mais le félin n’était pas sûr de vouloir se battre. Ce serait dépensé de l’énergie pour rien. Le chat se relâcha et ses poils se dégonflèrent. Il n’était pas venu en ennemi, il cherchait simplement un endroit tranquille où savourer son précieux repas.

Ambroise ne voyait qu’une seule solution, celle pour laquelle tous les humains craquent. Même la plus épaisse des brutes ne pouvait rien faire face à… cette adorable bouille. Le chat fit ses grands yeux doux, tout en laissant s’échapper un puissant ronronnement. Sans aucune hésitation, il vint se coller aux jambes de l’inconnue. Il devait faire comprendre qu’il n’était qu’un sympathique félin et que sa recherche de nourriture l’avait simplement fait dévier du droit chemin !

- (Je suis navré), dit-il à l’attention de la boule rose, (ce n’est qu’un simple malentendu). (Je cherchais juste un endroit où me poser tranquillement, pour manger).

Doucement, le chat vint récupérer son butin puis le déposa entre lui et ce petit pokémon rigolo.

- (Ca ne me dérange pas de partager mon repas.)

De toute façon, Ambroise n’aurait jamais mangé une aussi belle pièce de poisson à lui tout seul. En plus s’il arrivait à convaincre le pokémon rond qu’il était inoffensif, peut-être sa dresseuse le laisserait déguster tranquillement son repas, sans le traiter de voleur. Cependant, il fallait faire vite. Roger n’allait pas le laisser manger son poisson. D’une minute à l’autre, le scientifique pouvait débarquer à tout instant pour lui faire une leçon de moral.

Pendant qu’Ambroise filait à toute allure, Roger discutait vivement avec le poissonnier. Ce dernier voulait délibérément gonfler le prix de sa poiscaille pour le vol commis par le chat, estimant que c’était de la faute du botaniste si le félin arrivait à de telles extrémités. Le scientifique ne comptait évidemment pas payer le double, après tout il aurait pu avoir la malhonnêteté de ne pas avouer le délit de son chat. Finalement, Roger déposer d’une main ferme le compte qu’il estimait juste, c’est-à-dire le prix initialement annoncé. Le jeune homme repartit sans dire un mot, laissant le poissonnier râler derrière lui.
Roger savait précisément où se diriger, il connaissait désormais Ambroise comme sa poche. Lui qui était censé être un spécialiste des plantes, il commençait bientôt à en savoir tout autant sur les chats. En l’occurrence, les félins étaient de véritables montres sur pattes. Cela n’étonnait pas Roger qu’Ambroise ait été tenté par un beau morceau de poisson. A cette même heure, la grand-mère du botaniste donnait toujours un petit casse-croûte au Skitty. Néanmoins, cela ne justifiait pas son vol et il fallait que le chat perde cette sale habitude, surtout si Roger comptait voyager dans la région.

Il fallut quelques bonnes minutes au jeune homme pour rejoindre les jardins. Quand il s’agissait de fuir, Ambroise courrait à une allure impressionnante. Désormais, il s’agissait de le retrouver dans ce dédale. Heureusement, Roger connaissait le jardin par cœur à force de s’y promener et plus important encore, il avait une petite idée d’où se trouvait le chat. Ambroise se prélassait toujours à des points précis.

Roger entendit un « Par ici ! ». Avait-on entendu ses pas ? Quoi qu’il en soit, il dirigea vers la voix inconnue… De fait, il retrouva un Ambroise savoureux son morceau de Magikarp volé, accompagné d’une jeune fille. Roger ne se fit pas prier et dégaina la Poké Ball du Skitty. Cette fois-ci, il n’eut pas le temps de s’enfuir et le laser rouge le happa. Le scientifique n’aimait pas enfermer son compagnon dans cette petite sphère mais il devait admettre que ce dernier l’avait bien cherché. Pour éviter que le chat s’échappât de lui-même, Roger tenait fermement la balle dans sa main.

- Navré de vous avoir dérangée. J’espère qu’Ambroise ne vous a pas embêtée ?

Le botaniste posait la question plus par politesse car il connaissait déjà la réponse, d’une certaine façon. Ambroise n’avait rien d’agressif, ce n’était certainement pas lui qui allait engager le combat. Cependant, la personne en face de Roger avait sûrement mieux à faire que de surveiller un pokémon mal-éduqué.

- Il n’est pas méchant mais possède son petit caractère, soupira le jeune homme.

Sa grand-mère ne lui avait pas facilité la tâche. A peine sorti de son œuf qu’Ambroise fut gâté par la vieille dame, devenant le petit chouchou de la maison. Cependant, c’était à Roger de se coltiner les bêtises du félin rose.

- En tout cas, merci d’être restée pour le surveiller. Une chance que vous soyez là. Ça m’aura évité de lui courir après dans ce labyrinthe… D’ailleurs, tant que j’y pense…

Roger s’agenouilla pour prendre le poisson -ou du moins ce qu’il en restait- et le balança par-dessus une haie. Il attendrait suffisamment longtemps qu’un pokémon sauvage en face façon puis relâcherait Ambroise. En attendant, le chat devrait rester bien sagement dans son petit cocon.

- Eh bien… Ambroise est têtu mais se montre bien utile, dit Roger en souriant.

De manière générale, le chat n’était pas compliqué à vivre. Il passait son temps à dormir, faire sa toilette ou suivre le scientifique à la trace. Lui qui était si tête en l’air, il était content d’avoir un compagnon qui lui rapportait les clés de la maison avant de partir. Il fallait simplement -en admettant que cela soit simple- revoir quelques bases quant à l’éducation du félin.

Roger tiqua un bref instant sur les paroles de la jeune fille. Qu’est-ce qui lui faisait croire qu’il était fleuriste ? Arracher des fleurs était presque un crime pour un passionné des végétaux tel que lui ! Bien sûr, cela était parfois nécessaire pour son métier… mais jamais il ne cueillerait une fleur sous prétexte qu’elle était jolie.

Le scientifique se détendit. Il s’agissait juste d’une inconnue qui tenta des déductions. Dans un sens, et même si Roger ne sut comment, elle avait su deviner que son métier avait un rapport avec le monde végétal. De son côté, la seule déduction qu’il pouvait émettre à l’encontre de cette jeune fille était qu’il s’agissait éventuellement d’une dresseuse. Les personnes qui s’intéressaient autant aux pokémon se lançaient souvent dans cette voie.

- Presque ! répondit Roger sur un ton amusé. Ambroise est un Skitty, la sous-évolution de Delcatty. Et non, ce n’est pas starter commun pour un fleuriste parce que je n’en suis pas un… ceci dit, ça ne l’est pas non plus pour un botaniste, fit-il remarquer. D’une certaine manière, vous y étiez presque. Ne me dites pas que c’est le nom de mon Skitty qui vous a mis sur la piste ?

Cela se voyait-il tant sur son visage qu’il était passionné par la botanique ? Bien sûr, les personnes qui le connaissaient répondraient « oui » pour plaisanter. Néanmoins, c’était la première fois qu’un inconnu le lui faisait remarquer. Cela en était presque drôle.

Puis le scientifique reporta son attention sur le pokémon qui accompagnait la jeune fille. C’était une boule rose courte sur patte, son expression lui donnait un air apeuré. Même si Roger était davantage passionné par les fleurs, il devait admettre que la boule de poil avait un petit quelque chose de touchant. De plus, les dresseurs aimaient généralement quand on s’intéressait à leur pokémon. La journée de Roger avait commencé d’une façon terriblement ennuyante… Tomber sur une espèce qu’il ne connaissait pas était une agréable surprise qui vint remettre un peu de bonne humeur.

- Votre pokémon est assez rigolo, je n’en ai jamais vu des comme ça. Il s’agit de quelle espèce ?

Honnêtement, Roger avait bien envie d’aller flatter la tête de cette adorable créature. Certes, il n’irait jamais caresser un pokémon qu’il ne connaissait pas mais parfois c’était vraiment tentant.

Cette étrange boule de poils était donc un Chuchmur. La passoire qui servait de cerveau à Roger oublierait certainement cette information -à contrario il retenait parfaitement le nom des plantes. La Chuchmur semblait timide, se cachant derrière les jambes de sa dresseuse. Comprenant qu’il y était probablement pour quelque chose et ne voulant pas le rendre plus mal à l’aise, le jeune homme arrêta de regarder le pokémon rose.

L’explication de la dresseuse surprit quelque peu Roger. Il fixa la paume de sa main, d’un air surpris. Jusqu’à présent, il n’avait jamais fait attention à l’état de celle-ci. A force, il avait dû s’habituer à cette légère coloration. Même sa grand-mère au regard affuté, avec qui il vivait, ne lui avait jamais fait cette remarque… Pourtant, la vieille dame se faisait un malin plaisir d’avertir Roger quand il avait des cernes un peu trop prononcés au goût de cette dernière. Le botaniste fut d’autant plus surpris quand l’inconnue mentionna son parfum… Evidemment, sa propre odeur ne l’affectait pas mais il était assez content que celle-ci soit, vraisemblablement, agréable à sentir.

Même si la jeune demoiselle ne se trouvait qu’à quelques pas de la vérité, elle paraissait légèrement déçue de ne pas avoir trouvé du premier coup le métier du Roger. On ne pouvait pas gagner à tous les coups.

- Enchanté Adèle. Je m’appelle Roger, répondit-il avec un sourire. Maintenant, c’est à moi deviner ce que tu fais dans la vie.

Le botaniste croisa les bras, faisant mine de réfléchir intensément. Le voilà qu’il se prêtait au jeu… mais pas vraiment de manière sérieuse. Roger avait parié sur une dresseuse, pourtant, il décida de partir dans une toute autre direction.

- Détective privée ? puis il regarda à droite, à gauche d’une manière faussement suspicieuse. Qui vous envoi ? Promis, je ne deal pas d’herbe de Mystherbe !

Si la dernière phrase était parfaitement ironique, Roger l’avait pourtant entendue maintes et maintes fois. Il espérait néanmoins que son interlocutrice ne soit pas trop premier degré…